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L’œil de Pierre Mabille à la galerie Fournier

06/03/2018

Pierre Mabille, peintre, dessinateur et poète compose depuis des années des tableaux répétant une silhouette simple faisant signe. Cette forme toujours initiale est composée de deux traits courbes de longueur égale, disposés en miroir pour se croiser et dessiner allusivement une silhouette d’œil en amande. A chaque nouvelle exposition, et contextuellement pour cette nouvelle présentation à la galerie Fournier, l’œil, mobile et plastique, découpe en miroir ses « paysages de la vue » en jouant avec leurs horizons colorés.

 

Lors d’une précédente présentation dans la même galerie, Pierre Mabille, malicieux,  s’est, permis de proposer qu’on y décèle la figure historique d’une mandorle, le détail d’une plante et sa feuille, un regard de chat vs toute apparence fortuite qui par analogie ou parodie, se prête au jeu des rapprochements.

Cette fois, les tableaux toujours rectangulaires se déclinent seuls ou en réunions. Par rapprochements encore, ils induisent parfois les perspectives d’une étendue d’eau parcourue de reflets et captée sous un soleil esthétique, d’autres fois une frise décorative.

Les couleurs, teintes et nuances mobilisées, pullulent et incitent à cligner des yeux. L’artiste évoque des voyages, des rencontres artistiques amoureuses, mémorielles aussi. Il dialogue avec Claude Monet, Henri Matisse, Pierre Bonnard, les fait dialoguer dans des proximités réelles et cependant discutables entre touche directe et accords de couleurs, dialectiques entre impression fugace et construction méthodique, relevé ponctuel et architecture raisonnée, surprenante et calculée, multidirectionnelle, toujours ultra sensible à ce que la couleur peut dire. Le regard que son usage de l’œil symbolise se laisse le plus souvent guider par la lumière, laquelle est subtile par ses reflets en nuances, poétique par ses voiles rasants, lumière teintée dont on comprend avec Bonnard, justement, qu’elle peut aussi être  joyeusement intérieure.

Parfois limité à un dessin ou traité comme une surface pouvant être vide ou pleine, l’œil, tantôt seul ou démultiplié à l’infini, fugace ou perplexe, assuré ou mémoriel, en même temps toujours frontal et allusivement ouvert, s’impose conceptuellement comme index. Comme un personnage fictif, l’artiste l’embarque dans des jeux de rôles, y voit un acteur peaufinant sans cesse son rôle de composition. Simultanément, conçu comme une esquisse ou une proposition de distance l’artiste le fait alors tantôt surgir à l’occasion d’une découpe surprise ou le fait agir comme une pure apparition émergée d’un changement chromatique imprévu.

Les tableaux et les dessins se suivent sans que le travail de l’artiste s’épuise, occupé qu’il est de questionner sans fausse simplicité mais opiniâtrement ce que peindre engage. Il s’efforce de présumer pour mieux concevoir, creuser pour plus approfondir, interpeller pour davantage faire dialoguer, déranger sa pratique et l’exposer à ses incertitudes. On le sent revenir sur des premiers pas, ouvrir l’œil (précisément) sur ses référents quand ils figent. Les toiles et les dessins s’accumulent, se revisitant constamment ; le peintre, on le sent, les dispute, cherche la décision qui indique que peindre reste un enjeu. Quand un succès est accidentel, reste l’œil.

Seuls ou à plusieurs, les tableaux exercent depuis les cimaises une fascination pour les jeux imprévus entre présence et absence. Fluide entre les formes vides et/ou ou pleines, le regard, réduit à sa matrice en amande, tantôt là, tantôt purement subliminal est une présence virtuelle, parfois fictive. Dessiné comme Matisse découpait dans la couleur, il est placé dans les compositions pour que ces dernières brillent d’une irrégularité ondulante. Avec chaque rectangle de toile, tout devient à la fois visible et invisible, seulement distinct par nuances. Les lignes mutent en vagues, divaguent de pleins en vides, les silhouettes flottent, cocasses et joueuses au milieu des couleurs.

« Il n’y a strictement rien » dit d’une réaction hostile un amateur d’art à Franz Kline lors du vernissage d’une exposition de Barnett Newman en 1990. En l’invitant à être sensible à la finesse des incidences de la coloration sur la perception des formes dans l’espace par Newman, la réponse pleine de lucidité et d’ironie de Kline fut cinglante. Il est dans cette perspective aussi vrai que la peinture de Pierre Mabille assume d’être en apparence facile. Rien n’empêche en effet chacune de ses compositions de paraître plate. Et pourtant, à bien des égards, l’œil indiciel et la métaphore d’un regard symbolique aidant, elles sont par ailleurs dans une relative troisième dimension. Voire une quatrième si le temps de cette perception peut (et devrait) pouvoir être reconnue au travail subtil du peintre.

Sur chaque toile seule ou dépendante, les motifs sont donc composés avec leur subjectile. Même si on s’attarde à vouloir les dissocier, faire que l’un exclut symboliquement l’autre, qu’un motif s’isole, le mélange reste et chaque solution forme une fusion originale. Aussi subtilement, avec l’usage répété au hasard des silhouettes de son module, Pierre Mabille raréfie au détour la fonction théorique de son travail. Il la rend rare du fait même de confronter les silhouettes en regard à l’inutilité légitime du décoratif. Il s’agit d’un point de vue assumé sur le pattern et l’ordre réputé guider des accords purement visuels. Me reste et résonne en moi sa fascination troublante pour certains courants fonctionnalistes du travail pictural des années 70, fascination qui, chez Pierre Mabille, dit un plaisir de peindre en profondeur avec une voix théorique à mon sens mieux critique parce justement partagée avec la spontanéité naturelle et heureuse de Pierre Bonnard.

Parlons in fine de musique, parlons jazz. L’humour et l’humanité actionnent, je le pense, cette peinture aussi très musicale. Comme dans le free jazz, ou, dans une autre mesure, avec la musique répétitive de Phillip Glass, l’accident, le hasard des déphasages créatifs, les interventions impromptues y tiennent source d’inspiration et justes accords à mesure des vagabondages ponctuels. Et tout fait forme. Et tout s’irise d’harmonies chromatiques. Et rien ne se fige. Pièce simplement musicale ou fugue, symphonie ou composition acoustique, chaque peinture raconte ses résonnances. L’œil, quelle que soit son ouverture, en amande ou de face, contemplative comme un regard méditatif, entend plus que des points de vue, il se balade en cheminant. 

Genieve Figgis « Wish you were here », Jean-Baptiste Bernardet, « Hors saison », galerie Almine Rech

27/02/2018

« Wish you were here »

Des compositions fondées sur les surprises d’une matière colorée qui coule et se disperse toute seule dans un trop plein de diluant, ou dont le support de cire, en se mettant à fondre, entraine et disperse dans des courants et des torsions incontrôlables tout ce qui semblait faire forme. Les thèmes peuvent changer d’une toile à l’autre, séduire plus ici que là, éventuellement distraire ou enthousiasmer aux grés de reprises de tableaux anciens appropriés ou d’allusion à des artistes à l’onirisme polychrome, ça sent partout le « procédé à tout faire », le truc pour plaire à frais comptés. Que peut-on dire de plus d’une série de tableaux dont le fond est leur illusion ? Pourquoi pas, mais s’approprier un sujet pour un tableau ou plus sérieusement peindre peut-il se borner à ça ?

 

« Hors saison »

Des toiles « grands format », presque toutes carrées, de diverses harmonies de faux camaïeux répandus jusqu’aux limites des supports, comme des peintures all over ou comme des pattern. Il est dit qu’elles sont inspirées par l’impressionnisme, qu’elles en reprennent à la fois le fond et en grande partie la forme. D’autres peintures, plus petites, travaillées pareillement. Parfois, l’idée répétée d’une touche régulière de la taille d’une brosse, ou la dispersion gestuelle de traces colorées semble chercher d’autres profondeurs…

Très esthétisant, l’ensemble annone les poncifs d’un impressionnisme atmosphérique, cantonné aux effets sans concept d’une proximité avec l’œuvre et la technique de Claude Monet, limités à leurs poncifs. C’est plus joli que beau, agréable comme un tableau inintéressant.

« Degas Danse Dessin » au musée d’Orsay

25/02/2018

« Degas Danse Dessin » au musée d’Orsay. Exposition intéressante sur les liens entre Degas et Paul Valéry. Exceptées de très rares exceptions, les œuvres, peintures, dessins, pastels, sculptures, lettres de Degas proviennent tous des collections du musée lui-même ou d’une bibliothèque parisienne… Peu de surprise donc, sinon que Degas, d’inspiration plus que souvent très classique et très académique dessine paradoxalement de façon parfois assez approximative.

Paradoxalement, encore, parce que d’autres fois, notamment comme on le sait pour les sculptures et bien des pastels, il est d’une justesse créative inouïe.

Paradoxalement, in fine, parce que Degas photographe tout dévoué aux possibilités de nouvelles formes de point de vue, de cadrage et de composition qu’offre le médium agit toujours en contradiction avec « l’ordre académique » (quand c’est pas contre.) Et là, Degas créateur de formes est imparable.

Restent les lettres et carnets de Valéry, dont j’ignorais le gout prononcé pour l’exercice du dessin et du croquis. C’est très amateur d’esprit mais néanmoins toujours sensible et scrupuleux. On a même dans certains cas davantage le sentiment de voir dans les vitrines des carnets d’artistes émaillés de notes écrites au lieu du contraire, plus conforme avec la personnalité du philosophe.

Et cependant, malgré cette leçon théorique et sensible, je suis revenu avec une reproduction d’une œuvre de Paul Cézanne, une vue de la « Sainte Victoire » peinte vers 1890. Cette composition fondée sur l’emplacement d’un muret admoniteur, comme un bord de fenêtre, engage le regard à se jeter à corps perdu sur le visible au loin pour mesurer toutes les expressions visuelles du reste entier du tableau. Une pure merveille d’étude sur ce que peindre veut dire.

« Anxiété cartographique », Collectif Hic Sunt, Galerie Arondit, rue Quincampoix…

22/02/2018

Pas simple d’évoquer l’intelligence et la finesse créative qui traversent les œuvres d’une exposition. Il faudrait s’en tenir aux conseils d’aller voir, d’y voir ce que l’expression peut avoir d’imprévu quand des œuvres puisent davantage dans la recherche esthétique et l’expérimentation plastique que dans les surplus et les débordements de pâte picturale ou les codes surjoués de l’épanchement émotionnel.

Galerie Arondit, rue Quincampoix, le collectif Hic Sunt (ils sont ici), 4 artistes ­­— Lucile Bertrand, Katrin Gattinger, Valentine Gouget et Anna Guillo — pour une exposition thématique remarquable de diversité et de curiosité plastique sur le thème des cartes et des territoires, des frontières et des arpentages, des lieux dits et non-dits, des espaces « chez moi et chez les autres », des régions et des iles perdues ou en archipels, des espaces là et la-bas… Puisant dans des pratiques qui ne se cachent pas d’être historiquement liées à l’art conceptuel, les œuvres se distinguent cependant plus volontiers comme divagations poétiques sur les liens entre mots et visions que sur les modalités idéologiques ou les codes culturels d’une culture artistique et esthétique.

Dans l’exposition qu’ils ont avec une belle dose d’humour intitulé « Anxiété cartographique », les quatre artistes ont tranquillement décidé de se jouer ainsi des évidences entre ce qui fait image mentale et image personnelle. Et déjà, les questions de d’identification et de reconnaissance expressives du lieu titillent l’attention. Les idées de surface, limites, formes et lieux sont pensées par chaque artiste en s’appropriant ici le sol, là une simple feuille A4, ailleurs un mur ou quelque part le squelette d’un objet pour décliner des perceptions et sublimer des formes quasi oniriques de la notion de géographie et de contexte plutôt qu’exposer des instantanés d’endroits. Résultent de ces voyages individuels, des compositions complexes d’assemblages subtils de matériaux faits pour ne se rencontrer que dans des voyages non préparés, des visions seulement imaginables en situation d’apesanteur, les pas légers ou l’esprit poétiquement flottant.  Certaines œuvres sont carrément somptueuses, comme ce haïku sculptural, « groupes de 3 à 5 îles » dixit, juchées au bout de tiges frêles et sobrement intitulé « Archipels », comme ces 34 dessins et montages réunis sur un mur (ils forment aussi une édition limitée sous coffrage de bois), comme cette barrière couchée sur le sol (titre : « Coup de fouet ») dont le corps semblant se réveiller lentement s’engage et se mue en même temps dans un déhanchement de danseur hip hop… Il y a aussi  « Les sirènes de Shangaï », une installation vidéo en quatre écrans successifs, à la fois élémentaire et spectaculaire par son contenu instable…

On l’aura compris, l’exposition est dans son ensemble à la fois d’une grande force expressive et un beau parcours sensible. 

Voici le temps des assassins (Stratégies ? Picturales figuratives ? Aujourd’hui !?) Tu parles…

31/01/2018

Voici le temps des assassins1 (stratégies picturales figuratives aujourd’hui)

L ‘exposition a lieu dans la galerie Journiac de l’Ecole des arts de la Sorbonne, rue de bergers. Rien ne la lie intellectuellement au site universitaire.

« Chaque œuvre témoigne de l’actualité d’un médium qui parvient à réinventer l’image, bousculer nos modes de perception. » Il s’agit de contredire quelques parutions récentes soutenant la fin de la peinture (Didier Ottinger).

« L’exposition propose une expérience sensible des diverses stratégies figuratives à l’heure de l’iconomie CQFD : la nouvelle économie des images et de l’information de la nouvelle révolution industrielle »

…Lesquelles instaurent « un dialogue entre l’expérience photographique commune constituée par le flux incessant des images impatientes de réseaux sociaux et celles conçues par l’élaboration patiente de l’image peinte. »

 …dixit Alain Berland, commissaire.

 

Le commissariat d’Alain Berland re-cadre à propos les nouvelles formes et habitudes d’inspiration-consommation des images issues d’Instagram, de Facebook, Konbini et autre « magasin de l’iconomie. » On comprend vite et on est sensible à cette critique de l’insipidité initiale des sujets meublant le spectacle de vues indéfiniment communes et banalisées, où il croit déceler de nouvelles paradoxalement de nouveaux thèmes de recherches artistiques, notamment picturales figuratives.

Reste l’aporie des formes d’expressions de chacun des 20 artistes représentés. Exceptés la présence picturale truculente aussi décalée, humoristique et onirique que difficilement compréhensible des fantasmagories de Marlène Mocquet comme sous d’autres aspects, la curiosité pour la parodie des références de Damien Deroubaix, l’exposition ne serait que pratiques conventionnelles et parfois techniquement plus que discutables, régulièrement pauvres esthétiquement. La plupart des œuvres semblent ne répéter que leur modèle sans travail sur son apparence autre qu’un « silhouettage » plat, dépourvu d’expérimentation de la matière picturale et sans retour sur l’aura supposée des photographies tels que, autres références imaginables, Walter Benjamin, Roland Barthe, John Berger voire Gustave Caillebotte en son temps ou Francis Bacon, Andy Warhol ou Gerhard Richter, ont pu individuellement tenter et pour les deux derniers, réussi l’exprimer par l’écrit ou la peinture. Par quoi donc s’illustre cette « patiente élaboration de l’image peinte » que subtilement le texte de présentation présume en suggérant de prendre des écarts malins ?

Autant le texte de présentation de l’exposition séduit par sa relative perspicacité, autant la majorité des œuvres sont pâles. Mais peut-être que justement c’est le miroir du flux iconomique ?

 

1/ Ces mots choisi par la commissaire de l’exposition reprennent le sujet peint d’une œuvre éponyme de Bruno Perramant exposée pour ouvrir l’exposition.

« La Louve », et après ? (Au Centre d’arts contemporains Aponia, Villiers sur Marne)

28/01/2018

La difficulté avec les expositions fondées sur la performance (action, happening etc.), c’est la suite et ce sont les restes. C’est le trouble causé par la conservation quelle qu’elle soit de la moindre trace de ce qui, par principe, ne devait pas subsister. Que retenir de ce qui, une fois passé le temps de la performance fut en même temps l’œuvre et quelque chose de mieux que des vestiges ou de la cendre d’un art réputé en action ? Une solution fondée sur un retour mémoriel de l’atelier comme œuvre simultanément réelle ou imaginaire existe peut-être… sous condition expresse d’être plastiquement réinstauré pour se suffire à lui-même.

 

C’est ce qu’à l’évidence Armand Lestard et le centre d’art contemporain Aponia semblent avoir choisi ensemble en créant « La louve », une œuvre/exposition « organique, hétérogène et performative » sur « La place du Sauvage dans nos vies », composée d’installations, de performances, de danse, de sculptures et d’œuvres purement graphiques et picturales, de musique etc.

« La louve » a été inaugurée et s’est en théorie physiquement terminée le même jour du 13 janvier dernier.

Tout continue symboliquement jusqu’au 11 février…

 

Mise en place par Armand Lestard qui en assure également le commissariat, l’exposition se présente comme une œuvre/action collaborative partagée avec Hélène Singer, Sandra Ancelot, Rémi Voche, et Eric Ancenot, tous plasticiens et performeurs. Tous repose sur un environnement complexe de productions en deux, trois et quatre dimensions susceptibles d’être interactives : théâtre, au mime et danse, sculpture et architecture ou objets symboliques, musique, chant et sons divers, gastronomie même… L’atmosphère générale est à la fois nocturne et éclairée de façon théâtrale. L’écoulement du temps s’exprime selon les cas lentement ou précipitée par procuration à travers des recits de forêts peuplées de masques, de marionnettes et de créatures nocturnes. Il s’écoule avec le rappel allusif d’activités industrielles disparues, à travers l’image d’un artiste travaillant fiévreusement dans son atelier, au gré des divers performeurs s’exprimant par la musique, par la danse ou par à travers la préparation d’un repas supposé être en lien avec le sujet. C’est le plus souvent impressionnant et spectaculaire malgré un sentiment diffus de déjà vu, c’est parfois un peu rude à suivre, toujours débordant d‘expression personnelle.

 

J’ai un doute. Armand Lestard veut créer en iconoclaste, « déformater l’exposition en cassant les codes établis » (dixit), élever jusqu’au ciel la création débridée et le geste animal sur l’expérience froide… Une imprécision référentielle récurrente et sans diversité critique sémantique affirmée flotte en même temps sur l’ensemble du projet qui, par un symbolisme aux échos anti moderne, confine au syncrétisme d’un bricolage mystique.

 

C’est déjà vu et moins iconoclaste et reformatant que prévu parce que « La louve » est de toute évidence inspirée par les happenings et les expériences esthétiques collectives conçues par John Cage au Black Mountain Collège (USA) en 1952, les actions/performances de Joseph Beuys ou de Wolf Vostell en Allemagne dans les années 1980/90. L’esthétique générale punk qui ponctue par ailleurs les apparences formelles de certains objets et accessoires semble de simple reprise.

C’est un peu rude à suivre à partir des sens et correspondances accordées au mot sauvage, tantôt défini comme substantif et tantôt simple rapprochement analogique. Armand Lestard explique dans un texte introductif qu’il faut l’entendre comme un écho du sensible qui lui-même serait synonyme d’instinct naturel, incivilisé ou jardin secret individuel : enjeu d’une singularité perdue ou égarée mais qui peut être reformée en partant de sentiments premiers. La sincérité foncière des œuvres signées collectivement est préjugée contraire au « do it yourself ». Je ne veux pas dire que, et c’est bien sûr une aporie de caractère de l’artiste et de son projet, « La louve » ou ce qui en reste manque d’intérêt, qu’au fond, tout des éclats du vernissage a disparu. Durant cette soirée, le centre d’art est devenu un théâtre éphémère de pantomimes, un temps d’hallucinations esthétiques, un opéra en cours d’écriture, l’esquisse d’un cirque fantasmagorique dans une clairière imaginaire, une prière improvisée dans monde inspiré par Caspar David Friedrich, un opéra de David Lynch, un musée de la nature réinventé, un « foutoir onirique » où même le prévu peut survenir… Il y a surtout ce microcosme et ces souvenirs personnels dont Armand Lestard a su, malgré leur relative obscurité ontologique, faire un monde public à travers Aponia. Il se trouve surtout que par procuration et métaphore, ce microcosme s’ouvre aux autres.

 

Armand Lestard avait en 2006 déplacé/reconstitué la maison de sa mère dans le centre d’art. Le propos était alors « Urbanité ». Il s’inspire aujourd’hui à nouveau des paysages et des légendes de Longwy dont il est originaire. Armand Lestard a voulu qu’ils se croisent, qu’ils interfèrent, qu’ils s’embrouillent. L’obsurité couve et plane, la lumière dissèque et environne, l’air se manifeste par des souffles. Pas de partition musicale, des envolées sporadiques et des bruits spontanés, des flots de paroles à peines articulées pour paraître susurrées, des entités instables et suspendues, imprévisibles et provisoires davantage que des corps.

 

Le vernissage et le temps des performances révolu, tout est arrivé et tout s’est passé, fini, inerte. Ce qui reste n’a que partiellement été redisposé. Proche de la porte d’entrée, le titre d’une chanson emblématique de Lou Reed : « Walk on the wild side » porté par un néon continu ses aller-retour sur une voie ferroviaire fantasmatique traversant un mur au sens désormais évanescent. Des feuilles de grands formats matérialisant symboliquement l’intérieur et l’extérieur d’un atelier fictif à partir de murs opposés font figure de mue abandonnée. Les inscriptions et les dessins dont ils sont couverts perdurent, mais les feuilles sont devenues des palimpsestes. Dispersés sur le sol constitué de feutre épais, un renard empaillé, gueule ouverte et les yeux comme exorbités, continue de tirer un traineau chargé d’un globe terrestre en forme de pelote de ficelle. Ailleurs, des effigies monstrueuses, clownesques ou d’animas empaillés dressées sur des pics ou de mats incarnent des personnages de réalités inconscientes. Le noir et la pénombre continuent de tout teinter, de même temps que le geste et le mouvement restent encore partout détectables. Sans paraître factice, une « matièriologie » tantôt naturelle, tantôt sublimée ou réinventée habille les objets et les formes. En guise d’effets purement chromatiques, des zones éclairées de faisceaux d’ambiance. Comme obscurité, des pénombres de fin de jour, de coulisses ou de cavernes. Au lieu de proportions naturelles des objets, l’échelle qu’Armand Lestard leur a donné.

 

L'absence des performances occupent l'esprit. L’ensemble de ce qui n’est plus qu’une installation paraît inachevé et laisse sur sa faim. Les enregistrements tracent faiblement et en partie l’aura du vernissage.

ce qui s'est passé peut symboliquement retrouver la vivacité artistique perdue après un effort personnel d’acceptation et d’imagination de la part du visiteur.

Si l’envie lui prend.

« Par éclat et par ricochet », galerie La Voûte.

26/01/2018

Inspirée par le détail d’un texte sur la poésie de Jean Christophe Bailly1, Marie Gayet, commissaire de l’exposition voit les mouvements de la création plastique se caractériser par des successions d’éclats et de ricochets. Il y serait question de « mots » et de rimes, de force et de vitalité de l’intuition, de légèreté et de surprise de l’expression, de transparence ou de débords, d’image et de composition subjectives, toujours de lumière intérieure.

Alors pas de choix autoritaire entre figuration et abstraction, pas d’œuvre exclusivement analogique ou arbitraire, le moins possible de règles. Privilège accordé au mouvement d’émergence et ses pentes expressives. Les dispersions solaires de Pauline Bazignan peuvent croiser les apparences minimalistes et un rien fantomatiques des peintures de Claire Colin Colin, les sculptures sérielles dans leurs deux sens d’un ductus et d’une mémoire de Laurence De Leersnyder peuvent côtoyer les fusains calligraphiques de Flora Vachez. Cléo Tabakian peut risquer la présentation d’une vidéo où on suit une danseuse évoluant fictivement au milieu d’images urbaines dans une ambiance d’ondes sonores et de son côté, Tiphaine Calmette peut présenter ses séries de photographies sur calques grandes comme des reproductions d’art mystérieusement annotées.

Les œuvres affichent clairement leurs tracés dans une histoire de l’art à la fois partagée et écartée. Chacune semble surtout se suffire aussi à elle-même, les artistes requestionnant, chacun à sa manière les suivis agissants de sa dynamique créative. Ce refus ou cette méfiance éclairée établissent partout avec curiosité et cohérence la priorité qui doit irréductiblement être accordée à la plasticité particulière de la recherche créative. Cette priorité sous-entend aussi des propositions d’auteurs qui indiquent que pour un art vivant, il ne faut, à l’aveugle ou en rêve, suivre que des aventures.

1-Jean-Christophe Bailly, L’élargissement du poème, Collection « Détroits » ed. Christian Bourgois.

Gauguin l'alchimiste ?!

22/01/2018

Gauguin l’alchimiste… autrement dit, Gauguin capable de transformer le plomb en or, le vil en exception, la réalité banale en une fiction poétique, Gauguin ésotérique et limite compréhensible ; par extension et par métaphore, personnage supposé avoir une culture raffinée. L’exposition, à défaut d’être explicite sur ces deux points et le titre plus racoleur que pédagogique ne convainc pas non plus par rapport à l’esthétique volontariste du peintre. Les rapports que Gauguin entretient avec la peinture et l’expression artistique/plastique confinent dès lors à l’aporie d’un lien entre empirisme et pragmatisme.

Il est dit que l’exposition est « forgée » sur l’idée que l’opération alchimique éclaire la méthode vs les processus créatifs du peintre. C’est en ce sens, que de salle en salle on s’applique à présenter l’art du maître à partir de ses techniques de réalisation, qu’on retrace sa méthode en s’appuyant sur la restauration de peintures abimées, qu’on rapproche ou qu’on mélange pèle mêle des peintures et des sculptures, des céramiques et des gravures. C’est sur ces préalables encore ou à partir de ces bases qu’est supposé le style de l’artiste, que sont visées les perspectives de quelques productions divergentes comme des objets décoratifs qu’il a pu réaliser et des extraits de carnets de croquis ayant servis de réserves de sujets. Les fils de l’explication alchimique sont encore ceux qui sont déroulés en partant des assemblages bizarres qui composent certaines natures mortes apparemment descriptives, avec des traductions personnelles qui restent énigmatiques. C’est à partir  de citations « retenues » d’écrivains contemporains, des échos de quelques sélections de ses écrits qu’est construite l’idée d’un pouvoir transmutateur du peintre.

Le moins qu’on puisse dire est que, malgré la présence de chefs d’œuvres pour certains emblématiques de sa vision de l’art (la plupart du temps issus du musée d’Orsay), nombre d’autres œuvres sont loin d’être des réussites pertinentes. On y constate que, sous couvert d’un synthétisme habillé de théorie, le peintre s’est dans la réalité bien des fois contenté d’un geste du dessin plus approximatif qu’empirique en se contentant d’un dessin mécanique, que sous couvert de décors ou d’un savoir faire « primitif » (vs sauvage, naturel, originel, « décivilisé » etc.) nombre de ses œuvres relèvent davantage d’un sujet et d’un programme d’illustration quasi littérale.

Parler d’un Gauguin alchimiste me semble aussi inaudible qu’inapproprié en oubliant que loin d’avoir été un chercheur régulier et opiniâtre sur l’objet de la peinture comme Pissarro et Cézanne à la même époque (Matisse et Picasso plus tard), il s’est souvent limité à une mythologie personnelle configurée comme une imagerie non dépourvue d’hagiographie. Faites de compilations et de rapprochements personnels de sujets de provenances diverses dont il se convainc qu’ils possèdent par syncrétisme des significations universelles, de trop nombreuses œuvres se caractérisent par un mélange arbitraire de styles et d’époques sans rapport les uns avec les autres, par l’association de manières superficiellement récupérées de Cézanne ou Pissarro, avec le détail d’une gravure japonaise s’appuyant sur plusieurs plans de visions simultanées, sur une effigie d’origine péruvienne ou un décors des Iles Marquises… On peut concevoir le scepticisme de Camille Pissarro percevant dans les sculptures de Gauguin des productions de « bibelotages ; on peut entendre les doutes et réfutations Cézanne ou Monet sur ses conceptions de la recherche picturale, on peut estimer comme Signac la « sauvagerie » et la haine de son époque par le peintre quelque peut réactionnaire.

Mais Gauguin est contrariant, il sidère aussi en étant parfois excellent un observateur émouvant et un dessinateur exigeant, un coloriste subjectif et sensible. Si certaines de ses peintures ou si certaines de ses sculptures paraissent de bazar en étant par son mysticisme aussi lourdement « immatérielles » que naïvement « indigènes », sa conception du travail pictural persiste à être effectivement pragmatique par des excentricités expressives assumées. Son dessin d’aspect qui peut parfois être sottement plus réducteur que synthétique s’appuie aussi sur des constructions esthétiques poétiquement conçues à partir de rimes formelles et chromatiques subtiles. Alors que je le juge naïf quand il « dit » peindre « sauvage », stupide quand désireux de se faire messager d’une authenticité humaine « retrouvée », il néglige l’étude plastique approfondie, Gauguin me satisfait chaque fois qu’il assume la pragmatisme de ses scénarisations picturales.

Gauguin est alors un artiste paradoxal par ses approximations formelles, par ses bricolages syncrétiques, ses prétentions de théoricien. Au mieux de ses aspirations subjectives, il est un utilisateur, récupérateur et parfois créateurs de procédés d’expressions visuelles à son époque effectivement inhabituels, incongrus et dérangeants, voir irrationnels. Sa peinture en déconcerte quant il privilégie la sensualité et un style décoratif émerveillant contre le rendu prioritairement descriptif. Je juge intéressante sa façon de réviser et s’approprier un procédé comme le cloisonnage des teintes propre à la gravure japonaise. La hauteur théorique de son engagement et de son éthique d’artiste est limpide, quand au fil des pages d’« Oviri les écrits d’un sauvage » ou de « Noa Noa », quand entre certaines annotations dans ses carnets de croquis, quand à partir des échos de ses échanges avec d’autres peintres de son temps (Pissarro, Cézanne et Odilon Redon notamment), quand à l’instar de l’approche empirique de Cézanne auquel il voue une admiration sans frein, il imprègne ses recherches d’une autonomie qui me paraît être par son audace plus que de l’alchimie. Malgré l’appui justifié d’un propos du peintre assénant que « La peinture est une abstraction », l’exposition fait trop discrètement écho à cette autre proclamation à mes yeux considérable : « Il y a plus à chercher dans la suggestion que dans la description », trop succinctement écho à l’empirisme technique et symboliste du « Talisman » qu’il fit réaliser par Paul Sérusier pour son enseignement. L’exposition est insuffisamment pédagogique quand la recherche à la fois philosophique et esthétique du peintre est remplacée par de la technologie. Comment dans ces conditions restituer la subjectivité de Gauguin assénant à Sérusier : « Comment voyez-vous ces arbres ? Ils sont jaunes. Eh bien, mettez du jaune ; cette ombre, plutôt bleue, peignez-la avec de l'outremer pur ; ces feuilles rouges ? Mettez du vermillon…». Il est aussi trop peu fait état de sa volonté de diriger intellectuellement et non pas du seul point de vue esthétique la communauté mystique et symboliste de Pont-Aven.

Plus qu’alchimiste et magique, l’approche de la peinture par Gauguin m’apparaît avec celle d’Odilon Redon animée par un volontarisme empirique et une théorie appliquée. Chacun sous couvert de images mystérieuses s’évertue à forger son concept d’art en s’attardant comme Cézanne sur des procédés pragmatiques. Revient au spectateur le soin de collationner les « mots » et les règles d’un vocabulaire créatif assumant ses assemblages et ses arrangements à l’écart d’un art symbolique de la révélation (Maurice Denis, Emile Bernard, Paul Sérusier) Revient aussi au spectateur d’accepter les histoires spirites, les théâtres fantasmagoriques et les ambiances maitrisées de livres d’images primitivistes de Gauguin comme une travail parallèle. Il me semble que l’exposition, on n’a pas assez attirer l’attention sur l’emploi récurent dans ses tableaux de volutes et d’effets de fumées divaguant entre les objets, de lignes dansantes et de plages ondulantes et flottantes multicolores comme des effluves d’encens ou des vagues de vagues de toutes les teintes subjectives possibles.  Bref, on a sous-estimé un corpus objectif de formes et de procédés susceptibles d’être des faits de peintures non pas alchimiques et hermétiques mais programmés et raisonnés pour en paraître.

Esquisse sur le travail apparemment environnemental de Réjane Lhôte. Galerie du Haut Pavé.

09/01/2018

Les dessins et globalement, le travail à la fois graphique, environnemental et symboliquement architectural de Réjane Lhôtes témoignent d’un goût prononcé pour les emboitements architecturaux et les silhouettes qu’elles soient remplies, évidées, réduites à des structures linéaires ou plus prosaïquement exprimées par des surfaces unies. Elle affecte en passant les changements de techniques de l’esquisse d’un travail purement graphique à des suggestions de production picturale, voir des essais d’approches aquarellées et de lavis sur papier. Qu’elles soient sur papier ou qu’elles « installées » dans un  lieu, les compositions dont la rigueur du dessin peut parfois poser question évoquent des mises en scènes constructivistes. Par le biais de silhouettes succinctement placés dans l’espace ou signifiées largement on peut aussi penser à des photogrammes réinterprétés, des perspectives dépravées et esthétisées… On croit voir des dessins restés imaginaires de Paul Virilio, parfois de possibles visions de De Chirico, accidentellement, des vues d’artistes réalisées/vites traduites par de supposés étudiants en volumes…

Plus surprenant, deux « épures » dessinées sur feuilles sont « voilées » par des taches apparemment imprévues mais conservées. Leurs premiers plans, et à leur suite, la presque totalité des autres plans des images, jusqu’au placement imaginé de celui de la feuille blanche initiale flottent dans l’épanchement visuel d’un nappage incomptéhenssible. On a l’impression d’une conugaision d’incidents techniques ou formels, on songe ce dont Nicolas Bourriaud veut repenser des déchets plus ou moins récupérables dans « L’exforme »1. Mais chaque fois, c’est à une sorte de sortie de route dans l’exécution du dessin qu’on est confronté, de ces impromptus esthétiques à partir desquels les intentions esthétiques vacillent et, dans le cas présent, tombent pour d’autres thèses et d’autres fondations. Chaque composition se trouve en un instant expulsée de ses préjugés d’équilibres. Les plans s’allègent des combinaisons « logiques », chaque dispositif architectural voit son inspiration « vacuiter » vers des stuctures flottantes. Les œuvres propulsées dans une représentation ouverte vers le temps d’observation révèlent dans le même mouvement un dessin et une sensibilité du geste créatif moins contraints ou plus simplement vivant. Et quand il y a un emboitement, l’agencement est plus poétique en étant formellement plus arbitraire.

 

1- L’exforme, Nicolas Bourriaud, PUF