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Biennale de Lyon 2019, « Là où les eaux se mêlent… »

05/11/2019

D’un intérêt créatif parfois enthousiasmant, des propositions artistiques filent à contrario des perspectives limitées, voire des « perspectives  de perspectives » délicates à interpréter…

J’aime aller à la Biennale d’art contemporain de Lyon parce qu’avec le gigantisme de l’essentiel des œuvres réalisées et la quasi impossibilité de les acquérir en tant que productions in situ, c’est un désintéressement financier assumé d’œuvres invendables et donc du monde des collectionneurs qui est discrètement promu. Il reste donc des expériences et des recherches esthétiques plus ou moins complexes et ambitieuses. L’artiste, le discours revendiqué de l’œuvre ou son expression recherchée parlent donc à priori sans intermédiaire obligé ni intérêt vénal. 

L’intérêt créatif des pratiques plastiques est diversement appréciable : quelquefois d’une cohérence enthousiasmante, à d’autres occasions mal identifiable ou peu probant. Des propositions artistiques filent des perspectives peut-être limitées, voire des « perspec-tives  de perspectives » délicates à interpréter ou sans point de vue si on peut dire. Avec ces horizons vaporeux, le beau thème retenu pour la Biennale « Là où les eaux se mêlent » satisfait et par ailleurs manque parfois d’échos, de sorte que les dimensions énormes de certaines œuvres peuvent devenir ou apparaître comme un handicap. Le risque est de devoir à l’occasion affronter les préjugés de gestes gratuits ou décoratifs, des moments insensés de fourre-tout plasticiens que les informations livrées avec l’œuvre ne justifient qu’« à l’arrache ».

Le changement d’organisation et d’administration de la manifestation jusqu’ici déléguée à Thierry Raspail parti pour d’autres aventures par une équipe du Palais de Tokyo semble t’il soucieuse de  coller à son monde d’origine jusqu’à donner le sentiment de les confondre y est sans doute pour quelque chose. J’ose espérer pour la prochaine fois que plus de rigueur, d’imagination ou d’opportunité sauront palier la difficulté de nourrir le thème de la manifestation moins formellement et d’à priori quant aux artistes, connus ou pas, pouvant y répondre.


Les pratiques d’installation sont donc majoritaires, jusqu’à présumer sans présomption de culture plastique approfondie, leur priorité vs une exclusivité…ou la règle. Elles occupent l’immensité des anciennes usines Fagor et l’essentiel du Musée d’art Contemporain en exauçant au mieux ou mal le gigantisme des espaces disponibles. Quelle que soit la technique principale : sculpture, peinture ou photographie vs film, vidéo, privilège est donné au théâtre plastique des pratiques hybrides liées à l’in situ et la « performance », aux associations d’idées et de styles, aux références culturelles multiples, fusionnées ou métissées, aux justifications qui absorbent indistinctement intentions, explications et description, aux références sociologiques, et parfois mystiques ou sujétions égotistes… Rarement, exceptionnellement même, ou émanant du seul spectateur, il arrive qu’un propos d’artiste engage une réflexion sensible et approfondie sur le mouvement du travail en train dans l’apparence de l’œuvre. 

Les œuvres franchement intéressantes sont de ce point de vue plus rares que les biennales précédentes. Il faut parfois multiplier les efforts pour se convaincre que chaque créateur a réellement à cherché non seulement à être original mais que, surtout, son travail a du fond, que les techniques ou les matériaux employés ont leur rôle. Qu’il y a du choix et non un remplissage logorrhéique de matériaux venant de partout.

L’intelligence du reste des productions est variable et très incertaine. En-dehors d’un bricolage plastique souvent bavard, l’impression qu’aucun discernement n’a prévalu quant aux choix des techniques ou des matériaux domine ; ça frise parfois l’inculture visuelle ou artistique en se bornant à citer des œuvres existantes ou « faire dans le Ready-Made », autre redite. Nombre de propositions n’impressionnent que par leur taille ou leur look contemporain, de sorte qu’il faut beaucoup d’indulgence pour percevoir chez leurs concepteurs la recherche d’un nouveau souffle d’imagination plastique, à défaut une divergence personnelle. On se perd alors en conjecture devant des projets esthétiques que seule leur échelle littérale et illustrative préserve du doute, comme la performance décalée projetée sur écran panoramique d’Abraham Poincheval. L’immensité et la multiplicité des moyens techniques (vs les moyens matériels/financiers) mobilisés ou une ambiance vaguement artistique ou moderniste peinent alors à être autre chose qu’une béquille.

Les halls 2 à 4 se révèlent aussi difficiles. La belle rivière phosphorescente, dispositif évoquant une source d’eau chaude imaginé par Minouk Lim frappe plus par son impact visuel dans l’espace obscurci du lieu que par l’intelligence de liens supposés avec l’histoire sociale de l’usine ou plus prosaïquement avec le sentiment d’une création nouvelle. Même sentiment avec les productions de Myriam Courtois, Isabelle Endriessen, Stephane Thidet, Felipe Arturo, Chou Yu Cheng, ou le duo Ashley Hans Scheirl et jakob Lena Knebl, Sam Keogh, Chou Yung Chen… Sans le cartel de présentation/description le pouvoir esthétique manque. Une sorte de vide absolu semble atteint avec l’inutilité et l’inconsistance technique des peintures de Stéphane Callet, dont on se demande pourquoi elles sont là. On reprend espoir et même on se réjouit in fine en découvrant avec quelle pertinence esthétique et quel humour de connivence, Yona Lee parvient à saisir et jouer avec l’enjeu esthétique du thème général de la manifestation : « Là où les eaux se mêlent » et le site. Sa manière de jouer la fusion à la fois physique, spirituelle et intellectuelle du contexte symbolique de l’exposition dans l’usine fascine. 


Le Musée d’Art Contemporain n’est pas en reste. La peinture immersive de Renée Levi retient l’attention par son ampleur sur presque tout le premier étage du musée. A défaut d’être nouvelle, l’œuvre, tout à la fois performative et environnementale, témoigne d’une recherche esthétique et artistique assurée. A l’inverse, l’emploi de la totalité des second et troisième étages du musée, le projet de « musée imaginaire » de Daniel Dewar et Gérgory Giquel est d’une lourdeur plastique, d’une pompe artisanale, d’un creux conceptuel et d’un ennui scénaristique aussi épuisants que l’étendue de l’œuvre est grande. Fort heureusement, le dispositif environnemental et l’installation en forme de performance de Gaëlle Choisne captive par sa poésie formelle. On suit l’artiste dans son appropriation cultivée du contexte d’exposition, ses pérégrinations aussi picturales et sculpturales que théâtrales et environnementales, ses envies de nature préservée et de traces mémorielles.


L’institut d’art Contemporain de Villeurbanne réserve comme à l’accoutumée des surprises avec «  la jeune création internationale ». En transformant l’entrée de l’exposition en « sas » pour accéder aux autres salles d’exposition, une installation créée par Giulia Cenci met à distance un sentiment esthétique de désolation et d’environnement pour transmette à la fois de la nostalgie et du rêve. Théo Massoulier a quant à lui disposés plus loin dans des vitrines, des petits assemblages hybrides facétieux et poétiques. Tantôt abstraits tantôt allusivement animaliers, en associant végétaux, minéraux, couleurs et flashies, ils peuplent les étagères comme une collection ou un album reconstitue et raconte par rémanence des univers fanstasmés. Dans une autre salle, Sebastian Jefford semble revisiter la production de Claes Oldenburg et réalise avec humour de nouveaux « objets surdimensionnés, boursouflés de protubérances bulbeuses, tactiles ». Charlotte Denamur imagine dans une autre pièce une suite de vagues marines en tissu imbibé bleu peuplé de silhouettes. Si l’installation évoque parfois des anthropométries de Klein autant qu’un flot musical de Philip Glass, une présentation avertie et judicieuse rappelle en passant que l’architecture de salle est muée en châssis de ses toiles flottantes.

Sans craindre les références, chaque exposant fraîchement sorti d’école d’art s’engage avec autant de créativité que de conviction. L’exposition laisse un souvenir de fraîcheur et de recherches désintéressées. Pas une des installations ne donne le sentiment d’être sans sujet ou inefficace dans son espace de présentation.