ZeMonBlog
19/07/2024
Quatre points de vues avec hors champs, et bien davantage de questions sans réponse(s).
Les opiniâtretés contradictoires de Bernard Cousinier, Galerie Pixie
Bernard Cousinier persiste à interroger la déconstruction du cadre traditionnel de l’œuvre peinte initiée dans les années 80 par les artistes du groupe Supports-Surfaces. Sa production prioriserait des perspectives théoriques : méthode plus distance critique, sinon un horizon à la fois pédagogique et esthétique, l’ordre étant ici purement arbitraire…
Son art géométrique a l’aspect d’échafaudages complexes de lignes, surfaces et plans peints de formes rectangulaires déployées en hauts reliefs à partir du mur. Il a l’apparence de constructions méthodiques, de présentations pensées aussi comme des installations in situ. Sa proximité avec certaines recherches de Mondrian, Vantongerloo ou Jean Gorin, voire le groupe Abstraction Création, est naturelle tant par le bâti et l’espace construit. Ses œuvres personnelles s’offrent à la fois comme des tableaux en relief, des productions picturales traditionnelles ou des dispositifs colorés en forme d’architectures.
Titillé par un texte enthousiaste d’Yves Michaud sur l’exposition, et profitant d’une rencontre opportune avec le peintre devant son travail, je lui fais remarquer que, malgré leur détachement en relief par rapport au mur et tout en poursuivant un cursus critique/créatif initié depuis les pratiques et théories déconstructivistes du groupe Supports-Surfaces, chacune de ses peintures semble maintenir le principe d’une composition centrée autour d’un axe vertical comme pour un portrait frontal traditionnel. Bien qu’en relief, chaque œuvre voit en conséquence son spatialisme se réduire à un ordonnancement modélisé : le regard « contraint » de tourner sur un axe unique, oublie les ambitions créatrices disruptives du travail de recherche initial. Partant, je l’interroge par ailleurs sur le rôle démonstratif des couleurs régulièrement crues ou, semble-il encore, peu composées ou peu complexes, dont il se sert pour teindre en aplat certaines arêtes sur lesquelles il s’appuie pour spatialiser chromatiquement ses compositions. L’artiste, s’intitulant peintre quasi exclusivement pose que le plan rectangulaire du tableau traditionnel est pour lui un index préalable et ineffaçable ; c’est, à ses yeux, un socle ontologique d’artiste peintre. On comprend à ce retour ce par quoi la volumétrie des œuvres s’est construite et, dans cette perspective, sur quelle esthétique se fonde une large part de la spatialité des couleurs exprimées. Tout cela est contenu dans/par l’esprit haut relief ou partiellement en « ronde-bosse » traditionnelle auquel on faisait allusion, voire les échos in-situ du produit final. L’artiste paraît in fine déplacer l’esthétique de la sculpture peinte dans une peinture potentiellement en troisième dimension. Nos échanges me conduisent donc à m’interroger sur le présent, l’aventure et l’horizon historique de son imagination plasticienne ; j’oppose ici une divergence de fond avec l’assurance d’Yves Michaud.
Les titres « Passe fenêtre », « Passe plan » ou « Passe Volume » des œuvres que le peintre se retient d’afficher présument paradoxalement une démarche plus actuelle et dynamique. S’agit-il d’ailleurs de dénomination des œuvres ou de programmes de travail ? Evoque t-il des thèmes abstraits de réflexion, l’échafaudage de méthodes pratiques ou des formes d’images à découvrir? Bien que passée sous silence par Bernard Cousinier, chacune de ces problématiques semble instiller le suivi d’un paradigme personnel en même temps qu’une manière d’expliquer la peinture par son travail d’avancement poïétique, de considérer l’apparition ou l’échafaudage des œuvres plus importantes que les œuvres terminées. Ces intitulés potentiellement fusionnés des fonctions du peintre et du déroulé des œuvres guident en sus le regard du spectateur vers des pratiques de discernement critique et sensible, tout en suggérant qu’il lui faut adapter ses considérations artistiques dans le sens d’une lecture sensible entière davantage que comme une production par nature ponctuelle.
Partant, l’insatisfaction esthétique des œuvres s’estompe, le projet d’approche spatiale de la couleur en même temps que la conception volumétrique des œuvres s’organise et diffuse des intentions construites. Reste toutefois à les rendre plus plastiques et sensibles que projetées ou présumées et énoncées. Il n’est pas dit qu’à ce niveau, l’appui ou le souvenir des incitations formalistes de Supports Surfaces (étaient) ou sont picturalement encore probantes comme chemins et guides théorique/pratique en chromatologie.
Ghislaine Vappereau et « Faire maison », galerie Jacques Levi.
Le cubisme et le théâtre construit de l’œuvre peinte semblent être la grande affaire de l’art figuratif de Ghislaine Vappereau. Pour parvenir à incarner son art dans un motif (dans tous les sens du terme) et un style (un horizon esthétique) à la fois en deux et trois dimensions, elle s’inspire de son environnement domestique. C’est ainsi qu’elle scénarise, sculpte, réalise des montages et peint des images comme on invente des décors et qu’on devient acteur de sa vie. Sa peinture parle donc de paysages aussi réels qu’imaginaires, d’emplacements et de points de vues divers, de décollages et de reconstitutions, parfois de pures évocations quand l’humour s’en mêle et que le regard devient divertissant, on a affaire à des vues et des univers fictifs.
Une fois intégré son programme et une posture esthétique, Ghislaine Vappereau joue et profite de ce que l’art peut faire faire. Ses vues sont travaillées pour être vues telles qu’elle les concrétise et les imagine en même temps : le pan d’une porte bascule dans une fenêtre, des objets prétendument posés glissent entre des étagères sur un sol, ou…n’importe où, l’emplacement d’un lieu s’ouvre à un autre qui lui-même se mélange à un milieu parallèle.
Laurent Le Deunff, « Quoi que cela puisse être » à la galerie Semiose
Laurent Le Deunff aime la sculpture et le dessin, les images figuratives et l’illustration, les sources documentaires et les biais oniriques, les cadavres exquis et les assemblages surréalisants, les fausses matières et les trompe l’œil, l’art populaire et l’art naïf, les « mots pour le dire » et les jeux de mots… Il apprécie les installations et, semble t’il, les musées de traditions populaires et les musées d’art kitch… On croise poétiquement Picassiette ou Cheval, Dubuffet ou Max Ernst, on re/côtoie un peu Picasso, et tout un peu de ce qui se produit du côté des assembleurs/artistes…
Il n’est pas douteux que toute expression artistique charrie des passés, et il n’est pas anormal que tout ou partie de ces passés ne passent pas complètement, l’inspiration auctoriale n’a pas lieu de se cacher quand elle est incarnée. C’est par contre un peu dommage de recroiser autant de styles ou de concepts d’arts sans rien apprendre ou découvrir de plus que des collages ou des mélanges…
André Guénoun lève l’encre à la galerie Hors Champs…
Il y a d’abord la fluidité « hallucinogène » des encres colorées déversées, fusionnant entre elles au gré de mondes surgissant ou simplement apparaissant. Les beautés incontrôlables et colorées de leurs combinaisons suffiraient à elles seules pour constater, sans préjugé, l’art en train de se produire. Puis l’œil se repose, contemple l’ensemble des œuvres sur les murs de la galerie : on voit des paysages abstraits et d’autres motifs en train de se découvrir, on repère ici des territoires îliens imaginaires, là des silhouettes fugitives tantôt minérales et tantôt évanescentes, ailleurs des visions s’improvisent théâtres…
Allégé des associations d’idées merveilleuses provoquées par les fusions distraites et accidentelles des couleurs et des formes entre-elles, le travail d’André Guénoun suggère et en même temps dévoile en filigrane sa démarche créative par des tracés de grilles préalables. D’impensée, l’œuvre devient conceptuelle et la pratique d’André Guénoun se charge de sens : les peintures produites par les mélanges incontrôlables apparaissent en même temps filtrées par un substrat en forme de géométral et allusivement de pavage. Le travail esthétique induit, rappelle, prie le spectateur de prendre ses distances avec les joliesses naturelles des encres tout en l’invitant à anticiper non pas l’instant d’une forme de composition ne pouvant qu’arriver, mais de s’imprégner de ce qui se produit entre les mélanges des couleurs et la présence paradoxale d’une grille étrangère. D’une création à l’autre, l’éclat des couleurs ou l’intérêt de la grille devenue d’inspiration deviennent pour l’œuvre en train des instants in situ, qui fusionnent à mesure que le programme de travail bouge et évolue en souplesse ou en surprise. Partant, le style d’artiste d’André Guénoun s’emporte sur un fond de beauté aporétique, il voisine simultanément avec la naïveté requise d’un pur amateur et le sens cultivé de l’improvisation d’un plasticien sûr de son rôle. Le spectateur se trouve, quant à lui, amicalement invité à être animateur d’un théâtre d’images dont le peintre a choisi d’inspirer de surprises en surprises sa démarche créative.