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Le monde réel de Claire Barbier est plus imaginaire qu’il n’y paraît, galerie Mercier

17/09/2018

Dans ce lieu devenu mystérieux, Claire Barbier a mis en espace et en scène l’histoire récente de son art, les aléas de ses pratiques réelles et imaginaires de sculptrice, l’album plastique de ses voyages intérieurs et de ses voyages somnambuliques…

Le lieu, une ancienne entreprise industrielle à laquelle ne font plus référence que les murs décrépis et au sol les marques d’emplacements d’activités désormais fantômes, est devenu à la fois un atelier d’architecture et de design et une vaste galerie où on rentre depuis la rue comme dans un garage. C’est dans ce lieu devenu mystérieux que Claire Barbier a mis en espace et en scène l’histoire récente de son art, les aléas de ses pratiques réelles et imaginaires de sculptrice, la cartographie de ses voyages intérieurs et de ses voyages somnambuliques, son album visuel et tactile d’une multitude de contes et de légendes collectives, le Panthéon de ses mythologies personnelles et de leurs brumes associées… Elle a donné un titre à ce théâtre aussi épuré que métaphorique : « Ceux qui naissent de la terre ».

Dès l’entrée franchie, le rêve emprunte le rythme d’un escalier descendant imaginaire qu’on suppose en apesanteur. Le lieu passe pour être une cave, dont on sait depuis Gaston Bachelard qu’« on y descend toujours ». L’escalier est suggéré au moyen d’une installation faite de pas incarnés par des semelles composées de milliers de graines d’érable. Vite, une épopée souffle une histoire à laquelle l’artiste veut croire en nous la faisant découvrir d’œuvre en œuvre. L’esprit redescendu sur terre d’un mouvement flottant trouve sur les murs des dessins sur papier où s’entremêlent des corps et des sites rocheux, d’autres œuvres graphiques émergent plus loin à même leur surface : sont-ils des rémanences du lieu d’origine ou les projections de ciels qui restent à définir? Au sol, sur des supports échafaudés, tantôt comme un guéridon, tantôt comme une étagère ou un immense tiroir, des sculptures en formes de rochers trimbalés par des eaux fictives reposent sur leurs socles improvisés. Leurs formes peuplées de rondeurs mammaires parlent de corps, de terre, de vie assoupie, peut-être de nuit nourricière. Quelles soient fictives ou instillées par des moulages, ces sculptures sensuelles et stéatopyges susurrent, évoquent et caressent par séquences et glissements coïncidés de leurs reliefs et de leurs creux des histoires intenses.

En effet, tout fait à la fois corps, chairs et histoire dans les œuvres incarnées de Claire Barbier. Certaines œuvres peintes ont une coloration de terre cuite ; pour d’autres, l’artiste a couvert de pois de chevreuils certaines vallées dessinées entre les volumes…subsumant par métaphore une humanité dont il est inutile d’évoquer la profonde sensualité. Chaque ensemble nourrit sa part de fiction suggestive, de chairs charnues, caressées, remuées, pétries en profondeur. Chaque corps supposé ondule dans un filet d’eau, accompagné par la créativité fluide de l’artiste.

 

L’exposition évolue comme une dramaturgie, la galerie devient un théâtre, chaque œuvre diffuse comme un acte. Acte I, scène 1, entrée des conteurs. Acte II, scène 1 : sur les murs, les dessins évoluent en palimpsestes et l’édifice supposé inhabité se remodèle en décor imaginaire. Sur une table conçue comme un immense tiroir cloisonné, des rochers sont recouverts de cuir. Sont–ils des accessoires ou des œuvres en soi ? Réalisés en Bretagne où l’artiste s’est installée, ils parlent de rivières charriant des vestiges, de bribes de légendes aux hasards des remous, des mémoires d’une eau qui se souvient de tout mais ne classe rien. Acte III, scène 1, au fond de ce théâtre inventé, des cerfs et des chevreuils dessinés grandeur nature ont surgi ; observent-ils ou surveillent-ils les lieux en silence? Le calme règne, le monde paraît assoupi. Scène 2, une pièce adjacente.  L’histoire imaginée en écho, comme une voie off. Sons et formes repris, apparentés aux reflets d’un monde à la fois humain et animal, rapportés aux marbres antiques de corps hybrides, aux visages de faunes supposés, de dieux déchus, leurs souffles récupérés dans des carafes transparentes. Epilogue : l’escalier à rebours, comme Alice-Claire dans une logorrhée de visions murmurées. On est, avec elle, prié d’y croire, comme on n’est convaincu que pour la création de ses œuvres et en installant leur exposition, elle n’a, à aucun moment séparé le fond de la forme.

Le voyage fut admirable, les rochers dessinés ou sculptés se sont mis à parler. L’art inattendu, discrètement conceptuel autant que poétique et expérimental de Claire Barbier produit ses effets d’enchantement et de questionnement. Le monde réel est effectivement toujours plus imaginaire qu’il n’y paraît.