ZeMonBlog
24/04/2022
D’un regard, l’autre… !
Haim Steinbach chez Laurent Godin
« Who’s there ? » L’exposition se compose pour l’essentiel de citations et d’inscriptions en anglo-américain inscrites en noir et blanc sur les murs. Les typographies sont chaque fois de taille et de styles différents, l’œil des lettres est net, sans aucun effet de matière, et parfaitement contrasté sur leur fond blanc. Détail d’importance, chaque texte est « « placé » à une hauteur et à un endroit particulier sur son support.
Dans une autre partie de la galerie, des étagères exagérément détachées du mur contre lequel elles sont posées regroupent des objets divers reliés entre eux par des connivences d’origines, d’aspects visuels et stylistiques ou d’apparents calembours. Là encore, un détail attire l’attention : on remarque que chaque étagère semble drainer avec elle un passé significatif de sculpture peinte et de bas relief narratif.
Le travail de Steinbach est conceptuel sur la forme comme sur le fond. Fortement imprégné de cultures littéraire, populaire et plastique, il faut y accorder une attention à la fois pragmatique et abstraite pour être sensible à sa manière de jouer sur les perspectives du référent. C’est heureusement aussi un travail de scénarisation habile et d’installation teintée d’humour à compter desquels l’artiste redescendant sur terre en profite pour naviguer entre évidences et décalages, suggestions et « entendements narquois ». Ses façons d’articuler les vues générales et les détails saillants dans ses œuvres sont subtils.
Reste la forme d’opacité et d’adhésion à un art et un système tous deux plastiquement et dont l’origine Duchampienne marque le pas sur la recherche en composition du renouvellement scénaristique et esthétique. S’il permet quelques discernements en fournissant à la fois un mode d’appréciation de la démarche et de la « beauté » des œuvres de Steinbach, le texte qui accompagne l’exposition arrive difficilement à dépasser l’explication scolaire sur les richesses de base du matériel typographique. Partant, le travail ambitieusement poétique sur les citations égale laborieusement l’exercice d’art appliqué.
Christian Babou chez Galerie T&L vs Galerie Patricia Dorfmann
Après une mini rétrospective consacrée à la peinture d’Yvan Messac, la galerie a choisi cette fois de rendre un hommage à l’œuvre de Christian Babou. Les angles principaux de recherches de l’artiste sont symboliquement représentés par des œuvres précises. Sans remettre en cause la finesse des vues de Gérald Gassiot-Talabot sur certains questionnements esthétiques majeurs du peintre, force est de constater que le style apparaît aujourd’hui davantage comme une méthode et un système plutôt qu’une mise en perspective du travail d’instauration de l’œuvre en train. A la faveur du recul historique, je note que Babou a constamment cherché à jouer avec un style « simplifié » de rendu pictural plutôt que travailler à une recherche synthétique d’expression. Sa façon d’engager à la fois une vue d’architecture partielle et son image rapprochée au moyen d’un détail exclusif a favorisé des apparences peintes à partir de focales devenues imaginaires.
Claire Trotignon, expo. éphémère 24 rue Beaubourg
Le paysage, son image générale et ses spectacles, mais aussi ses vues partielles ou sa revue émiettée par les mouvements du regard, ou plus encore, ses sites topologiques… Claire Trotignon prétexte l’idée du paysage pour inventer un dessin descriptif ou fictif : elle tente alors des installations suggestives à travers des reconstructions teintées d’histoire. Ses procédés illustratifs stimulent des montages sculpturaux autant que purement visuels : sur un mur, des armatures couleur cuivre s’organisent en haut-relief autour des lignes d’un paysage supposé montagneux et servent de support à un papier bleu faisant office de ciel. Des bris de plâtre apparemment prélevés de « ruines » et partiellement teintés de bleu outremer supposent d’autres contrées sous un ciel de midi… Selon les projets, sa palette d’expressions traverse l’idée d’un dessin sobrement exécuté sur feuille. Claire Trotignon présume de multiples façons de passer du plan unique à la mise en espace. Ses œuvres naviguent entre les paraphrases visuelles et les périphrases plasticiennes dans des productions toujours efficaces esthétiquement.
Sophie Kitching chez Isabelle Gounod
L’expo présente une nouvelle série de peintures sur toiles sur le thème des feuillages et des plantes, intitulée « The English garden ». Les œuvres s’inspirent de la variété, la densité et la diversité formelle des végétaux. L’artiste puise aussi dans l’impression qu’en même temps tout s’ordonne et s’éparpille en massifs ou en tapis. La forme est celle de la pochade, du geste spontané autant inspiré de l’ébauche vivement colorée que du croquis peint expressif. Des propositions de sculptures sur le même thème sont également exposées.
L’hypothèse plastique éveillée par les supports en polycarbonate à la fois translucide, partiellement immatériel ou évanescent de la première exposition semble s’être délitée pour un retour acritique vers une conception conventionnelle de la toile opaque. De sorte que la proposition créée par l’immatérialité créative initiale et évanescente du subjectile s’est évaporée pour un retour au plan opaque du tableau conventionnel. En imaginant son « nouvel » espace de travail visuel comparable à celui d’un espace esthétiquement flottant et un champ aussi ouvert et sans limite, Sophie Kitching présume son geste aussi prodigue à produire des réalités imaginatives. Reste que peintes avec les mêmes gestes que ceux de la pochade, ses nouvelles œuvres ne sauraient s’apparenter ou équivaloir à la même suggestivité. Les efforts de conception instauratrice que proposent la frontalité du plan opaque et le plan translucide et « évanescent » ne se valent pas et, quand bien même tout doit rester interrogeable pour que la recherche esthétique ne soit jamais abandonnée, le manque de rebond de sa technique et ses œuvres exposées instillent une impression de perte créative.
Céline Cleron chez galerie Papillon
Sculptrice ou créatrice d’installations plastiques ou de pièces environnementales, les questions que Céline Cléron pose à l’œuvre en volume entremêlent avec talent des réponses aussi malignes qu’impactante et humoristiques. Ses rapports au plan quelle que soit son apparence murale, du sol ou de celle d’un socle, sa conception du vide et du plein qu’il soient réel ou transmis par de la transparence ou une masse opaque, en somme ses affinités avec l’objet et sa matérialité et sa place sont intéressants et efficaces. Reste pour l’ensemble une aura de déjà vu, et même une impression de déjà imaginé, et faits quelque peu troublants (dont le mérite pourrait revenir au Catalogue des objets introuvables (Jacques Carelman). Dans la galerie, les œuvres, toutes impeccablement réalisées, sont plus réjouissantes que surprenantes.
Aurélie Dubois, rue Française
L’art d’Aurélie Dubois est autobiographique. L’art d’Aurélie Dubois est multiforme dans son expression visuelle. L’art d’Aurélie Dubois n’a d’autre source d’inspiration que son existence personnelle. Elle pratique le dessin, la peinture, le collage et l’assemblage, l’installation et la vidéo, la performance, la sculpture et, bien entendu, l’écriture. Les sujets qui lui importent comme ses thèmes d’expression puisent dans l’auto-portrait, l’érotisme et le genre, la filiation et la mémoire, le spécisme et l’anti-spécisme… Son art « naturellement original » — illustratif et plus souvent littéral que plastique — chemine entre les images narratives et symboliques ou « tressées » de syncrétisme subjectif. Partant, l’artiste autoproclamée «…de Garde » et guidée par Son ressenti veille aux moindres détails à Son interprétation extérieure. De sorte que, sous couvert d’approfondir ou d’élargir l’instauration critique de son travail d’illustration, elle oblige à décrypter l’égotisme foncier de ses productions.
Paul Armand Gette chez Yvon Lambert
L’exposition sert de prétexte à une nouvelle œuvre éditoriale illustrée dont le titre est « Danger ». Comme à son habitude, P. A. Gette l’a conçue autour de courts récits photographiques aussi brefs que des haïkus. Comme toujours encore, P. A. Gette parle d’art et de culture (la sienne est remarquable), de liberté, d’intimité et de rencontres avec la féminité. Il faut évidemment lire le texte guère plus long qu’une note qui les accompagne en miroir dans le livre. Dans l’attente, chaque « micro-film » et chaque image exposée évoquent esthétiquement avec malice son contenu poétique sur les murs. Rien de moins !
Une autre œuvre vidéo intitulée « Paul Armand Gette au pays des merveilles » est proposée en exergue dans la galerie. On y peut voir et entendre P. A. Gette rembobiner le film de son art et parler de ses rencontres en « voyeur autorisé ».* Rien de plus !
Et quelle belle exposition ! Et quelle jolie publication !
* Bernard Marcadé, in Art Press n°99, janvier 1986. ** Editions Yvon Lambert 2022