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« Aperçus », « Aspects » et « A propos », ou les engagements exposés d'une mise à vue

25/01/2024

« Voyant et vu,  en deux plats et deux perspectives… »

« Seer and Seen » chez Galerie Praz Delavallade ou Maud Maris sans vision

        Maud Maris est connue pour inventer et réaliser en peinture des natures mortes, des architectures ou des mises en scène complexes d’objets divers préalablement photographiés. De mystérieuses luminosités et autant de colorations aux teintes de faïences et théâtralisées embrument chaque ordonnancement en pointant des silhouettes de songes. Partant de ces dramaturgies oniriques, optiques et atmosphériques, l’artiste a développé des œuvres picturales intenses, spatialement complexes et finement exposées à des matières picturales sensibles et délicates. On devine l’artiste attirée par diverses questions de visions stylées ou temporelles, d’images et de contes réunis ; attirée encore par l’évanescence de mondes légers, des compositions plastiques savantes imprégnées d’apesanteur et d’onirisme, marquées d’une vraie de formule conceptuelle.

     Le fond et la forme de l’exposition intitulée Seer and seen  (voyant et vu) interrogent. Délaissant les apparences mystérieuses qui la préoccupaient, l’artiste interprète aujourd’hui des images approximatives d’animaux dans des décors d’illustration. On peine à concevoir les suggestions d’approches techniques ou plastiques derrière les mises en scènes et les représentations stylisées d’animaux, les apparences de paysages, les atmosphères ou l’expression des compositions plus littéraires que visuelles : tout n’est qu’images plates et miniatures décoratives. Le travail pictural dépourvu de subjectivité paraît s’effilocher en devenant évanescent, rien ne surprend ou ne dérange particulièrement. Peut-être ne s’agit-il que d’une évolution stylistique personnelle de l’artiste, la redéfinition d’un langage esthétique en autonome ? Présumées faire partie de l’exposition, trois minuscules œuvres sur toile sans châssis surprenantes d’amateurisme plastique déroutent…

 

Jean-Michel Alberola : Les Rois de rien et les années 1965-66-67 chez Templon rue du Grenier Saint-Lazare

        L’exposition se déploie dans la galerie entre sous-sol et niveau rue dans une atmosphère de rétrospective. La partie « sous jacente » (des œuvres sur papier en réalité récentes) est réservée aux passions et aux engagements artistiques et politiques d’Alberola. Elle regroupe des œuvres essentiellement textuelles chroniquées à partir d’actualités générales et culturelles particulières aux années 1965-66-67, ces trois années annonçant par ailleurs les bouleversements de l’année suivante et leurs suites historiques. Dispositif de collages mémoriels et sensibilité de l’artiste ont l’aspect de montages épars faits de notes et d’extraits de presse, de citations brutes d’auteurs réputés peu conservateurs : toute une enquête contre l’amnésie de l’histoire. De multiples ajouts et interventions esthétiques : marques de gestes spontanés, dispersions d’empreintes et de traces colorées sensibles supposées, (re)faire partie des moments cités ponctuent les compositions qui, du coup, s’affichent aussi picturales que scripturales et graphiques.

        Au dessus, niveau rue, sont regroupées des peintures murales ou sur toiles de dimensions variées et sur des sujets également divers. Les œuvres, cependant peintes pour l’essentiel sur le thème « Les Rois de rien » guident l’ensemble et servent de prétexte aux œuvres pentes sur les murs. Qu’on les considère ensemble ou séparément, leur pertinence esthétique et humoristique associée à la palette technique d’Alberola impressionnent par leur suggestivité. D’œuvres en œuvres, les formes déployant une acticité en apparence fragmentée de concepts d’expressions plastiques et de vagabondages poétiques entremêlent de multiples reflets. Des inscriptions rappellent un musicien, conceptualisent et ironisent sur la dénomination d’une surface flottant dans un entre deux simultanément non figuratif et descriptif, peu détaillé, un visage flouté oscille entre présence filigranée et aperçu. Partout, Jean Michel Alberola déconstruit à l’infini les plans et leurs découpes, brouille les repères entre intérieur et extérieur, bords et marges, net et flou. Il cultive la polysémie des zones entre surface et partie, cadre et non cadre, focales affirmées et déconcentration visuelle, silhouette et portrait…

       Le coloris aussi ponctuel qu’élargi aux contrastes simultanés et aux nuances, n’est pas en reste. Alberola semble avoir une attirance pour l’esthétique de la fresque. Ses peintures dont l’éclat des teintes est régulièrement un peu rabattu ont l’air travaillées comme si, chaque subjectile avait été apparenté à un mur enduit et les peintures étudiées pour être peintes « a fresco ». Peinture d’atelier et pratique artistique à la fois autarcique et « urbaine », poreuse de tous les reflets d’actualité et personnel, les « Roi de rien » miroitent des identités complexes, mouvantes entre apparition et de transfiguration. Et c’est en s’étonnant qu’on remarque que les sujets comme les compositions oscillent entre croquis et découpe, que leur mise en vue et en image s’estompe, que ses héros sont affublés d’attributs et de distinctions ironiques. C’est de manière concertée que chacune file plastiquement une construction à la fois informelle et parcourue d’apparences, que subrepticement pour le spectateur, ça se rassemble dans une effigie. Alberola imbibe ses « Rois de rien » d’un triple monde inconsistant, extérieur et intérieur, il les expose aux porosités de cultures avec et sans histoire, avec plus ou moins d’images évanescentes ou terriennes. Les  tableaux, témoins incarnés de l’« In » et de l’« Out » muralisent esthétiquement de multiples visions associées.

      Alors les peintures murales virent aux « tags »*, au « graph» voire au « burn »** spectaculaire ou allusivement politique. L’actualité mine la peinture d’Alberola aussi grand lecteur qu’observateur acéré. A leur contact, il entremêle les codes et les effets esthétiques dans  tous les sens. L’intitulé de la peinture murale « La sortie est à l’intérieur » qui accueille le visiteur, superpose faits et plans, découpe et dissémine les éléments d’une case de bande dessinée imaginaire (a-t-elle été empruntée à Hergé ou à Edgar P. Jacobs)… Le peintre ironise sur l’image déconstruite de sa peinture, l’éparpillement illusoire de son récit, il suggère de réfléchir poétiquement au désordre imaginaire de la forme peinte : les mouvements inversés, sinon les reflets et le sens de l’image depuis son moment d’apparition. L’image, habilement scénarisée, se lit sur le mur comme un livre émietté, clame un instant et livre une manière d’être exposée au regard et à la lecture, on songe aux romans-photos jadis détournés par Guy Debord dans l’urgence situationniste. L’injonction « La sortie est à l’intérieur » que le peintre emprunte allusivement à Guy Debord fait écho à ce dont, en sous-sol, un tableau sur papier anticipait l’urgence d’une idée phare. L’apparence narrative et l’esthétique urbaine de la fresque se confondent avec la surface du mur en même temps que le pictural s’emmêle du tout.

       L’aventure artistique de l’instauration du tableau et le besoin de consacrer la plasticité de la peinture, la volonté de redonner du sens à l’image peinte par une attention subjective et focale du monde sont orchestrées ensemble. Alberola ne peint pas seulement en temps que peintre figuratif, il « abstractise », superpose et conceptualise les apparences dont le tableau a besoin dans l’ordre qui lui convient. De sorte que, d’une œuvre à l’autre, on se réjouit de songer à l’inattendu de propositions esthétiques et questionnantes.

* Street art et graffiti, fresques urbaines. Le « tag » (graffiti) consiste à apposer une signature sur un mur à l’aide d’une bombe de peinture ou un feutre. ** Le graph étend l’idée du tag à une scène ou un motif peint. *** Le « burn » élargit esthétiquement le principe du graph l’idée d’une fresque murale exécutée à la bombe.