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Quelques expositions pendant qu’il fait jour des deux côtés de la Seine…

20/01/2021

Diverses démarches artistiques dans lesquelles la création semble diversement essentielle et où, parfois, divers "arts" questionnent…

Thomas Klotz chez Nathalie Obadia

         C’est une exposition artistique d’œuvres d’aspect photographique. Son intitulé « I’ll never be young again » est inspiré d’un livre de Daphné du Mourier. Il annonce une autre publication, celle ci purement photographique, de l’artiste. L’exposition laisse perplexe et s’ouvre sur une aporie esthétique. L’impression d’avoir déjà vu tout ça fait que la plupart des œuvres, bien que portées tantôt par un fond cinématographique tantôt par une allusion à de la peinture abstraite, semble appartenir sinon au passé, du moins à quelqu’un d’autre. Certaines images renvoient allusivement à de l’image de presse, à quelque portrait capté ou scénarisé par Diane Arbus, Nan Goldin, ou Sandrine Elberg, voire Valérie Jouve ou Martin Parr tandis qu’un extérieur fait penser à un paysage vu par Jean-Marc Bustamante… Pour peu qu’une forme esthétique transparaît plus fermement, sa filiation avec des solutions plus inaugurales paraît difficilement évitable. De sorte qu’en deçà d’une recherche visuelle ou référentielle narrative/plastique à laquelle réfère naturellement le photographique, chaque image s’évide d’une imagination qu’on ne trouve qu’en s’impliquant abusivement. Reste une production magnifiquement réalisée, d’une relative diversité et pour cela intéressante, mais pas dérangeante. De fait, il n’y a sans doute pas vraiment d’aporie.

 

Encore chez Nathalie Obadia : Rosson Crow

          Très plastique mais aussi très marquée techniquement, cette série de peintures intitulée « Next year at Marienbad » frappe par son emprise artistique. Les tableaux peuvent représenter un intérieur ou un bouquet de fleurs, un champ de cactus ou un paysage onirique ; l’artiste, immergée dans le film éponyme d’Alain Resnais, a tout fait pour que chaque composition visuelle semble se liquéfier ou se disperser sans retenue, pour qu’on passe d’un espace réel à un espace fictif mêlé de moments vaporeux et fantasmatiques. Transcrits d’abord sur toile par report photographique, puis repeints/ rehaussés à la bombe aérosol, les motifs voient leurs formes se diluer à travers des sommes d’aperçus d’objets virtuels et d’effets hallucinatoires. Dans la galerie, sur les murs largement couverts par les toiles toutes très grandes, chaque œuvre remplit le regard en donnant l’impression d’être emportée par des renversements visuels ironiques, et en même temps nous déposséder de nous mêmes et nous séduire avec des illusions stylistiques.

          Le fabriqué tient ce travail scénaristique comme le théâtre enjoint le spectateur de croire à tous les artifices de son spectacle. Et là, pour le coup, tant par leur format immersif que leurs univers exubérants et fantaisistes, les images quelque peu surjouées et surpeintes par Rosson Crow évoluent en flottant dans un festival d’interprétations optiques, plastiques et illustratives exagérément stylisées pour, en premier, plaire.

 

Jim Dine chez Templon rue Beaubourg    

      Deux séries de peintures, l’une autour de l’autoportrait, l’autre autour des outils et de l’univers du travail et corrélativement l’atelier.     

           Annoncée sous le titre « A day longer » l’exposition se déploie dès l’entrée de la galerie à partir d’un autoportrait à la fois dessiné/esquissé et sculpté/« rétablisé » dans un cadre entremêlé avec une boîte/coffrage ; l’ensemble a des allures d’ex voto à soi-même.    

         Une réflexion appuyée de l’artiste sur son travail, par ailleurs rappelée par la galerie, éclaire l’esthétique des deux séries d’œuvres : « Quand vous peignez tous les jours, tout au long de l’année, alors le sujet est essentiellement celui du travail ». Le lien est affirmé que le « Sujet » au travail peut s’apparenter au travail du « Sujet par lui-même » ou « depuis Lui-Même». Que ce soit par les dimensions des œuvres, ou à partir de l’art que conçoit Jim Dine et que la galerie promeut en écho, la place subjective et arbitraire du peintre passe par son auto-référenciation d’auteur. Sur les murs, aussi bien physiquement que fictivement, le Sujet, artiste total aux prises avec son travail exprimé, se montre simultanément comme il est et comme il travaille en totalité.    

        Les œuvres rassemblées dans la première partie de la galerie paraissent avoir été inventées par Jim Dine pour témoigner de son imagination ponctuelle. Comme un rappel d’une précédente exposition, les outils de travail directs et indirects, évidents ou métaphoriques que sont des marteaux et des pinceaux, des scies et des tournevis, la taille d’un support ou son orientation et son allure, des couleurs (palette, vivacité et intensité,  spécificité, étendue d’un spectre…) ou les matières (minérales, liquides, stables ou instables), les effets visuels et les effets de lumière, la description littérale des formes et celle, suggestive, de leur perspective d’image dans la composition, tout cela module l’action, draine l’expression artistique et, d’un mot, martèle le besoin d’expérience dans l’action. Tout instaure ou renvoie aussi au travail et à la plasticité en gestes de la recherche esthétique. Et on peut dire qu’en l’espèce, Jim Dine y va de toutes ses énergies disponibles. Ça pullule, se disperse, s’épand ou émerge : pas un endroit du tableau ne semble visuellement désinvesti. En l’espèce encore et sous toutes ses formes, le « Sujet » est partout dans chaque œuvre, essentiel et efficient, prêt à « alchimiquer » toutes les relations plastiques qu’il entend constituer dans chaque œuvre.     

          Si Jim Dine a été historiquement un des acteurs essentiels du Happening dans les années 50, puis du Pop Art en 1960, par ailleurs il ne répudie manifestement rien des audaces de l’expressionnisme abstrait et spatial des mêmes moments aux USA, à commencer par l’emploi de la technique « all over », ou l’idée qu’une œuvre occupe sans contradiction son autonomie et son extension spatiale. On remarque en ce sens que son intervention déborde partout les supports et qu’à défaut de maintenir apparemment son programme pictural dans les limites du plan supposé les contenir, l’artiste entraîne chaque œuvre dans une focalisation spectaculaire sur ses constituants éparpillés. On note aussi qu’en guise de preuve de liberté ou selon son seul plaisir, il peut, dans sa peinture, user d’une figure ironiquement centrée ou d’une zone médiane de couleur vive ; il peut mobiliser une orientation horizontale ou un découpage du tableau en séquences supposées. Par ses dispersions arbitraires, par sa pratique et, comme par ironie avec l’élargissement sensible des limites de chaque tableau dans des échanges et des confrontations entre phénomènes de composition et d’effets réputés expressifs, Jim Dine entraîne son travail dans un jeu d’approches et de réalisations désordonnées et intuitives. En résumé, une pure jouissance de Sujet à l’œuvre.    

       Dans la seconde partie de la galerie est réuni un ensemble de quinze autoportraits en couleur librement badigeonnés/tâchés sur toute leur surface. Chacun peut être vu comme une palette dont la forme serait un visage. Chaque fois reproduite à l’identique, la silhouette seulement esquissée de la tête du peintre utilisée comme un patern devient le paradigme d’un pseudo modèle de coloriage. Comme dans l’autoportrait à l’entrée de la galerie, les yeux comme la bouche sont chaque fois esquissés et peuvent donner le sentiment que l’artiste a cherché à compléter « son sujet » dans un geste de griffonnage synthétique. Sans les confondre, on songe aux séries de Monet ou de Warhol ; Jim Dine aurait voulu suggérer qu’on peut retourner sa peinture à son créateur : mon travail est comme tu ne me vois pas, si je suis à la fois le face à face que tu devines, j’émerge en plus sans contradiction des emportements du travail à faire. Je suis ainsi autant ce sujet fait de taches colorées où tu peux me reconnaitre que ces peintures sans borne aux allures d’émanations. 

 

Olympe Racana-Weiler chez Eric Dupont

        « Pas de narration, pas de figuration, seulement de la matière qui s’étale et occupe tout l’espace que l’artiste lui accorde » indique un texte de présentation. Les tableaux se déploient en peintures abstraites avec des ambiances plus ou moins végétales ou aquatiques. Ils sont exécutés au couteau à peindre, des gestes répétés de formes et de relief sont improvisés au gré des motifs apparents ou suggérés. C’est grand et, pour cela, ça accroche le regard, ça séduit grâce à une profusion visuelle aux accents faciles. Après quelques instants, aucun effet ne reste, rien ne perdure, tout se délite et retombe dans l’inconsistance, l’improvisé devient fabriqué et superficiel. Chaque œuvre se décompose dans des impressions de création seulement technique, sans concept ni souffle plastique.

 

Frédérique Loutz, galerie Papillon    

       L’exposition est titrée « Flip a coin » (Lancer une pièce). La dextérité et la liberté technique des œuvres peintes, dessinées ou réalisées en lithographie sont présentées comme magiques. De leur côté, les sculptures passent pour étonnantes.    

      Les usages de multiples techniques indiquent effectivement une agilité graphique, leur manière d’être à la fois spontanément mobilisées et accumulées dans un certain désordre assumé fait penser à des expérimentations. On s’efforce en conséquence de valoriser des choix de compositions difficiles, on considère avec attention des interprétations souvent plus techniques qu’expressives ou sémantiques/plastiques de motifs d’origine figurative, on estime têtue, volontaire et opiniâtre une esthétique apparemment scolaire… Sauf que, quand c’est pauvrement « mal peint », que ni la technique ni les effets plastiques ne font rire dans une complicité entendue, que quand rien n’étonne sur le fond ou sur la forme au point qu’aucune  éventuelle parodie esthétique où très peu d’« empreinte » ne vole au secours, le bricolage artistique « ça ne sidère pas ! » 

 

Chez Templon  rue du Grenier Saint Lazare, Gregory Crewson    

         De la photographie sur fond de peinture/cinéma. La plupart des œuvres s’appuie sur le paradigme d’un sous projet esthétique : dans l’abandon d’un paysage/environnement fictif aux allures de monde déchu, des personnages aussi immobiles que muets, dévêtus et paraissant désœuvrés semblent ne rien faire ou attendre. Les œuvres sont très fabriquées et amplement retouchées, des effets de montage et de « photoshopage » pointent distinctement le travail de montage de l’artiste et brouillent le mystère des images. Tout en songeant à des scénarisations picturales d’Hopper, des séquences filmiques de « Zabriski Point » ou « Paris Texas » on a en même temps du mal à oublier l’habileté et la culture artistique plastique-pictoriale de Jeff Wall ou de Jean Marc Bustamante (série Tableau 1978/82). C’est somptueusement imprimé aux encres pigmentaires, c’est parfaitement encadré, à la fois très pro. et en même temps surjoué dans un style « photo-art contemporain acquis ». Point, et bof !

 

« Premier choix ! Deuxième choix ! Troisième choix » par Claude Closky chez Laurent Godin    

         Des dizaines de dessins en noir et blanc imaginés à partir d’un/de geste(s) apparemment détaché(s) et anodin(s) littéralement griffonné(s), « anartistique(s) » dirait Derrida, ont été retravaillés sur ordinateur puis imprimés sur des feuilles de couleur au format A3. Leur production est répartie/dispersée sur trois gigantesques tables-étals dont la forme serpente dans la galerie comme des rivières cheminent dans un paysage. Claude Closky propose d’acquérir chaque dessin selon un montant conforme à un classement : Premier choix = 100€, deuxième = 200€ etc.  Le visiteur, collectionneur ou amateur d’art est invité à acquérir des images faites d’un, deux ou trois dessins purement graphiques tous dessinés comme des griffonnages. Sur chaque table, la cocasserie du dispositif mis en place épaissit l’effort de sélection requis par les acheteurs potentiels à l’aide de séries virtuelles de certains des dessins reliés entre eux comme une pseudo famille. L’installation, toute en sous-entendus philosophiques sur l’art et l’argent, instille un retour sur des pratiques conceptuelles et brille d’une ironie disséquante sur le système ou les valeurs reconnues de l’art marchandise. Dans la galerie, à travers sa théâtralité et son organisation en happening, toutes choses par ailleurs égales en la circonstance, l’ensemble de la présentation est esthétiquement beau à regarder et d’une humeur espiègle. L’ironie de Claude Closky n’en rappelle pas moins d’autres actions/manifestations d’Yves Klein ou de Hans Haacke, par exemple, dont le sarcasme a pu chercher à démonter les liens de l’art avec l’idée d’un placement financier. On fait subjectivement le choix d’une œuvre sans distinction particulière, faite d’un, deux ou trois griffonnages, on s’imagine détenteur d’une pièce unique revendiquée et reconnue par un auteur. Le but est atteint, la table se vide, le producteur a écoulé sa production, les intérêts sont partagés. L’artiste s’en gausse.

 

Pierre Mabille chez Galerie Fournier    

        Il fallait s’y attendre. Depuis des années que Pierre Mabille utilise pour son art pictural une apparence abstraite allongée en forme d’amande, il devenait évident qu’il continuerait son commerce en la démultipliant par analogies à toutes les occasions. Il l’interprète comme un modèle fragile, sensible aux images passées ou immédiates ou comme tout peintre cultivé et amoureux de son travail, comme un sujet propre à des dérives subjectives, voire des rencontres et des rimes éventuellement incongrues, voire un patern et une empreinte propres à satisfaire sa curiosité dans le travail. Cette fois, les clins d’œil en direction des peintres qu’il apprécie intimement se multiplient en échos subtils, en rendez-vous formels et imaginaires, en échanges-minutes, en points de vue personnels, en citation explicite d’une œuvre forte dans son panthéon artistique.     

         L’exposition intitulée «Variété » rassemble une série de dessins, des peintures et des livres de poèmes illustrés.     Sur le mur, les dessins réalisés au lavis déclinent des scénettes et des paysages habités semblant provenir d’albums anciens illustrés. De véritables micro-encyclopédies sur des rencontres et des considérations sur l’art et sa vie créative sont mises en situation et en images. Le jeu consiste à débusquer les amandes quelle qu’en soit la forme proche ou décalée et en même temps y reconnaître de multiples allusions à des artistes réputés et à l’histoire de l’art. Le style est espiègle et tendre, le ton est mâtiné d’enfance. Les citations apparaissent inattendues et questionnantes, la culture et l’humour du peintre lui permettent chaque fois de s’appuyer sur une opportunité spectaculaire de chaque référent.    

         Ailleurs dans la galerie, un vaste polyptique fait de douze tableaux de taille et d’orientation différentes décline le même plaisir de peindre en surprenant le regard. Les images d’amandes sont toujours là, mises en scène et en images selon des modalités de proximité et de clins d’œil ou d’hommage à des peintres aimés. Les peintures emplissent et en même temps débordent leurs supports, les amandes se chevauchent, s’entremêlent, s’agencent entre elles ou se distinguent par morceau et transparence. Jadis peintes par aplat, mises en scène dans des constructions architecturées ou impressionnistes, elles s’apparentent, cette fois à des mondes visuels imaginaires dans des atmosphères oniriques. L’artiste excelle dans les nuances chromatiques en initiant des effets de miroir et de réverbérations entre les formes et leur présence sensible. Les contours sont parfois irréguliers, ils manquent parfois de visibilité, tout est comme effacé, flou ou estompé, souvent provisoire et avec une fraîcheur d’esquisse. Pas d’anecdote, uniquement des faits créatifs de peintre. Il est encore possible de seulement peindre, d’engager et de faire parler la couleur seule, instaurer et faire rimer des sensations colorées dans des contextes à la fois poïétiques et poétiques. A travers sa pratique discrètement instaurative, Pierre Mabille articule des concepts esthétiques malins sur la nature et l’avancement rigoureux d’un travail de plasticien.    

         Les livres montrent une activité créatrice intense et continue. Affirmées depuis des années, les attaches du peintre avec l’écriture poétique et l’édition d’art affleurent dans des productions d’auteur complexes. Chaque livre accompagne l’exposition dans un ensemble choral où le talent littéraire de son auteur croise ses multiples sources d’inspirations plastiques. L’amande resurgit, s’emmêle de mots amusés, de trouvailles littéraires et d’illustrations. Dans « son atelier partout », l’artiste déambule, écoute et s’arrête, attend et repart, voyage, lit et finit par surprendre en peignant et en marchant à la fois.