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L’exposition est une occasion, ou un ensemble parfois un peu retors…

17/11/2023

L’exposition est une occasion…

Rue du Pont de Lodi : Daniel Buren chez Kamel Mennour ou l’inverse…

      Buren fait du Buren, évidemment. Sauf qu’une fois de plus, une fois encore, il se réinvente en repiquant le canevas de l’« in situ situé »1 qui le guide et lui sert depuis cinquante ans à varier « ses coups de dés »2 Cette nouvelle exposition  présente donc une nouvelle stratégie d’apparition et d’application du paradigme : Buren évidemment, mais de manière inattendue.

      Pour « Plis contre plan, Hauts reliefs, Travaux situés »1, à la galerie Kamel Mennour, Daniel Buren a réimaginé les bandes uniformément colorées qui apparentent le signe plastique de son travail comme un logo. Ce nouveau travail s’enhardit d’effets simultanés d’environnements et de reflets disposés en miroir, de motifs muraux composés d’objets pyramidaux « posés sur la tête »3 et d’ironiques variations esthétiques des uns par rapport aux autres. Finement muée en palais des glaces, la succession des murs de la galerie file ou égraine ainsi de bas et de hauts reliefs pyramidaux sur lesquels l’artiste a disposé ses bandes diversement colorées pour qu’elles se reproduisent et mirent en abîme leur propre dispositif fictionnel d’une œuvre à l’autre.

     Auto-propulsé par son mécanisme à la fois purement formel et totalement théâtralisée à partir des déviances disruptives de son créateur-propagandiste de son travail, l’installation bruisse comme toujours d’une réflexion sur l’intellection plastique et instauratrice de son emprise environnementale par rapport à La Peinture et, d’une perspective plus large, par rapport à l’Art. A l’instar du peintre Sol le Witt qu’il admire par ailleurs, je note que l’abstraction conceptuelle de Buren passe à une forme de réalisme grâce à son effet revendiqué d’étendard auctorial. Reste qu’à tout le moins, dans la galerie et à travers l’exposition présente, l’artiste creuse le paradoxe d’une esthétique et d’un art hyper personnalisés, creuse le sens chaque fois imaginaire et variable « d’un pareil au même » d’apparence et qu’il suggère in fine la possibilité qu’une réinvention permanente du regard et d’une œuvre dans un mouvement poïétique concerté. 

      A la fois porté par une irrépressible envie de jouer et d’ironiser sur le statut du spectateur et le besoin personnel d’assumer une production aussi ouvrière que sensible, l’artiste engage conjointement la conception et la production matérielle de son œuvre dans des vagabondages et des chemins imprévus. Pendant tout le temps de la recherche apparente du travail d’art « à situer », la galerie apparaît comme une zone de contacts et un environnement ou tel un White Cube informel tout peut sembler aussi esquissé que « préparable ». L’installation de « Plis contre plan, Hauts reliefs, Travaux situés » démultiplie à profusion à la fois l’image d’expérimentations ponctuelles et le process général de l’œuvre, au point d’étayer l’impression d’une manière de « sprezzatura»4 dans l’esprit de l’artiste.

       Que retenir de « Plis contre plan, Hauts reliefs, Travaux situés » œuvres et Œuvre en soi simultanément « in situ située » ? Des tableaux sont en même temps répartis et instaurés comme des œuvres in progress dans les divers espaces de la galerie. Les assemblages modulaires de glaces/miroirs carrés disposés et étendus en carrés qui les constituent forment des compositions autonomes et réactives, de sorte qu’ils se diffusent et se fondent comme environnement : chaque relief pyramidal, en se reflétant dans le tableau ou dans son propre support miroir, provoque sa dispersion, son éclatement et, à certains égards, sa dématérialisation. Tout s’entremêle et se complète simultanément ou bien rien ne s’assemble rationnellement pour initier une vue unique.      On se perd en conjecture en même temps qu’on comprend que l’artiste se réjouit, paradoxalement, d’échouer peut-être à tout contrôler de la nature processuelle de son travail.

 

1–« Plis contre plan, Hauts reliefs, Travaux situés », « in situ située » etc. sont des expressions de Buren, Vidéo. Archives Kamel MennourParis, 2021. 2– Stéphane Mallarmé, « Jamais un coup de dès n’abolira le hasard » Gallimard. 3– Buren ibid. 4–Néologisme italien propre au manièrisme. En esthétique, le terme sert à désigner une "nonchalance" feinteune sorte de négligé chic où la maîtrise se voile ironiquement d’une part de désinvolture. 

Tadashi Kawamata, galerie Kamel Mennour, rue Saint-André des arts.

      Les installations in-situ de Kawamata sont connues pour leur caractère à la fois étrange et spectaculaire. Chacune de ses propositions plastiques suscite de l’intérêt par son engagement créatif et une vision disruptive de la sculpture. Sa nouvelle proposition pour la galerie Mennour n’est en ce sens pas moins ambitieuse. A ce détail près que cette fois, l’effet théâtral de greffon du geste sculptural qu’il installe et scénarise dans l’espace de la galerie manque un peu son coup en étant, me semble–t-il, globalement moins imaginaire ou sublime qu’à l’accoutumée. 

       Que se passe t-il donc pour que le lieu paraisse à ce point davantage rempli que bouleversé et esthétiquement retourné ? L’artiste s’est d’abord évertué à accumuler et entasser de vieux meubles glanés chez Emmaüs dans les divers espaces de la galerie. Une fois établi chaque arrangement, il a partiellement recouvert les volumes obtenus d’amas désordonnés de planches de bois blanc selon son style bien marqué. Il faut le reconnaître, chaque composition est spectaculaire par son volume et la silhouette qu’elle dessine : c’est aussi étrange que baroque. Mais, contre toutes surprises, c’est aussi un peu attendu et esthétiquement limité.

      Contrairement à son concept de sculpture greffée comme un essaim peut « parasiter », prolonger ou occuper un endroit de manière inattendue en l’esthétisant « accidentellement » par son incongruité imaginative, les sculptures, sans autre volume qu’elles-mêmes et comme seulement encadrées par les planches ajoutées, apparaissent ici comme des productions d’in situ passives. Et, alors qu’on regarde chaque proposition dans son entièreté, on a réellement l’impression, parfois, que ça fonctionne uniquement comme deux objets distincts, que les accumulations de meubles n’ont pas besoin des planches qui les entourent ou les coffrent de façon superficielle. (Un sommet d’improbabilité est atteint avec un assemblage bricolé d’un petit tabouret et d’une planche pauvrement accrochée sur un mur).

        Partant, j’éprouve une défiance sensible lorsque l’artiste défie l’entendement et atténue l’effet de son travail de suggestion et d’expression quand il indique « Lorsque je choisis de remplir activement un espace, le geste et son intention ne sont perceptibles que lorsque l’ensemble est réalisé. Il s’agit de faire l’expérience d’un espace, de donner à comprendre une relation… » Cette exposition particulière montre que ni le geste ni l’intention ne s’activent ensemble poïétiquement.1

 

1­– Tadashi Kawamata cité en préambule à l’entrée de la galerie

 

Tadashi Kawamata, installation sur la façade de l’immeuble Liaigre, rue du Faubourg Saint-Honoré et expo galerieKamel Mennour, rue Matignon.

       L’installation intrépide en forme de happening d’un « essaim de chaises » en haut de la façade de l’immeuble Liaigre permet d’estomper l’intérêt mesuré des dispositifs in situ de la rue Saint André des arts. Kawamata semble à cette occasion avoir à la fois retrouvé son sens du spectaculaire et de la surprise esthétique. Les chaises agglutinées interpellent aussi étrangement comme objet bizarrement dépossédés de leur fait que comme métaphores d’un nid. En rappelant l’Arc de Triomphe empaqueté par Christo, l’œuvre confusément saisissante, surprenante et somptueuse par son effet de transformation esthétique d’un site emporte l’adhésion et questionne dynamiquement l’objet créatif d’un dispositif plastique.

       Dans la galerie quasi attenante de la rue Matignon, l’artiste reprend son thème de la cabane. Cette fois, l’idée est d’organiser ou d’illustrer in situ une sorte de forêt ou de petit bois où des arbres en partie fictifs servent de supports pour des « cabanes ». L’artiste use du geste et de la manière artistique qu’il connaît pour percher ses « logis » dans les branches sans concevoir de projet artistique nouveau. On voit qu’il s’agit d’objets commerciaux, l’habitude pratiquée rue du Pont de Lodi se referme en boucle…

 

Bernard Réquichot se fait à nouveau remarquer chez Christophe Gaillard

         Pas simple d’évoquer la beauté et l’intelligence d’un art aussi autonome et signé que celui de Bernard Réquichot. L’exposition regroupe une partie de la collection de Daniel Cordier, soutien et collectionneur heureusement avisé de l’artiste. Et c’est encore et comme chaque fois une vraie émotion de revoir l’invraisemblable créativité plastique et visuelle dont il était capable, reconsidérant à la fois son imagination, l’imaginant même jusqu’à la concevoir et la parcourir d’humour factuel autant que d’inquiétude temporelle. Il y a les dessins de boucles « écrites » d’un tracé de plume répétitif et nonchalant, les papiers dont l’espace largement laissé vierge accueille cependant des dispersions à l’esthétique mescalinienne, les écritures et correspondances volontairement aussi illisibles que truculentes. Peintre informel selon la définition de Michel Tapié1, Réquichot a aussi produit des œuvres qui interrogent sur le contenu du vide que l’imaginaire en toute hypothèse suggére avec l’absence de repaires dans un monde capable d’advenir en se créant en acte. Qu’il soit graphique ou pictural et selon les cas destiné à un volume, ou qu’il se déploie dans tous les sens sur un plan, le geste artistique de Réquichot développe simultanément des techniques classiques et des improvisations « enfantines ». Partant, ses emportements sensibles débordent d’ironie esthétique et d’impertinences plastiques heureuses ; on ne sait s’il faut s’amuser (voir se gausser) avec lui des aventures possibles de l’art ou s’arrimer avec un sarcasme poreux à sa défaite en train de se hasarder à survenir ou jubiler sa refondation avec la foi d’un regardeur imprévisible.

« Un Art Autre, où il s'agit de nouveaux dévidages du réel », Michel Tapié, 1952