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Quelques galeries et des expos diverses…

11/04/2024

Questions d’expositions réelles et imaginaires…

Les « «Reconstitutions » d’Emmanuelle Castellan, galerie Valentin

         La forme des peintures éclaire immédiatement sur leur origine, en l’occurrence une narrativité filmique prolongée par des pratiques atmosphériques de croquis et de pochade.  Côté compositions, les tableaux uniques, en séries ou en suites ne cachent pas leur montage vs des collages et des rapprochements illustratifs et à tout le moins expressionnistes, double paradigme dont les modèles et le ton sont aussi ceux de textes ou de phrases visuelles. C’est évidemment intéressant à cause des transferts, des décalages et des reports de perception et de lecture, c’est émouvant à mesure qu’on « relie » et qu’on « relit » des passages allusivement filmiques où les successions d’images priorise la perception un « texte d’images ». C’est captivant à mesure de l’intérêt pictural des procédés, assemblages, de collages, de transgression et d’expressions visuelles initiées ou reconnaissables quand ils sont portés, inspirés par l’histoire de l’art et dont l’artiste cultive l’appropriation créatrice comme un travail d’alentour. C’est encore, et peut-être surtout, dans l’air du temps, celui d’une art de pictural plus affirmé dans l’illustratif que dans une exploration perspectiviste de la plasticité.

Les paysages transposés de Géraldine Guilbaud à la galerie ICI

        Des croquis de paysages enlevés et colorés réalisés en Irlande et des œuvres hybrides non figuratives entre peinture et sculpture, et toutes en matière picturale agissante comme des visions transposées par l’imagination des paysages croqués (on songe à des emportements romantiques de peintres du XIXe s). Sans en avoir l’air, chaque œuvre étend expressivement et un peu théoriquement, les murs étroits de la petite galerie jusqu’à contribuer à faire de son modeste espace intérieur disponible un vibrant théâtre in-situ, une installation allusive de Land art et un immense microcosme sensible de l’artiste aux prises avec la réalité de ses rêves. Et du coup, tout un programme personnel émerge dans une ambitieuse légèreté esthétique.

 

Morellet et Max Bill, dialogue rétrospectif, galerie Kamel Mennour

         Ils s’appréciaient artistiquement et amicalement. Conceptuellement, c’est moins sûr ou alors il faut nuancer sans crainte. Cette confrontation purement esthétique ravive un fond conceptuel de l’art géométrique qu’on aurait tort d’oublier« L’œuvre doit être conçue avant d’être exécutée et cette exécution doit être neutre » (Morellet, 1997). A l’opposé de celle de Max Bill dont l’art formaliste avait des airs de religion personnelle, la pratique plastique de Morellet témoigne de son sens de l’humour (littéralement) décalé et d’une ironie plastique théâtrale dont il pouvait faire son miel.

 

L’esthétique géométrique colorée de Bruno Rousselot chez Bernard Jordan

       « Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude. Les contrastes et les rapports de tons, voilà le secret du dessin et du modelé. L'effet constitue le tableau, il l'unifie et le concentre ; c'est sur l'existence d'une tache dominante qu'il faut l'établir » (Cézanne).

       Bruno Rousselot aime citer le peintre d’Aix. Le colorisme épuré et les arrangements géométriques qui composent ses peintures/panneaux évoquent toutefois des positions plastiques délicates à concevoir par rapport au mouvement sensible de l’œuvre à peindre telle que pensée par Cézanne. « L’enchâssement des blocs colorés dans de grands rectangles »1, et toutes choses égales, les interventions environnementales et décoratives auxquelles son style se reconnaît dénotent l’objet sensible d’un travail visuel où les deux artistes divergent. De sorte qu’aux questions pendantes de Cézanne sur l’invention constante d’un « regard personnel mobilisé et créé au contact des rapports de tons », Rousselot répond par l’invention d’un regard autre, à la fois statique, contemplatif et surtout formaliste. Sa peinture, impressionnante de présence voire de monumentalité, est aussi harmonieuse, mais elle est préétablie et retenue par sa conception anticipée même, préétablie et fondée en partant d’un schéma esthétique. Me reviennent à ce propos diverses et  multiples positions pratiques/théoriques du néo plasticisme et du Bauhaus, les sursauts personnels d’Auguste Herbin et Vasarely ou dans une autre perspective visuelle la radicalité des dispositifs spaciaux et chromatiques de Barnett Newman, voire l’approche architecturale et environnementale du regard du spectateur sur la composition colorée par Daniel Buren. On parle de raideur (peut-être) et de renouvellement (critique), de précis et de dérives dialectiques et peut-être d’imagination disruptive de l’œuvre à faire, de manque d’ironie quant à l’art de la produire et de l’accomplir. Il s’agit de naviguer entre imperfection et attentes, nourrir le travail et l’œuvre d’apparences imprévues, d’effets plastiques et non seulement d’effets de tableaux, fussent ce t’ils des métaphores de peintures murales. L’accomplissement des productions esthétiques de Rousselot aussi géométriques que chromatiques mais cependant aussi bizarrement proches d’un oxymore des deux subjectiles du mur et du tableau, me semble en retrait du point de vue fatidiquement critique et incompréhensible du tableau d’imagination.

 

Red runs through (le rouge traverse) vs « Comforter » (consolatrice)  ou l’art pailleté de Frances Goodman, galerie Les filles du calvaire.

       L’exposition réunit des portraits de danseuses de cabaret brodés de paillettes, des sculptures en formes de serpent (des boas ?) faites de faux ongles, des sculptures en forme de piliers augmentées d’inscriptions posées comme des affichages numériques, bref tout un ensemble d’œuvres soutenues par un discours sur la féminité et fondé sur l’utilisation de matériaux associés à la mode et au maquillage… Bref des images plates ou en volume, éclatantes, séduisantes et scintillantes de rouge brillent des usages superficiels de leurs matériaux empreints.

 

Damien Cabanes, « Let’s a thousand flowers Bloom » chez Eric Dupont

       « Que mille fleurs freurissent » dit un proverbe chinois… Damien Cabanes peint donc des fleurs, en bouquets, en champs, par masses. Les bouquets sont désordonnés, les fleurs paraissent amassées ou vaguement réunies en tas. Les feuillages verts dominent parfois sur les bulbes ou les pétales colorés…

       Damiens Cabanes les figure sur des toiles sans châssis, aux contours découpés un peu à l’arrache au moyen d’un cutter, chaque motif est juste posé à l’état brut et approximativement au centre des aires de toiles à peindre. Un trait de crayon décalé ou en retrait simule, rappelle, cadre ou feint un bord de tableau fictif. Les peintures directement « punaisées » sur les murs « crient » abruptement leurs motifs fleuris sans détour.

       Les peintures sont peintes comme des pochades, avec de gestes francs et directs, crûment tachés et colorés. Formes, couleurs et dessins s’emboitent et s’assemblent dans une fièvre de croquis rudimentaire à partir du « modèle vivant ».

Dans un document imprimé pour l’exposition, le peintre évoque un travail d’inspiration simplement attentif au modèle observé, lie son travail d’artiste à un besoin vital d’inspiration, parle technique… Il cite pèle-mêle Lao Tseu ou Mark Rothko, l’expressionnisme abstrait américain des années 70/80, Friedrich Hegel, Claude Monet et Cézanne… Il dit « il ne faut pas trop décrire l’objet, l’espace s’ouvre juste avant que l’intellect reconnaisse la fleur, deux trois touches suffisent et ensuite il se referme ou se rétrécit »… Les peintures tentent des liens avec des pratiques et des créateurs dont on peine parfois à suivre le fil dans l’exposition. Le fait est que la manière et le style d’image et d’objet peint dont Damien Cabanes cultive autant l’apparence plastique et le style visuel affirmé et direct interrogent en suggérant davantage une « façon personnelle » de faire qu’une perspective esthétique à distance. Entre Monet et Rothko fortement cités, le coloris marque le pas ; les teintes au lieu de passer à l’intense sont appliquées sans souci technique et leur éclat ou leur intensité se voient ternes, parfois indifférenciées. Même si les époques autant que les approches peuvent suffire à se dispenser de tenter les rapprocher, on peine encore à oser comparer les peintures de Damiens Cabanes peintures avec celles des bouquets peints par Henri Fantin Latour ou Paul Gauguin, les matières et intensités vertigineusement picturales d’Odilon Redon, Manet ou Monet. Une aporie esthétique récurrente ressort de ce travail où les traces d’une réflexion conceptuelle sur l’art de peindre butent sur un discernement ajusté des gestes et de leur traces, où le mouvement dessiné du croquis vs le peint spontané de la pochade trahit des propositions visuelles inaudibles sur l’art de « bien mal peindre », de s’appuyer sur l’art subtil de la « sprezzatura » (je songe autant aux  gestes improvisés de Rothko ou Bram van Velde qu’aux enroulements conceptuels de Cézanne méditant sur la tenue de l’œuvre à produire. Tous me semblent avoir été accaparés par le besoin de transformer par délégation leurs emportements ou leurs « essais » esthétiques en autant de puissances instauratrices et souvent malicieuses d’articité.)

        Cabanes aime peindre et dessiner en même temps, poser ses motifs tout en brouillant leurs vues, « calculer » une composition picturale et en même temps lui opposer son support et l’idée qu’il est l’objet d’un tableau. De ces points de vues, c’est un artiste conceptuel et dans cette perspective, son travail énumère des tactiques davantage que des techniques. C’est encore pour cette raison, peut-être plus intuitive que préconçue, que, dans l’exposition, qu’il s’agisse de bouquets de fleurs, de portraits ou d’animaux, de silhouettes ou d’apparences humaines, d’amas de feuilles ponctuées de quelques fleurs, toutes les peintures se rejoignent et font œuvre. C’est sans doute pour tout cela que la taille parfois monumentale des peintures, l’échelle murale des images et le hiératisme assumé de leur simplification formelle interpelle et suppose que l’artiste creuse davantage les caractéristiques de son entreprise plus loin que le plaisir naturel de peindre « des fleurs fraîches ». Ainsi vont ses remarques, s’étonnant d’emboiter éléments floraux au lieu de simplement les figurer, c’est encore peut-être pour cela qu’il tient à replacer son travail de peintre sur un fil créatif le long duquel il a multiplié les disciplines artistiques en concentrant in fine son attention devant l’œuvre en train confrontée à son apparence. Ne reste semble t’il la plupart du temps que des vues allusivement ponctuelles et passagères, fragiles et incertaines; des objets artistiques hybrides où toute tentative de récit, de résumé des intentions et de l’histoire achoppe sur des aventures multiples, inclassables et personnelles, hors du temps et sans approfondissement, parce qu’exclusivement dans la vie artistique de leur inventeur…

 

Daniel Dezeuze galerie Templon rue du Grenier Saint-Lazarre

        Pas moins de quatre mini expositions distinctes sous le titre approximatif «  Mesoamérica, Cités perdues et Derniers Refuges » sont regroupées en une.

          Fini les propositions théoriques et plastiques militantes initiées depuis le groupe Support Surfaces dont l’artiste fut un des fondateurs, et dont depuis peu encore, son travail éthique et philosophique semblait devoir durement incarner l’orientation méthodologique et matérialiste. L’ensemble des œuvres présentées avec «  Mesoamérica, Cités perdues et Derniers Refuges » confirme donc un retour à l’illustration et l’évocation figurative amorcé dans de précédentes expositions. Les réalisations en relief ou sur papier sont parfaitement établies dans leurs références et leur conception : des sortes de bas reliefs fabriqués de bout de bois ramassés puis rehaussés de couleurs suggèrent des paysages, une armurerie fantasque de pistolets bricolés avec des objets de récupération rappelle sans convaincre l’imagination débordante des fusils d’André Robillard ; des dessins d’arthropodes ou d’insectes et de fleurs font songer à des recherches graphiques de Louise Bourgeois ou Cy Twomly.

 

Amy Bravo, « I’m going with you » galerie Sémiose

      De vastes constructions de dessins et de peintures figuratives sur toile sans châssis forment des silhouettes de tableaux ou d’œuvres murales dont le statut plane entre improvisation ou reconstitution mémorielle et autobiographique.

Le style visuel général puise autant dans l’art populaire que les rapprochements dadaïstes, l‘art pariétal et la fresque, on a parfois aussi le sentiment de lire les cases librement pavées d’une bande dessinée virtuelle. L’impression d’un storytelling conté d’œuvre en œuvre infuse, laisse apparaître une artiste parcourue de souvenirs personnels et familiaux, une enfant habitée par le désir de se projeter en peuplant ses images de figures tutélaires, des réminiscences de quelques terres d’origines, voire de résurgences de chroniques familiales.

       Pour parvenir à constituer ses visions en œuvres d’art, l’artiste s’appuie sur un espace à la fois réduit au plan mural et à des effets de chevauchements dans les compositions. La ligne claire qui résume graphiquement les silhouettes leur donne une aura de représentations imaginaires, des ajouts d’objets mettent en perspective des horizons symboliques. Des lignages mythologiques se constituent  en rhizomes, les assemblages simultanément oniriques renvoient à des galeries d’images parcourues de textes fantasmatiques. C’est très beaux, très énigmatique tant c’est culturellement littéraire presqu’avant d’être plastique et majoritairement visuel.

 

Les séquences glacées d’Atul Dodiya à la galerie Templon, rue Beaubourg

       « I know you. I do. O’ stranger » (Je te connais. Je fais. O étranger !), est l’intitulé de cette exposition qui semble ne s’adresser qu’au spectateur mais qui en réalité le met en marge par rapport ce qui est montré. Les peintures presque hyperréalistes font directement références au cinéma indien et se présentent à la fois comme des images uniques et des séquences glacées de story-board. Le silence, l’attente ou l’arrêt méditatif accompagnent les vues comme un arrêt sur image (im)mobilise l’attention sur ses moindres détails : composition et d’angle de vue, lumière et d’ombre, reflets et effets de monstration…

        A l’opposé, les manières qu’a Atul Dodiya d’aborder l’identique suggèrent que son travail pictural prime sur toute considération photographique. L’aspect accentué des réalités mises en avant par ce qui est peint à partir de ses « nouvelles » images modifiées par la peinture fonctionne comme si l’artiste cherchait à « défalsifier » leur apparence de trompe l’œil hyperréaliste pour défier ironiquement l’« étrange étrangeté »1 du genre. Les cadrages et les angles de vues accentués, toutes ses manières de déplacer, transformer, sublimer, souligner ou opposer artistiquement les statuts cinématographiques et photographiques des images an faveur de leur reprise à travers des points de vues aspectuels interpellent leur thème en les faisant passer potentiellement pour des éléments d’un film de spectateur. Partant, plus rien ne semble objectif ou réel, cinématographique et en même temps photographique, il n’y a plus d’aura que le subterfuge d’une présence filmique devenue fictive. Chaque tableau à priori initialement documentaire se creuse d’une vision subjective voire participative et virtuellement fantasmatique ou purement onirique et par conséquent immatérielle… Quelque chose de ces œuvres fascine sans qu’on sache si leur hyperréalisme percuté ou déplacé par les biais picturaux de l’artiste en est le moteur.

 

Gérard Traquandi tout à ses sources artistiques Galerie Catherine Putman

      Le ton est donné avec une citation de Pierre Bonnard : « Il ne s’agit pas de peindre la vie, il s’agit de rendre vivante la peinture ». On comprend que l’artiste veut rendre sensible ce qu’il entend par plaisir de dessiner et peindre. Les sujets comme les thèmes des œuvres exposées sont multiples, inspirés par la nature ou retenus de visites dans des musées, justifiés par l’étude et entrepris sur la foi d’une question plastique à creuser ou révéler artistiquement.

      Qu’elle soit technique ou plastique, la créativité visuelle du peintre s’affiche historiquement et d’un point de vue esthétique. Ça tient du croquis et de la pochade aquarellée ou matiériste, d’un fil de trait jusqu’à un geste calligraphique au lavis. C’est abstrait et évocateur ou allusif et expressif, parfois des taches sont rassemblées pour décrire un motif, ailleurs c’est simplement une joute de teintes et de surfaces qui annoncent un regard.

       Un pan de mur réunit un assemblage de notes visuelles parfois minuscules, on distingue des scènes de personnages et des paysages divers, parfois empruntés à des tableaux, certains sont multicolores et s’organisent dans une abstraction de mémoire, d’autres sont des visions peintes à l’encre de chine et suggèrent des corps. Sur le mur du fond d’une seconde pièce, deux dessins silhouettent des jambes et portent l’intelligence plastique de l’expression graphique à son acmé…