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20/11/2024
Les œuvres au vent d’Alexandre Makarovitch et de Génésis Tramaine…
L’art de la recherche en art par Alexandre Makarovitch, galerie Fabrique Contemporaine
Sur les murs, les peintures pullulent, un/des motif(s) non figuratif(s) se répète(nt) à la fois identique(s) et en partie réinterprété(s) dans des compositions apparemment déconstruites, tantôt dispersées ou éparpillées en semis « au grés du vent ». Faut-il voir des cellules instables dans un remous liquide ? L’artiste a t-il peint selon son plaisir immédiat ou a t-il voulu creuser un concept organique en vue de sa transformation en thème pictural ? Bien que ses œuvres soient abstraites et à priori informelles, le peintre ne cache rien de son gout pour l’invention d’images et l’expérimentation plastique. Telles qu’on les découvre, les peintures d’Alexandre Makarovitch dénotent autant de perceptions intellectuelles que de visions personnelles. Le fait est qu’à peine parcourue dans son ensemble, l’exposition apparaît d’emblée plus sensible que mue par une production seulement formelle d’amateur.
Cette seconde présentation intitulée « Passages 2 » fait suite à une première sur le même sujet en 2023 dont l’intitulé se limitait à « Passages », que l’artiste ne souhaite qu’évoquer. D’autres formes de productions ont précédemment eu pour titres : « Connexions », « Méandres », « Contrepoints », « Frontières », « Contrastes »… Les œuvres exposées à la Fabri-que Contemporaine ont pour titre : « P(assages)Y022… P(assages)Y111, PA010, PA012 etc…
Tout en songeant à sa vie d’ancien ingénieur, mobilisé par une curiosité et une sagacité naturelles, Alexandre Makarovitch prospecte ses « expérimentations dans le graphisme pour qualifier l’usage de l’ordinateur dans les rendus de structures, les problèmes d’échelles, de frontières, de rendus des couleurs »* en se confrontant à l’idée de peindre. Partant, l’ingénieur mu en « uniquement artiste », manie l’art d’esthétiser « ses » questions scientifiques et informatiques pour les entremêler de son regard aussi vif que rêveur. Les peintures foisonnent à vue d’œil de cheminements et d’évocations tantôt illustratives ou purement formelles, un tableau laisse transparaitre un intérêt pour Max Ernst, là un autre partage son cheminement avec un songe constructiviste, ailleurs un dessin en couleur juste crayonné pointe des possibilités de compositions expressives et d’aspects naturellement matiéristes du travail pictural avec l’inspiration, l’objectivité ou l’intuitivité personnelle dont se nourrissent les sciences de l’art. Le travail du peintre engagé par des approfondissements sensibles instille pour le spectateur des horizons d’artiste embarqué.
Les murs pullulent d’images subjectives et de possibilités d’univers visuels imaginaires. Les œuvres éclatent de couleurs ou s’ordonnent autour d’harmonies, en se répétant jusqu’à fourmiller et déborder les surfaces des toiles ; les formes s’animent en architecturant chaque ordonnancement. Les dessins réalisés avec des crayons de couleurs qui voisinent avec les peintures esquissent dans les deux sens des projets à la fois hors de leur cadre et au cœur des œuvres. L’artiste vise le champ de peintures en même temps que la fenêtre qu’elles découpent, des compositions paraissent focalisées, d’autres signent une instabilité momentanée, un ordre furtif peut-être. Chaque peinture décrit en même temps des silhouettes affirmées et des présences relatives, parfois opaques, parfois en transparence vis à vis de leur semblables ou optiquement diluée à mesure qu’une atmosphère vaporisée de demi teintes et d’estompages embrouille plastiquement le jugement. Les apparences qui sont dessinées, des couleurs qui surgissent font que le regard furette entre de multiples entre-deux : si une forme semble avoir été modélisée, on relève aussi vite que le peintre l’affranchit ou la démesure à travers une nouvelle suggestion contextuelle.
L’exposition est étonnante et jubilatoire : éternellement « ancien toujours » ingénieur dans l’âme et désormais pleinement artiste peintre, Alexandre Makarovitch pense sa peinture en chercheur opiniâtre sur les conditions de son art personnel, « explorateur de notions complexes » : il se veut créateur et concepteur/producteur de visions qu’il juge captivantes. On y relève aussi bien une furieuse envie d’en découdre avec les moyens spécifiques de la peinture que rêver sa vie d’artiste. « Passages 2» révèle un peintre amateur que nombre de professionnels gagneraient à connaître.
* Alexandre Makarovitch dixit.
Les tronches de travers des Saints de Genesis Tramaine, galerie Aline Rech
Selon sa peinture, Genesis Tramaine, peintre américaine noire se définissant comme une femme peintre queer religieuse, l’humanité du monde semble se résumer à des visages. L’exposition s’intitule « Sweet Jesus ». Les visages dont il est question sont décomposés, méconnaissables et infigurés. Ça donne des tronches sans dessus-dessous, à la portraiture littéralement bazardée avec des yeux partout, des bouches bourrées de dents désalignées, et une expression grimaçante ou grotesque, des gueules « coups-de-poinrisés »… Les images bousculent, parlent « art ou fait de peindre avec véhémence, on pense à aux caricatures de Rembrandt, à la touche émotionnelle et nerveuse de Van Gogh, à l’angoisse de Soutine, à l’urgence existentielle de Basquiat etc…
Techniquement, le geste et le graphisme du dessin priment, explosifs et directs, portés par sa variété d’outils, avec des manières de tracés contrastés sans nombre et apparemment contradictoires. Préalablement mathématicienne et enseignante dans cette discipline, autodidacte et spontanée en peinture, Genesis Tramaine balafre la surface de sa toile aussi bien que les visages désarrimés des personnages qu’elle veut représenter. Le style à la fois jeté et envolé est marqué en profondeur par l’urgence de la plasticité graffitiste. Les dispositifs de compositions reprennent le protocole classique et frontal du portrait, les couleurs sont bombées, badigeonnées, barbouillées, criardes, aussi hurlantes que le dessin se fait à coup de graphies nerveuses et corps plaqués. Genesis Tramaine intitule et complète ses tableaux en inscrivant en marge sur l’épaisseur de leurs chassis toilés des notes dévotes : « Dieu est en sécurité », « Ne laisse pas le vent se former contre moi », « Cher Seigneur donne moi du sucre + du riz + de l’eau s’il te plaît ; amen », « Soyez patient avec Dieu, attendez un peu plus ! » etc. Portraits de Saints-Patrons ou de Priants lors de messes ?
Spectateur, on en prend plein la figure et on s’enthousiasme d’être autant choqué par la nouveauté apparente que par l’esthétisme provocateur revendiqué des œuvres. Amateur d’art et de peinture, on retrouve en partie le choc formel porté par le goût des renversements incisifs et démonstratifs promis par les pratiques innommées des Avant-Gardes esthétiques : la priorité affirmée aux bouleversements, et toutes choses étant égales, par tout acte émancipé approuvant éthiquement et sans réserve son rire aussi dévot et narquois qu’autoproclamé et visionnaire. Pour autant, quelque chose est ici repris, se répète, quelque chose imité ou ânonné trouble et instille de la retenue : cette manière graffitiste à laquelle l’artiste se risque cependant avec un talent démonstratif indiscutable, je veux dire son « style basquiat » appuyé et bien que reconnu, « sur-réinterprété » et surmultiplié donne une impression de surjoué, voire « surplagié » à l’instar de multiples revues « façon Basquiat » le plus souvent pour des intérêts autopromotionnels et commerciaux.
Particulièrement religieuse en actes et gestes messagers, la peinture de Genesis Tramaine traverse et dé-peint le projet multiculturel de Basquiat pour en limiter la pratique toujours disruptive à un couloir esthétique. Son orientation ouvertement religieuse et son apparence sérielle ensembliste donnent une impression de gospel visuel. La revendication ouvertement religieuse de la peinture de Génésis Tramaine élude des débords de cultures annexes ou suggestives-étendues ; particulièrement les emprunts multiples, hommages affirmés et/ou citations artistiques, musicales, littéraires etc… dont la peinture quasi agnostique de Jean-Michel Basquiat est de son côté sensiblement émaillée.
L’œuvre de l’artiste américaine est certes solide, son émancipation plastique n’est pas insoutenable. La gestualité purement physique ou esthétiquement graphique colorée ou non qui l’anime, participe assurément de remarquables potentialités d’expressions plastiques. Sa peinture tentée d'évangélisme militant comme l’incertitude de ses mécanismes d’inspirations esthétiques implicites ou supposés la débordent.