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Bernard Frize zigzague et joue à peindre au centre Pompidou

19/06/2019

L’exposition, aussi technique que ludique subodore des moyens déconcertants par leurs méandres…

L’exposition consacrée à Bernard Frize au Centre Pompidou se présente comme une rétrospective de quarante ans de peinture. Largement mise en scène par l’artiste lui-même, elle consacre une méthode fondée sur des protocoles ou des contraintes formelles de création en partie comparables à celles de l’Oulipo. Toutes les démarches créatives revendiquées par Bernard Frize sont en cela logiques, jusqu’à l’absurde ou la bizarrerie de la méthode retenue. L’exposition, tout aussi technique que foncièrement ludique subodore explicitement ses ressources en même temps qu’une production aussi pléthorique que déconcertante par ses méandres, ses options et ses jeux d’images avérées ou présumées abstraites, ses détournements et ses aventures visuelles flirtant l’imprévu pictural parfois analogique…

Chemin faisant, Bernard Frize, après s’être inspiré de l’aventure des artistes du groupe Support Surface, s’est rapidement affranchi de ses dogmes par l’organisation volontairement brouillée de sa propre démarche. Son goût pour l’absurdité apparente de conceptions fait parfois songer aux Dadaïstes ou des pratiques spontanéistes, quand ce n’est pas allusivement une pratique d’art brut. Frize s’oppose en cela aux préjugés du groupe de plasticiens férus de théories, (bien) décidés à limiter idéologiquement des possibilités d’œuvres à faire pour préférer « vivre un monde dont on cherche la raison, d’avantage que décrire un monde sans raison »*

Bien qu’il semble ne pas vouloir s’en mêler et plus qu’on l’imagine, et souvent il faut le dire, par réaction, son art prend les traits d’une performance dont l’objet serait de produire du pictural à l’état vierge vsde la peinture animale vsun art « pur » voire brut, voire une créativité d’Eden). Débarrassé sinon allégé par principe d’un objet référentiel, en l’espèce, la place du peintre (sa technique, son regard, le spectateur) et celle de son œuvre (par sa culture, voir son présent), l’art de Frize s’apparente à un protocole et un système visuels retenus parmi d’autres sans hiérarchie particulière. Chacune de ses compositions semble une découverte ou comme le souvenir d’un effet esthétique intéressant ou simplement aimé, un effet détaché du moindre repentir artistique, et qu’il juge amusant d’en développer esthétiquement l’apparition.

Dans les salles, les œuvres se suivent, apparemment disparates ou sans lien. Le brouillage qu’on évoquait en préambule est dans cette partition où pour le spectateur la rétrospective vire au jeu d’instants. A leur passage, je remarque le goût prononcé du peintre pour les enchevêtrements plastiques, qu’ils soient ceux du dessin et de la peinture ou des colorations avec les effets de matières, un aperçu choisi ou purement accidentel. Toujours pratique et même démonstratif, son travail s’élabore autour de mode de compositions secrètement organisées en amont des œuvres en train, et, c’est au milieu d’entrelacs, d’apparences spatiales, de répartitions de couleurs arbitraires ou conventionnelles que des tableaux semblent répondre au souci d’une perspective artistique. En passant pour infondé et sans horizon référentiel voire même acculturé, cet art, vivement coloré et improvisé que finement ironique trouble le goût. Bernard Frize excelle d’ailleurs dans les fausses reprises quand il « singe » l’aventure monochrome, qu’il use en même temps de détournements et de protocoles bizarres. Confronté à la nécessité de transformer une contrainte de travail en manière, par exemple : « laisser des couleurs se délayer entre elles sans intervenir », « peindre avec une brosse chargée de plusieurs teintes simultanément », ou « disposer au hasard sur une toile des pellicules de peinture séchée récupérées à la surface de pots laissés ouverts », on l’imagine bricoler des tableaux d’amateurs. Le repérage de quelque indice assurant l’existence d’une tactique « magiquement » laissée visible comme une composition architecturée ou des effets de transparence et de matière visuelle répétées achèvent de le croire autant dilettante qu’attelé à une recherche. Au fond Jamais trompeur, l’art de Bernard Frize reste cependant à évaluer ou discuter. Sa volonté de faire partager ses vues et ses goûts, sa pratique mélangée d’intimité et de fantaisie se trouve sans cesse mêlée d’inattentions provoquées. Quoi qu’il veuille, son image de la valeur esthétique sera non conventionnelle, quand ce n’est pas simplement l’idée qu’il se fait du travail d’art qui flotte pour, in fine, voyager sans fin.

Est ce alors un hasard ou un accident quand parfois, dans ses œuvres, après s’être soigneusement retenu d’effacer certaines traces d’un geste préparatoire ou d’esquisse, il tente d’inventer une peinture destinée à paraitre spontanée ?

 

*Propos du peintre, conversation avec Angela Lampe, catalogue de l’exposition