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Des expositions à risques…, peut-être?

17/02/2025

Des regards d'artistes et des approches risquées voire questionnantes…

La sculpture au risque de l’image en volume par Prune Nourry, galerie Templon

Prune Nourry présente son projet Venus, dont on apprend qu’il prédispose une installation monumentale prévue dans la gare Saint-Denis-Pleyel en 2026. L’ensemble réunit des représentations sculptées de femmes et de moules de  corps féminins empruntés à l’atelier de moulage du Grand PalaisRMN. A la fois soutenu et suggéré par les Vénus sculptées du paléolithique (période gravettienne) et par une empathie humaniste et féministe naturelle, le programme exposé mélange des considérations anthropologiques, sociales, philosophiques et artistiques. Parallèlement, l’artiste revient sur l’objet et l’utilisation plastique de la sculpture. L’exposition annonce ou ose une séparation marquée par deux horizons difficiles à relier : l’un narratif/symbolique et l’autre illustratif/fabriqué, de sorte qu’on peine à concevoir où se place majoritairement son travail de création plastique.

Le projet instaure d’abord un partenariat moral et une empathie d’inspiration sororale avec la Maison des femmes de Saint-Denis. Prune Nourry objective sa solidarité humaine avec des femmes qui ont acceptées de lui confier leurs histoires personnelles difficiles et de lui servir, par aillieurs, de modèle en acceptant de poser nues afin d’« être sculptées » vs symboliquement reconstruites. Chaque œuvre se veut à la fois un portrait fidèle et une vision du corps tels qu’imaginés par les sculpteurs du paléolithique ayant réalisé les Vénus de Lespugue ou de Willendorff. De sorte qu’en silhouettant analogiquement chaque femme et en suivant simultanément certains codes des représentations stéatopyges caractéristiques des vénus sculptées du paléolithique, Prune Nourry éternise avec émotion sa solidarité féminine hors du temps et des contingences.

Le projet formel des vénus gravettiennes est suggéré en miroir : absence de visage, élision ou simplification formelle des membres supérieurs, soulignement voire exagération de la morphologie féminine (poitrine, hanches et bassin, dessin du sexe : stéatopygie.) Ces codes seulement repris à distance livresque, les effigies conçues par Prune Nourry apparaissent essentiellement descriptives et illustratives ou vaguement évocatrices. Qu’il s’agisse d’une réalisation techniquement œuvrée en ronde bosse ou d’un moule évocateur, chaque « Vénus » draine un vide ou un écart esthétiquement inexplicable et sans autre perspective qu’une comparaison littérale. En ce sens, l’expressivité et la créativité marquent le pas ou éludent le paradigme des apparences poïétiques où René Passeron a filé que : « Peindre (”vs sculpter”…), c’est essentiellement donner une apparence nouvelle à une surface vs ”un volume” »*. Les vénus de Prune Nourry butent sur le descriptif sans parvenir à dégager chaque fois autre chose qu’une description dénotée de ses « sujets » : les volumes réfèrent à leur modèle ou sont traduits pour la petite histoire, sans pari interprétatif ni expression. Songeant à la monumentalité mystérieuse des Vénus dont cette production entend aussi refonder et réactualiser symboliquement les sujets ou les référents, on se demande avec quoi rime l’entreprise créative du point de vue technique et tactique ou référentiel, voire imaginaire. On tente en vain des repaires : les transcriptions hardies d’Auguste Rodin ou les portraits risqués d’Alberto Giacometti, le dessin des volumes saisis par la lumière par Constantin Brancusi et Henri Moore, le hiératisme antique des corps reconstitués par Maillol ou abruptement taillés de Georg Bazelitz… Confrontés au programme d’empathie prétexté avec la Maison des femmes de Saint-Denis, on peine chaque fois à comprendre l’intérêt sculpté des vénus gravettiennes. Leurs sources paraissent des biais, comme si l’artiste, après s’être affairée à tirailler dans des directions opposées son empathie naturelle avec l’usage expressif de la troisième dimension, avait fini par se résoudre à n’en extraire qu’une sculpture de spectacle.

Le dispositif théâtral de l’exposition et la galerie sont l’écrin des œuvres. Ce que les œuvres apportent au message d’empathie avec l’histoire « reconstituée » des femmes s’avère aussi compliqué à suivre que l’instauration d’une esthétique relationnelle à partir des embrayeurs plastiques que sont les formes des volumes pour la sculpture. Toutes choses par ailleurs égales, reste des productions artistiques à la fois anthropologiques, sociales, philosophiques, historiques, et in fine illustratives tout aussi compliquées qu’insatisfaisantes sur ce par quoi les objectifs de traduire et/ou créer se distinguent ou fusionnent et parfois se subliment.

Hervé Di Rosa peintre imagiste, galerie Templon Beaubourg

La pratique comme l’esthétique de la peinture ou du tableau par Hervé Di Rosa demeurent vibrionnantes, colorées et bavardes. Le réalisme « cartoonesque » et naïf de son travail fuse dans tous les sens pour servir des thématiques divagantes et rigolardes.

Intitulée « Idoles et Trésors » l’exposition fait se succéder diverses œuvres réalisées ces quatre dernières années. Le style du peintre traversant les années sans notablement changer, et les peintures montrant à peu près les mêmes sujets et les mêmes modes de compositions, on peine à discerner ce qui constitue une recherche plastique pour le peintre. Les œuvres sont pour cela à prendre comme telles, et la peinture de Di Rosa à regarder pour le plaisir. On s’amuse sans réserve de ses accumulations de personnages et d’architectures imaginaires, ses manières d’user de la peinture comme un réservoir de coloriages arbitraires, la dispersion arbitraire et prioritairement illustrative des points de vue… chaque tableau est rempli comme une logorrhée peut débrider l’espace sonore dans une conversation de groupe.

Comme à son habitude, Hervé Di Rosa ironise gentiment sur le métier de peintre, il poursuit ainsi fidèlement l’esprit disruptif et canaille de la « Figuration Libre », mouvement naguère classé avant-gardiste dont le style illustratif débridé demeure un marqueur esthétique et…commercial. Quelque chose me semble cependant changer dans ces toiles conformes à un succès artistique garanti. Rien n’y blesse l’œil, le goût ou la tête, la manière même du geste du peintre jadis peu académique a aujourd’hui les attraits d’un travail d’exécution. Tout ce dont les styles néo-expressionnistes et « Nouveau Fauve » ou « Bad Painting » dont la Figuration Libre poursuivait parallèlement sous d’autres cieux certains objectifs semble rangé. Restent la bonne humeur et la cocasserie d’images peintes gentiment sur toiles, et donc une exposition facile à visiter.

 

Les visions fantasmatiques de Xie Lei, galerie Sémiose

L’univers pictural des œuvres suggère à la fois des songes et des expériences psychiques. Que ce soit à travers sa prédilection pour les profondeurs de l’inconscient, les ambiances fantasmagoriques, chaque œuvre s’apparente à une entrevision ou un décollage sensible par rapport au réel. L’artiste semble au bout du compte osciller entre perspective ou invention personnelle et fiction purement narrative.

Xie Lei silhouette des corps anonymisés. Réduits à leur reflet, une ombre ou un halot, ils paraissent subir leurs apparences et évoluer dans des environnements incertains comme on éprouve des moments coercitifs où la vie parait inqualifiable. Pour réaliser ses peintures, Xie Lei use d’atmosphères monochromes et de déclinaisons de valeurs lumineuses bizarres, chaque univers se délaye sans frontière entre abstraction et allusion. Les sujets, vaguement centrés et noyés dans des ambiances vaporeuses ou brouillées suggèrent des instants mêlés d’apparitions et de perditions, laissant la conscience en perdition. Le style visuel est en même temps affirmé grâce à l’affichage d’un protocole plastique/technique éprouvé, voire un système donnant le sentiment d’être quelque peu verrouillé esthétiquement.

Le pouvoir de séduction artistique indiscutable des peintures ne suffit pas pour douter de de leur flottement conceptuel, de sorte que l’unité stylistique où le paradigme créatif de cet art acquis à son style s’accompagne d’un soupçon de maniérisme technique et formel qui, en se reproduisant interroge… Cette peinture que par ailleurs on ne redécouvre pas vraiment avec cette seconde exposition, et dont les œuvres n’évoluent qu’à travers menues différences d’aspect seulement illustratif déroute l’esprit de recherche en alimentant paradoxalement des incerti-tudes sur sa formule.