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Impressions d’arts en trois expositions…

21/02/2023

Des recherches artistiques plus ou moins en mouvement… 

Vincent Hawking : Planets & satellites à l’Ahah        

     Dès l’entrée, de grandes étendues monochromes sur papier plié/déployé attirent l’attention par leur présence à la fois picturale et sculpturale. En étant dépourvue de cadre, chacune déploie sur le mur blanc une silhouette erratique, à la fois un peu molle et en même temps rassurante grâce à une relative géométrie qu’on peut apparenter au dessin d’une architecture et d’un territoire fictifs. On se demande immédiatement en quoi l’environnement du mur y tient un rôle, alors que l’artiste semble en même temps chercher à s’en dispenser, du moins minorer ou éluder son enjeu plastique.    

      On dirait aussi des pièces d’étoffe évasivement détaillées dans des patrons oubliés. Partiellement repliée, rabattue et retournée, chaque composition problématise la superposition de l’avers et de l’envers, fait songer à une sculpture en très bas relief. On se rappelle avoir déjà vu des travaux de ce type chez les aventuriers du groupe Supports-Surfaces dans les années 70 en France ; on réentend leurs discours matérialistes sur l’art et ses conditions de production formelle. Des théories déconstuctivistes accompagnaient et tentaient d’annoncer, formaliser voire convaincre des fondements de nouvelles études techniques, de nouvelles pistes créatives et/ou de nouveaux ressorts imaginatifs. Réminiscences…    

      Sur d'autres murs, d’autres œuvres de dimensions modestes sur châssis et toiles traditionnelles présentent des motifs de peintures autrement abstraites. Un motif non figuratif apparenté à une tache informelle disposée sur un fond innommé et là encore globalement monochrome y tient lieu de sujet artistique. Les traces du geste de l’artiste empoignant son travail sont brutes ou très peu estompées, comme s‘il avait cherché à restituer avant tout l’action du travail en train. On regarde une aura accomplie en même temps que l’image finale paraît virtuelle. Faut-il se suffire de l’esthétique approximative et vaguement allusive de chaque tableau pour mesurer que la pratique de l’artiste repose sur une aporie de ses mouvements d’instaurations, et que si assumé que le peintre semble vouloir être dans l’informel, il « paraît ne rien chercher d’autre que vouloir confirmer une relative absence de motif  »? Chaque tableau fait qu’on s’interroge sur les perspectives d’un regard, celui de l’artiste ou celui du spectateur, (voire ceux des galeristes) : le vertige atteint ceci de salvateur que précisément rien d’autre que ce qui est peint n’est à remarquer : on  se retrouve à nouveau avec des préoccupations factuelles quant au fait de peindre « artistiquement » voire répondre à son aporie. Le peintre compte sur le « donné » à imaginer de tableaux où l’étonnement percute l’abstraction formelle sur le mode de l’« infiguré » vs l’inimaginable : à la lettre.     

      Une troisième série d’œuvres engage de nouvelles recherches à la fois allusives et toujours en partie informelles avec des images apparemment inspirées par la nature. Encore peintes sur toiles dans un esprit à la fois gestuel et matiériste, elles rappellent cette fois des peintures de paysages abstraits composées autour des années 50 par des artistes comme Alfred Manessier, Roger Bissière ou Jean Bazaine ou font songer aux tentatives d’essais critiques de Michel Tapié sur l’art informel. Sans parvenir à trancher entre figure et évocation sensible, composition libre ou suggestive, et bien que les tableaux soient actuels, on ne peut s’empêcher d’y présumer le peintre se souvenant et orchestrant des retours artistiques aussi évocateurs.    

       L’exposition a t-elle pour objet une sorte de rétrospective ? On s’interroge en supposant que les trois accrochages semblent référer autant de cheminements datés de l’artiste. A moins qu’apparemment inquiet des sujets qui l’intéressent, l’artiste veuille initier en trois formules un épicentre conceptuel autour de la question prioritaire du motif plastique au double sens d’une intention et d’une illustration ? Que vaut le choix de l’abstraction dans sa recherche ? La forme des œuvres et leur(s) support(s) peine à faire signe d’un travail d’instauration plastique en mouvement continu ou selon un paradigme créatif en constant approfondissement. Les hésitations autant que les incertitudes sur les références artistiques vs les styles épaississent le trouble : Supports-Surfaces ne suffit pas, les revendications de l’art informel naguère cerné avec agilité par Michel Tapié ou les faveurs d’une reprise de l’abstraction lyrique peinent à convaincre, tout comme une sorte de retour sur le paysage abstrait en France au milieu du siècle dernier manque d’éloquence dans le renouvellement visuel. In fine, le paradoxe comme la controverse des pratiques et des œuvres entre elles ne paraissent pas se nourrir et se densifier en se refondant dialectiquement.     

       Qu’est ce que l’exposition veut alors faire surgir sur ces murs où le peintre floute des recherches et un travail d’incarnation de la plasticité sur la forme visuelle de son travail? Compte-il rapporter poïétiquement l’espace de la galerie à une métonymie de sa table de travail ou aux murs de son atelier? Imagine t-il les fondre dans une relecture esthétique de la feuille ou de la toile blanche et, en se lançant dans un élan d’équilibriste pour nous inviter à apprécier ses œuvres à l’aune de leurs limbes, voir ce qui perdure à évoluer en même temps que le travail d’instauration plastique avance ? Dans l’exposition, on  passe d’une tactique picturale ou d’une période esthétique et d’une œuvre à l’autre sans être piqué de curiosité ou d’envie de s’inquiéter sur des apparences qui, à défaut d’être durablement nourries d’effets et d’intention plastiques ou simplement de stratégie esthétique suffisante, n’en paraissent décidément pas. 

 

Stéphanie Saadé chez Anne Barrault      

      « Un mot sur tant de bouches » est le titre et le fil conducteur de cette exposition dont l’ensemble des œuvres rappelle l’art du Ready Made initié, engagé et conceptualisé plastiquement par Marcel Duchamp, puis repris depuis dans d’innombrables œuvres la plupart du temps sans autre intérêt que « surdimensionner » un égo ou alimenter ponctuellement le marché de l’art. Si parfois des œuvres s’avèrent heureusement associées à une scénarisation et une distance critique, ou certaines impliquent des perspectives créatives disruptives, il arrive, comme pour les propositions ici livrées que l’imagination traîne la patte et que l’intérêt esthétique soit évanescent.

 

Fabrice Hybert chez Fondation Cartier    

      « La peinture doit être un enseignement » proclamait Cézanne. Imaginons Hybert renouvelant l’aura du peintre d’Aix au double sens d’une conception artistique approfondie et pédagogique et d’un style exemplairement incarné. Quelle que soit la manière dont l’exposition performance et installation de la Fondation Cartier se voit, se parcourt ou se retient, le propos de Cézanne semble gager l’opiniâtreté de la recherche d’Hybert à faire entendre que, précisément, son travail et ses œuvres affirment un engagement esthétique d’auteur résolu. Dans chaque œuvre, quelle que soit sa compréhension de « La croissance organique du vivant »*, sa production plastique entrecroise et élargit à peu près tout ce que l’art de concevoir, rendre visuel, suggérer, marquer, tracer, esquisser ou dessiner autorise. En « incorporant tous les domaines de la vie, de la biologie aux neurosciences, en passant par l’histoire, l’astrophysique, mais aussi l’amour, le corps et les mutations du vivant »** (son monde personnel à travers le narratif de son paysage intellectuel et sensible), il conçoit des tableaux d’école imaginaires destinés à être à la fois comparés à des tableaux artistiques et à principes de compositions plastiques diversement graphiques et colorées et pour servir de supports fictivement pédagogiques. Organisée comme un ensemble de salles de classes, l’exposition s’appuie sur la fiction d’un face à face élève/conférencier comme une métaphore où chaque œuvre, assemblant de multiples formes de notations, de descriptions supposées rapides, d’architectures et de comptes rendus métaphoriques, d’analyses et de faux rébus ou de résumés en images, peut librement se confondre comme une synthèse de cours. Prodigieusement habiles et toujours ponctués d’humour et de proximité, le parcours et la visite s’animent comme un voyage intellectuellement jubilatoire et sensible sur l’art.

*Fabrice Hybert. **ibid.  

 

Benoit Géhanne, le temps d’un week end chez Moments Artistiques    

       Benoit Géhanne peint des compositions d’apparences synthétiques ou des assemblages entre silhouettes et abstractions. Lui-même se dit marqué par le Pop Art, spécifiquement certains de ses continuateurs regroupés dans la figuration narrative. L’intitulé « Retenue » des œuvres exposées réunit des tableaux peints sur une surface métallique partiellement réfléchissante (de l’aluminium). Chaque tableau présente un motif complexe ou s’entremêlent, se côtoient ou se superposent diverses parties d’origines photographiques, des reprises en reflets des unes sur les autres ou une ombre portée imaginaire. Chaque fois, il y a, pèle–mêle, une composition purement plastique, des effets simultanés de décomposition ou de dispersion et de combinaisons purement visuelles, une orientation représentative et une interprétation plastique transgressive voire , comme un écho à la Figuration narrative, une réduction formelle abstractisante par rapport au réel. L’ensemble donne une impression de liberté récréative où l’humour des situations visuelles point comme un imprévu.        

     Cette inventivité semble paradoxalement buter sur des détails et des effets d’origines académiques sans utilité expressive : les motifs sont isolés dans le périmètre des tableaux, ils ne se dégagent ou « s’emmêlent » avec leur support que par la réverbération naturelle de l’aluminium, chaque composition détache l’image subliminale d’une exécution formelle plus fidèle qu’incarnée… Bien qu’il justifie sa démarche par une dose de suggestion et d’illusion créative à partir d’intuitions imaginatives, toutes les œuvres affichent une cohérence maîtrisée au double sens de règles et de révisions conformes à leur intitulé. De fait, « Retenue » devient un motif de reconnaissance ambigu de travail.    

        Partant, une impression de mystère aporétique plane sur ces œuvres dont les équilibres doivent, à entendre l’artiste, se tenir à l’écart de procédures disruptives ou hors circuits, vs capables de témoigner arbitrairement et symboliquement d’une déconstruction imaginative. Pour le spectateur, les œuvres sont techniquement bien réalisées, aussi spectaculaires sur leur fond métallique qu’esthétiquement surprenantes. L’aura artistique de leur création les incarne autant que leur apparence affiche une complexité plastique/plasticienne indéniable. Restent les dires transparents des œuvres prises dans leur intitulé générique, échos implicites qui déroutent.