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Des peintures diverses, sinon autres.

20/04/2023

Diverses choses artistiques…

Les expériences de l’atelier et du white cube fusionnés de Danièle Gibrat
    A la fois dessinatrice et sculptrice, dessinatrice et conceptrice d’œuvres in situ, dessinatrice et inspiratrice de collages, chroniqueuse d’une histoire en partie familiale et que sa mémoire résume d’œuvre en œuvre à un narratif émietté, Danielle Gibrat rapatrie et s’inspire de faits sensibles dont elle priorise plastiquement l’entendement. Son art, paradoxalement d’un seul coup réaliste et séquentiel, aussi silencieux qu’implicite, parle d’une région valonnée. On peut ajouter un art discret mais imposant.
    Dans son atelier d’artiste, le blanc radical des murs met en perspective un white cube intérieur dont l’enveloppe par nature est virtuellement chargée de projets à venir. La configuration du lieu avec son sol et le faufil des murs, son plafond aussi, tout fait office de support et chevalet, socle et surface de monstration d’un travail en train ou posé. L’intérieur dont l’éclairage module la concavité et fait évoluer l’architecture de vitrine en alcôve joue un rôle scénaristique. 
    Les œuvres sont partout et à des endroits précis : à hauteur d’œil ou au-dessus et parfois au sol, à cheval entre deux murs, pavées en mosaïque, partiellement superposées ou faussement dispersées en puzzles. Il arrive que l’artiste y mêle des clous, comme des étoiles dans une nuit brumeuse ponctuée de traits d’unions sculptés dans des extraits de charpente, de poutres et de racines d’arbres. On imagine ponctuellement les coupler ou les entremêler comme Il se trouve aussi que des indices à la fois plastiques et sémantiques précisent un motif et le rendent transparent. Danièle Gibrat détermine un peu la composition et l’emplacement de ses études dessinées en fonction d’un paysage en partie mental.
    De toutes façons, les agencements des œuvres conçues à l’insu de correspondances qui troublent l’imagination même de l’artiste, semblent devoir se confondre, émerger lentement du mur blanc ou simplement y avoir été posées pour qu’une histoire s’en dégage peu à peu. Des fils se rembobinent et une aura s’immisce, l’atelier prend des airs de studio de projection ou de salle de théâtre. Danièle Gibrat « opportunise » « son » white cube comme un lieu d’activités pointillistes où l’art peut s’apparenter à un monde décousu de multiples inventions visuelles. Individualisées ou rapprochées jusqu’à être pensées ensemble. Toutes choses par ailleurs égales, les œuvres se prolongent dans la réalité de l’artiste à travers un storytelling imaginaire.
    On ne peut parler que de sensibilité et d’inventivité expressive. Dans son atelier ou dans son white cube, Danielle Gibrat use d’opportunités de recherches esthétiques ou évoque des divagations poétiques intensément disruptives sur la forme plastique du narratif. Au lieu de s’attarder sur une origine supposée réunir les deux lieux durablement, les distances et les directions que la mixité de ses techniques de création et de réalisation favorise, ses manières de rendre les moyens instables ou de laisser planer un doute sur leurs origines artistiques questionnent autant qu’ils captivent sur cette perspective. La mobilité de son art fait œuvre et perturbe l’expression visuelle, au point qu’à propos des palimpsestes ou de l’aperçu d‘un inattendu révélé et plus métaphysique, tout justifie qu’elle persiste à pratiquer une imagination invariablement multiforme.
    
L’expressionnisme conventionnel de Jan van Imschoot chez Templon Beaubourg
    Les œuvres placées sous l’intitulé « Les nocturnes des bonnes vivantes » représentent des scènes dont il est dit que le peintre rend hommage à de grandes figures féminines de l’histoire.  Passé ce programme à la fois réaliste, illustratif, symbolique et culturel, reste la peinture complaisamment abordée dans un esprit expansif et une manière gestuelle connue pour avoir été honorée par d’autres (Soutine, Ensor etc.) ayant eu plus de sens artistique et de talent pictural. 


François Rouan, chez Templon, Rue du Grenier Saint-Lazare
    Rouan revient chez Templon. Pas de dépaysement. Les toiles sont monumentales, toujours conçues/composées selon les mêmes codes plastiques. Ça reste très beau, élégant, décoratif, parfaitement construit. Côté imagination, le peintre assure sa marque.


Megan Rooney chez Thaddaeus Ropac
    De belles et grandes peintures abstraites et informelles, très colorées et très tachistes, gestuelles et lyriques à souhait, qui rappellent les Nymphéas de Monet… sans autant subjuguer ni vraiment déborder comme lui d’imagination expressive. Une production efficace pour apparenter sans risque de beaux appartements à l’esprit moderne, audacieux et artistiques de leurs occupants potentiels.


La nuit américaine de Nicolas Delprat, Galerie Maubert
    « La nuit américaine » sert de titre à l’exposition. Comme on le devine il va être question de cinéma : ses lumières et leurs dispositifs, l’image réelle ou métaphorique de la salle obscure… ; il va aussi être question d’autres images inspirées par les écrans : leurs fantasmagories et les atmosphères qui les entourent ; il va être question de représentation et de vision, voire d’ajustements entre les deux concepts, et il sera évidemment question de temps puisque le cinéma est « l’art du temps ». Nicolas Delprat s’intéresse à ce que fait la lumière au cinéma, mais il le fait ici en peinture.  Marguerite Pilven, la commissaire de l’expo, puise dans la réflexion d’Hans Belting et instille : Nicolas Delprat travaille sur « L’écart entre ce qu’est la peinture et ce qui apparaît comme de la peinture.»* Tout est dans le « entre » (ou l’antre dans lequel la pénombre de la salle obscure peut laisser imaginer une vue en même temps étrange de l’atelier du peintre).
    Peut-on se risquer à préciser que sur la question picturale, le peintre semble quelque peu oublier le travail d’interprétation sensible proposé à l’œil du spectateur ? Conçoit-il que ce dernier a sa culture des œuvres artistiques passées, qu’il a par ailleurs certaines idées sur l’imagination plastique du motif et la question de son expression visuelle ?
    Marguerite Pilven insiste : « au-delà des questions incessantes au sujet de ce qui serait réaliste, figuratif ou abstrait, l’effet produit par le tableau repose sur des conventions auxquelles le spectateur choisit ou non adhérer.» Mais ne s’agit-il que de cela quand les moyens du peintre doivent être autant ceux des sciences de l’art que ceux de la sensibilité dans leur appropriation conjointe ? Quelles que soient ses sources figurales et quelles que fussent ses clins d’œil à l’art conceptuel du photographique, voire les effusions gestuelles tachistes qu’il peut mobiliser, les peintures de Nicolas Delprat multiplient les reprises conventionnelles de la peinture du portrait sans induire de bouleversement pictural. Les œuvres exposées réitèrent souvent le statut commercial du tableau traditionnel, objet dépositaire d’une composition descriptive et illustrative où la peinture paraît n’être qu’un voile davantage qu’un écran possiblement dialectique du 7e art. La question n’est pas qu’elles soient bien ou approximativement réalisées, la question est celle de leur forme seulement spectaculaire dont il ne s’extrait pas ou qu’il n’a pas abandonnée, valeur qui pour cette raison réduit potentiellement les mouvements d’imagination poïétique et artistique.
    L’exposition, bien que surprenante sur le plan des vues et l’envie supposée du peintre à les faire « être la peinture » comme les faire « apparaître comme de la peinture » laisse perplexe. Le désir de Nicolas Delprat est d’entremêler son inspiration à un questionnement esthétique sur l’image : son origine, son environnement et sa perception, voire son début ou son apparition et son apparence, notamment la construction visuelle de cette dernière qui marque le pas et semble parfois inefficace, verrouillée sur un rendu documentaire. In fine, les peintures lissent des images d’objets d’éclairages en les proposant « à frais nouveaux » et selon des codes éprouvés. A ce stade, le cinéma d’auteur ne sert presque à rien.

*Hans Belting, Pour une anthropologie des images, p.298, éd. Gallimard, cité par Marguerite Pilven, La nuit américaine, galerie Maubert. ** Marguerite Pilven ibid.

 

Des corps quasi décomposés de Georg Baselitz chez Taddaeus Ropac Pantin
    Trois séries de peintures de Bazelitz et un ensemble de huit dessins à l’encre sont présentés pêle-mêle à l’aune d’un hommage et d’une reprise implicites de L’aubade — une œuvre de Picasso datée de 1942— un portrait de sa femme se tenant la tête, et d’autres mélanges d’inspirations puisées dans les techniques d’impression par report ou collage surréaliste, un bleu caractéristique du peintre Lucas Cranach… Chaque peinture est esthétiquement pétrie selon les codes expressifs où on le reconnaît. C’est encore une fois impressionnant, grandiose, et en même temps aussi peu complexe que déconcertant, voir inquiétant dans la composition et des effets esthétiques déjà formellement connus…
    Les peintures exposées à la galerie Tadaeus Ropac Pantin sous le thème « « La boussole indique le nord » reprennent donc les habitudes de composition iconoclaste et le style expressionniste du peintre. Elles marquent son attirance pour les formes minimalistes et/ou traduites comme des vestiges ou superposées en palimpsestes comme des récits visuels. Elles reprennent ses paries sur le gigantisme des tableaux posés comme des pans d’architecture… Il est aussi assuré que le style de l’artiste demeure à la fois figuratif, narratif et onirique. Parallèlement, rien n’est dit ou évoqué sur le dessin davantage traité « à l’arraché » et volontairement approximatif que rapporté à un geste conceptuel, qu’il repose sur une esthétique du désastre de la forme cernée. L’artiste brouille l’affaire de son travail et inquiète en déstabilisant arbitrairement ce qui doit être représenté selon un protocole uniquement formel ; par le remplacement du bas pour le haut, il questionne l’orientation conventionnelle de l’image par principe et parti pris. Ce faisant, il ne saurait empêcher qu’on regarde ses images comme elles paraissent. L’expression conceptuelle des peintures exposées de manière quasi littérale permet qu’on privilégie de les regarder dans le sens où elles se trouvent être.
    On regarde ce que les yeux voient en (très) grande partie. Comme des tombes ouvertes et des corps exhumés. Comme des dépôts humains oubliés et mis à jour au hasard de grattages, puis rassemblés un peu approximativement pour vaguement silhouetter un homme. Comme des tas sédimentés de chairs desséchées et décomposées. Comme leurs fragments plus épars que réunis. Comme les ombres de disparus reconstitués par morceaux, extraits de matières, traces réelles mais innommables et débris inconcevables et pourtant imagés… Les images semblent parler de morts, du moins de ce qui subsiste de leurs corps décomposés et exposés à vue comme en pleine nature. On croit souvent voir des charniers. Difficile de ne pas autopsier par rémanence des intentions ou des souvenirs historiques pour le peintre allemand.
    Partant, le drame des peintures me semble davantage tenir de leurs couleurs que de leurs formes. Ici ou là, les interprétations font dévier les sensations éventuellement morbides vers des aperçus sans autre histoire qu’une relation esthétique personnelle. Sur certaines toiles les tombes et les images de corps s’ouvrent sur des sites roses et bleus, doucement enluminés comme des moments charnels, sur d’autres le portrait de l’épouse du peintre est éclairé comme un paysage presque bucolique ; partout les apparences d’empreinte par report résonnent d’une plasticité expérimentale, parfois intuitive.
    Les peintures exposent ce qu’on peut y repérer, ou ce qu’on ne peut que voir de ce qu’elles montrent. C’est à l’insu du peintre que ce qu’il compose se détourne de lui ou le contourne : « tu as voulu peindre comme ça, eh bien vois ce que ça fait au motif peint et mêle toi de ce qui t’occupe ». La beauté expressionniste des œuvres peintes de Bazelitz ne permet pas de feindre l’oubli d’analogies contraires.

 

Frantz Lecarpentier œuvre à la galerie Fabrique Contemporaine
    Seul le tableau compte, le fait d’imaginer son œuvre pour mieux la concevoir en peinture. Frantz Lecarpentier pratique un style matiériste abstrait ou semi figuratif proche de Nicolas de Stael et ne cache rien des sources artistiques qui le poussent à exprimer le plus sincèrement et la plus abruptement la conception de son art. Il veut faire gagner la peinture comme pratique. En marge de sa méthode et de sa production actuelle volontairement plus sensible que froide et distancée, il creuse à sa façon ce que, dans tous les sens du terme, le motif fait à la peinture.
    Dans la galerie, les peintures reflètent des époques différentes de l’activité du peintre. Des productions intimes sur des formats très petits concurrencent avec bonheur des compostions murales. Ailleurs, une série d’œuvres récentes de dimensions intermédiaires peintes sur papier brun est attachée à d’autres études. Toutes sont peintes avec la même véhémence mais sous une nuance remarquable : on devine l’artiste taraudé par l’écart qui lui permet de passer d’un univers uniquement plastique à l’évocation d’un pan de peinture pure fusionné au signe plastique d’une fenêtre. Le regard s’intrigue de la manière dont le peintre excelle dans les deux programmes.
    Les caractéristiques plastiques des peintures actuelles retiennent l’attention. On sait que le débat sur la composition et sur l’acte de peindre existent depuis la Renaissance, qu’il entremêle les paradigmes du pan de peinture pure et de la place du peintre à son travail, sinon celui du spectateur face à l’œuvre ; on sait qu’il questionne le modèle de la fenêtre à la fois subjectile métaphorique du tableau et cadre dont le bord inferieur peut coïncider avec un socle admoniteur et in fine l’intérêt de l’image à venir. On repère dans les œuvres exposées de Frantz Lecarpentier que ces divers propos taraudent ensemble son envie de peindre. In fine orienté par son format, un effet miroir qui ne se cache pas d’en être, et l’orientation verticale de l’image, le peintre ajoute entre analogie et index du mouvement de l’œuvre à faire au paradigme du tableau-fenêtre un dispositif sensible de portrait. Une manière de filigrane instille ici une attitude du peintre potentiellement critique devant l’interprétation en peinture.
    Frantz Lecarpentier a donc peint une série d’œuvres flottant entre composition libre sur un thème donné et natures mortes dans un style expressionniste. Les moyens sont au rendez-vous en fonction des références artistiques qui inspirent la passion de l’artiste : des couleurs massives, appliquées et surfacées, crues ou nuancées par des chevauchements irréguliers, une pratique visible et assumée. Le sujet fondu dans la composition flotte entre les sources d’interprétations et on voit bien que le peintre a cédé émotionnellement à leurs richesses confuses. Sur les cimaises, les peintures portraiturent en même temps un itinéraire de peintre et les strates d’observation où la passion d’être artiste ne fait pas mine d’exister.