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Rencontres diverses d’une exposition à l’autre…

25/01/2021

Des univers et des pratiques artistiques diversement ouvertes et suggestives… 

Christian Boltanski chez Marian Goodman Dernière installation en date du plasticien.

         Titrée : « Après », elle se compose de cinq dispositifs distincts répartis sur les trois niveaux disponibles de la galerie : depuis la salle du rez-de-chaussée jusqu‘à l’escalier menant lui-même à de trois lieux séparés composant le sous sol. L’intitulé lui-même fait œuvre dans son écriture réalisée avec des ampoules lumineuses occupant le haut d’un mur dans un couloir. L’œuvre s’incarne dans la mise en abîme des éléments dont elle se compose et dans une fiction que Boltanski semble vouloir suivre, du moins exposer en scènes et tableaux mélangés.

            Premier niveau : Dans la pénombre du lieu, des monticules de draps froissés et entassés sur des chariots en forme de catafalques suggèrent une image de paysage avec, pour ciel, une sorte de nuage esquissé par une ligne continue lumineuse faite d’un néon. Discrètement sur les murs, de lentes projections filmiques de visages flous et d’évocations de feux follets parachèvent l’univers à la fois romantique et fantastique de l’installation.  Sur un mur de l’escalier qui descend vers le sous-sol de la galerie, un film muet projeté sur un mur diffuse en ralenti des silhouettes en train de marcher dans la rue.  

           Second niveau : quatre vastes écrans souples sont disposés en croix. Un coucher de soleil sur l’horizon, des biches dans un champ, une forêt sous une neige tombant dru, le ciel enflammé d’un jour naissant y sont projetés en plans séquences. Le rythme est lent, comme sumpsendu, il rend les vues inconsistantes il les désincarne presque. Des projections subliminales de catastrophes et de misères surgissent puis s’estompent presqu’accidentellement ou de façon quasi virtuelle après un laps de temps imprévu et incalculé.… Demeurent les vues apaisantes mais trompeuses ; on a cru voir, on pense se souvenir. Avec son silence, chaque film évoque le temps qui passe et des temps qui reviennent. Ce ne sont pas les mêmes…

            Puis un couloir, bordé par un mur en duquel l’intitulé « Après » écrit cinématographiquement à l’aide d’ampoules éclairées ; il conduit à une salle voutée comme une crypte (cette allusion au 7e art a déjà été utilisée pour sa rétrospective en 2019 au Centre Pompidou pour « écrire » » le mot Départ). Boltanski, reprenant en partie le propos de l’installation du rez-de-chaussée, y a dressé un théâtre de souvenir : trois catafalques alignés dans la pénombre côte à côte font face à un portrait anonyme encadré. Par son éclairage forcé et son ombre projetée sur le fond de la salle, ce dispositif final conclut l’exposition sur une ambiance de cérémonie mémorielle. J’ai dit que les divers dispositifs semblent reliés par une fiction, plus par un intitulé ; le mot « Après » peut aussi indiquer que Boltanski a peut-être produit une suite d’œuvres séparées. Les divers espaces disponibles de la galerie pourraient alors être les index d’un mouvement créatif régulier de l’artiste aux prises avec son imagination. Reste pour le spectateur des possibilités d’échanges répétés des formes entre elles, des reprises de figures et de signes permettant de multiples dérives à partir d’intentions ouvertes par l’intitulé de l’exposition…

            Comme il sait se démultiplier, Christian Boltanski projette, mobilise et bricole la plasticité et le cadre de ses environnements de travail avec une autorité d’auteur chaque fois particulière. Chaque dispositif étonne par l’efficacité de développements préparés dans l’atelier et manifestement réinventés in situ sur le lieu de sa présentation. Chaque œuvre surprend par l’usage dialectiquement retourné de son intitulé. « Après » montre que l’artiste a beau se dire détaché en relativisant formellement ses théâtres de créations*, rien n’y fait jamais penser à autre chose qu‘à la mémoire de faits quotidiens et familiaux, l’aune et l’impalpable de « Petits riens et je ne sais quoi »,** dont le temps avec ses multiples moments passés et encore vivants. L’histoire des hommes peuple ce nouveau travail populaire, grouillant à tous les niveaux d’attentions subtiles et de grâces modestement métaphysiques. Dans l’exposition, quels que soient les solutions retenues, Christian Boltanski s’appuie sur une science des moyens de l’art constamment réflexive. Féru de disponibilité et matériellement libre, ses associations d’objets, ses mélanges d’idées, les multiples formes d’éclairages existants, ses rapports décomplexés avec la couleur, les matières et les supports dont il peut avoir besoin, à ses yeux, tout s’ordonne comme une opportunité, comme des sortes d’évidences et de hasards fusionnels. L’apparence tout comme le sens de ses dispositifs narratifs ou simplement visuels s’entrecroisent dans la possibilité de songes chaque fois personnels et, sous son autorité, partageables. Ça fascine et ça interroge continument, on retient des sommes d’aspects et une image globale, en même temps qu’on se perd en conjecture sur leurs liens oniriques ou l’ironie de leurs répartitions, les hantises de passés parfois inquiétants, des d’histoires assourdies qui hantent et martèlent. Mais chaque fois, on se rappelle avoir rencontré une œuvre et un spectacle inoubliables.

 

* Entretien avec Bernard Blistène. Catalogue du Centre Pompidou, 2019. ** Vladimir Jankélevitch , Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien.

 

David Renaud, galerie Anne Barrault

         Une œuvre visible depuis la rue attire l’attention. Elle est à la fois structurée comme une architecture et, comme peinture abstraite, elle représente sur toute sa surface des variations d’un motif formel. Son esthétique vaguement cinétique et sa composition all over interrogent. D’autres productions différentes, mais réalisées de manière aussi arbitraire sont sensées évoquer des thèmes liés à la cartographie et des vues topographiques, diverses suggestions inspirées des cartes et des territoires. L’esthétique de ces productions entre peinture et projet d’installation s’arrête là. C’est bien exécuté techniquement, avec des contours nets et des aplats impeccables. On est surtout frappé par leur rappel avec des œuvres d’avant, des créations plastiques d’autres artistes, notamment conceptuels qui, loin de se limiter ou répéter un travail d’exécution, ont cherché des solutions visuelles imaginatives qui fassent sens avec l’apparence de leur projet.

 

Agathe May, galerie Putman

             Des œuvres d’illustrations dessinées puis habilement re-produites en xilographie. Exceptés les formats souvent importants et pour cela impressionnants, rien de bien original ou bouleversant.

 

Chez Laurent Godin, Camila Oliveira Fairclough et Paul Cserlitki

           1/Des tableaux sur lesquels des paroles dites et des expressions proclamées sont peintes à la manière d’écritures spontanées ou de graffitis. Tous se présentent comme des « portraits ». Toutes semblent/sont exprimées directement, une vague coloration, semble t-il choisie sans expérimentation, les accompagne. Toutes sont dessinées d’un trait et d’un geste à priori relaché, le style s’affirmant chaque fois plus décontracté et davantage concentré sur une sorte d’insouciance artistique que d’expression brute. Faute d’ouvrir sur une nouveauté plastique, la démonstration déjà largement labourée avec d’autres talents ne convainc pas.

             2/ Des toiles d’un même format de dimensions modestes sont couvertes d’ocre rouge identique passé en aplat. Un dégradé vertical nuance certaines. Des monochromes en fait. D’autres peintures sont réalisées en recouvrant des peintures antérieures. Des motifs continuent d’apparaître, générant des nuances, des ombres etc. Il est indiqué que « l’artiste continue d’expérimenter le processus des œuvres dans un geste conceptuel duquel résultent des œuvres minimalistes qui n’en restent pas moins profondes. »…versus Barnett Newman, Ad Reinhardt, Marc Devade, Yves Klein, Lucio Fontana, Robert Ryman, Blinki Palermo, Claude Rutault, Gérard Traquandi etc.

         Une autre série de peintures est basée sur le principe de compositions imprévisibles voire accidentelles : des traces diverses subsistant par accident sur le fond d’une toile constituent la méthode, l’épure (le process) et la composition de l’image prévue/conçue. Restent des tableaux abstraits encore proches du monochrome et dont l’apparence gestuelle fait cependant place à une forme de lyrisme. «…duquel résultent des œuvres minimalistes qui n’en restent pas moins profondes » versus… etc…etc.