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Trois expositions différentes en tout.

11/10/2021

Robert Kushner, Peter Soriano et Marlène Mocquet aux prises chacun de son coté…

Robert Kushner joue la dérive galerie Obadia    

      Pour sa peinture, Robert Kushner applique le « conseil » de la critique Amy Goldin qui proclamait en 1975 à propos des papiers découpés de l’artiste : “L’expérience du décoratif est typiquement célébratoire et sans contenu…Matisse vous laisse le cerveau en paix”*. Les tableaux de fleurs de Robert Kushner exhalent partout la beauté d’objets artistiques sans autre intention picturale qu’une apparence décorative voire l’horizon paisible et dégagé d’inquiétude sur d’un questionnement en vacances perpétuelles. Le travail apparaît aussi plaisant à voir qu‘agréablement figuratif, le style est léger. Robert Kushner accumule les compositions illustratives et évocatrices, les agencements gentils, des effets de plans esthétiques davantage que des interprétations élaborées de formes, les couleurs sont agréables et vives. Vive la peinture en somme !    

       A contrario des faits, ces apparences incarnent des contradictions et des paradoxes. Bien plus qu’une pratique d’« artiste du dimanche », Robert Kushner fait montre d’une culture plastique manifestement plus profonde qu’anecdotique ou passagère, ses peintures témoignent d’un regard simultanément pragmatique et interrogateur, c’est à dire perplexe sur les choix ou la répartition justifiable des formes, sévère sur leurs faveurs démonstratrices. Dans la galerie, chaque œuvre exposée présume presqu’à contrario que son travail mobilise de multiples champs et relations réfléchies en plus de ses qualités décoratives. Les écarts conceptuels et leurs paradigmes de distanciations multiples prévalent même. Bien qu’intitulés « Fleurs etc… », les tableaux, marqués par une fabrication compliquée et souvent oxymorique, égrainent des balancements qui plongent le spectateur dans une perplexité littéralement sans nom : en étant plus attentionné sur un fond qu’il n’y paraît, l’aimable se veut parfois aussi dérangeant et provocateur.    

       Les motifs de fleurs sont mis en scène dans des tableaux imposants. Parfois l’image d’un bouquet est clairement repérable, d’autres fois ce ne sont que quelques pétales épanouis en volutes et soleil approximatifs qui s’étalent comme un massif ou une bordure. Les silhouettes sont vigoureusement dessinées et colorées ; grâce à des effets de marqueterie ou de mosaïques, de superpositions et d’interférences entre des plans, l’impression de changer de profondeur ou d’espace est sensible : on subodore des intérieurs, on repère ponctuellement des mélanges d’angles de vue, et des suggestions de reflets lumineux ; parfois c’est une sensation de film qui s’emballe… Alors que sur les murs l’image d’un bonheur de peindre semble naturel, une autre inquiétude du peintre se fait jour quant à ce que peindre entraîne à penser. L’artiste paraît juger que sa pratique picturale n’est pas infaillible et que, s’en inquiétant au delà du décoratif, il veut aussi se concentrer seulement sur son pouvoir d’expression visuelle.     Au lieu de le réduire à un usage d’agrément, au lieu d’en émousser le fond de recherche en acquiesçant l’idée que Matisse a pu placer son art sans l’associer à une approche intellectuelle*, Robert Kuschner donne le sentiment de vouloir ordonner et conditionner ses inventions autour d’un ordre plastique où le décoratif est imprégné de sciences de l’art. D’où que le plaisir s’impose, l’idée plastique doit, semble t-il relever d’une solution. L’anticipation prend le pas, sa problématisation flèche une démarche où le « figural »** comme le décoratif semble l’un pour l’autre son propre leurre.    

       D’un tableau à l’autre, le peintre use à l’occasion d’innombrables opportunités de répartir et disperser, assembler et construire, mais aussi diviser, sectoriser, séquencer ou morceler, paver ou égayer les éléments sur la surface de sa toile. On dirait qu’il cherche à faire interagir ensemble tous les champs qui s’y trouvent réunis ou qui peuvent y être traduits et peints. Veut-il bousculer ou rendre inaudible l’idée que chaque toile engage un tableau unique ou mobiliser l’œil sur son étendue pour y disperser et prolonger symboliquement les regards dans l’environnement ? Les multiples changements de directions imposés aux éléments constitutifs de son travail désincarnent par principe la répétition d’un patern comme il est souvent fait usage dans les arts décoratifs. La mobilité de sa pratique apparaît par contre essentielle.  Reste donc le geste du pinceau, régulier et incertain, parfois étrangement naïf et mal appliqué ou d’aspect insouciant. On relève que les contours de chaque fleur divergent et qu’en tablant sur des ruptures de longueur, d’épaisseur, de direction et de plans ou simplement de formes, ils font vivre les motifs au lieu d’être les bords de sujets découpés et assemblés par collages. On note également que parfois, au lieu d’être disposés en pavages, des plans agissent comme des effets de pliures, qu’ils induisent des impressions d’étalements multifaces comme si la toile avait été froissée. Sur les murs, plusieurs longs tableaux à la fois simples et à la composition animée évoquent des frises et font songer à des œuvres inspirées de l’Ukiyo-e. L’aura d’une peinture programmée pour être « reposante » ouvre des perspectives d’interprétations sur leur process aussi questionnantes qu’uniquement décoratives.    

       Ce travail porte bon an mal an l’empreinte d’un conceptualisme modeste mais réel. J’ai dit que dans chaque composition ça divague, ça part parfois un peu dans tous les sens ; sur les tableaux finis, le peintre semble s’être résolu à une forme d’insouciance par rapport au résultat final. Son élan créatif paraît même bricolé au point que le subjectile ressortit d’une sorte de terrain d’aventure(s). Le rythme et le geste pictural ont l’un comme l’autre la silhouette lente et imprégnée d’improvisation. Chaque œuvre paraît avoir été produite en errant ou en batifolant.  « Vive la peinture ! » encore…    

      D’où vient donc qu’en dépit de connaissances affichées et au risque de passer pour superflue, cette peinture reste majoritairement arc-boutée sur le décoratif ? On peut penser avec l’artiste que l’objet de l’art est de faire du beau à travers le plaisir, que son objet est d’expliquer la beauté par l’amabilité, de prioriser de jolies formes agréablement colorées, fût-ce en militant pour une indifférence assumée vis à vis du travail critique. Mais à quel prix ? Bien qu’il se défende d’être partisan d’une peinture avant tout décorative, Robert Kushner tire sa pratique vers des effets plastiques et visuels davantage conçus que tranquilles. Ses contentements de décorateurs sont formellement préparés et soutenus par une expérimen-tation scientifique des moyens de l’art loin de se cacher d’en être, des effets visuels plus captivants que des jeux esthétiques d’images de fleurs. Avec ses correspondances réflexives à partir d’agencements et de multiples suggestions organisées d’apparences esthétiques, cette peinture «figurative « décorative » me semble « plus qu’un peu » défendre le pragmatisme et la responsabilité d’un auteur/créateur en définitive sensible aux questions de formes.

* Pattern, Crime and Decoration, catalogue, Presses Du Réel, 2020

** Jean François Lyotard, Discours Figure, ed. Klincksieck

 

Peter Soriano galerie Fournier    

        Peter Soriano entreprend d’à nouveau tenter de « changer la face » de la galerie. Il la compare cette fois à une boîte en carton et suggère fictivement de la déplier. Le principe : l’aplatir pour en redessiner le plan et les perspectives d’usage sinon le « patron », comme s’il pouvait s’agir d’un modèle de couture ou d’une enveloppe en papier. Les œuvres oscillent donc entre de purs dessins – voire des sortes d’épures sur feuilles – et des projections in situ en pseudo structures et graphismes aventuriers directement interprétés sur les murs. L’ensemble montre que, par ailleurs, il apprécie en artiste l’esquisse de lignes et de surfaces plus ou moins irréelles, la confusion toujours à étudier entre un intérieur et un extérieur, les enjeux de traits qu’on présume filer un songe architectural ou ressourcer l’archéologie d’un site. Il esquisse la silhouette d’une structure avec des réseaux de traits obliques, parallèles ou perpendiculaires, suppose des parois avec des trames linéaires, recompose ou reconstitue en fantaisiste l’intérieur de « la boîte-galerie » où il expose…     

        Paradoxalement teinté d’humour, l’esthétique de ce travail donne aussi parfois le sentiment de limiter son style de dessin technique et scientifique à un jeu visuel. Plusieurs œuvres rappellent des vues déjà imaginées et traduites plastiquement par d’autres, des pratiques potentiellement plus sceptiques ou incrédules et par cela même plus ouvertes sur ce qu’on peut en attendre, ce qu’on y peut donner à voir ou esthétiquement concevoir. L’apparence à la fois normale et ironique de certaines propositions visuelles tombe devant des procédés historiques d’expressions où l’esthétique réinvestie sinon transgressée des moyens reste approximative. On s’interroge alors sur les répétitions d’une production de signes et de références plastiques où ça semble parfois davantage bricoler dans le descriptif que rimer artistiquement et poétiquement.

 

Marlène Mocquet en son jardin fabuleux à la galerie municipale Julio Gonzalez à Arcueil    

        Marlène Mocquet est drôle, exubérante, rêveuse, candide dans l’expansion créative et les déborde-ments imagiers. Elle est maligne en étant rassembleuse, espiègle quand il faut être tactique, stratégique s’il faut imaginer sans limite, insatiable en tout dès que la vie s’embue de songes, intime chaque fois que son art lui commande d’exercer sa vie.    

      Ses créatures sont animales et végétales, minérales ou informelles. Leur apparence est et paraît simultanément réelle et fantasmée, matérielle et réincarnée, venue d’une bande dessinée et d’un film d’aventure ou fantastique : dans chaque œuvre foisonnent en même temps et des airs de territoires sans frontière. A la manufacture de Sèvre, elle a inventé des poteries inimaginables, conçu des banquets diablesques et diablotins, mis en scène des micro mondes où batifolent cinq cent mille regards, entrepris de faire pulluler les rencontres les plus improbables, organisé des ciels immatériels. Elle a le don de faire amicalement se disputer Bernard Palissy et Jérôme Boch ou le Facteur Cheval, de se perdre dans des forêts à la Douanier Rousseau, s’assoupir au milieu de mystères que Redon aura silencieusement pu lui suggérer, de s’aventurer à « faire–comme-si–pourquoi–pas–?–Et–que–ça–peut–exister–aussi–!–Même–que–finalement–c’est–possible… »        

      Marlène court, sautille, danse, traîne parfois, se balade, badine nonchalamment, échafaude des  contes et des poèmes  visuels en plus.    

       Pour les rêveurs occasionnels, Marlène Mocquet peut être rencontrée à Arcueil jusqu’au 1er décem-bre. A chacun ses envolées.