ZeMonBlog

Gisèle Bonin œuvre

02/06/2017

Après des études approfondies en musique et en littérature, Gisèle Bonin est définitivement passée au dessin et à la peinture. Encore que… !

 

Après des études approfondies en musique et en littérature, Gisèle Bonin est définitivement passée au dessin et à la peinture. Encore que… !

Sa passion artistique à la fois réaffirmée et réinventée, elle consacre ses recherches à la représentation du corps et à la corporéité de l’œuvre visuelle en faisant (à propos) résonner entre elles les expérimentations technique, sémantique et plastique. L’image ou la vue du corps vs le référent corporel constituent donc la base de son inspiration tant pour ce qu’il est, que ce qu’il sublime à la fois comme tact et de l’extérieur, à la fois à vue de peau et de surface, si on peut dire. Instillé par la mise en scène du travail, l’image du corps ou ce qu’il peut suggérer par un détail morphologique ou d’un fond, devient paradigme visuel à travers la dextérité des dessins de l’artiste. Ou la dextérité de l’artiste dont l’expression de ses dessins est plus riche que leur technique apparente.

Le corps à découvert est son inconothèque ai-je écrit il y a quelques temps, convaincu que ce propos travaille sa production. Elle y puise images et questionnements sur ses moindres vues et entendements, éclaire de ses études la présence de détails morphologiques subtils comme les empreintes à la fois comparées et contrastées de deux nombrils, la force ou la gracilité apparentes de mains ou de pieds en partie révélés par leurs morphologies, la vue très rapprochée d’un lieu anatomique symboliquement fort… Parfois, vues et mémoires d’images obliges, c’est un message profane ou biblique de gestes réduits à l’opportunité d’une rime possible avec l’Art ou une actualité photographique qui (re)fait signe et se remet à conter.

Qu’i s’agisse d’un sujet direct ou que ce soit par le truchement d’une traduction plastique, la créativité de Gisèle Bonin abonde dans la libre subjectivité : le relief d’un téton plus ou moins environné de poils, l’ouverture d’une poitrine dénudée ou un flanc droit ou gauche, un fragment de peau caractéristique, la verticalité d’un dos discrètement genré, des doigts rassemblés sur une action, il n’est chaque fois question que d’auteur. Dans un cadrage apparemment resserré, la mise en perspective de proportions d’un sujet vient faire sens de la place laissée aux marges, le « foncé » général d’une image par rapport à la couleur du papier susurre l’émergence d’un relief signataire… Dans son travail, la sagacité humaniste des faits quotidiens imprègne la mise en tension des incarnations et emporte comme elle interpelle le fil des représentations à travers leurs origines documentaires. Dès lors, passés par une fenêtre et un écran conventionnels, les décalages d’une étude clinique et paradigmatique du tableau priment distinctement, faisant que le grain, la coloration quasi monochrome des matières ajoutent aux œuvres une aura de radiographies plus imaginaires que cliniques. En cherchant à produire une ouverture vers une poésie concrète dans chaque dessin, le travail de Gisèle Bonin passe, dès lors, du réalisme au subjectif, comme des descriptions deviennent allusivement oniriques et métaphysiques en étant suspendus aux regards déconnectés de visiteurs mystérieusement allégés.

Leur apparent naturalisme foncier fait encore des dessins de Gisèle Bonin une limite de l’irrationalité visuelle qui lui permet aussi de symboliquement coller à la vision objective comme la pratique du dessin apprécie dans l’oxymore une aporie de la définition et de l’apparition. De sorte que tout semble clair alors que tout est aussi imprécis que mystérieux. Par leurs envois implicites à des images autres ou parfois inverses, mais aussi tout à la fois mentales et corporelles, illusionniste et référencées, les apparences photographiques auxquelles se chargent par disjonctions et disruptions sémantiques d’une lisibililité créatrice imprévue. En l’agrandissant et en le réduisant virtuellement, en multipliant les irréalités par des découpes spéculatives et par des histoires mises en scènes, Gisèle Bonin regarde la morphologie du corps comme une aventure contextuelle. Les énergies sensibles de trouvailles graphiques subtiles qui soufflent comme un micromonde personnel les structurent distinctement des rapprochements d’auteurs. Au lieu d’être une sélection, chaque présentation décline t’elle la concentration de ses regards sur l’affleurement du désir ou sur son report quand l’image se veut presque aussi claire que son support ? Est ce de pure imagination, aussi bien désirable que retenue quand par de fines incitations tactiles, que chaque vue fait écho avec l’aura du moment où tout bascule ?

En même temps qu’elle échafaude chaque image, comment Gisèle Bonin médite t’elle à chaque exposition future de son travail ? Des correspondances avérées avec le souhait de théâtraliser leur plasticité fait la place à des transgressions où la sérenpidité du travail s’exporte occasionnellement par une autonomie créative qui ne se cache pas. Le passage entre le paradigme de la « pure » représentation et celui de la libre suggestion marque assurément de la part de l’artiste une conception intellectuellement élargie de l’image référentielle, celle d’un dessin, par convention, parfois préliminaire ou inaugural, comprise. Il semble s’agir d’un entre-deux volontaire de l’œuvre et de l’artiste où parfois, aussi, se révèle un conflit supposé toujours latent du travail et de son rendu. Il est ici précisément question du mouvement et du temps déclaré du travail. A travers ses manières d’éprouver tous les paradoxes de leurs ressorts respectifs, Gisèle Bonin ne donne t’elle pas au fond le sentiment de vouloir vérifier l’origine des codes qui les animent vs le bien fondé de leurs deux territoires d’élection et d’application ? Ne faut-il pas en effet concevoir dans l’exposition (préparée-mais-quand ?) de ses dessins, à travers des installations in situ comme des tentatives d’inversions de l’exercice documentaire et du pur travail de création plastique, ce dernier informant de ce qui est produit par une vérité d’artiste plus que par ce qui est montré ? Sous quelle bannière est-il pensable de dialectiser le rendu et l’invention visuelle ? Avec ses manières particulières de réinventer et de renouveler les perspectives de l’hyperréalisme et la pure correspondance du support avec la fonction d’écran, chaque exposition de ses dessins invite en tout état de cause à une réflexion in-humaine de l’incarnation de son projet artistique pendant son processus d’élaboration. Avec sa transparence occasionnelle acceptée, chaque œuvre émane, quoi qu’il en soit, d’un corps autre. In fine avec l’inversion magique du travail isolé avec l’exposition, ses images, mues en sublimations du regard, deviennent un temps la peau d’un existant de passage.


Pour le spectateur, le travail de dessin expérimental de Gisèle Bonin suppose et suggère effectivement plus qu’il détaille. Discrètement mais avec opiniâtreté, l’artiste œuvre à brouiller les références, entremêler les angles de vues, confondre les distances, instaurer toujours un biais d’artiste. Il faut que prospèrent les questionnements, suggestions et inventions référentielles, que divergent plastiquement les « formes de l’intention »* ; d’un mot, son travail se veut toujours  plus imaginatif que servile. Ce n’est pas de réalisme que se préoccupe Gisèle Bonin, c’est de « semblance », pas d’immobilité mais d’apparence et d’allure passagère, d’invitation. Pour elle, seules importent les dérives conjointes de l’image et de sa facture, les impressions particulières découlant de leur entente et les petites musiques intimes qui résonnent, seule vit l’idée de digressions possibles autour de l’origine des représentations telles que le langage de l’art les incarne esthétiquement. Ses vues, presque infiniment détaillées sont faites pour s’estomper comme un aperçu intertextuel de Lacan invite à éclaircir un discours en l’allégeant par des combinaisons nécessaires et inattendues. C’est de la capacité du dessin à « Faire le regard » que Gisèle Bonin juge l’avancée de son travail de création. Qu’il soit de purement technique ou incidemment pictural, associé à exposition et une installation in situ, elle entend requestionner avec insistance l’identité foncière des supports d’expression tant matériels qu’immatériels où le dessin s’active, les surfaces et temps d’expérimentation tant opportunes qu’accidentelles qui contribuent à sa toujours possible autonomie. En cherchant en toute circonstance à réinventer le fil des histoires de peaux visuelles pouvant simultanément être enveloppe et perspective, incarnation et tissu diaphane, empreinte et territoire,  son travail se forme de ses propres méditations iconiques. Confins de cette oxymore de la réalité avec ses conceptions métaphysiques de l’image.

Et au-delà, une empreinte aérienne.

Alain Bouaziz, juin 2017

* Formes de l'intention. Sur l'explication historique des tableaux, Michael Baxandall, Jacqueline Chambon, Paris 2000.