ZeMonBlog
11/03/2020
Le geste créateur détaché et le rire en coin, Séchas peint sérieusement un monde burlesque d’images
Alain Séchas s’amuse à peindre, se gausse de dessiner approximativement, se fiche de savoir si ses tableaux comme ses dessins prouvent une culture (qui plus est, artistique), se « bidonne » de barbouiller ses tableaux, de donner le sentiment de ne pas les finir, de les travailler à peine, de « pochader » ses tableaux. Alain Séchas aime l’ironie, la désinvolture apparente, la désinvolture théâtrale, l’espièglerie, la facilité et le détachement. Alain Séchas est malpoli, inconvenant, brut ; naguère, on aurait dit qu’il était un polisson qui, en cohérence avec cette possibilité existentielle, cultive tranquillement l’art d’être de biais ou de se placer sur une pente imprévue.
Alain Séchas expose quelques-unes de ses recherches récentes à la Maison des arts Bernard Anthonioz. De salle en salle, intrigué par la diversité parfois extrême des approches plastiques et la vigueur du style des œuvres, on conçoit qu’il travaille sur l’image d’aperçus amplement croqués voire vaguement exprimés. On note qu’esthétiquement, tout lui paraît vite résolu, ou parfois « vite vu » et que pour lui, un travail long est superflu. En écho, les compositions sont effectivement banales ou conventionnelles, les couleurs chaque fois plus vives et plus arbitraires sont juste sorties du tube, un tachisme affirmé tient lieu de socle à la pratique du peintre et permet d’engranger de l’effet à défaut de style ou de fond. L’expression plastique accrochée à une spontanéité d’aspect, diverses questions se posent cependant sur les références du peintre. De quoi Alain Séchas se mêle t-il en peignant de cette manière ironiste ? D’où vient-il que peindre puisse à ce point être borné par autant de désinvolture apparente ? Des réponses émergent avec le relâchement du geste du dessin qui emporte les sujets, avec les thèmes confrontés à l’insignifiance de leur genre. Des questions affleurent au contact de leur évidence vs une certaine naïveté et l’empreinte d’une superficialité voire une forme d’exercice d’art brut que chaque semble en partie répêter.
Avec Alain Séchas, la facilité et la banalité sont l’index d’une décontraction feinte, une manière assumée de constamment problématiser et mettre en abîme l’expérience de la facilité. Les compositions, le style de ses peintures et plus généralement le style de son art correspondent vite à des questions sur les possibilités et les valeurs du point de vue personnel immédiat. La réalité apparaît différente à l’examen des pratiques plastiques mobilisées, elle réserve des surprises et des interrogations, suscite autant des recherches complémentaires historiques et esthétiques sur leur sens. Le sujet habituel et permanent des chats anthropomorphiques, le thème du bouquet de fleurs, la peinture de paysage, la formule de la carte postale ou de la photographie populaire vs celle, parallèle, la photographie-souvenir-familiale, de celles qu’on classe aussi dans l’art de la photo ratée ou sans originalité, le recours facile à l’analogie du dessin de presse, tout cela fait songer à des images prétextes. Avec ses techniques d’expressions manifestement complexes, sa nonchalance paradoxale, Alain Séchas creuse allusivement ses tableaux d’une culture aussi curieuse que fantaisiste. Le spectacle chatoyant des couleurs éclatantes librement appliquées par taches recouvre sporadiquement le dessin et crée par gommage des zones de nettetés variables, des impressions de reports et de d’effacements partiels, fait osciller la pratique entre approche savante, hésitations et bricolages ; à travers divers indices tout permet de penser au temps des croquis ou de témoignages visuels approximatifs ou instables.
Une autre conviction intuitive se forge, susurrant que le peintre joue malicieusement avec la culture simultanément graphique et picturale à la base de sa pratique, soutenant qu’il ne compte jamais dissocier plastiquement ses sujets d’un fond, et qu’en conséquence, aucun élément ne saurait être déplacé ou simplement considéré isolément sans la désorganiser. Je parle d’art global, d’une conception ensembliste du tableau, sa vision survolée, j’entends un rythme de travail actif sur tous les points tactiques et imaginaires du tableau. Chaque œuvre se regarde comme un bloc, une construction dont tous les éléments, qu’ils soient purement formels, anecdotiques ou narratifs s’entremêlent et interagissent également.
La peinture d’Alain Séchas est sans espace fictif, ne trahit pas son support, elle est le support. Pas de lointains, d’avant-scène façon Vélasquez élaborant les Ménines, pas de troisième dimension en trompe l’œil : juste du temps et le lieu de la peinture. Partant, l’idée d’un motif d’abord perçu comme une intention prime arbitrairement sur tout autre polarité exclusive. La peinture est un choix volontaire, la manière de la pratiquer est volontaire, le style des œuvres est volontaire, le reste est libre d’être un croquis ou une image quelconque. Alain Séchas conçoit et illustre d’un même mouvement des vues personnalisées, des visions indécomposables, à la fois réelles et imaginaires, esprit goguenard compris, apparences incluses, formes et raison mêlées. Je me mets à penser au genre de la peinture de caractère, à sa subjectivité incarnée par leur auteur, à ses formules esthétiques à la fois explicites et implicites, en même temps qu’elles jouent avec les codes, les titres résolument triviaux des œuvres. Le geste créateur détaché et le rire en coin, Séchas peint sérieusement un monde burlesque d’images.