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Chairs de fleurs par Philippe Cognée chez Templon

22/01/2020

La plupart des toiles partagent leurs compositions architecturées entre harmonies chromatiques subjectives et effets visuels allusifs. Cependant, bien que Philippe Cognée se parodie jusqu’à parfois faire douter de la pertinence de son travail pictural, ça continue d’être globalement intéressant.

         On songe évidemment aux peintures de fleurs de Georgia O’Keeffe, à leurs compositions inspirées par le spectacle autant multicolore que sensuel de leur anatomie et de leur morphologie toute en courbes entremêlées. Chaque peinture, entend surtout parler de plasticité naturelle et évocatrice. Après avoir été agrandie et stylisée à l’extrême pour que le cœur des fleurs, ouvert ou fermé, et les pétales, déployés ou repliés, avec leur silhouette générale, oblongue comme un fruit ou fusant comme un feu d’artifice, cette apparence, suggère de rêver d’érotisme et d’étoiles. Les dernières peintures de Philippe Cognée exposées chez Templon rue du Grenier Saint-Lazare sont aussi claires que les imaginations de Georgia O’Keeffe, avec cependant une différence notable : à l’inverse de la poésie constamment élégiaque et onirique de cette dernière, Philippe Cognée transpose les fleurs dans des images de chair en lambeaux. Les œuvres présentées comme des vanités évoquent pour certaines le « Bœuf écorché »,  tableau emblématique initialement peint par Rembrandt, exagéré par Soutine, et in fine transposé par Francis Bacon en terrifiante orgie.

         Souvent proches d’un carré de grandes dimensions et même pour le spectateur subjectivement vastes, les peintures combinent plastiquement, jusqu’à les confondre ou les brouiller, les visions rapprochées au point d’être abyssales d’une fleur et d’un gigantesque paysage microscopique. La plupart des toiles ainsi montrées partagent leur composition architecturée entre l’engagement d’harmonies chromatiques subjectives et des effets visuels allusifs. D’autres œuvres se limitent en revanche à des images maniérées de bulbes seulement agrandis et reproduits dans un style plastique général dont le peintre se reconnaît et dont il a fait sa marque. Disons d’emblée que ces dernières, difficiles à comprendre et étranges dans le contexte créatif des autres œuvres volontairement « charnelles », ne sont pas les plus intéressantes et méritent d’être oubliées.

       Reste que les œuvres à l’abri des certitudes dénotent une recherche. Les fleurs incarnent naturellement un message de beauté. Philippe Cognée les peint au moment où leurs bulbes s’ouvrent. Ce mouvement qu’on devrait apprécier pour sa volupté est pour le peintre le moment d’une transgression formelle vertigineuse au bout de laquelle les sujets s’apparentent au spectacle impressionnant et inquiétant de vanités abstraites. Avec la technique à l’encaustique propre au style connu de l’artiste, chaque motif de fleur devenu flou et vague fait que le spectacle des pétales exagérément déployés et outrageusement transposés dans des sortes d’escaloppes de chair imprégnées de sang évoque davantage le moment d’un dépeçage qu’un bouquet romantique. Partant l’érotisme délicat qu’on pouvait croire partageable avec les images de Georgia O’Keeffe change symboliquement de nature, en se teintant d’une expression quelque peu morbide qui présume d’autres rapports au corps peint.

           Les images de fleurs sont globalement observées dans un espace très rapproché, tout en mobilisant les codes visuels des vues macrophotographiques, les peintures absorbent formellement l’espace extérieur et concentrent en même temps l’attention sur le grain de l’image. « Ses fleurs » peintes de façon à la fois fidèle et transgressive installent un sentiment mêlé de doute, de stupeur et d’inconfort qui s’oppose à la beauté gratuite et sans conteste supposée définitive des fleurs, à l’envie de revenir sur leur emploi parfois décoratif, d’autres fois religieux ou mémoriel et commémoratif. L’attention de Philippe Cognée focalisée sur l’immédiateté expressive de l’ouverture des bulbes et du déploiement de pétales semble ignorer aussi bien la beauté reconnue de ses modèles que leurs usages. A ce stade, ses images et celles de Georgia O’Keeffe sont également érotiques, indépendamment de leurs styles propres. L’essentiel des toiles exposées par Philippe Cognée montrent de sa part une transposition audacieuse des bulbes en corps disséqués. La vie de la peinture paraît ressusciter et sublimer chaque fleur par la grâce du peintre. On en vient à concevoir in fine, qu’esquissé ou déterminé, cheminant progressivement ou encore arbitraire et symbolique, le tableau suppose d’être travaillé pour mettre son apparence illustrative en tension avec tout ce que le peintre veut retenir et livrer du spectacle pictural.  

            C’est sur ce point que justement, l’exposition est difficile à suivre. Le genre des vanités, (au sujet de quoi un texte soutenu par la galerie veut synthétiquement traduire les intentions du peintre), entremêle deux programmes qui présument ensemble une discussion métaphysique sur la vie et le temps. Le premier renvoie à l’histoire d’un art quand l’autre suppose l’étude de Philippe Cognée comme un engagement à rebondissements. Le style répétitif et moins questionné du peintre me semble ici faire particulièrement problème : sa confusion entre technique et concept floute (de manière quasi littérale) l’insertion de sa pratique dans un questionnement plastique, au point que parfois, le temps de peindre ne semble plus rien mettre en tension dans l’avancée du travail.

Cette exposition, absolument passionnante et à bien des égards somptueuse quand les fleurs semblent des corps mourants puis symboliquement vivants à travers la peinture s’abime parfois dans une atmosphère de suffisance esthétique et, avec l’emploi de l’encaustique inlassablement réutilisé à l’identique depuis des années, le travail conceptuel du peintre faiblit parfois sans gagner en profondeur. Certaines œuvres de cette exposition ouvrent ainsi une aporie de la peinture et de l’image disparaissant simultanément dans la technique employée et sensée confirmer sa poésie. En usant depuis des lustres d’un principe de réalisation adaptable à tous ses sujets avec un style visuel fixe fondé sur des ambiances à la fois floues et brouillées, le travail de Philippe Cognée me donne parfois la même impression que ce que Bernard Buffet commercialisa en son temps.

            Bien qu’il se parodie jusqu’à parfois faire douter de sa pertinence, ce travail pictural continue d’être globalement intéressant. Face au risque d’être illustratif, il brille des renouveaux sensibles d’une peinture que son créateur persiste à vouloir conceptuelle sur le fond, dans la forme, expressive et du point de vue des références directes et indirectes chargée d’esthétique.