ZeMonBlog
20/03/2019
Faites de pauses inattendues, d’arrêts subjugués ou de retenues interloquées faces aux œuvres, la visite des galeries… !
Progress Galerie.
L’exposition s’intitule « Parmi les choses », elle est initiée par Margaret Dearing et Marion Delage de Luget. 10 artistes sont réunis autour de la question : « Quand l’objet de l’art, c’est l’objet ». Assez commun, quoique toujours surprenant et mobilisateur, le thème n’en permet pas moins de considérer comment des artistes actuels, jeunes pour la plupart, se saisissent du concept imaginaire naguère profondément labouré par Marcel Duchamp et Dada. Traversée par l’humour et la sagacité plasticienne des artistes retenus, l’exposition a des allures de capharnaüm créatif. Margaret Dearing produit une série de photographies métamorphosant la focale d’un sujet central en subterfuge et en paradoxe environnemental. Ses regards et les vues semblent se présenter comme des occasions de débusquer dans le quotidien l’apparence d’impressions subites. Sa culture plastique en forme de gai savoir permet à Sylvie Ruaux de composer des sculptures aux allures de stèles, de totems ou de portraits. Tantôt hiératiques et fantasques ou drolatiques et oniriques l’artiste vise en chacune un pile ou face esthétique et poétique avec le recyclage de produits industriels. Les œuvres, arbitrairement réparties et rangées sur des étagères donnant l’illusion d’une mise en abîme de l’exposition en même temps qu’une vitrine éclairée de façon théâtrale sont traversées par une ambiance à la fois intime et pop. Sylvie Ruaux performe ainsi une installation entre arts du spectacle et spectacle de l’art. C’est d’une qualité et beauté esthétique impressionnantes. Miguel Ange Molina reprend l’ironie d’une table renversée sur un mur et renvoyant l’apparence de son plateau à une peinture aux accents cinétiques… Partout dans la galerie les retournements usuels sont illustrés à travers des réappropriations subjectives variées. Si rien n’échappe à une comparaison avec des décontextualisations du Ready Made, chaque création joue l’hors d’usage et l’ironie d’un égarement volontaire avec autant de sagacité que de réactivité.
Galerie Rabouan Moussion, Hervé Télémaque.
L’exposition commence par une sorte de rétrospective avec des œuvres pour certaines datées des années 70. En fait le festival ne fait que commencer pour évoluer en feu d’artifice avec quelques tableaux actuels où Télémaque montre des manières de penser la peinture par ses gestes d’artiste avec une fraicheur inouïe. Dans la grande salle de la galerie, le tableau « A l’en Guinée » (Aller en Guinée), long de 10 m et de la taille de l’atelier du peintre déroule un horizon poétique et mental dans l’art des inachèvements supposés simplement beau et créatif. Télémaque, toujours inattendu par ses méthodes et ses projets de travail parvient à rendre utile le moindre aléa de son travail. Il faut voir avec quelle dextérité le moindre incident de parcours, la plus petite touche du pinceau, quelquefois une éventuelle maladresse, et pourquoi pas, un simple laisser aller, le fait de projeter un accord de forme et de couleur, chaque instant du travail entraîne sa peinture dans une aventure sensible. « A l’en guinée » et les autres œuvres réunies, mêlent autant des formes puisées dans la réalité que de sujets symboliques, politiques, oniriques ou savants prélevés dans l’histoire de l’art. Télémaque fascine par ses vagabondages autant que par la construction poétique de ses thèmes de travail visuel.
Yousef Korichi, chez Suzanne Tarasieve
Des grillages agrandis, cadrés pour produire des effets de surface, sont peints en trompe l’œil. Parfois il y a une tentative d’ajout d’effets cinétiques, d’angles de vue ou de cadrages transgressifs vers des effets d’anamorphoses. D’autres fois, les mesures macrocosmiques de certains tableaux suggèrent sur un mur une tentative d’œuvre in situ et un nouvel effort d’interprétation irréaliste. D’autres œuvres également de dimension importante présentent des ciels et des nuages également peints photographiquement en couleur. L’intérêt pour cette peinture techniquement conventionnelle, littérale sur le fond et par ailleurs datée passe vite. (voir les perspectives picturales de Gérard Schlosser, Jean Olivier Hucleux, Denis Rivière…)
Rada Tzankova à la Galerie Mansart.
S’agit-il d’un travail d’illustration ou d’échappées graphiques pures ? Conçus comme les détails accumulés d’histoires sans paroles, de fresques murales composées comme un conte-fleuve ou comme des épopées, qu’ils soient les écrans translucides d’un rêve récité sans ponctuation, les dessins peuplés et fourmillants de tout de Rada Tzankova brûlent d’une fébrilité imaginative et narrative jubilatoire.
Galerie Federson, Jean-Philippe Lagouarde…
Des tableaux vaguement cinétiques, fabriqués en comprimant verticalement des tranches de livre afin de semble t’il de profiter du mouvement d’affaissement et d’ondulation naturelle des pages. Rien d’intéressant ou étonnant.
« Vitality » par Kim Chong-Hak chez Valentin.
Les tableaux réalisés au doigt (comme le montre un documentaire de l’artiste dans son atelier) sont vastes, hyper colorés, couverts sans focale jusqu’aux bords. Ils représentent dans leur majorité des fleurs chatoyantes. Quelques rares œuvres de très grand format traitent aussi d’environnements végétaux ; le peintre a cru devoir les composer dans une ambiance aquatique ou de broussailles et forestière. La nature passionne l’artiste qui, littéralement, déborde d’attention pour elle en l’illustrant de manière aussi expressive que descriptive. C’est décoratif, festif pour le regard, apaisant pour l’esprit, joyeux comme un jardin extraordinaire dans son salon. Mais il faut aimer la patouille aux dimensions d’un vaste mur.
Jean Michel Othoniel chez Valentin encore…
Soit une quinzaine de sculptures, ou plutôt de compositions en volumes réalisées au moyen de ces briques de verre ou de métal qui, depuis plusieurs années, portent sa marque ; c’est son truc, qu’il présente comme une technique personnelle et qui agit comme un module signature. Naguère, l’artiste s’employait à user de perles de verre de toutes sortes, colorées ou non pour créer des formes plastiques à la fois drôles et élégantes, délicates et spectaculaires. Disposées comme des installations, les œuvres apparentées à des volumes de pixels ou des montages en briques Lego imitent pauvrement une rivière bleue, une agora en forme de borie, quelques hypothétiques détails d’architecture… On échappe heureusement à la stupide vague en forme d’éboulis de briques noires présentée à Sete. Et on est loin du bel environnement spectral de travail d’atelier et de recherches présenté à Montpellier la même année dans le Carré Sainte-Anne. Bref, on a un parfait exemple de créativité appauvrie par l’usure formaliste d’un procédé signature et le spectacle lassant de son adoubement commercial. Résumé : vide de sens et déliquescente, l’expo fait chier !
« Dilution d’un récit » galerie Bertrand Grimont
Une belle occasion de voir réunies des productions fondées sur le seul médium de l’aquarelle vs le travail à l’encre et au lavis vs la fluidité et la transparence des formes, l’apparente instabilité, les contours et leur évitement supposé, « l’imagination de peindre le rêve au gré de son inspiration et d’images vaporeuses ou évanescentes »… L’expo vise le haut avec les créations plastiques réflexives d’identité visuelle de Louise Bourgeois, Barthélémy Togo, Françoise Pétrovitch et Chloé Julien (commissaire avec Isabelle Levenez et Clara Daquin). Le reste est plus mécanique (Florence Lucas et Isabelle Levenez) ou seulement aimable.
Chez Templon rue Beaubourg, Abdelkader Benchama
Tout n’est que geste du dessin appliqué directement au mur, à la brosse, au pinceau… C’est envahissant, vaste, ça occupe l’espace, c’est de fait une installation. Le thème est la mémoire cérébrale, est-il écrit. Ça et là des travaux sur papier mélangés aux inscriptions murales semblent se perdre dans les traits ou pointer des focales plastiquement inconsistantes. Seul le thème fait image.
La proposition est en son principe très esthétisante. Les travaux sur papiers semblent prolongés hors de leur format pour se répandre sur les murs dans une confusion revendiquée.
Sous son aspect spontané, la figuration transgressée par le geste tachiste et répétitif peine à servir de fond à ce travail. L’ensemble, assez banal, scolaire et proche de l’esbroufe est partout plus spectaculaire que plastiquement intelligent et créatif.
Chez Templon rue du Grenier Saint Lazare, Jules Olitski et Anthony Caro.
Une nouvelle formidable occasion de voir beaucoup de peintures d’Olitski et de somptueuses sculptures de Caro. Chacun joue avec l’espace et le socle, celui intellectuel du tableau sublimant le mur devant lequel il est placé, autant que celui du sol et du volume physique à travers la sculpture saturée de vides, de pleins et de pans opaques orientés dans toutes les directions. C’est sensible et lyrique, fin et subtil dans la construction plastique, malin et réactif comme les deux artistes dont la galerie veut pour l’occasion rappeler l’amitié conjointe et le style historiquement daté.
Julio Paolini sur les deux sites de la galerie Marian Goodman
J’avoue avoir toujours été intrigué par les assemblages sensibles, les détournements photographiques, les montages faussement bricolés et les installations savantes de Paolini. Sa culture de l’art italien paraît sans faille, ses suggestions historiques personnelles de même que l’opportunisme de son humour visuel semblent inépuisables. Il s’agit une fois encore, d’un travail de relecture imaginative du concept esthétique d’image mentale. « La pittura e cosa mentale », « e cosa poetica » au minimum, mais d’abord « cosa umoristica e umanista ». On se régale en regardant de quelle façon il réinvente une origine du dessin, avec quelle tranquillité plastique il évoque sa place de spectateur face à son œuvre, avec quel aplomb il détourne ironiquement la dévotion devant la technique. La raison doit selon lui être légère, la culture doit être sensuelle, il faut subjuguer sur le fond, il faut que la forme soit une traversée sidérante de l’esprit. Ça donne le droit de redessiner les chemins de la perspective, le droit encore de s’envoler avec les anges et les dieux, pourvus qu’ils restent des sculptures… C’est somptueusement mis en espace et en scène.
Galerie Ceysson & Bennetiere
C’est assez troublant qu’une exposition de peintures actuelles semble être une rétrospective d’œuvres et d’artistes d’une autre histoire. C’est de fait l’impression qui ressort en voyant l’accrochage de la galerie Ceysson § Bennetière consacré aux dernières œuvres de Lauren Luloff, œuvres dont le moins qu’on puisse dire est qu’au premier abord, elles rappellent les productions des années 70 et de Support-Surface vs la pratique encore « un peu » actuelle de Louis Cane ou de Claude Viallat ou Patrick Saytour, parfois jusqu’à l’analogie.
La galerie, qui de toutes façons représente les artistes de la génération Support-Surface poursuit en quelque sorte sa ligne. La question de leur actualité théorique et plastique demeure par ailleurs, actualité d’artistes aujourd’hui âgés et occupés pour certains par d’autres pratiques, histoire d’un art et d’une esthétique qui tient à rebours de son chapitre conceptuel.
Pourtant, Lauren Luloff, artiste américaine, ne plagie pas et ne repense pas les visées esthétiques des artistes dont ses œuvres paraissent être inspirées. En donnant l’impression de vouloir échapper à une cohorte de plasticiens néo Support-surface d’école sévissant dans quelques autres galeries nostalgiques, ses compositions colorées sur tulle transparent parfois déchiré/relâché et laissant régulièrement voir le chassis qui les tient, soufflent avec ironie un air d’impertinence résolue. La pratique finement transgressive de Lauren Luloff à l’évidence plus instinctive et sensible que prédictive et idéologique évite ou contourne les interprétations anticipées ou programmées, calcine les attendus et file librement ses intuitions. L’écran constitué par les supports paraît fugitif, tantôt translucide tantôt insaisissable quand il est fait de l’ondulation d’un tissu ; la rigueur géométrique des compositions semble flotter dans l’approximation structurale d’assemblages improvisés, le geste pictural fond dans la matière visuelle et devient tâche, les teintes, allégées du devoir d’harmonie vibrent d’une lumière accidentelle… Dans la galerie, on ressent un doute malicieux des théories.
Galerie Valérie Delaunay, Timothée Schelstraete « sur la défensive »…
« Je monte une image comme on le fait pour une peinture, par couches, estompant, gommant, travaillant les contrastes. J’y reviens par dessus non sans amusement, il faut bien l’avouer. » Comme une opposition avec ces propos très techniques de l’artiste, les œuvres et leur sujet, à l’origine des photographies, ont été travaillés pour ne plus être que des atmosphères d’apparence à la fois mêlées et irréelles. Sans attache plastique préconçue, et cependant marquées par des transgressions expressives proches du street art, chaque œuvre peut être vue comme la surface d’une vitre embrumée par une condensation forte. Implicitement intérieure, l’expression visuelle des œuvres rend une réflexion de l’artiste perceptible sur l’image toujours codée et susceptible d’être celle du thème de la veduta (la fenêtre).
Sans cadre, ouverte sur chaque côté et choisie pour sa beauté naturelle, chaque œuvre paraît attendre son titre, ou probablement inviter le spectateur à l’imaginer comme chemin précis ou vagabondage. On l’a dit, ce sont des vues apparentes. Peut-on les évoquer en parlant de graffitis, d’empreintes par frottis, de négatifs ou de radiographies, d’un aspect poétiquement attirant d’une vitre humide parcourue de traces, ou juste de palimpseste imaginaire ? Les manières qu’a l’artiste de restructurer son adhésion au monde en multipliant les effets de tactilité du réel à travers les impressions numériques monochromes et les transparences variables du papier calque utilisé partout laissent la raison flotter. Ce ne sont chaque fois que regards obliques, la variété de diverses pentes. Et chaque fois on invente d’autres obliquités, l’une indiquant pour chaque œuvre un angle de vue imprévu, l’autre présumant l’artiste ouvert aux effets inattendus d’une pratique qu’il veut laisser divaguer, dont il veut surprendre les atouts. L’efficacité magistrale de l’exposition tient de l’extrême rigueur du travail engagé dans l’invention d’une image par principe potentielle.