ZeMonBlog
28/01/2018
La difficulté avec les expositions fondées sur une performance (action, happening etc.), c’est la suite et ce sont les restes…
Ce qui, après coup, ne s’apparente plus qu’à un film de reportage, voire une présentation en cour de réalisation ou d’achèvement laisse sur sa faim.
La difficulté avec les expositions fondées sur la performance (action, happening etc.), c’est la suite et ce sont les restes. C’est le trouble causé par la conservation quelle qu’elle soit de la moindre trace de ce qui, par principe, ne devait pas subsister. Que retenir de ce qui, une fois passé le temps de la performance fut en même temps l’œuvre et quelque chose de mieux que des vestiges ou de la cendre d’un art réputé en action ? Une solution fondée sur un retour mémoriel de l’atelier comme œuvre simultanément réelle ou imaginaire existe peut-être… sous condition expresse d’être plastiquement réinstauré pour se suffire à lui-même.
C’est ce qu’à l’évidence Armand Lestard et le centre d’art contemporain Aponia semblent avoir choisi ensemble en créant « La louve », une œuvre/exposition « organique, hétérogène et performative » sur « La place du Sauvage dans nos vies », composée d’installations, de performances, de danse, de sculptures et d’œuvres purement graphiques et picturales, de musique etc.
« La louve » a été inaugurée et s’est en théorie physiquement terminée le même jour du 13 janvier dernier.
Tout continue symboliquement jusqu’au 11 février…
Mise en place par Armand Lestard qui en assure également le commissariat, l’exposition se présente comme une œuvre/action collaborative partagée avec Hélène Singer, Sandra Ancelot, Rémi Voche, et Eric Ancenot, tous plasticiens et performeurs. Tous repose sur un environnement complexe de productions en deux, trois et quatre dimensions susceptibles d’être interactives : théâtre, au mime et danse, sculpture et architecture ou objets symboliques, musique, chant et sons divers, gastronomie même… L’atmosphère générale est à la fois nocturne et éclairée de façon théâtrale. L’écoulement du temps s’exprime selon les cas lentement ou précipitée par procuration à travers des recits de forêts peuplées de masques, de marionnettes et de créatures nocturnes. Il s’écoule avec le rappel allusif d’activités industrielles disparues, à travers l’image d’un artiste travaillant fiévreusement dans son atelier, au gré des divers performeurs s’exprimant par la musique, par la danse ou par à travers la préparation d’un repas supposé être en lien avec le sujet. C’est le plus souvent impressionnant et spectaculaire malgré un sentiment diffus de déjà vu, c’est parfois un peu rude à suivre, toujours débordant d‘expression personnelle.
J’ai un doute. Armand Lestard veut créer en iconoclaste, « déformater l’exposition en cassant les codes établis » (dixit), élever jusqu’au ciel la création débridée et le geste animal sur l’expérience froide… Une imprécision référentielle récurrente et sans diversité critique sémantique affirmée flotte en même temps sur l’ensemble du projet qui, par un symbolisme aux échos anti moderne, confine au syncrétisme d’un bricolage mystique.
C’est déjà vu et moins iconoclaste et reformatant que prévu parce que « La louve » est de toute évidence inspirée par les happenings et les expériences esthétiques collectives conçues par John Cage au Black Mountain Collège (USA) en 1952, les actions/performances de Joseph Beuys ou de Wolf Vostell en Allemagne dans les années 1980/90. L’esthétique générale punk qui ponctue par ailleurs les apparences formelles de certains objets et accessoires semble de simple reprise.
C’est un peu rude à suivre à partir des sens et correspondances accordées au mot sauvage, tantôt défini comme substantif et tantôt simple rapprochement analogique. Armand Lestard explique dans un texte introductif qu’il faut l’entendre comme un écho du sensible qui lui-même serait synonyme d’instinct naturel, incivilisé ou jardin secret individuel : enjeu d’une singularité perdue ou égarée mais qui peut être reformée en partant de sentiments premiers. La sincérité foncière des œuvres signées collectivement est préjugée contraire au « do it yourself ». Je ne veux pas dire que, et c’est bien sûr une aporie de caractère de l’artiste et de son projet, « La louve » ou ce qui en reste manque d’intérêt, qu’au fond, tout des éclats du vernissage a disparu. Durant cette soirée, le centre d’art est devenu un théâtre éphémère de pantomimes, un temps d’hallucinations esthétiques, un opéra en cours d’écriture, l’esquisse d’un cirque fantasmagorique dans une clairière imaginaire, une prière improvisée dans monde inspiré par Caspar David Friedrich, un opéra de David Lynch, un musée de la nature réinventé, un « foutoir onirique » où même le prévu peut survenir… Il y a surtout ce microcosme et ces souvenirs personnels dont Armand Lestard a su, malgré leur relative obscurité ontologique, faire un monde public à travers Aponia. Il se trouve surtout que par procuration et métaphore, ce microcosme s’ouvre aux autres.
Armand Lestard avait en 2006 déplacé/reconstitué la maison de sa mère dans le centre d’art. Le propos était alors « Urbanité ». Il s’inspire aujourd’hui à nouveau des paysages et des légendes de Longwy dont il est originaire. Armand Lestard a voulu qu’ils se croisent, qu’ils interfèrent, qu’ils s’embrouillent. L’obsurité couve et plane, la lumière dissèque et environne, l’air se manifeste par des souffles. Pas de partition musicale, des envolées sporadiques et des bruits spontanés, des flots de paroles à peines articulées pour paraître susurrées, des entités instables et suspendues, imprévisibles et provisoires davantage que des corps.
Le vernissage et le temps des performances révolu, tout est arrivé et tout s’est passé, fini, inerte. Ce qui reste n’a que partiellement été redisposé. Proche de la porte d’entrée, le titre d’une chanson emblématique de Lou Reed : « Walk on the wild side » porté par un néon continu ses aller-retour sur une voie ferroviaire fantasmatique traversant un mur au sens désormais évanescent. Des feuilles de grands formats matérialisant symboliquement l’intérieur et l’extérieur d’un atelier fictif à partir de murs opposés font figure de mue abandonnée. Les inscriptions et les dessins dont ils sont couverts perdurent, mais les feuilles sont devenues des palimpsestes. Dispersés sur le sol constitué de feutre épais, un renard empaillé, gueule ouverte et les yeux comme exorbités, continue de tirer un traineau chargé d’un globe terrestre en forme de pelote de ficelle. Ailleurs, des effigies monstrueuses, clownesques ou d’animas empaillés dressées sur des pics ou de mats incarnent des personnages de réalités inconscientes. Le noir et la pénombre continuent de tout teinter, de même temps que le geste et le mouvement restent encore partout détectables. Sans paraître factice, une « matièriologie » tantôt naturelle, tantôt sublimée ou réinventée habille les objets et les formes. En guise d’effets purement chromatiques, des zones éclairées de faisceaux d’ambiance. Comme obscurité, des pénombres de fin de jour, de coulisses ou de cavernes. Au lieu de proportions naturelles des objets, l’échelle qu’Armand Lestard leur a donné.
L'absence des performances occupent l'esprit. L’ensemble de ce qui n’est plus qu’une installation paraît inachevé et laisse sur sa faim. Les enregistrements tracent faiblement et en partie l’aura du vernissage.
ce qui s'est passé peut symboliquement retrouver la vivacité artistique perdue après un effort personnel d’acceptation et d’imagination de la part du visiteur.
Si l’envie lui prend.