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L’art de quoi, au fait ?

24/02/2024

Martin Bruneau, Luc Veniat, Sostène Baran, Olivier Mosset, Camille Fischer ou Ronan Barrot vs Robbie Barrat et Jean-Baptiste Boyer en sept mesures…

L’art du paysage par Martin Bruneau à la galerie Isabelle Gounod

        « Parti dans un premier temps sur l’idée de suivre les traces de Gustave Courbet… » écrit le peintre qui évoque l’idée de recréer une sensation d’absorption. Il ajoute que « c’est par l’incohérence de la matière de la peinture et par le chaos de sa matérialité qu’il espère happer le spectateur ».

       On préfère sans difficulté l’étendue de la culture artistique et le sens contradictoi-rement aigu et chaotique de la matière picturale de Courbet dans l’art du tableau de paysage…

Les subterfuges de l’apparence peinte par Luc Veniat chez Valérie Delaunay

          Luc Veniat produit des trompe-l’œil bizarres. Il reproduit des vues d’objets insignifiants d’une manière picturale apparemment aveugle à la matière picturale, il disperse des effets visuels dans des émiettements de reflets lumineux, il éparpille des semblants d’attention à des détails et à leurs formes analogiques dans des reproductions banales. Alors qu’on ne devrait être saisis que par son métier technique pour apparenter l’étrangeté de ses images avec l’exactidude peinte, il faut à l’inverse s’interroger sur les perspectives de leur référencement même. Que vise donc l’artiste en figurant (et en se figurant) traiter non pas les sujets qu’il est sensé représenter objectivement mais dans tous les sens, d’impossibles réalités mêmes ?

          Luc Veniat s’inspire des enveloppes plastiques qui font les emballages des boîtes de conserves, des bâches du même plastique qu’on nappe ou qu’on recouvre ou qui servent à protéger temporairement des objets. Il y trouve en quoi la lumière disséminée dans les reliefs de ses replis mobilise des images en apparence éparpillées elles aussi. Les éclats lumineux et les reflets qui déstructurent leurs formes accrochent l’intérêt de son regard, le construit en visions et en interprétations débridées. Leur silhouette imprévue à travers une image rapprochée en gros plan, leurs dimensions ou leur échelle qu’il transgresse dans des cadrages abstractifs et des détails fictifs pour le spectateur servent encore d’attraits pour des portraits allusifs ou des compositions spectaculaires. Alors que les peintures jurent par leur hyperréalisme et que les vues semblent se banaliser dans des reproductions littérales, le peintre semble vouloir ouvrir des perspectives et créer des contacts aussi voilés qu’ignorants avec l’imaginaire de mondes inconnus qui nous entourent, dont le peintre est témoin et auquel le tableau doit nous confronter de façon subreptice.

Sostène Baran « Par désirs, par hasard » chez Galerie C

           Curieux de croiser un ensemble d’œuvres aussi datées que celles du surréalisme au moment du premier manifeste. S’il est déplacé d’y voir une créativité seulement désuète, il est aussi risqué de limiter les œuvres présentées à un manque d’imagination, voire des beautés dépassées ou moribondes. On ne peut en ce sens que se réjouir de l’imagination plastique et esthétique que Sostène Baran met au service de ses propositions en deux et parfois trois dimensions ou de leurs montages aux échos de micro séquences. Reste évidemment à dépasser un courant d’expression héroïque pour atteindre des horizons plastiques plus inconnus et plus inattendus qu’empruntés.

Olivier Mosset, revue d’une pratique iconique Galerie Les filles du calvaire rue Chapon

           La radicalité esthétique et formelle de Mosset telle qu’en elle-même depuis BMPT à la biennale de Paris en 1967… Mosset étend aujourd’hui son intégrisme esthétique à des productions de même aspect et dont la caractéristique principale est d’être vastes. A défaut de paraître vieillissante, sa pratique du monochrome aussi atemporelle que sa conception théorique du tableau voire du travail pictural et artistique continue de croire déborder les conventions de la sensibilité artistique, et, à tout le moins, de démontrer qu’elle reste innovante. 1967 continue…

 

Les montages syncrétiques de Camille Fischer à la galerie Maïa Muller

         L’exposition s’intitule « Oh Violette, ou la politesse des végétaux » et se présente comme un amalgame et des fusions de dessins, de compostions peintes, de matières et d’objets divers. Elle est aussi faite de vastes mélanges de tentures, d’œuvres sur papier, d’une installation configurant au sol une sorte de socle aménagé de livres, encore de peintures et toujours encore d’assemblages. Comme pour toute création syncrétique, le regard s’attache à ce qui lui est donné de regarder, se borne à relever des faits, cherche à discerner des liens, tente d’élucider les objectifs de l’artiste, et, in fine, oublie de profiter simplement de l’esthétique d’une scénarisation que son mystère théâtral emporte et détache du réel.

           Mais les motifs de fleurs dominent, interprétés comme s’ils divaguaient dans l’eau, comme des saules tombant au-dessus d’un lac ou comme des feux d’artifices en parapluies d’étincelles perlant dans une nuit de fête. L’artiste les multiplie et les répète aussi comme des patern de papiers peints imaginaires habillent décorativement des intérieurs intimes. Tout se mêle et tout s’emballe, la galerie mute en cabinet de curiosité, peut-être en antre…

            L’ensemble offre encore une vue de forêt onirique où la nature ignore ses repaires jusqu’à y perdre le fond qui permet de discerner entre ses sens. Sa vaste canopée de branchages retombant mollement à la verticale, le spectacle revient à discuter de ce que la nuit rend aux restes de ses rêves. Il y a aussi des portraits dessinés comme des œuvres essayées d’art brut, des visages arborés de dessins et de tatouages imaginaires et de joailleries enfantines de fête ou encore pour des rituels inconnus. Dans chaque dessin et dans chaque peinture, Camille Fischer confond ou bien hybride entre eux les codes plastiques et graphiques, l’espéré et le vu, genre et « dégenre » les apparences visuelles. Des ajouts multiples de colliers de perles aux colorations iridescentes complètent partout ce qui semble essaimé, des amarres pour des croisières et des accostages à la lettre extra ordinaires attendent d’être ouvertes ; l’exposition se transforme en opéra de visions, on songe à Gustave Moreau, à Jean Dubuffet. L’art de Camille Fischer demande à évoluer partout comme un rêve de voyage éveille les sens dès ses premiers transports.

 

Post-Esquisse à L’avant Galerie Vossen. Ou, Ronan Barrot vs Robbie Barrat aux risques de la (re) création picturale…

         « ”depuis une première expérience en 2019…Robbie Barrat, artiste digital a appris sur la peinture et Ronan Barrot a rencontré “la machine”».1 La question intrusive de l’IA est évidemment dans l’air du temps. La création en train de se faire ou ses mouvements d’instauration depuis l’esquisse tentent de creuser le sens de leurs frottements avec, dans le plus parfait désordre, la nouveauté, les débuts de l’œuvre, la composition plastique et dans une perspective définitivement imaginaire et spéculative, l’invention au contact de l’IA.

On précise par ailleurs : « Robbie utilise l’IA comme outil de recherche et Ronan peint ».2 Post-esquisse : « Le post-esquisse pouvant devenir peinture…et « la machine explore les fertilités de l’ordinateur à la faveur de nouvelles esquisses ». Le projet et dans sa perspective l’exposition filent donc l’aventure : « la continuité de rapports contigüs entre mécanisme d’intelligence artificielle et peinture »3

Demeurent les réponses créatives, à savoir leur intérêt plastique et leur intelligence (dans le sens d’un discernement critique/créatif) sinon la beauté des propositions esthétiques pour le spectateur, étant entendu que : « Ni Barrot ni Barrat ne cherchent à créer des imitations  ou des pastiches. Personne ne fait des faux.

         Pour créer, personne ne doit faire défaut 4 (On peut toutefois s’amuser de la proximité des deux patronymes qu’une unique lettre et l’écart formel de leur prononciation — voire « un “bruit” de nature processuelle » — les différencient en présumant entre eux une porosité et une séparation étanche aussi réelles qu’imaginaires).

           Résumé : « Des crânes qui auraient pu être peints par Ronan Barrot, dont 450 « Crânes » ont été versés à la base de données d’un programme de “deep Learning” afin d’apprendre à la machine à produire à l’infini de nouvelles images inédites. Barrat crée ainsi des œuvres jamais imaginées par Barrot. La mémoire visuelle d’un algorithme peut ainsi accoucher d’images que personne n’a jamais vues, au même titre que celles produites par l’artiste. Se pose alors la question de leur statut : peuvent-elles être considérées comme des oeuvres d’art à part entière ? Sont-elles des inspirations possibles pour l’artiste ? Un algorithme est-il capable de créativité ?5

         Dans l’exposition le constat est là : on voit des résultats de ces recherches et expériences sans différences notables entre les originaux et les “re-productions algorithmées”. Peintures sur toiles ou encore peintures « imprimées », tout est exposable de la même façon, toutes se valent et sont incarnées avec la même efficacité esthétique : il n’y a pas d’opposition ou de différence objective d’intérêt sinon de beauté entre elles. On subodore sans ironie que Barrat ou Barrot pourrait n’être qu’un seul et même personnage, et tant mieux si d’une certaine façon, Barrot le peintre parvient à convaincre qu’il pourrait lui-même signer les œuvres de Barrat le processeur. Mais précisément, qu’en est-il des limites et possibilités qu’il(s) entend rejeter hors de son champ personnel? De Barrot à Barrat, on fait « Oh ! » ou « Ah ! » ? Le doute de Noam Chomsky — par ailleurs mêlé de convictions­ à la fois éthiques et historiques — selon lesquelles et pour l’essentiel dans l’art, l’IA sert des parodies ou bien utilise le plagiat pour satisfaire des rentabilités commerciales, prend du galon.

1– Hugo de Plessix, Le proto atelier ou l’antre des post-esquisses, à propos de l’exposition Ronan Barrot à L’Avant Galerie Vossen. 2– ibid, 3– ibid, 4– ibid, 5– ibid.

 

La « peinture historique contemporaine » de Jean-Baptiste Boyer à la galerie RX

            L’exposition regroupe des peintures figuratives sur toile autour du thème « Un amour perdu » (il s’agit de son chien, nous apprend une interview du peintre). Un argumentaire de la galerie évoque un travail de peinture historique contemporaine sans qu’on comprenne vraiment le sens approximativement oxymorique de l’expression. Il est aussi dit que l’artiste vénère Delacroix et la peinture romantique, et également Goya… On peut donc légitimement regretter leurs connaissances du dessin et de la couleur autant que leurs talents de créateurs !