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Vincent Olinet, emportements et rêvasseries d’un travail seulement créatif. Galerie Laurent Godin.

28/01/2019

Dans la galerie dont les murs ont été recouverts d’un papier peint à motifs de moulures supposées, de compositions florales et d’autres sujets badigeonnés en pochade, le temps semble s’être arrêté comme un salon d’hiver ou un vaste boudoir dans un manoir de bande dessinée diffuse des parfums nostalgiques…

Dans la galerie aux allures d’entrepôt désaffecté Vincent Olinet a installé son travail pour qu’il s’apparente au lieu lui-même et agisse en trompe l’œil d’un lieu autre, un théâtre peut-être, à la fois impensable et pleinement rêvé. La facture générale de l’exposition intitulée « Une image » projette les intentions de son créateur de présomptions en suppositions plus mystérieuses les unes que les autres.

« Une image »… Mais laquelle ? Ou, lesquelles, vu les diverses œuvres exposées, pour certaines éphémères et pour d’autres des films ? Pour quel monde donc ? S’agit-il d’une vision ou d’un spectacle factuel ? Présentés comme une réalité devenue évanescente, l’entrepôt ou la galerie et le travail de Vincent Olinet se révèlent être une fiction et un décor conjoints dans une perspective de storytelling artistique. Subsidiairement, son travail libère en sus des confrontations esthétiques par une poésie étrange.

 

Les murs sont entièrement tapissés d’un papier peint à motifs de moulures supposées, de compositions florales et d’autres sujets badigeonnés en pochade ; le temps semble s’être arrêté comme un salon d’hiver ou un vaste boudoir dans un manoir de bande dessinée diffuse des parfums nostalgiques. Egarées au hasard dans les divers espaces des reliquats sur des tables désordonnées présument une fête finie et des convives sur le départ. Les éléments d’une vaissellerie supposée de cristal mais en réalité constituée de glace fondent lentement ; d’improbables fruits gelés : citrons, oranges, artichauts authentiques sont échus comme des lustres symboliquement tombés. De façon aussi hasardeuse, d’autres fruits sculptés aux proportions gigantesques sont silhouettés à la tronçonneuse. Sommairement peints de leurs teintes naturelles, isolés ou vaguement groupés contre les murs ils semblent gésir pêle-mêle ça et là. Chaque ensemble s’apparente à une nature morte comme des taches de vin sur une nappe peuvent faire songer aux traces assourdies d’échanges improvisés. Les spectateurs paraissent silencieusement errer dans les lieux comme s’ils étaient les visiteurs d’une fin de partie, glanant quelque dernière image, une conversation aux échos éloignés d’une pièce de Tchekov1. Sur un mur marginal, deux films présentent une autre installation conçue dans un environnement précédant et un documentaire de l’artiste capté à son travail dans son atelier. 

En pointant des techniques d’expressions spécifiques, Vincent Olinet entend montrer que son travail ne se résume pas à l’imagination d’une ambiance. Comme il est dit, ce qui est peint a le statut d’une pochade prestement réalisée, ce qui est sculpté est juste dégrossis, ce qui est présenté semble être une autre sorte de « Tableau piège »2. Qu’une composition s’annonce, Vincent Olinet affiche crument un procédé : collage ou montage avec le papier peint, disposition hasardeuse voire appropriation avec les tables, la vaissellerie et les reliquats de repas inachevés. Le moindre effet de forme conserve un geste d’esquisse, la mobilisation d’un travail en train que l’artiste refuse de marginaliser. La plupart du temps, chaque couleur demeure de la même façon une teinte factuelle ou une valeur purement référentielle. Partout l’artiste concentre son attention sur les emportements et les rêvasseries d’un travail seulement créatif.

Vincent Olinet réussit avec succès un coup poïétique d’une stupéfiante beauté plastique. Apparentée à une commande d’œuvre in situ, l’exposition se révèle être un travail in process, voire pour les visiteurs pris pour des acteurs agissants, un happening préparés à leur insu. La mémoire d’un temps écoulé ou en train de remonter à l’esprit gouverne expressivement l’ensemble de l’exposition et donne à son entreprise une épaisseur esthétique indéniable. Les murs et l’espace de la galerie transformée en palimpseste onirique d’une demeure familiale et d’une vie bourgeoise à la fois doucereuse et désuète agissent à la manière d’une succession d’images rémanentes. Des souvenirs d’images jaunies fusent, par nuages des récits se reconstruisent par bribes ou sont induits par glissement, on peut aussi tenter de faire se dilater le présent et pourquoi pas réimaginer l’artiste en action. « L’image » vs l’exposition devient un opéra de pure fantaisie.

 

1/ « La Cerisaie », peut-être, dans la version inoubliable de Peter Brook au Théâtre des Bouffes du Nord. 2/ Les « Tableaux pièges » de Daniel Spoerri…