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Diverses expositions dispersées

08/02/2022

Après quelques itinérances dans quelques galeries dispersées…

Les lumières intérieures d’atelier d’Emmanuelle Pérat à la galerie Univers    

       Emmanuelle Pérat a titré son exposition « Espaces composés ».  Selon les images, il s’agit en fait de vues d’atelier sous l’aspect d’un grenier, d’un appentis, d’une remise ou d’un cabanon, voire de coulisses, parfois d’un espace d’allure troglodyte. La lumière s‘immisce dans chaque lieu supposé comme un secret qui sourd d’une lueur aussi spectaculaire que subreptice et parfois oubliée. Les dessins qu’Emmanuelle Pérat réalise au pastel dans un esprit plus introspectif que descriptif laissent planer un long travail d’imprégnation sensible des environnements.     

       L’artiste complexifie formellement son travail en pistant le regard sur les lieux par des images introspectives. Chaque vue apparentée à des (en)jeux de clairs obscurs fait de la moindre forme une apparition progressive. La lenteur y prend des pauses quand, simultanément dans l’œuvre et dans la pièce de travail, une vue et une expérience plastique se mélangent doucement. On repère des tableaux entreposés et, à l’écart, on imagine l’artiste immobile retenant une vue particulière, saisissant l’occasion d’une distance évocatrice. On la perçoit cherchant à traduire simultanément ce qu’elle voit et ce qui lui semble sensible, tentant des suggestions, se laissant bercer par Rembrandt ou plus en sourdine par Vuillard et peut-être Sam Szafran. Ce qu’elle propose et produit devient un rendu architecturé en même temps qu’une vue de sentiment et d’atmosphère où la lumière glisse, affleure sur et à la périphérie des volumes, enrobe et « charnellise » les espaces. Emmanuelle Pérat voit l’humanité de l’atelier comme un corpus d’images intérieures à la fois banales et énigmatiques.      

        La lumière est un objet qu’il faut capter. Il faut la surprendre, ambiançant patiemment l’espace, s’y installant paisiblement, évoquant des bruits divers ou servant de pauses et mesure des repos. Emmanuelle Pérat retient les images qui la présentent primant sur les faits matériels et qui permettent de méditer sur le travail paradoxal de restitution et de suggestion visuelle. En même temps, les espaces se répondent ou se combinent dans chaque composition. Ce sont des emplacements ou des lieux, des zones plus ou moins restreintes ou des recoins, des parties ou des secteurs, des « ça et là » répertoriés en s’installant. Pour l’artiste, ce sont partout des sas d’expression visuelle et personnelle. Avec chaque dessin, par la grâce du pastel parfaitement maîtrisé par l’artiste, la lumière glisse ou s’épand sensiblement par éclats et lueurs. 

 

Didier Mencoboni chez Galerie Eric Dupont    

     Les dimensions intimistes des tableaux donnent le « La » d’un programme de création et d’expérimentation artistiques consistant techniquement à déposer des feuilles d’or et simulta-nément, à inventer des tableaux en profitant des difficultés de leur application. « Lux ! Episode XIII » est donc le titre de cette exposition par ailleurs définie par son auteur comme suit : « une (ou des) surface(s) qui vibre(nt) à la lumière ».    

       Didier Mencoboni aussi préoccupé que captivé par la fragilité de son matériau naturellement brillant entend « sublimer » les aléas de sa maîtrise dans l’application des feuilles d’or pour initier des compositions picturales originales. Incidemment, les accidents causés par la fragilité des feuilles par endroits mal jointoyées mettent en tension certaines parties des supports qui ressurgissent à cause de décollements imprévus… Le hasard, la spontanéité et l’imperfection trouvent à l’occasion une nouvelle illustration d’intérêts plastiques « innocents » ou de  pratiques aventureuses en ravivant les discussions anciennes et surtout contemporaines (le formalisme critique de Support-Surface notamment) autour des contenus à la fois visuels et esthétiques du fond (vs le contenu) et de la forme (vs le style) dans la peinture. Après un voyage en Chine, l’enthousiasme et la curiosité de Mencoboni pour la technique de la laque trouvent, dit-il, un prolongement sensible et artistique dans cette production dorée aux accents somptueux et à l’éclat lumineux assuré, mais dont l’objet créatif et esthétique paraît un peu daté (on se souvient à minima d’Yves Klein). In fine plus  intéressants rétrospectivement que surprenants aujourd’hui, les tableaux apparaissent être « matiériellement » plus séduisants que des enseignements.*

* voir Emile Bernard, Conversation avec Cézanne, ed. Macula

 

Michel Journiac chez Christophe Gaillard    

     Journiac aimait les corps, les rituels au cours desquels il pouvait physiquement ou par l’intermédiaire des images s’ériger en œuvre d’art ou en étude critique de certains de ses paradigmes esthétiques. La focalisation de l‘exposition sur le thème des mains engage une belle réflexion pointue sur son intérêt plastique et conceptuel pour les signes spécifiques inspirés par l’incarnation quasi religieuse de l’artiste dans son corps métaphysique.

 

Jean Messagier à la galerie Ceysson et Benetière    

         Avec son geste plastique distinctif, l’abstraction lyrique promue par Messagier a ouvert la voie à un style original et expressif d’évocation et de description. Les ressources créatives associées aux idées de format, de surface, de plan ou de mouvement ont été régulièrement activées avec un sens plastique de l’espace et du lieu à la fois techniquement habile et subtilement ironique quant au thème de la beauté esthétique. Cette « rétrospective » intitulée Paradiana et sous titrée  Vieillir et jouir suppose la capacité de l’artiste à jouer de manière décomplexée avec sa notoriété… Il est aussi précisé que les œuvres exposées illustrent sa dernière « période ». Sauf qu’à défaut d’être des productions d’une signature capable d’élargir et sublimer encore son style par un détachement ironique, l’ensemble, d’une pauvreté formelle généralisée a des allures d’effondrement créatif. On s’intéressera donc davantage aux périodes antérieures du peintre si on court après quelque chose de plus qu’un placement financier…

 

Pierre Gaudibert au Musée d’art Moderne de la ville de Paris

         L’exposition rend bien compte des bonheurs et de l’imagination créative offerts à qui fréquen-tait l’ARC (Animation Recherche Confrontation), structure que Gaudibert avait initiée au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris entre 1967 et 1972. Je me souviens d’expositions mémorables avec les débuts de Supports Surfaces ou de la Figuration Narrative, de la Jeune Peinture, de l’exposition de Piotr Kowalski… Je me souviens de concerts de free jazz le soir, je me souviens de la musique de Kraanerg dirigée par Xenakis lui-même et de Perséphasa, du même auteur, interprétée par le groupe des Percussions de Strasbourg dispersé dans les espaces du musée… La culture et l’ouverture d’esprit, l’expérimentation et la créativité sous toutes leurs formes y ont été défendues et promues sans relâche. Par sa radicalité politique et humaniste et par ses contributions critiques ou éditoriales d’historien de l’art et d’émulateur, Pierre Gaudibert incarnait à sa façon la vie artistique même. Une histoire follement instructive sur la liberté et la responsabilité de l’engagement.

 

Eva Jospin au Musée de la chasse et de la nature    

       Eva Jospin réalise des sculptures en carton. Son champ d’inspiration largement onirique et historique puise ses sources d’expression dans le romantisme ou l’illustration. Pour ce qui est de la forme, les images de ruines antiques ou de vestiges envahis par la végétation constituent des thèmes de prédilection qu’elle s’efforce de reconstituer ou de réinventer en partie presque à l’identique, voire les imaginer dans des installations spectaculaires.     

       Après avoir accumulé et fixé la matière, elle la travaille comme n’importe quel autre produit sculptural, soit en enlevant du produit soit en modifiant son apparence, jusqu’à son effacement et l’analogie avec une vue en trompe l’œil du motif traité. In fine, on peine à savoir si on se trouve dans un musée de monuments ou dans un espace précis, comme on bute sur l’idée de réplique en relief de ruines d’Hubert Robert…    

        Sa conception de l’œuvre ou d’une pratique plastique de l’in situ est plus difficile à comprendre. Dans les salles du musée, comme déjà au Palais de Tokyo en 2019, le travail d’Eva Jospin semble glisser sur les suggestions du site hôte, et ses sculptures s’insèrent à l’aveugle sans créer de nouvelles perspectives d’imagination pour le spectateur. Une fois remarquée leur exécution parfaite et curieuse, on se souvient surtout d’une pratique d’exécutante habile et opiniâtre.

 

Alain Clément, Galerie Catherine Putman    

      L’exposition présente des lithographies et des sculptures peintes. Si le questionnement entre sculpture et peinture, œuvre en deux ou trois dimensions demeure, si un questionnement historique semble perdurer entre figure (humaine ou nu en particulier) et forme  ou papiers matissiens, on ne peut que remarquer que ces nouvelles propositions ouvrent sur des apparences déçues. Que l’artiste risque des assemblages de crayonnés d’esquisse et de surfaces colorées monochromes semblant découpées, qu’il use d’effets de répétition de motifs ou de mélanges, ses thèmes de travail et d’expression ne dépassent guère les compositions par empilements, accumulations, superpositions et amas hasardeux ou remplissages, voire l’entassement et l’amoncellement d’éléments visuels. De sorte que s’il y a des dépassements, des décalages ou parfois des ambiguïtés de placement créatives entre chaque plan ou chaque objet visuel, rien ne dépasse le constat de formes abstraites arbitrairement posées ou amassées les unes sur les autres.

 

Pat Andrea galerie Les arts Dessinés rue Chapon    

         Les dessins et peintures de Pat Andrea sont fortement teintés d’illustration et de sous entendus narratifs et d’atmosphère érotique. Rien ne semble devoir troubler l’artiste accaparé à ses improvisations et ses réunions de divers personnages des deux sexes, aux physiques bizarres, mis enfantins et vaguement adultes, avec un visage figé ou sans expression. Il y a aussi des animaux, des chiens la plupart du temps, même si parfois des chevaux, des oiseaux ou un chat parviennent à se faufiler dans son imagination fantasque. Le peintre recourt encore à des architectures sommaires mi religieuses mi théâtrales comme dans La Flagellation du Christ de Piero della Fransesca. Souvent encore, les personnages flottent dans l’espace, ou dérivent énigmatiquement les pieds en l’air. Partout aussi, des éléments de paysages.    

        Chaque composition résonne de détails graphiques, de rapports et de correspondances au mieux insolites ou hallucinantes, en fait souvent inquiétantes voire passablement cauchemardesques tant les rapports sont ambigus ou troubles entre les personnages entre eux ou dans leur environnement. Chaque œuvre sourd en ce sens d’étranges correspondances  (autobiographiques ?) parfois inquiétantes. Jean Clair a jadis expliqué cet art comme un courant figuratif instaurateur d’une Nouvelle Subjectivité.*    

         Pat Andrea a pu reconnaître que son geste du dessin réaliste et plus largement ses principes de compositions profitent de l’imaginaire onirique et symbolique incarné par Francis Bacon ou Balthus. Pour ce qui concerne le figural et, dans cette perspective référentielle, l’expressivité et le réalisme conceptuels de Bacon, les œuvres exposées de Pat Andrea me semblent renvoyer à des univers formels plus proches du cinéma d’animation qu’à des préoccupations plastiques-critiques purement picturales.

* Jean Clair, La Nouvelle subjectivité, Paris 1977

 

Astrid Delacourcelle à la galerie Fabrique Contemporaine    

        Astrid Delacourcelle expose de nouvelles suggestions de distance plastique par rapport à un travail pictural réaliste muré dans des opérations de reproduction. Sa sensibilité aux vues d’ombres portées sert de point de départ pour des mises en vues curieuses et subjectives de l’objet pictural. Les modèles de départ sont des ombres projetées depuis l’extérieur dans l’environnement de son atelier. Envahissant l’espace et se « heurtant » à ce qui l’occupe, elles anamorphosent chaque objet sur son passage d’une image spectaculaire ; la lumière qui les porte permet de cerner des images complexes, parfois presque inconcevables ou incompréhensibles et dignes d’un décor de film fantastique.    

     D’abord enregistrée photographiquement, chaque vision sert de prétexte à diverses manipu-lations esthétiques de cadrages, de composition et d’interprétation. L’artiste, soucieuse de ne pas trahir ou dénaturer son mouvement créatif assortit les nouvelles vues de couleurs irréalistes et arbitraires. Astrid Delacourcelle a pour objectif de créer partout de l’insolite et du mystère, lequel est aussi prégnant que celui de transformer le réel en support d’étude pour de nouveaux contenus du travail artistique. Sa culture du dessin d’observation et sa volonté de produire dans la diversité vont dans ce sens, tout en la faisant abonder et référer encore des productions davantage analogiques que librement plastiques, conceptuelles et imaginaires.