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14/08/2023
Au lieu de bousculer un style hyperréaliste dont il use et se réclame, le travail de Ron Mueck…
Ron Mueck est un artiste sculpteur figuratif de style hyperréaliste. Il aime la figure humaine (corps entier ou partiel, jeune ou âgée, nue ou habillée) ainsi que les animaux domestiques ou d’élevage. Il s’applique à les reproduire rapetissés ou surdimensionnés, seuls ou en groupe et dans diverses situations en s’efforçant d’illustrer à chaque occasion un thème ou une circonstance particulière. On constate aussi que nonobstant ces éléments objectifs distincts, l’artiste apprécie de mettre ses œuvres en scène, en clignant de l’œil avec la statuaire (de préférence monumentale), le bas et le haut relief, voire l’image d’illustration et de temps à autres la photographie documentaire. Curieusement, par ses manières de transgresser les tailles naturelles de ses modèles dans ses sculptures, l’artiste parvient à faire oublier que chaque œuvre agit esthétiquement et en priorité comme un trompe l’œil.
Après avoir été surdimensionnée ou réduite dans des tailles variables, tantôt minuscules, tantôt géantes, puis in fine après avoir été peinte d’une manière quasi exclusivement documentaire et photographique, chaque œuvre pose d’emblée la question de son apparence d’authenticité et questionne son mode d’expression visuelle. N’étaient-ce ces caractéristiques sans aucun doute prosaïques pour un artiste dessinateur, sculpteur ou peintre réaliste, les re/productions de Ron Mueck impressionnent par le travail strictement technique, qui leur a été utile. Alors qu’à cette aune, on songe possible de limiter son projet à un exercice d’art appliqué et artisanal, l’importance que Ron Mueck donne par ailleurs à l’installation in situ de ses sculptures conduit à relativiser le paradoxe de leur hyper réalité tout autant que leur hyper visibilité. On est dès lors invité à considérer séparément les intentions de l’artiste et la réalité — devenue discutable — des œuvres. Que donc regarder en dehors des imitations sculptées ?
Porté par le mode de présentation des œuvres, un travail d’élaboration plus inattendu et moins « simiesque » semble guider les pas de Ron Mueck vers une forme d’ironie de l’impalpable du vrai. L’artiste attache une importance capitale à l’effet trompe l’œil et son cortège d’envies de confronter ou de vérifier si ce qui est exhibé est factice ou probant. Quelque chose de l’ordre de l’irreprésentable, à quoi s’ajoutent divers détails formellement un peu dystopiques par rapport au connu et une attention particulière à l’expression des gestes ou des mouvements, tout cela suppose des approches et des temps de réflexion à propos des écarts et de leurs échelles. Reste à discuter de la réalité de ce qui est montré : simulacre ou pastiche, on songe au duel pictural entre Xeuxis et de Parrhasios. Côté spectateur, on hésite entre parodie et imitation. Le piège se referme pour l’essentiel sur « l’hors jeu » des transgressions par la taille.
L’envie d’imposer au spectateur des différences de tailles qui ne se cachent pas d’être spectaculaires, voire dérangeantes, et toutes choses par ailleurs égales « hors réalité » suggèrent d’autres objectifs à cet art jugé incontestable. L’effet trompe l’œil effaçant les preuves d’image, il faut paradoxalement supposer un fond autre, sans doute de nature expérimentale sinon théorique. On remarque que dans le fil des mises en valeurs étranges de son travail d’exécution, le travail iconique d’hyperréalité décode aussi une description visuelle certes habile, surtout naïve des modèles. Les reprises annoncées de styles artistiques classés comme la statuaire etc. annoncent une galerie d’images illustratives comparables aux définitions liminaires d’une encyclopédie. En utilisant des compositions fabriquées plus théâtrales que des dispositifs d’instaurations poîétiques, Ron Mueck use de la vue dite « d’artiste », principe connu des mises en situations fictives qui donnent du champ imaginaire à un projet (pré)encadré. On s’interroge incidemment sur la restitution détaillée des rendus, la démonstration artistique de leur scénarisation esthétique dans un site où l’imagination devrait à priori déborder. Les réalités de Ron Mueck ont t-elles pour objet une « nouvelle » piste intellectuelle pour la création artistique ? Cherche t-il à pallier l’impression d’un fond insuffisant de son art sculptural si particulier ? Aussi mimétique qu’elle semble depuis des années, sa production paraît murée dans sa forme exclusivement hyperréaliste, au point qu’on la songe en creux « monumentalement » appareillée à un fond de critique insipide.
Peut-être faut-il revenir sur le modèle du style hyperréaliste pour se concentrer sur l’incon-gruité de présentations dont l’artiste revendique l’exactitude sous les flagrances du reproductif et de l’identique. Seuls des yeux avisés ou du moins des regards divergeants peuvent repérer des « anomalies » de formes, et conjointement d’images, dans les silhouettes sculptées et peintes à l’image de leur modèle ; et donc seuls des plasticiens accoutumés aux aléas des jeux d’expressions visuelles peuvent discerner entre les écarts de formes et d’aspects provoqués ou accidentels. Que peut-on donc encore remarquer de si anormal (ou de si étrange) que le réalisme des reliefs et des œuvres d’abord indiscutable change de vérité, et que la conformité des sculptures avec leur modèle tombe ? Une documentation montre l’artiste s’appliquant à esquisser la silhouette d’un chien gigantesque sur un papier étalé sur un mur. Un autre témoignage le montre modelant avec précision une figure humaine dans une posture particulière. L’extrait d’un film permet encore de le suivre en train d’étudier la disposition future vs la composition esthétique d’un ensemble… On remarque chaque fois l’artiste penché sur son geste du travail, digitalisant presque ses applications et progressant attentivement dans le dessin des sujets, leur composition et leur aspect visuel, les proportions des volumes et leur proximité avec le « vrai », le miroir de son travail comparant le réel avec sa fiction. On peine à qualifier certaines apparences d’exagérations dans les sculptures, certaines déformations ou certaines transformations. D’allusives distorsions comme les allongements irréguliers du cou ou les différences de proportions des chiens représentés dans Three dogs (2023) interrogent. On est pareillement disposé à s’attarder sur les volumes à la fois réalistes et intrigants de « A girl » (2006), ou encore sur le changement d’échelle instillant du fantastique entre les personnages et l’animal dans « This little piggy (2023) ou dans Man in a boat (2002). Faute d’autres réponses que celles à la fois techniques et hasardeuses de choix esthétiques personnels ou d’une démarche répétitive et plus descriptive qu’imaginaire, on se résout à voir l’artiste « élastiquant » arbitrairement dans tous les sens l’image de ses modèles plutôt que chercher à évoquer une pratique marquée par un imaginaire poïétique.
Au lieu de bousculer un style hyperréaliste dont il use et se réclame, le travail à la fois daté et spectaculaire de Ron Moeck donne le sentiment de subir un mimétisme. L’authenticité foncière de son travail ne renouvelle ou ne rebondit pas sur l’effort conceptuel de la sculpture hyperréaliste des années 1970, notamment en Angleterre, et elle n’est pas non plus une nouvelle étrangeté expressive et artistique de la sculpture réaliste spécifique au 19e siècle. Les œuvres semblent sans questionnement ni projet approfondi.
Cette troisième exposition de l’artiste à la fondation Cartier rappelle à frais nouveaux un art aujourd’hui appauvri quant à l’étrangeté poïétique de la pure similitude en art. Le décalage de ses œuvres avec les productions sculpturales à la fois photoréalistes et hyperréalistes de John de Andréa ou de Duane Hanson, ou encore des peintres comme Jean-Olivier Hucleux ou Chuck Close dans les années 1970-1980, tout cela a des airs de redites laborieuses. La naïveté de ses sculptures et leurs scénarisations remarquables n’a pour intitulé que l’écart historique et l’oubli un peu trop visible de ses prédécesseurs.