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Dans diverses galeries…

08/05/2024

Des expositions, des œuvres et des pratiques forcent l’attention…

Les déambulations esthétiques de Sylvie Sauvageon à la galerie ICI

      « Border la terre » à la fois sans T et avec un « t » à la fois furtif et décentré, dire l’aventure et sa connaissances creusée de découvertes esthétiques, silhouettée par les empreintes des lectures et des rencontres de l’artiste. Sylvie Sauvageon romance l’expression visuelle de son art en l’émiettant de vues diversement dessinées ou peintes dans des styles scolaires, naïfs ou précis, en l’exposant par une installation où la minuscule galerie mute en cabinet de curiosités graphiques et picturales. Les murs ponctués des œuvres de l’artiste ouvrent à la fois autant de fenêtres que de rêves fugaces et prégnants à partir desquels l’imaginaire plastique s’explique par l’intelligence sensible de son inventaire ou les remontées virtuelles de ses images.

 

Allen Jones : « From the Gods » galerie Almine Rech

       Allen Jones pratique un art réaliste hybride et hétérogène, sa production ou sa pratique est aussi picturale que sculpturale. Ses œuvres également aussi descriptives que suggestives  drainent des apparences ironiques à partir de quoi leur thème comme leur style toujours plus allusif que littéral apparaît politiquement ou socialement aussi sarcastique qu’esthétiquement « déconnant ». Manifestement épris de cubisme et de découpage à la Matisse, et curieusement mémoriel quant à ses liens artistiques avec les pratiques d’assemblages de Rauschenberg, Allen Jones se joue de ses liens (anciens et connus) avec le pop art. Il brouille et surjoue en même temps l’essence borderline de son travail marginal jusqu’à la caricature en assumant désordonner « grossièrement » sinon exagérer l’univers esthétique de ses sources d’inspirations.

     Des impressions d’extrême mobilité créative mêlées à une tout aussi radicale ironie plastique caractérisent au passage ses œuvres d’une apparence vulgaire. Les tableaux mettent en scène des femmes objets juchées sur des tabourets, on songe aux socles de statues imaginaires voire de piédestaux de foire. Les toiles grossièrement badigeonnées dressent des environnements approximatifs, chaque femme, à la fois moulée en volume et peinte de couleurs flashy semble passer dans une rue ou appartenir à des vitrines fictives. Tout semble avoir été conçu pour qu’on se focalise à la fois sur une séquence et sur le spectacle d’un voyeur/regardeur. Le comble est atteint avec une œuvre entre environnement et installation en forme de vitrine réelle où l’hologramme d’une femme supposée revêtir une tenue de soirée sexy évolue virtuellement devant le spectateur pour se dématérialiser dans une ambiance de désir confus, de présence éphémère et de fantasme. Cet art à la fois malin et diablement scénarisé entremêle les (en)jeux visuels, où l’image se nourrit d’aperçus virtuoses autant que d’apparences imaginaires.

 

Pauline Bazignan galerie Praz Delavallade

       Imaginez une cascade, l’eau chutant spectaculairement devant une façade rocheuse, le monde visuel confiné dans un rideau liquide. Et l’aventure des gouttelettes miroitant la lumière en d’innombrables arcs en ciel, de nuages vaporeux, chaque coulée éclaboussant l’espace d’un pointillisme dispersé par myriade. Et aussi, l’espoir d’arriver à voir, distinguer autant que possible à travers l’air humide environnant un peu de cette façade d’un second plan qu’on distingue à l’état gazeux, mais qu’on ose supposer matériel et opaque derrière l’averse  et son rideau translucide et nuageux de Tergal. Ce monde, à la fois allusif et où rien ne ressort classé, mais dont on dirait en en faisant une peinture, semble être pour Pauline Bazignan un théâtre inspirant de sensations réelles et de visions imaginables. Elle y décèle des motifs d’étoiles et de cercles de feux d’artifices, des cosmogonies nocturnes et des images démultipliées de rêves éveillés. Partant, restituer ces opéras comme s’ils étaient des ensembles sériés et les thèmes de tableaux à concrétiser tourne aux défis, car il faut retrouver et réinterpréter des éclats de lumières et les enjeux de clairs obscurs devant des suggestions d’espaces, il faut retrouver artistiquement la mémoire de reflets et d’éclaboussures, tout un univers d’images où les visions passent par d’innombrables évocations esthétiques ; il faut en même temps échafauder plastiquement sa peinture.

       Les tableaux de différentes dimensions creusent des visions neutres et décalées. Neutres quand rien ne s’interpose entre la paroi et le voile d’eau précipitée. Décalées et personnelles quand allusivement la citation d’une œuvre mythique fait fond d’un espace et d’un temps qu’on imagine seulement personnel. Partant, le sujet « intimise » littéralement l’eau, règle son mouvement de chute, en fait plus qu’une tombée. Il se trouve qu’avant de peindre des chutes d’eau, Pauline Bazignan s’attachait à scénariser poétiquement des jaillissements d’akènes emportés dans le vent.  Il faut aujourd’hui imaginer l’artiste

        En imaginant intituler son exposition Momentum, l’artiste prête à son travail la faculté de transformer, transposer voire établir ses visions par des aperçus passagers, concevoir puis cadrer une séquence spectaculaire de sensations dans un rideau d’eau, . Elle compte sur son expérience picturale pour rappeler que la peinture pointe des enchainements créatifs et vit de mouvements poïétiques. Ses mondes flottent comme des œuvres ukiyo-e postulent que l’expression visuelle vit artistiquement au quotidien une sélection de temps de voir et de montrer.  

 

Les Nymphéas de Katarzina Wiezolek chez Eric Dupont

        Passons sur le propos de l’artiste intitulant son exposition « Echo », alors même qu’elle ne fait pas mystère de reprendre à son compte le thème des Nymphéas par Claude Monet. Mieux vaut évoquer son choix de focaliser son travail sur le dessin et la mise en forme de l’image plutôt que sur la peinture pure et le lyrisme dont Monet a fait son miel. Chacun ses horizons.

        Katarzina Wiezolek représente des étendues d’eau dans un esprit photo-réaliste. Ses dessins décrivent des configurations contextuelles et se concentrent sur des impressions passagères de lumière ou encore un style emporté comme l’impressionniste a pu le faire. Les formats et l’orientation des œuvres, toutes crées sur papier, sont indexés sur des projets d’images de paysages dont l’artiste dématérialise les limites et convoque des hors champs d’univers sensibles à des fins d’expression par des effets d’all over et par des focales élastiques pour le spectateur. Chaque composition s’appuie (ou teste ?) des jeux de vides et de pleins comme un montage solidarise ou questionne l’affinité de liens entre les parties d’un ensemble. Saisi par l’image supposée fidèle du paysage de l’étang presque monochrome quand il s’agit des feuilles mais polychrome avec les reflets miroités par l’eau, le regard divague entre les trouées masquées par la couverture végétale et le ciel s’y interposant. Il erre entre le graphisme linéaire d‘irisations ondulantes dessinées par le vent et les silhouettes alanguies de feuilles qui couvrent sa surface. D’une envie qu’on devine à la fois enfantine et espiègle, le regard de Katarzina Wiezolek stationne un instant sur quelque fleur de nénuphar en partie ouverte ou encore fermée et se sert de son motif pour travestir la couverture feuillue monochrome d’une touche divertissante.

        Sur les murs, les œuvres aux dimensions intimes ou éperdues d’espace détaillent en sourdine une recherche d’atelier animée non par les instants de touches particulièrement picturales comme Claude Monet a pu les tenter et les réussir, mais par la quête d’un dessin cultivé depuis ses apparences. « Echo » de Katarzina Wiezolek se veut fluide et posé, ou calme et reflété par des constructions visuelles explicites ou contradictoirement imaginaires. Chaque proposition plastique brille implicitement de montages dont l’artiste a voulu retenir, privilégier, simplement aboutir à la silhouette ou librement imaginer son aspect visuel. Katarzina Wiezolek nous fait in fine partager son savoir faire d’artiste pour des choix argumentés de temps d'attention puisés ou relâchés.

 

Justin Liam O’Brien : All Sunsets Risen, galerie Semiose

      Il est question d’histoire individuelle, voir d’autobiographie… Il est question de réalisme, de photographie, d’image 3D, de jeu vidéo, voire de culture numérique, plus vaguement d’icône et de style visuel historique, à tout le moins consacré par les musées…

       Justin Liam O’Brien se figure réellement dessiner, œuvrer à des tableaux inventifs et expressifs, « inspirer des autoportraits » plus intéressants que des illustrations descriptives, accomplir des œuvres originales au lieu de suggestions d’après « les maîtres ». Las, rien d’instructif ou surprenant dans ces productions aussi inexpressives que techniquement faibles et laborieuses, si ce n’est que, précisément, elles sont proprement plates.

 

François Rouan, « Après coup » chez Templon rue Beaubourg

        L’exposition est faite d’un ensemble d’œuvres d’esprit photographique ou Rouan poursuit ses recherches commencées il y a 40 ans sur la déconstruction du tableau, partant de l’idée qu’une image vs un tableau fonctionne comme un tressage et ne peut qu’être non descriptive voire abstraite et « littéralement illisible ». Les œuvres exposées ont été inventées en superposant et en décalant plusieurs films transparents. Les motifs en positif ou en négatif une fois entremêlés dans d’improbables configurations visuelles où aucun sujet ne saurait s’imposer, l’artiste revient sur les produits obtenus en ajoutant des grattages, des hachures, des pointillés ou des entrelacs pour (re)créer des effets de tressages ; d’autres fois il les retravaille en y tachant des zones badigeonnées de blanc ou de rose saumon.  Chaque œuvre est titrée ; Rouan, féru d’art italien du quatrocento cultive à sa manière le plaisir de l’érudition.

      La technique conceptualisée du tressage pictural reste donc, les inspirations historiques cultivées persistent aussi, la mobilité technique et tactique demeure, l’appétence pour le renouvellement formel continue… à ce détail troublant près : dans bon nombre d’œuvres le peintre a introduit, centré et isolé une forme en la séparant comme si, dorénavant et dans un retour conventionnel, il privilégiait et souhaitait valoriser son travail créatif en le faisant dépendre d’un cadre ou d’un socle…

 

Lady Stardust par Valérie Belin chez Nathalie Obadia

        L’érudition à la fois picturale et photographique de Valérie Belin fait à nouveau merveille dans cette série où s’entremêlent réalité apparente et fantasme de fonds de tableaux imaginaires. Lady Stardust est l’intitulé générique d’une série de huit portraits d’une mannequin chaque fois différemment vêtue et photographiée en studio devant un papier de fond. Ce dernier a été retravaillé par la suite afin de mettre le modèle en perspective avec un univers fantasmagorique. Incidemment, le mélange inventé prend en charge des regards subjectifs, à la fois contenus et exclus de l’image, à la fois contraints et détachés de sa scénarisation, détachés aussi de l’esthétique de son logogramme.

       Chaque œuvre, allusivement à l’échelle 1 du modèle photographié, dispose ainsi de la lisibilité d’univers visuels de référence à la fois ponctuels ou personnels, comme un rêveur amplifie, disperse, détourne ou réoriente son récit onirique pour inventer sans borne ses tunnels d’interprétations. Partant, qu’il s’agisse de leur apparence de couverture de magazine ou de palimpseste, ou par analogie leur appartenances au genre de la peinture de portrait, ces photographies renvoient avant tout à une recherche esthétique et créative d’autrice.

 

Léonardo Crémonini à l’honneur, Galerie de l’institut de France, quai Conti

        De l’art réaliste, narratif et "rien que plastique" d’un même coup, esthétiquement créatif et disruptif à souhait dans chaque œuvre, stupéfiant d’opportunisme et de mobilité techniques de son auteur passionné de dessin, de photographie et de cinéma, sensible aux récits en images et en même temps connaisseur bien avisé de l’art abstrait…

          La rareté des occasions de voir et revoir le talent artistique de Crémonini, créateur engagé et spectateur critique averti, s’estime au plus haut niveau dans cette présentation limitée mais suggestive de son œuvre lithographique.