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Quelques aperçus artistiques de rentrée

26/09/2023

Des arts divers et variés…

Laurence Weiner, « Après ici & là » chez Marian Goodman

        Reprise d’une installation en forme d’hommage à l’artiste décédé en 2021. Six téléviseurs présentés en miroir d iffusent des entretiens de l’artiste avec un public ou un critique d’art. Les films semblent défier le présent alors que chaque enregistrement est clairement daté. L’« Après ici & là » résonne dans un entre deux où le temps, se dilate en même temps que les moments des entretiens semblent se confronter.

      On conçoit sans difficulté l’agilité conceptuelle de l’artiste rompu aux usages du langage, qu’il soit parlé/capté, écrit et imprimé ou diffusé.  L‘engagement des mots comme matériau et comme objet d’« installations » est sans cesse mis en perspective esthétique par un travail artistique sur le code visuel du référent. L’aspect provocateur et finement ironique de l’Art Conceptuel et l’extrême intelligence d’un de ses plus intéressants plasticiens (sans oublier Joseph Kossuth, On Kawara, Bruce Nauman, Jenny Holzer, Robert Barry etc. ou toujours d’actualité, Tania Moureau…) résonne curieusement par rapport aux productions figuratives majoritairement narratives et illustratives dont le marché de l’art fait actuellement sa pitance principale.

 

Jules Linglin galerie C

          « Nul n’est remplaçable » ! Mot d’ordre ou seulement thématique d’exposition ? L’intitulé de l’exposi-tion fait place au risque d’un retournement d’impressions et de perspectives artistiques et esthétiques contraires… Jules Linglin peint des portraits grandeur nature sur toile ou dans une approche imprimée de monotype. C’est techniquement brillant, d’une efficacité artistique indiscutablement estimable. Du point de vue de l’expression, une relative intimité traverse les tableaux du fait des face–à–face et des distances réduites avec les modèles. Aucun rapport technique ou artistique avec l’imagination plastique des portraits peints par Rembrandt, Monet, Cézanne, Giacometti, Francis Bacon, Picasso ou David Hockney (et quelques autres pourtant nombreux) : tous irremplaçables.

 

Milène Sanchez en mode « vision rapide, vision appuyée » chez Claire Gastaud.

          Il est question de peintures de fleurs et de natures mortes, de leurs aperçus passagers, diffus ou confus. Il est question d’attention et de mémoire visuelle, de traces et de dispersions, d’emportements gestuels et d’instantanés photographiques, d’apparences et d’images pas convenues… Il est question de tableaux figuratifs sans être descriptifs, d’un geste pictural aussi technique que largement imaginaire. Il est question de visions captées où débordant les surfaces des tableaux simplement peints d’intuitions colorées que de sagacités formelles. Il est encore question d’éblouissement et de confusion esthétique, de recherches plastiques à travers lesquelles « l’artiste jouant avec les flous et les nets tente de capter leurs mouvements et la lumière…qui les rend (picturalement) vivants » ; le propos initial annoncé : «Vision rapide, vision appuyée » induit aussi de comprendre conceptuellement le travail de l’artiste. On conclut qu’une démarche réflexive aussi solide que fructueuse sur les fonds d’apparences de la peinture et de ses tableaux instille par ricochet de probables et autres prolongements plastiques à cette recherche inattendue.

 

Hreinn Fridfinnsson tout en ironie Galerie Papillon

        Le ton est presque donné par la galerie annonçant « Une nouvelle exposition (de l’artiste) regroupant des œuvres de 1970 à aujourd’hui ». On est immédiatement attrapé par les sources d’inspiration historiquement conceptuelles des œuvres exposées. La nature des référents de tous ordres mais surtout esthétiques et les clins d’œil à des courants d’arts historiques spécifiques entrainent la présentation générale de l’exposition. On va donc devoir être sensible aux ressorts d’interprétation d’œuvres manifestement scénarisées pour justement briller par leur théâtralité autant qu’au moindre discours plastique sémantique destiné à « stabiliser » les images pour le spectateur. Ainsi cette photographie de paysage représentant l’artiste « inaugurant » le passage des années 1975/1976 par un saut au dessus d’un horizon fictif ; ou encore cette présentation murale en forme de ligne mélodique entremêlant des données réelles ou pseudo scientifiques sur la composition des couleurs, la réalité des ondes lumineuses et la musique ; ou encore cette installation in-situ dans laquelle l’artiste dispose à la dérobée dans la galerie une feuille d’arbre pour qu’elle se reflète « à l’infini » entre deux miroirs placés en coin sur deux plinthes en bas d’un mur. Incidemment, le sol comme la tombée du mur se dématérialise, le périmètre de la galerie se creuse en incluant l’espace au-delà du mur, le temps émarge dans l’espace du lieu… L’ironie touche à son comble avec le dispositif quasi suprématiste d’une composition murale en léger relief articulant la dispersion orthogonale d’un carré, d’un trait et d’un cercle supposés. Une main tenant un rond présente dans le cercle un pseudo œil qui brise l’ensemble du dispositif plat en incluant dans son espace le regard d’un spectateur fictif… Chaque œuvre vs chaque dispositif d’œuvre déroute pareillement en étant totalement bizarre, de sorte que c’est bien le caractère normalement dérangeant du rôle de l’artiste et le degré malicieux de ses inventions plastiques et artistiques qui étonnent.

         Sans jamais être littéraire ou littéral et en restant aussi cultivé que discrètement disruptif quant à sa place d’artiste, Hreinn Fridfinnsson, historiquement mêlé depuis 1965 avec l’avant garde islandaise dont il a été un des animateurs, poursuit ses manières de parler sérieusement de tout et de rien en réinventant les formes de sa créativité avec autant de talent que de poésie suspendue.

 

« Je suis contre » par « Art orienté Objet » (vs Marion Laval-Jeantet et Benoit Mangin) à la galerie Les filles du Calvaire.

           Bien malin qui saura évoquer l’intérêt technique, plastique et créatif de ces productions que leur nature de choses fabriquées en forme d’objets curieux justifie artistiquement. Je me demande contre quoi s’opposent ces trucs allusivement représentatifs mais qui répètent peu ou prou des créations qu’ils n’ont pas inventées et dont leurs auteurs tentent de nous convaincre en arguant de leur imagination. Plus largement, le paradigme « art orienté objet » a été engagé, défendu avec brio à travers d’autres ambitions et d’autres talents, par exemple, les arts décoratifs (voir le MAD rue de Rivoli), les arts premiers et les arts dit « naïfs » (Bruts, selon Dubuffet), ou par Dada et Marcel Duchamp etc. (Centre Pompidou)…

 

Le « Sunburn » (Coup de soleil) de Laurent Proux à la galerie Sémiose.

         Laurent Proux peint des scènes de genre aux échos mythologiques. Il s’appuie sur des effets de lumières aux échos caravagesques et une gamme restreinte de teintes, marquée par l’idée du feu. Sa technique un peu léchée aussi vaguement illustrative que confusément néo-classique entremêle des allusions à Picasso et à la statuaire… A la fin de son texte à lire dans le communiqué de la galerie, Anne Bonin, curatrice, suggère ceci : « Laurent Proux manie l’éclairage comme un metteur en scène construit un espace scénique précis, avec son action, son ambiance et ses personnages… » Et de conclure : Une activité peut en cacher une autre. » L’insatisfaction que dégagent ces peintures laborieusement peintes et d’une plasticité datée, tableaux dont la composition comme l’arrangement expressivement (voire expressément) scénaristique et décoratif prend l’ascendant sur l’intérêt pictural et justifie qu’on se sente en phase avec cet ailleurs…

 

Ninon Hivert, Le reste des autres, galerie Carole Lambert

      Imaginez l’instant où Ninon Hivert, ayant repéré un objet négligemment posé, voire paraissant abandonné, le photographie comme il est. Ce peut être un blouson, une paire de gants de chantier, un briquet ou une botte oubliés quelque part, un sac à dos déposé au sol… Munie de son document iconique, elle le reproduit en le sculptant à son échelle naturelle et en le peignant selon ses couleurs, le plus fidèlement possible. L’effet trompe l’œil est parfait, on se remémore sans nostalgie des productions hyperréalistes des années 80, sans pour autant les y réduire. On songe aussi que chaque sculpture vise un objet factuellement coupé de son environnement, mis à distance de son usage et comme miné par son fait esthétique, apparemment aussi dévitalisé que neutralisé vis à vis de son ancien propriétaire.

        Bornés à leur apparence formelle, les sculptures semblent être en même temps rien d’autre que des rêves de travail visuel à faire vivre pour un regardeur* saisi par leur étrangeté supranaturelle (et les associer à des Ready Made ne paraît pas déraisonnable). Ninon Hivert s’en mêle, s’entremêle avec leur nature de « trucs » laissés à l’aventure et devenus sources d’art de voir. En les reproduisant in extenso tout en les pensant hors du monde qu’ils représentent comme signes, Ninon Hivert dénote autant leurs référents analogiques qu’elle rend leurs effigies fossilisées spectaculairement gisantes et apparemment anhistoriques.

          « Le reste des autres » renvoie simultanément à des réalités amnésiques et rémanentes. On s’attache à leurs apparences autant qu’à leur virtualité. Les volumes dessinent la vie de leur insertion dans la lumière, les couleurs scandent des préférences esthétiques, leur état vulgaire creuse le sens d’humanités banales, leurs silhouettes d’objet et de modèle rappellent des portraits. Leurs échos à la fois communs et individuels dont Ninon Hivert rappelle les perspectives humaines font entendre la création artistique à l’aune des richesses de son inspiration.

* voir la définition du spectateur métaphysiquement défini comme regardeur par Marcel Duchamp

 

Jonier Marin, Portraits pas vraiment traits pour traits, chez Lara Vincy

        Que retenir de cet ensemble de portraits de personnalités plus ou moins célèbres aux allures de crayonnages délurés ? Jonier Marin s’est-il réellement amusé à faire semblant de dessiner « fa presto »* et donc d’ironiser avec l’analogie et la vraisemblance du croquis ou s’est-il contraint de faire passer la badinerie de son expression graphique pour une technique en même temps éprouvée ? On s’interroge en conséquence sur la perspective désinvolte du geste du dessin, on imagine un travail de remémoration à l’aveugle, un jeu de devinette sur les apparences… Gribouillée avec vigueur et avec une manière assumée d’approcher et rater ses modèles, l’innombrable répétition des « tronches » reprise en toute désinvolture à partir d’images d’archives, rapportées de vague mémoire ou comme « reconstituée à-la-va-vite » par Jonier Marin laisse le sentiment d’une recherche plastique et artistique mue par un objectif de quantité et détachée du sens de sa légèreté d’exécution. On songe de loin à Dubuffet, Picasso ou Artaud, puis on oublie que justement, dans leur Œuvre dessiné, l’art de feindre la spontanéité et le relâchement ou l’envie de gouter au temps des gestes créatifs insouciants va de pair avec la revendication d’un fond d’ignorance conceptuelle et esthétique plus épique et tragique que spectaculaire.

* Fa presto, « à toute vitesse ». La formule est employée dans un texte de présentation de l’exposition.

 

Giacometti, Annette en plus infiniment, à la fondation Giacometti

        Giacometti creuse l’effigie de sa femme. Comme d’habitude dans son œuvre, le sens du dessin ou de la sculpture sera approfondi jusqu’à donner au vrai une aura d’hallucination. L’exposition fonctionne comme un dossier, de multiples documents photographiques, des lettres et des griffonnages plus ou moins épistolaires accompagnent les représentations de l’épouse et indéfiniment modèle de l’artiste. L’exposition, magnifiquement scénarisée, met chaque fois en évidence le génie créatif à la fois technique et sensible d’Alberto Giacometti, capable de repenser l’essence son art comme on songe à peut-être le refonder en âme. Toujours inquiet quant au cadre de son « travail en train », les volumes comme les dessins ou les peintures font planer des perspectives métaphysiques.