ZeMonBlog
11/03/2019
L’impression durable d’une production bornée par sa méthode comme style et/ou comme procédé fige la pratique qu’on supposait réflexive et conceptuelle de l’artiste dans un esthétisme aux accents seulement formels.
L’impression durable d’une production bornée par sa méthode comme style et/ou comme procédé fige la pratique qu’on supposait réflexive et conceptuelle de l’artiste dans un esthétisme aux accents seulement formels.Dominique de Beir pratique la matière et compose des objets plastiques entre tableaux et sculptures. Cette première caractéristique énoncée, une autre se dégage immédiatement, à savoir l’usage d’un motif répété en nuées ou comme une trame mécanique obtenue par perforations méthodiques du support.
Dominique de Beir pratique l’art de griffer, rayer, perforer ou creuser de multiples façons divers supports comme du polystyrène, des cartons industriels voire du papier. Les œuvres qui en résultent conservent la plupart du temps leur silhouette première, le travail de l’artiste semble conçu pour attirer l’attention sur l’esthétique de leur surface. Les œuvres présentées à la galerie sont de dimensions contrastées, leurs teintes souvent couleurs pastel sont proches d’une monochromie. Les formats sont « à peu près » rectangulaires. Une impression d’intimité et de mystère se dégage de ces recherches fondées sur un travail d’apparence, constamment soutenu et incarné par sa méthode.
Tant par analogie historique avec des productions manifestes de l’abstraction conceptuelle des années 1975/80 que du fait de leur « anonymat visuel », et sans abolir l’impression de beauté réelle issue de leur sobriété presque étique, les œuvres peinent à se dégager d’une impression d’esthétisme fabriqué. Car si l’acte de percer ou de perforer la surface des supports crée un au-delà tridimensionnel connu (voir Lucio Fontana), si la réflexivité plastique induite par l’attaque de la matière d’un support peut être jugée plastiquement intéressante, on remarque à contrario qu’ici, la transgression par la trouée dépasse rarement l’effet systémique d’un pointillisme ou une trame imprimée par report. Les œuvres, pour l’essentiel conçues autour d’une étendue simplement grêlée, imposent la métaphore de surfaces brutes ou d’un matériau trop peu transformé pour atteindre la force esthétique d’une « matièriologie » savante (voir Ernst, Dubuffet, Tobey).
Ce travail qui relève esthétiquement du minimaliste et de l’abstraction radicale (il est dit proche de l’Art Povera…!?) se courbe ou fléchit parfois en apparence figurative ; une vue juste silhouettée ou vaguement géométrique et modérément contrastée se détache à ce propos au centre de certaines productions, en donnant au reste du tableau un rôle de fond d’accompagnement. On suppose une sorte de paysage, l’émergence d’une effigie, on songe à des présences lapidaires ; sur une grande toile proche de l’entrée de la galerie, l’image de deux rouleaux de papiers disposés en regard côte à côte supposent une histoire. Comment apprécier ces toiles prétendument incarnées par une démarche minimaliste et qui donnent le sentiment d’une création non pas disruptive mais évanescente et littérale ? On cherche à comprendre en quoi les perçages toujours aussi présents, mais ici agissant comme un fond lointain, apportent de la plasticité questionnante. Le sentiment d’une production axée sur la répétitivité d’un système comme style et/ou procédé fige l’intérêt réflexif et conceptuel de la pratique initiale dans un formalisme dépourvu de sens et floute l’ensemble des œuvres dans un esthétisme spectaculaire. L’inquiétude grandit quand, au milieu de la galerie, une sculpture élaborée comme un ensemble imposant d’étagères basiques constellées de (traces de) trous, semble n’avoir comme histoire que de servir de présentoir à des œuvres oubliées.
Que vais-je encore aimer de ces œuvres entraperçues dans des livres et qui, en me fascinant, me faisaient espérer les rencontrer en nombre ? Je les concevais d’une épaisseur et d’une beauté mystérieuses, à l’opposé de leur apparente monochromie, je les imaginais soutenues par une culture rhysomique, leur massivité esthétique m’enjoignait presque de les relier ou les ajuster aux épures d’un Ryman. Visibles en vrai, elles me suggèrent de revenir sur mon impression d’un travail sans filet.