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Les protocoles fugitifs d’André Guenoun chez Atelier Vincent

19/12/2021

André Guénoun réalise ses peintures selon un protocole précis. Plusieurs étapes de diverses temporalités sont requises. Tout d’abord…

     André Guénoun réalise ses peintures selon un protocole précis. Plusieurs étapes de diverses temporalités sont requises. Tout d’abord, les supports sont des feuilles blanches de qualité, il y tient ! Ensuite, les moyens mis en œuvre : ils se limitent à de l’encre colorée, en l’occurrence les couleurs primaires et secondaires de base, soit six encres des six teintes fondamentales. Puis vient l’esquisse au crayon d’un schéma de travail qui sera « désastrer » (l’expression est de lui…) en déversant dessus ses encres primaires, lesquelles en se rencontrant, en se mélangeant et se mêlant ne pourront que s’amalgamer et se panacher en colorations et aperçus « accidentels ». Excepté quelques opérations de « guidage » qu’André Guénoun reconnaît « forcer » au pinceau, rien n’arrête à priori l‘écoulement des liquides…Des formes se créent en même temps qu’elles apparaissent, des teintes s’imaginent en même temps qu’elles fusionnent…L’analogie est partout et nulle part, on devine et on se convainc de motifs évanescents ou suggestifs, on survole des lieux et des cartes vues du ciel ou simplement des cieux, on arpente en rêve des mondes peut-être souterrains, on devine des aires terrestres et des étangs, on confond des macrocosmes avec des microcosmes : la moindre aventure visuelle « surgit dans une entrevision »*. Les œuvres ne sont pas titrées.    

       Un montage arbitraire vs la signature d’un nouveau dispositif créatif succède aux gestes imaginaires précédents. Sur les murs, les encres rassemblées et agencées côte à côte s’ordonnent en mosaïques, carrelages, damiers ou pavages multicolores. Les feuilles agencées prennent plus d’importance que les coulures d’encres dont elles sont couvertes. On comprend à rebours des premières œuvres que le premier protocole s’apparente à un leurre durant lequel André Guenoun a conçu son travail comme un réservoir d’expression personnelle. Le fait de faire jouer visuellement l’image des côtoiements lui importe parce qu’ils engagent un questionnement esthétique sur les contenus de chaque feuille. Il s’avère ainsi que la relative innocence créative à l’origine des premières encres a été préemptée par un ouvrage artistique conceptuel sur son architecture plastique formelle et expressive. En même temps, les nouvelles configurations instillent de la part de l’artiste un mouvement volontairement lacunaire sur leurs sources : certaines œuvres exposées suggèrent des marelles…    

      André Guenoun entremêle encore son protocole visuel avec un univers coloré polyphonique comme s’il pouvait s’agir de suites musicales ou comme on veut suggèrer des changements de rôle entre le support et l’image qui y est engagée. Nulle continuité forcée d’une feuille à l’autre, juste des rencontres ou des fusions fortuites.  Guenoun est un plasticien qui acte ses enjeux créatifs en pensant leur improvisation.    

       Les encres s’assemblent dans l’emmêlement de leurs motifs évanescents ou suggestifs. Ne parlons plus d’images mais d’aspect, d’atmosphère, peut-être d’une mystique de l’apparition et des lumières inspirantes. L’automatisme qui y fuse fait lui-même œuvre d’une inconsistance d’ironie confrontée à la créativité à priori sans limite des gestes premiers. Comme « avant », les bords des feuilles semblent provisoires, souvent ils apparaissent par immixtion en « limitant » les motifs naturellement inventés par les mouvements fluides des encres colorées en train de se rependre. Partout ça hésite ou ça se fond en s’immatérialisant, partout aussi ça pense en produisant et en figurant de l’inconnaissable « avant ». A d’autres occasions, après l’avoir envahi, un visuel aux formes débridées franchit la surface d’un format et entraine les regards vers le mur ou dans l’environnement conséquemment élevé au grade d’un support. Et c’est dans un même geste tout le lieu et l’occasion de faire de la peinture un temps d’onirisme, et pour l’artiste de rendre ses dispersions à l’état gazeux d’une expression capable de tout emporter avec son processus. On songe autant à quelque théorie du groupe Support-Surfaces sur la continuité ou l’unité du champ pictural qu’à la question aporétique du temps, de l’espace et des lumières de l’œuvre pour le sujet artiste.    

       Les dessins d’André Guenoun sont échafaudés dans les mêmes conditions imaginaires. L’abstraction domine dans un premier temps, elle est fluide sur l’inconstance des silhouettes comme sur celle des enjeux thématiques. Le geste, tantôt purement linéaire et tantôt juste interprété comme trace ponctuelle apparaît à la fois minimaliste et prospecteur, à la fois fugitif vis à vis des figures isolées et rassurant sur les puissances subjectives des images embrouillées. Que les traits soient répétitifs ou mêlés, qu’il y ait des zones ou qu’on entrevoit des silhouettes, que la surface du subjectile soit entièrement ou partiellement prise, André Guenoun laisse le figural advenir contradictoirement avec l’insaisissabilité de son dessin comme avec la fluidité de sa peinture, mais toujours dans le cadre d’un protocole… Comme une oxymore donc ?     

      Les aléas techniques et pratiques servent in fine de moteur, sa peinture avance en questionnent les limites virtuelles du moment de l’œuvre. Fortes des ouvertures créatives de leur protocole, les apparences infinies des motifs et des nuances chromatiques provoquées par André Guenoun surgissent, se déploient ou se dispersent sans volonté extérieure à celle de leur inventeur. L’intermédiarité de formations qui émergent, diverses façons d’échafauder ou de dissoudre des liens entre les divers éléments du travail, ses traversées d’images abstraites ou évocatrices forgent sa manière d’étendre à l’infini ses croyances à ses mondes référents. Chaque protocole dont il use active un travail métaphysique sur l’expression d’un temps continu simultané à celui d’instants indéfinissables.

 

* L’expression est du peintre André Masson.