ZeMonBlog

Diverses galeries, divers arts, diverses expositions, diverses expressions plastiques…

17/04/2022

D’une exposition à l’autre, diversement…

Ivan Messac, Pop Politique galerie T@L vs Galerie Patricia Dorfmann

      Petite rétrospective de la production d’un artiste âgé de 20 ans, engagé à gauche en 68, bouillonnant de créativité et de vie. On revoit en partie les peintures de l’époque de Fromanger,  Rancillac, l’importance du courant de la Figuration Narrative : la reconnaissance et l’égalité des droits de chacun et de tous, les revendications internationalistes et libertaires, l’enthousiasme de la participation à l’histoire au présent… L’art et la société ont rarement fait aussi bon ménage pour évoquer le mode d’insertion politique des artistes dans la société. Comme bien d’autres dont la sincérité ne saurait être mise en cause, Ivan Messac ne manquait pas de générosité sur ses choix et son humanisme, quitte à risquer parfois aussi l’aveuglement historique. Cinquante ans de distance n’ont pas entamés la joie visible et dynamique de cette peinture.    

     Le style hyper graphique tout en silhouette et « pochoir » des personnages peints, la manière habile de jouer sur les rapports entre fond et forme, les couleurs vives passées en aplat, une littéralité des sujets à fleur de tableau fonctionnent à merveille avec une esthétique « poster » assumée. Bien que datés, le style et les œuvres parlent d’images modernes, d’engagement moderne et de générosité que Sheppard Fairay ne rejetterait pas. Un bonheur d’implication artistique encore jeune.

 

Yousef Nabil galerie Obadia Beaubourg    

    Des montages photographiques sur le thème de l’autoportrait, impressionnants d’absence d’originalité technique, de banalité plastique et d’esthétique laborieuse. D’abord attiré par une forme de pictorialisme photographique sous-jacente des images, on ressent vite un malaise devant la minceur artistique des « œuvres ».

 

Gloria Friedman chez Ceysson et Bénétière    

       L’exposition groupe des sculptures et des dessins sur le thème du vivant « avant l’après » (dixit l’artiste). Dans l’expo, « l’humain est présent sous des formes fantasmées… je pense que si nous acceptons d’être un animal comme les autres, on voit les choses autrement » (ibid l’artiste). Sauf à accorder aux formes et à l’expression une valeur de naïveté inédite, on peut aussi remarquer qu’esthétiquement, l’ensemble n’est pas seulement d’un inintérêt technique et plastique olympique, il est moche aussi.

 

Michael Ray-Charles chez Templon rue du Grenier Saint-Lazare    

    D’imposantes peintures figuratives réalisées comme une mosaïque de sources multiples, de palimpsestes de styles inspirés par le spectacle de music hall ou des compositions théâtralisées de personnages et d’objets dans une trajectoire qui évoque la production photographique de Man ray. Un autre intérêt des tableaux tient à leurs thèmes sur la question afro-américaine dans l’histoire de la culture populaire américaine. Habilement traversée par cette histoire tragique mais aussi formidablement réactive, chaque œuvre décline avec ironie et goguenardise les combats et discriminations de l’identité noire dans une esthétique de lumière et d’ombre de cabaret. Reste le travail parallèle de la peinture et l’inspiration des images interprétées en noir et blanc dans un esprit allusivement photographique. Autant l’engagement ironique et culturel des compositions retient l’attention, autant, pour l’expérience plastique, le manque de distance artistique et la faible épaisseur technique et imaginative de Michael Ray-Charles apparaissent insignifiants. La matière proprement visuelle des peintures, et sous cette réserve, le contenu des tableaux, est à ce point inintéressante qu’on se dit qu’une réflexion appropriée sur le photographique et un rendu techniquement à la hauteur auraient mieux démontré des perspectives de créations iconiques à la fois documentées artistiquement, disruptives sur la forme et critiques sur l’imagerie.

        L’exposition présente aussi des sculptures de l’artiste. A oublier !

 

Charlotte Salvaneix chez Mariska Hammoudi    

     La somptuosité des coloris, le travail ajusté du dessin et l’expression des matières frappent d’emblée le regard. Puis il y a le double thème : « Penelope Lying » (le mensonge de Pénélope) teinté d’épopée et de développement allégorique avec la traduction « Femmes à leur ouvrage ». Les clins d’œil à des œuvres et des artistes sont constants, depuis les maîtres flamands du XVe siècle jusqu'à quelque peintre symboliste du XIXe, faisant revivre des œuvres inoubliables ou des styles d’images et d’atmosphères.    

    Tout à son travail, Charlotte Salvaneix mobilise parallèlement dans ses compositions des techniques d’arts appliqués à la fabrication des fonds marbrés (en général dans le domaine de la reliure d’art). Ce travail à l’origine purement décoratif intervient dans les tableaux en sériant l’ordre de plans imaginaires ou en creusant le sens de transparences librement combinées et façonnées pour faire une surface sensible du premier plan du subjectile. Partant, les cadrages s’ouvrent ou se resserrent au contact de la figure peinte, le tableau se met à parler de vie intérieure. Chaque couturière ainsi installée dans un espace sans profondeur est présente dans sa première humanité. Sa silhouette en partie détachée de la surface de la toile survole l’image comme la peinture conservait son objet d’icône religieuse. Ainsi promue, chaque « Pénélope » redouble son référent en transparences avec la figure antique de la fidélité pénélopienne d’une part, et d’autre part à une image de modeste travailleuse attachée à son ouvrage d’autre part.    

       L‘art de Charlotte Salvaneix vaguement désuet et décalé avec son époque assume ses songes de splendeur artisanale. Affairée à honorer la somptuosité du médium pictural dans ses perspectives à la fois métaphysiques et évocatrices, l’artiste veut-elle restaurer le métier de peintre pour régénérer une vision nostalgique du tableau de genre ?

 

Charles Ray au Centre Pompidou    

       Il est dit en préambule que l’artiste « procède à l’origine de cette question : Qu’est ce qu’une sculpture ? ». On ne s’étendra pas sur la banalité de cette interrogation déjà labourée en profondeur par le gratin des sculpteurs innovants dès le milieu du XIXs (Rodin, Daumier, Degas…) « Qu’est ce que sculpter ? » est plus intéressant, plus fin et plus créatif. Dans cette perspective, Charles Ray reproduit ou initie laborieusement ou seulement en apparence des réponses connues dont notamment le Ready Made… Constamment poreuse avec l’art conceptuel, sa pratique à la fois faite d’allusion et d’escamotages esthétiques ou historiques achève parfois sa plasticité par un discours auto-justificatif aussi envahissant qu’inutile ou superflu (« ce que je partage avec vous, c’est une réalité physique qui intègre un processus mental… »).

      Dans cette exposition manifestement cornaquée et « sponsorisée » par Pinault-Collection, de rares mais vraies créations arrivent toutefois à marquer l’esprit par l’ironie interprétative, comme ses photographies/œuvres d’artiste performer en tant que sculpture vivante ou à travers « How a table Works » et « Yes » (1990).

 

Sylvain Roche à la galerie du Haut Pavé    

      Sylvain Roche peint des tableaux d’oiseaux (mésanges, chardonnerets, moineaux…) presque aussi grands qu’eux. Avec leur pâte colorée appliquée en épaisseur, sans mélange, et leur style plus modelé et sculpté que peint en nuances, ses œuvres donnent le sentiment que l’artiste a voulu concentrer son art de peindre plutôt que de réaliser des images. De sorte que le premier sujet de ses micros mondes n’est pas l’oiseau représenté mais une conception esthétique de la peinture qu’il veut personnelle, ou toutes choses égales, une manière subjective de la sublimer.    

      On songe à la peinture quasi pariétale d’Eugène Leroy, sa définition autonome de l’art : son bonheur d’en développer la substance jusqu’à une essence quasi métaphysique. Chacun des tableaux de Sylvain Roche triture, enfouit et fait surgir ce que peindre ordonne de faire et être en même temps. On pense aux manières à l’emporte pièce de Van Gogh mais aussi aux débordements oniriques de Bernard Réquichot. Les oiseaux ne sont pas là, ils sont dans la peinture : dans sa matière en relief, dans ses teintes et leurs mélanges accidentels ou provoqués, dans les touches et les gestes du peintre employé à travailler en même temps sa pensée et ses émotions. Sylvain Roche y parvient en exposant non seulement son désir d’attirer l’attention sur leurs symboles visuels, mais aussi, et probablement surtout, pointer son plaisir d’artiste à l’œuvre. Les oiseaux font signe, ils sont le premier indice d’un bonheur ineffable pour le peintre.    

       L’art de Sylvain Roche est en conséquence infiniment coloré, indescriptiblement vif, démesu-rément physique et d’une poésie follement stylisée. Je le redis : les oiseaux sont là, ils sont là où là peinture devient leur environnement, là où par ses gestes, le peintre les a fusionnés avec des effets de présences informels. La peinture est là, dans l’espérance d’une matière simultanément terrienne et pétrie d’épiphanie. Elle est là où, préférant croire et assumer avec force une beauté première, le peintre se montre indifférent aux conventions formelles.

         Ce dont ces tableaux parlent, ce par quoi cette pratique s’avère puissamment réfléchie, est ce qui en elle concentre et brille d’immanence sensorielle? : « Voyez ce que je figure, ce qui m’intéresse et me mobilise ! Voyez comment je (le) peins et comment je compte bien vous le montrer, voyez comment je songe à ma peinture. ». C’est peu dire que la somptuosité des tableaux de Sylvain Roche est inversement proportionnelle à leurs minuscules surfaces. 

 

Rafour Essafi galerie Fabrique Contemporaine    

     Qu’elles soient anciennes ou oubliées, Rafour Essafi collectionne les images photographiques anonymes et on devine qu’il en possède des albums et des boîtes. Il se préoccupe de leurs fonctions mémorielles en interrogeant ce que vaut le photographique à travers la banalité populaire de leur format 10x15, leur catégorie tantôt noir et blanc ou en couleur, qu’elles montrent un sujet unique ou multiple… Il apprécie interpeller leur composition voulue ou non, focaliser le regard sur sa forme ou inciter à remarquer une scénarisation, scruter des effets visuels accidentels ou captés. Son observation des silhouettes est imparable, il les isole ou repense leurs environnements, il les redessine ou les floute : rien de ce qui les concerne comme thème ou comme rôle ne lui échappe. Souvent discrète et d’apparence restreinte1 son action d’artiste joue l’intrusion visuelle, le retournement autant que le déplacement, ou simplement l’envie d’en découdre avec le mécanisme de leur aura2 sinon jouer avec la subjectivité de son enregistrement.    

     De ces décomptes et de cet écrémage3, Rafour Essafi tire prétexte à transgresser autant les évidences plastiques ou littérales que les exacerber ou les détourner. Parfois, pris dans un vertige créatif et désirant se jouer des perspectives illusionnistes du médium, il invente des manières de déborder et superposer les flux mémoriels avec des rêves de voyages pouvant évoquer l’onirisme esthétique d’Odilon Redon ou plus symboliquement des décrochements cinématiques de Duane Michals. In fine, restent autant les jeux que les enjeux documentaires de sources avec lesquelles l’artiste entend s’amuser, « délirer » ou se laisser fasciner esthétiquement pour inverser et se réapproprier fictivement leur origine avec une âme d’enfant. Dans la galerie magiquement transformée en bibliothèque visuelle, les œuvres, aussi nombreuses que variées soufflent des passés imprévisiblement et subtilement revivifiés.

1–Jean-François Chevrier, L’action restreinte, catalogue, Musée des Beaux arts de Nantes, 2005. 2–Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. 3–Roland Barthe, Rhétorique de l‘image, 1964