ZeMonBlog

Quelques expos…et quelques modes d’arts.

31/05/2023

Des modes d’arts en pratiques…

Frank Stella chez Ceysson et Bennetière
    Ces dernières années Frank Stella a créé une manière de « peindre en volume » à la fois réjouissante et décomplexée. En faisant fi de l’histoire abondamment illustrée des rapports de la peinture et de la sculpture, il requestionne à sa manière, dans les deux sens, l’objet esthétique de la forme peinte et le traitement de l’espace pictural. Ses manières d’interroger la forme du geste artistique avec autant d’humour désinvolte et de sagacité que de lyrisme forcent la surprise autant que l’intérêt.
    Les peintures dont la silhouette en trois dimensions les rend partiellement indéfinissables semblent surgir du mur et bouleversent sa planéité d’origine. Entremêlées de parties purement filaires et de champs abstraitement colorés, de structures d’allures géométriques ou de découpes hasardeuses, leurs compositions aussi gribouillées qu’apparemment agencées par des coups de vent instillent autant d’images fantasques que d’architectures éphémères. Qu’y voir qui soit rationnel ou arbitraire si ce n’est des sensations en cours de révélations ? D’une expérience à l’autre, un défi semble proposé : se laisser prendre au jeu des découvertes et bâtir pour soi le plaisir de jouir d’un présent qui apparaît.
    L’artiste veut-il par ailleurs suggérer une façon de réfléchir ou de revenir sur certains aspects simultanément géométriques et tout en all over de sa production sur toile de ses débuts d’artiste minimaliste ? Les œuvres semblent faire remonter des préoccupations esthétiques anciennes et peut-être résoudre des insatisfactions artistiques qui attendaient des libertés créatives inconnaissables à ce moment.
    L’essentiel est que les œuvres brillent d’une plasticité éclatante et généreuse. Leurs compositions hétéroclites étonnent et renvoient à la maîtrise à la fois cultivée d’un art autoritaire dans son désordre trompeur et passionnant par ses dégagements esthétiques. Contradictoirement, elles incitent à relativiser les productions narratives, descriptives ou illustratives et la plupart du temps apathiques et techniquement gnangnantes  actuellement en vogue dans nombre de galeries.

 

Germaine Richier à Beaubourg
    La rétrospective est ordonnée chronologiquement, elle permet de suivre l’évolution de l’inspiration de l’artiste sur le plan des thèmes comme sur celui de son approche formelle de la sculpture.
    D’abord centrée sur la pratique de la statuaire, l’œuvre évolue d’une expression descriptive vers des idées de configurations symboliques puis vers des propositions théâtrales et environnementales parfois proches de l’installation, ou vers des suggestions majoritairement illustratives. Si les productions dans un style de statuaire ainsi que les portraits sculptés dans la ligne de Maillol et de Rodin du début sont sensibles et complexes dans leur beauté volumétrique, et si, par la suite, jusque vers les années 1955, l’évolution de son travail vers des compositions hybrides faites de silhouettes animales et humaines fascine, et si à cette occasion l’imagination de Germaine Richier déroute par la poïétique de leurs configurations, en se figeant dans des visions formalistes et anecdotiques, les productions « finales » (elle meurt en 1959) deviennent « bizarres » et perdent de l’intérêt plastique. L’art de Richier finit par entretenir avec la figuration, et peut-être avec la peinture, un dialogue incertain dans lequel des questions spécifiques à la description ou à la narration et à l’espace semblent biaisées par la superficialité d’apparences sculptées plus « racontardes » que suggestives. 

 

Les Non-lieux de Dubuffet à la Fondation éponyme.
    Dubuffet explique que l’intitulé des « Non-lieux » est à prendre au sens quasi juridique du terme vs « il n’y a plus matière à poursuivre…»1 : d’où des peintures, qui comme les « Mires » qui les ont précédées, puis les « Donnée », les « Idéoplasme » ou in fine les « Activation », apparaissent seulement « faites comme elles sont ». Le peintre récuse l’idée même d’un fondement humain à l’imagination, jusqu’à poursuivre : « Il n’y a pas de matière, rien qu’élans énergétiques »2.
    L’exposition, magnifiquement présentée, permet de méditer sur la finesse conceptuelle du travail d’investigation esthétique du peintre semblant tenté par l’idée d’un Œuvre ultime. Sa dernière peinture — volontairement « toute dernière », est présentée en même temps qu’une sélection de dessins au feutre intitulés « Activation » et conclut sa vie d’artiste (âgé de 85 ans, il disparaît la même année en mai). 
    Les œuvres peintes sur un fond noir apparaissent toutes faites de dépôts et d’entrecroisements de gestes de dessiner et de peindre simultanément en même temps que de possession et de libération du support de sa nature esthétique voire ses moindres codes. Il n’y a rien d’autre que des inscriptions mouvementées et des traces irrégulières et spontanées ou semblant fortuites, détachées, et purement arbitraires. Qu’elles soient colorées ou que leur chromie soit réduite à une ou deux teintes, les œuvres ne montrent que ce que l’artiste, à priori, a engagé esthétiquement et en vérité produit. 
    Restent des tableaux peints d’une densité formelle et visuelle d’une présence et d’une expressivité plastique exceptionnelles, d’une beauté conceptuelle ne consentant de s’allier qu’avec le silence. Restent des compositions faussement « hors sol », faussement hors temps, illusoirement détachées de tout ou réalisées sans projet ni histoire(s). Reste une expérience esthétique là encore « sans filet »3 et d’un « art autre »4. Demeure une exposition où méditer l’art de créer son fait de peindre fascine autant qu’il déroute et subjugue par l’intrépidité d’être libre.

 

1–Jean Dubuffet, Bâtons rompus, Minuit, 1986, p.94. 2–Présentation, septembre 1984, in catalogue des travaux (Non-lieux) fasc..XXXVII, Minuit, 1989, p.7. 3–L’expression est de Samuel Beckett à propos de la peinture de Geneviève Asse, et en perspective de Bram van Velde, Tal Coat… 4– Un art autre, Michel Tapié.

 

Hippolyte Hentgen chez Sémiose
    L’exposition s’intitule « Flirt » et consiste en des collages d’images prélevées dans la revue « Femme pratique ». De format sensiblement identique à la revue éponyme, les compositions entremêlent les vues et ironisent sur les codes plastiques sémantiques des moindres contenus. Un trouble poétique s’installe à mesure qu’on délie ou qu’on détache, puis qu’on replace les extraits étrangement collés. L’étonnement s’accroît en repérant des rapprochements en toute apparence purement esthétiques et qu’en passant, on s’amuse de la liberté assumée avec sensibilité des deux artistes.
    L’idée de mélanger des sources de composition pour produire ou flirter à distance avec leurs valeurs documentaires poursuit des tactiques d’illustrations et de suggestions aussi variées que diversement datées. Par sa maîtrise tactique et technique, l’ensemble des œuvres exposées n’empêche donc pas quelque comparaison spécifique avec l’histoire héroïque du collage comme procédé, et des attentes poétiques et critiques de ses utilisateurs. « Artiste à 4 mains », le duo Hippolyte Hentgen orchestre pour sa part assez de cohérences pour que chaque œuvre tonne ou résonne d’engagements personnels et artistiques convaincants par leur beauté plastique.

Will Cotton chez Templon rue Beaubourg
    On prévient : l’artiste se veut engagé, un article annonce un art caractérisé, une quasi peinture à message… Il est dit aussi que « l’exposition s’inspire de la notion de « trigger », devenue un concept politique aux USA : gâchette, détonateur, déclencheur vs il s’agit de prévenir les situations potentiellement porteuses de stress post-traumatiques… Je songe à de grandes interrogations humaines : conflits, racisme, minorités économiques, questions de genres etc. J’imagine l’art provocateur d’un lanceur d’alerte…
    Les thématiques LGBT ne sont pas contournées. Will Cotton pratique la métaphore et l’inversion transgressive des thèmes jusqu’à leurs limites interprétatives. Les moindres détails accusent une volonté de correspondance sinon d’index ou de mise en perspective descriptive : un cow boy est représenté de diverses manières par une jeune femme généreusement pourvue dans l’attitude conquérante d’un dresseur dans d’un rodéo. Le cheval est une licorne peinte en rose bonbon qui se cabre ou se soumet, la « cavalière » est mise en scène dans une pose combattante ou lascive, un pistolet éventuellement placé à l’endroit de son sexe… Chaque image draine et entremêle avec autant d’humour et de connivence à plusieurs degrés diverses allusions au cinéma et à la vie américaine. 
    Restent les tableaux, composés comme des chromos sucrées et un peu porno de pin-up affichant leurs attributs dans des scènes ou des poses explicites. Chaque sujet est cadré dans la partie centrale du subjectile, l’expression visuelle des formes est souvent vaporeuse et comme traitée « au pistolet à peinture ». Rien n’indique autre chose qu’un travail d’exécution apparemment technique et en réalité peu curieux des effets de questionnement induits par l’expérience et un art in fine sans autre intérêt que son insertion dans des thématiques en vogue et illustrées avec d’autres talents d’artistes. Si tout peut à priori relier le propos métaphorique initial, cette production est in fine aussi piètrement superficielle que celle que ferait « très sérieusement » un étudiant évanescent. 

 

« Paper poetry », par Philippe Marcus 44, rue Volta… 26/27 mai
    La mise en balance des deux formes conjointes d’une installation in situ et d’un happening attire l’attention sur les sources d’inspirations de l’artiste aussi passionné de street art  et de bd que d’art contemporain. Elle parle aussi d’une ironie voire d’une manière espiègle de s’exprimer sur l’opportunité et la brièveté prévue de son exposition et l’impression durable qu’elle peut laisser au visiteur.
    Pris par le temps, Philippe Marcus a donc imaginé son travail de plasticien sous les auspices et par une intervention agissant à l’aide de plusieurs retournements conjoints. Il y a d’abord un hommage à Claude Rutault dont il a été l’élève et l’assistant. On remarque en second lieu la suggestion piquante d’une inversion dans les deux sens de l’espace de la galerie avec celui de la rue. Pour finir, on repère que l’artiste a scénarisé ses outils d’expression dans le sens d’un clin d’œil artistique minimaliste avec la beauté artistique.     
    D’abord, Philippe Marcus a donc dispersé/disposé des toiles blanches non peintes sur les murs laissés blancs de la galerie et il a aussi vaguement pavé un plafond fictif avec d’autres toiles également blanches dans un ordre apparemment diffus. Partant des mêmes caractéristiques illusionnistes, il a transformé l’environnement de la galerie en extérieur imaginaire. Pour conclure il a collé partout et sans aucun ordre préconçu des lambeaux de papier kraft brun de tailles diverses et fait en sorte qu’ils chevauchent par hasard et en partie les toiles. Le tout suggère l’image d’un lieu esthétiquement marqué par le temps en même temps que des tableaux rapportant par bribes l’histoire d’un site urbain. 
    C’est peu dire que l’intervention plastique de l’artiste brille de simplicité et de force. Sa sagacité et sa réactivité devant l’usage expressif du temps de son exposition comme espace à la fois concevable et onirique trouvent dans la sobriété des moyens d’expression une manière de révéler les perspectives de son art en cohérence avec une place émouvante réservée aux spectateurs.