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A voir ça et là ou à redécouvrir

15/12/2023

Musées, Expos…ça et là de belles choses à voir ou redécouvrir et repenser

Claude Viallat chez Templon rue Beaubourg

    Les tableaux faits de toiles immenses sans châssis déploient leurs compositions colorées sur les murs. On voit de prime abord des tentures ou des mosaïques. On distingue des assemblages et des combinaisons en dallages irréguliers de formes diversement réparties sur des fonds incertains. Chaque œuvre mélange ou décline une picturalité à la fois sectorielle et environnementale, disposant à égalité un dispositif mural d’œuvre in situ et un dispositif aux échos de happening. Le regard capte et suit les gestes du dessin de l’artiste constamment en mouvement en même temps que l’œil apprécie chaque situation comme si elle passait de l’apparition à la démonstration. Les « haricots » du peintre révélés à l’insu de leurs images/signes devenus poétiques à force de passer dans les tableaux, silhouettent des présences tantôt mentales et tantôt abstraites, quelque fois, seulement esthétiques et bizarrement incarnées visuellement. La peinture de Viallat vit de détachements, d’abandons et de recours, d’impressions fugaces et provisoires, sans ad-venir en étant libres de paraître, comme Viallat agit pour surprendre.

    L’imagination picturale se renouvelle et se déride à travers le pragmatisme de l’art d’inventer une production. Avec Claude Viallat, la démarche conceptuelle, par définition à distance, s’enjoue d’évoluer et s’arrimer dans des aventures plastiques et esthétiques chaque fois inédites. Claude Viallat s’active depuis longtemps dans un vagabondage aussi joyeusement bordélique que paradigmatiquement créatif. Le peintre appelé à saisir que chaque nouvelle œuvre est une occasion de faire jouer tous les éléments plastiques entre eux, multiple les opportunités picturales. Bref, que ce soit de depuis Nîmes ou depuis Paris, on se régale du souffle d’un artiste jamais à bout de reformuler son travail et d’agir pour surprendre. Et s’en régaler !

 

Gilles Aillaud, « Animal politique », au Centre Pompidou

     Engagé par la Figuration Narrative*, ou simplement peintre figuratif, voire peintre philosophe et moral selon le centre Pompidou qui estime sa peinture à l’aune d’un projet conceptuel. Pas besoin d’être loin de l’art et de la peinture pour remarquer dans ses tableaux que le sujet flotte constamment, non pas indécis, mais indéfini, et en même temps de maniére paradoxale, résolument mimétique. Ce qui est montré avec les analogies formelles embarque et met en perspective des constructions visuelles que leur scénarisation plastique et l’autonomie artistique du peintre interrogent. Contre toute attente, et particulièrement celle du temps et de la technique employée, le geste pictural partout « suffisant » et la place laissée par l’artiste à l’apparence creusent l’inaboutissement tactique d’une recherche délibérée autour de l’œuvre progressant pendant son instauration. En me montrant dans son atelier de Malakoff un grand tableau à la fois en cours et au repos (ou en jachère, voire à certains endroits seulement esquissé et succinctement « pochadé », bref une représentation davantage sommaire plutôt que travaillée « à l’aperçu »), je l’entends encore me dire : « Ça suffit, c’est inutile d’en faire plus, c’est assez ». Je me le rappelle conclure, à la fois perplexe et attentif par rapport au tableau en cours, que peindre pouvait n’être pour l’œuvre qu’un temps d’usage, relativement à ce qu’elle « tient ». Et de fait, dans l’exposition, des seuls points de vue simultanés du geste et de sa démonstration, les tableaux brossés comme les dessins esquissés de son encyclopédie animalière déroutent par leurs « imperfections académiques ». Les œuvres présentent des cadrages plus ou moins photographiques ou arbitrairement « ratés » : les silhouettes des animaux apparaissent autant partielles qu’approximatives, comme de larges paysages à la fois documentés et approximatifs. « Sans s’en faire », l’artiste semble délaisser l’état de ses d’œuvres ou ironiser sur son travail. Alors l’admiration s’oppose à la place de l’Ecole, du sujet dont on interroge l’origine : on retient que Gilles Aillaud peint à partir de lui-même et de sa « nature animalière » dans le monde qui l’environne, qui le met à vue et dont il semble vouloir redéfinir les rôles. Gilles Aillaud capte des moments pendant lesquels sa vie particulière d’artiste le distingue philosophiquement du commun animalier qui lui suggère de décrire le monde qui nous contraint.

* Gérald Gassiot-Talabot, « La Figuration narrative, édition Le Cercle d'Art, Chambon, 2003 »

 

« Van Gogh à Auvers-sur-Oise, les dernières toiles », au Musée d’Orsay

     Le dernier souffle, sinon le dernier cri d’un artiste au bout du risque de sa vie. Van Gogh et quelques dizaines de peintures et de dessins, tous réalisées en deux mois, juste le temps d’hurler la passion dans l’urgence de peindre, de soutenir parallèlement que son art est sans contradiction aussi médité qu’organisé plastiquement. Tout du geste et des emportements connus de l’artiste sont rappelés et concentrés dans ses propres mots*, qui disent que son travail artistique et conceptuel s’articule sur un fond d’ « enchevêtrement » des formes dans la peinture. Partant, on « ré-enracine » les disséminations et les mouvements à la fois terriens et célestes de la touche du peintre, l’éparpillement organisé de ses gestes qui emmêlent les compositions et les effets de matière nerveusement picturale à travers lesquels il reprend les motifs sans discontinuer en les dessinant les uns par rapport aux autres.

     Les tout derniers paysages, et son œuvre ultime particulièrement, tous préemptés dans des toiles au format double carré, s’imposent comme des apparences instaurées d’art de peindre où le tableau fait simultanément surface et lieu, espace et moment, sujet du peintre œuvrant et image de ce qu’il formule et espère rendre sensible. De là revient l’écheveau des questions dont Van Gogh a édifié l’insondable mystère : questions qui creusent dans chaque tableau la mise en abîme de son dessin toujours appuyé de couleur. Et par lequel on ne voit que des apparences bouleversées par un peintre épris de peindre juste.

* « J’ose t’engager à croire que dans le paysage on continuera à chercher à masser les choses par le moyen d’un dessin qui cherche à exprimer l’enchevêtrement des masses… ». Van Gogh, propos sur Delacroix vs Lutte de Jacob avec l’ange, Ecrits et correspondance.