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Des galeries reprennent de la «voie»…

15/09/2020

Déconfinées, les galeries donnent un visage contrasté du retour créatif à la vie par l'art…

Thomas Levy-Lasne sur la voie du non sens, Galerie Les filles du Calvaire

         Thomas Levy-Lasne a choisi la figuration, versus l’image analogique, versus la répétition du même, versus la technique réaliste, ultra réaliste même, voire hyperréaliste… ni plus ni moins et, semble t-il surtout rien d’autre.

          Organisée en deux temps, l’exposition intitulée « l’asphyxie » (!?) réunit une production dessinée au fusain et des peintures illustratives. Régulièrement inspirés de la photographie, les sujets bien que divers des peintures, leur composition, bien que limitée à l’objectif de l’appareil, leur esthétique ou certains de leurs aspects visuels, tous les thèmes font de loin songer à des œuvres réputées (Degas, Seurat, Courbet, David etc.). « Pas de lien affirmé ou présumé » me précise toutefois le peintre qui, ne cache cependant pas non plus une attirance pour « la peinture ancienne du XIXe »… Plastiquement, tout fonctionne sur la ressemblance et l’exécution parfaite propre aux reproductions analogiques, rien ne dérive ailleurs que sur la similarité de l’œuvre avec son modèle. Doué d’une technique aussi étrange qu’habile, frappée « au coin du trompe l’œil » en simulant l’aura de nettetés photographiques purement mécaniques, les dessins brillent d’une répétition irréprochable.

       A l’étage, changement de gammes ; les œuvres, toujours inspirées par la photographie sont picturales. Le style est moins photographique et plus illustratif, l’expression visuelle reste toutefois neutre et descriptive. On devine parfois des vues incongrues et des mises en scène forcées, des univers mêlés d’instantané, de banalité ou d’amateurisme, on s’interroge sur leur présence : l’écart qu’elles induisent avec des enregistrements accidentels, un « clic-clac » hasardeux. On tente des relais avec la manière « insipide » dont l’œuvre est peinte, on cherche une transgression allusive. Aucune pensée disruptive ne s’ouvre, les images ne semblent qu’agrandies et répétées depuis leur modèle.

         Qu’il s’agisse de l’artiste ou du spectateur, les suffisances programmatiques des œuvres ne ren-voient pas à un regard critique sur un quelconque sujet. Aucune transgression conceptuelle, formelle ou métaphysique et quelquefois facétieuse propre aux artistes hyperréalistes d’il y a un demi siècle dont l’artiste semble vouloir s’inspirer (Jean Olivier Hucleux, John de Andréa, Duane Hanson, John Kacère voire Gérard Gasiorowski etc.) ne trouble ces travaux dont l’absence de fond finit par manquer singulièrement. Où est l’intérêt créatif du labeur de ces productions ?

 

L’ordre imaginaire et intellectuel d’une peinture en marche.

           Les compositions picturales de Daniel Mato sont peintes sur toile de coton non préparée. La poro-sité du matériau sert au peintre à esthétiser l’imprégnation des couleurs et de produire de multiples effets de transparence et d’aspect aquarellés, de mélanges par superpositions ou fusions des formes entre elles. Extérieurement, les œuvres « parlent » de polychromies aux accents environnementaux et décoratifs, d’un évident plaisir visuel. Incidemment, elles apparaissent aussi comme des architectures et des dispersions ou des accumulations esthétiques autour desquels on imagine qu’aucun besoin de sujet ne s’impose, que seule une déconstruction possible (et statutaire ?) du tableau et de sa surface intrigue le peintre.

        Tout paraît architectural, rien ne réfère à autre chose de la peinture quasiment seule. De façon encore plus factuelle, on observe que l’artiste improvise des assemblages de formes vaguement géométriques, que ces formes ont été vaguement découpées et tout aussi vaguement disposées à l’aide d’une technique de pochoir à laquelle le street art nous a habitués. Chaque composition flotte comme si elle était en suspend,  comme si, attiré l’image de l’instant, l’artiste cherchait à saisir dans un passage, une vue possible de son apparition. Partant, qu’ils s’agisse de teintes colorées ou de dessin tout semble esquissé sinon expérimental, ou en jeu… Chaque œuvre sourd d’une envie du peintre d’en découdre avec l’aventure picturale.

            L’impression d’une pratique intellectuelle et en même temps aventureuse de la peinture ne s’arrête pas là. Chaque œuvre tient objectivement de ses apparences d’essais, les bords des formes sont imprécis, ça et là flous et irréguliers, chaque limite donne l’impression d’être hésitante, on ne sait pas si les formes sont pleines ou en réserves. Les compositions concentrées des puzzles empiriques et sans sol apparent, (ou par passion de l’artiste) allusivement guidées par quelque lien secret avec des recherches de Matisse ou Shirley Jaffe parlent de vide. Aucune forme colorée ni aucune partie non peinte des toiles n’apparaît résolument solide ou évoquée. On subodore à nouveau des questionnements de l’artiste sur les fonctions plastiques éligibles à l’incarnation esthétique du tableau, voire la place sensible et interrogative du spectateur face à des abstractions supposées aussi sensibles aux priorités accordées par le peintre à des formes et des couleurs « en leur ordre assemblées ». On songe encore à l’idée que l’artiste revient sur des liens historiques avec des pratiques associées au groupe « Support-surface ».

           Daniel Mato admet en même temps s’inspirer et répéter ou faire discrètement usage de formes-signes dont il espère qu’elles serviront d’index ; il admet aussi engager un savoir faire pictural et troubler l’attention du spectateur. Leurs (ré)apparitions ou de leurs (re)découvertes accidentelles interpellent et l’artiste ne s’en cache pas. Autre transgression aux compositions formelles abstraites qu’on pensait prioritaire sinon exclusives, à quel monde répondent ces motifs linéaires en forme de lignes serpentines qui pullulent et se superposent ou qui s’insèrent et s’emmêlent comme par effraction parmi les formes découpées et assemblées en puzzle ? Faut-il les voir comme des contours fragmentés, qui parfois surgissent ou parfois sont oubliés et mal effacés ? Sont-ils les échos lointains d’une adhésion à un art visuel qui n’aurait pas définitivement enfoui l’image ?

         Par l’abondance de ses paradoxes, ce travail à première vue seulement abstrait flirte avec le spontané et le retour questionnant et des « oublis » supposés et imaginaires. Il déroute sans trancher par la sureté stylistique de ses process mais aussi surprend par ses hésitations et des choix esthétiques entre apparence décorative, recherches plastiques visuelles et créations d’apparences. Daniel Mato assure que la peinture doit être questionnante. Bien vu !

 

Art Paris 2020, version réouverture…

      Deux œuvres à la fois poétiques, somptueuses d’intelli-gence et de culture plastique de Jean Michel Alberola chez Templon (la galerie annonce une exposition du peintre à Paris pour mai 2021) et un ensemble (évidemment) très différent mais du même niveau d’engagement esthétique d’Edi Dubien chez Alain Dutharc… Dispersées dans le salon, des œuvres d’Hartung, pour certaines majestueuses  et un magnifique ensemble pictural d’une culture esthétique incroyablement sagace de Magnelli Galerie Lahumière… Des compositions intelligentes et créatives de Tania Mouraud chez Claire Gastaud et de très très belles nouvelles grandes peintures de Carole Benzaken, et encore « Lady Brush » : ce sublime et imposant portrait photographique redoutablement plasticien réalisé par Valérie Belin galerie Nathalie Obadia… Partout ailleurs des chefs d’œuvres isolés (Arpad Szenes, une « tête » de Giacometti, quelques Poliakoff admirables, des Télémaque et des Degotex époustouflants, de l’espoir artistique et une chouette idée de clin d’œil à la ville de Paris, intitulé « Paris mon amour » chez Lara Vincy… Ailleurs, un peu perdues ou livrées au hasard, des productions aux contenus souvent vagues, voire d’un inintérêt monumental que des galeries aux ambitions limitées et pour lesquelles les qualités plastiques semblent devoir relever de quelque truc technique ou visuel qui font art contemporain…

 

Edi Dubien en direct, Galerie Dutharc

          Voir avec : « intelligence et justesse plastique », « finesse des compositions », « Question nature » (ne négliger aucun sens du terme « nature » et problématiser ses référents en faisant preuve d’humanité) », « culture » (personnelle…et partagée).

 

« Eau-cactus » : Baptiste Caccia et Jean-Baptiste Lenglet Galerie Escougnou

        Que peut apporter le numérique à la peinture ? Si, comme cette expo d’images abstraites et très techniques le laisse penser, le propos se bornerait à reconduire des effets de la seconde, la réponse est « rien de noble ».

        Que doit la peinture au numérique ? D’après ce qui est exposé, des questions légitimes sur son histoire ou à défaut certains artistes troublants quant à l’usage de l’analyse sans écarter la possibilité d’images esthétiquement plaisantes. En dehors de ça, la créativité des techniques sans cesse actualisées de montages plastiques de Rauschenberg.

        Peinture et numérique doivent-ils demeurer séparés voire étrangers et s’étonnant l’un l’autre ? Depuis plusieurs années, l’artiste Mathieu Crismermois s’intéresse avec humour et beaucoup de réactivité créative aux nombreux horizons et lignes de fuites qu’ouvrent étrangement ces deux perspectives artistiques quand justement on les oriente l’une par rapport à l’autre. Sans être tout à fait seul ou se croire le premier, à l’inverse de ce qui est montré ici, il ouvre des pistes avec force sinon originalité.

 

Edward et Nancy Kiennolz en mode rétrospective chez Templon, rue du Grenier Saint Lazare.

           L’ensemble des œuvres incite à apprécier autant la fabrique du talent que celui d’associer des idées abstraites dans des compositions artistiques narratives complexes. La plupart du temps monumentales, les œuvres se déclinent en reliefs et sculptures faites d’assemblages, se déploient en retables, s’exposent en vanités fantasmatiques, sont proposées sous forme d’installations en parties scénarisés comme des happenings, se déclinent en crucifixions ironiques et grotesques… On voit des autels, des cabinets de curiosité et des vitrines, des décors de théâtre et d’opéra, des cases isolées de BD et des courts métrages, on voit de l’art figuratif et illustratif et des visions fantasmées. On admire la dextérité des deux artistes en même temps que leurs savoirs faire et leur sens des rapprochements, l’humour sarcastique de détournements ou retournements suggestifs. Apparemment bricolé à partir de rebuts et d’objets abandonnés, leur travail, qu’on sait historiquement liés au pop art, fait vivre et revivre l’originalité de multiples moments de recherches et d’inventions plastiques audacieuses.

 

Pierre et Gilles chez Templon rue Beaubourg

         Le duo poursuit son travail artistique dans le style clairement ironique et tendre et la culture artistique populaire qu’on lui reconnaît. Son univers est l’image kitch du portrait : ses références à la fois revisitées et fabriquées à partir d’une rencontre  iconique avec « son autre-peut-être ? ». Si les thèmes qu’ils affectionnent et leur art des images peuvent paraître sans surprise, et ils le sont assurément vu les leur pratique et des codes visuels qu’ils reprennent inlassablement, ils en diffèrent aussi par l’esthétique des œuvres dont les encadrements sont toujours évocateurs d’un imaginaire sans limite. Dès l’entrée de l’exposition, leur autoportrait en brocanteur et en vagabond donne d’ailleurs du sens constructif à leur inventivité par leur autodérision et leur goût immodéré pour les beautés justement hors cadre ou réputées sans histoire.