ZeMonBlog
16/04/2025
Passant d’une exposition à l’autre, surpris toujours, mais diversement…
« The patern of surface », Georgia Russel chez Karsten Greve
On parle et on veut esthétiser une surface réelle pour la réduire à son abstraction virtuelle. Georgia Russel entend ainsi interroger et faire inséparablement passer la question pratique et conceptuelle de l’unité du tableau par l’intuition d’une prégnance purement esthétique de sa surface. L’objet pratique et point de départ de son travail : la toile du peintre, vs le subjectile du tableau. D’un sens presque unique, elle (en) fait et (y) découpe en masse des silhouettes supposées évoquer des feuillages qu’elle dissémine parmi des zones colorées et transparentes dans une atmosphère évanescente. Ses œuvres sont ainsi établies « à partir de couches d’organza superposées et peintes…un voile translucide dont les irisations jouent avec la lumière, évoquant le bruissement de feuilles dans l’air au miroitement de l’eau…».
Les œuvres, que seules quelques différences de format diversifient, semblent effectivement programmées à partir d’usages et de résultats attendus. Aussi légères que décoratives, elles séduisent plus qu’elles déboussolent ou étonnent. Aucun aperçu ni aucun songe ou distance ne conduit à questionner ce qui se présente dès l’amont, et d’œuvre en œuvre comme une fabrique voire un maniérisme répété.
Philippe Cognée chez Templon, rue du Grenier Saint Lazare
On prévient d’« une nouvelle interprétation du paysage : forêts, champs ou vues marines ». Chaque image est à la fois portée et sublimée par la pratique picturale de cire fondue et « écrasée jusqu’au flou » reconnue comme style du peintre. On ne peut qu’être à la fois surpris et presque assommé par sa virtuosité technique, fondée sur la disparition ou la dilution et la plasticité mécanique de matières ramollies et mélangées pour concentrer des effets plastiques et visuels sans concept et de fait naturellement esthétisants…
L’exposition laisse une impression de fabrication et de production artisanale débordant toute pensée observatrice ou imaginative. Les tableaux semblent englués dans une mise en forme spectaculaire. J’avais en d’autres temps pressenti le risque d’un maniérisme bazardé dans une technique déblayée du doute créatif, une production tellement revenue qu’on renonce à y trouver l’envie d’imaginer davantage qu’un regard touristique.
Frédéric Prat « au carré » chez Galerie Richard
Un texte de présentation informe que sous leur intitulé thématique : « Square », les peintures de Frédéric Prat « revisitent les peintures de Joseph Albers tout en désignant des peintures au format carré où se conjugue le monochrome emblématique de la peinture abstraite avec un entrelacs baroque d’évènement picturaux ».
Les tableaux d’un format effectivement carré et représentant en abyme des carrés produisent cependant des impensés aussi troublants qu’avisés tant ils suscitent, foisonnent, entremêlent, et in fine questionnent sur leurs formes et leurs aspects. Forgé sur les élégances de gestes se voulant naturels et sur la sobriété de compositions préconçues depuis leur hommage implicite, l’ensemble impressionne par l’épure de son affichage minimaliste.
Le carré que Frédéric Prat emprunte à Joseph Albers, dont il se sert comme d’un dispositif visuel et qu’il veut par principe conserver tant par le format des œuvres qu’à travers les motifs qui y sont apparemment peints, s’oppose plus que sensiblement aux concepts de modules, d’arrangements visuels et d’outils plastiques spécifiques au peintre du Bauhaus. Joseph Albers est réputé pour ses variations d’ordre apparent, d’échelle, et de collorisme comme de l’emplacement des ses modules, autrement dit la nature plastique et esthétique d’outils visuels listés en vue d’un style d’image plate et principielle, dépourvue par ailleurs du moindre effet de matière. Les tableaux de Frédéric Prat séparent les figures, les isole des fonds où elles sont centrées, les sur-interprète au moins de gestes virvoltants de tableau en tableau. On regarde ses compositions lyriques comme des ensembles graphiques et colorés, cheminant entre stylisations et traces d’aspect « polockien » au milieu de fonds diversement monochromes. Chaque peinture apparaît comme extérieurement comme l’interprétation d’une silhouette « à peu près carrée ».
L’importance des effets de style prime dans chaque tableau. Tout paraît à la fois guidé et se résumer à des emportements personnels d’apparence « Pollockienne ». Que ce soit de façon allusive ou métaphorique, aucun n’épouse la géométrie des effigies iconiques d’Albers, de sorte qu’au fond, l’idée plastique de variations sensibles autour de ses recherches fait place à une succession de propositions sans liens entre elles. Partant, la mémoire convenue des carrés d’origine s’estompe ou se brouille, les référents comme les interprétations ne diffusent plus. L’histoire s’avère sans épaisseur.
L’approche à priori disruptive de « Square » s’expose à un tâtonnement esthétique sans concept. Des études préalables croquées sur des feuilles de carnet et exposées en miroir dans la galerie devaient servir de contrepoint et livrer une correction appuyée. On s’efforce d’imaginer un mouvement d’instauration des œuvres, un mouvement « d’intuition » préalable avant d’engranger et structurer chaque vision esthétique, avant de conclure avec un point d’arrivée. Chaque étude et chaque croquis semblant avoir été seulement agrandis sur toile par la suite, et la phase sensée lui être associée paraît diluée. Le peintre désireux de rejoindre à sa manière les compositions visuelles de Joseph Albers autour d’un « Hommage au carré » leur préfère t-il les mondanités attrayantes d’une stylisation de surface ?
Quelques numéros de la revue Art Press au risque de Miguel Egana galerie Satellite
Point de départ, l’art du collage et ses principes. Les rapprochements qu’il libère, permettent les inclusions forcées ou fortuites, les rappels et les effets mémoriels, suscite les rencontres exquises comme les dérives critiques. Egana sait œuvrer à partir d’un humus culturel chargé d’imaginations d’auteurs, de suggestions et de démonstrations multiples…
Soit, donc, une bonne cinquantaine de collages sur papiers au format raisin, fond blanc ou noir, en deux alignements sur un mur, comme une partition. Toutes les propositions ont un numéro et un article d’Art Press pour point de départ. Rien n’est prélevé par hasard : ici, un visage a été capté, dans un autre, ce sont des bribes de mots, voire des morceaux de titres ou d’articles qui sont extraits pour devenir de la matière à créer.
Les thèmes et prétextes à assembler découlent et ne parlent que décollage et suggestions plastiques, iconiques et sémantiques. L’artiste relie, inclut, mélange, approche ou rapproche ses prélèvements. Il puise, chantourne, se concentre sur des objets visuels ou scripturaux, il les isole en les déchirant avec délicatesse, s’inspirant parfois du dessin provoqué par la « découpe » même.
Les compositions librement intitulées du numéro où Egana a puisé son matériel créatif apparaissent tantôt des regroupements, des disséminations ou des éclatements ; elles s’avèrent surtout être des inventions et des évocations. En passant, de possibles rémanences s’instillent entre des dérives (post)cubistes ou des vagabondages d’aspects surréalistes ou dadaïstes, entre des transpositions iconiques et plastiques et des partages simplement formels et visuels. De la musique concrète ou lyrique se laisse écouter ça et là, comme d’autres fois des résonnances de poésie sonore ou du théâtre se font entendre, des constructions subrepticement lettristes poïétisent un enjeu typographique, quand ce n’est la lecture à deux voix retrouvée d’un journaliste d’Art Press dialoguant avec l’artiste lui-même.
Miguel Egana témoigne avec force de sa vélocité créative et artistique, de son humour espiègle comme d’une impressionnante culture plastique personnelle. Tout est magnétisé entre la surface et les marges de chaque papier ; du gay savoir de l’artiste jamais rien n’est par ailleurs appuyé. Il en est en revanche partout question de ce fond singulier, merveilleusement.
« Les Noires » de Stéphane Bordarier, galerie ETC.
Bordarier poursuit ses recherches picturales subjectives autour des binômes : surface réelle et étendue colorée, motif de peindre et de motif à peindre, champs et zone colorés. Comme on le devine, les Noires les désignent et les thématisent par niveaux d’études. A la fois limitées et marquées par des silhouettes faites de taches uniques et monochromes, les toiles concentrées sur leurs esthétiques par nature résolument minimalistes font qu’on s’interroge autant sur ce qui constitue l’art de peindre que ce sur quoi une œuvre picturale s’intitule comme un projet pictural. Reprise et apparemment réexaminée techniquement d’œuvre en œuvre, l’aventure confinée des Noires suggère de tableau en tableau d’imaginer le peintre préoccupé par une sorte d’image intérieure, et donc, pour Stéphane Bordarier lui-même, tenu de définir en creux « le ciel » de son art personnel de peindre.
En ne dissimulant pas être en marge de l’actualité artistique du moment, l’art de Bordarier renvoie le jugement esthétique, rappelle les recherches théoriques/pratiques du groupe Support Surfaces. En présentant des silhouettes passablement aformes et quasi monochromes, le retrait assumé de l’artiste poursuit parallèlement la question toujours actuelle du rôle d’un spectateur. La peinture de Stéphane Bordarier à l’évidence plus intuitive que visée et d’abord mue par la complexité de l’avancement instaurateur de l’œuvre à faire* suggère de réattribuer les valeurs plastiques/critiques quand elles sont des faits d’inventions et de productions formelles. Les deux idées de surface réelle et d’étendue colorée se précisent entre elles ou s’opposent, l’aperçu informe des taches peut suggérer des visions personnelles etc. On se prend dès lors à imaginer son travail d’abstraction des œuvres comme des rêves d’aboutissement sans autre objet que des moments et des pensées d’atelier. Faut-il donc voir « Les Noires » comme des nuits concentrées sur un éclairage intérieur et, vu du peintre, le spectateur comme un regard en quête d’objet?
En l’exposant, la galerie, par ailleurs spécialisée dans l’art abstrait informel des années 70/90 du précédent siècle, ne signe pas pour autant l’ignorance de Stéphane Bordarier pour l’art qui existe. Ses recherches sur les conditions d’apparence picturale du tableau pendant son avancement ou dans la perspective d’un horizon comme le fait aussi réel qu’« imaginaire » du subjectile rappelle l’art de peindre à son mouvement conceptuel et l’expression visuelle des œuvres. Sous cet angle, le projet de peinture de Stéphane Bordarier apparaît à la fois « éternel » et progressif, choses dans bien des cas inexplicablement en grandes parts minorées par l’essentiel de la production picturale narrative et illustrative actuelle.
Suzanne Valadon à Beaubourg
L’exposition rétrospective est à voir, ne serait-ce que pour l’Histoire et la curiosité d’un Œuvre à la fois mal connu et parallèlement sur-représenté par la personnalité de Suzanne Valadon (et Maurice Utrillo, son fils, également peintre et tout autant sur-évalué). L’exposition met l’accent sur le gout de l’artiste pour la vérité crue des corps nus quel que soit leur genre.
Ses audaces de jeunesse picturales et thématiques ainsi que son féminisme assumé jugé provocateur comme les soutiens professionnels de Degas, Gauguin, Toulouse-Lautrec ou Steinlen (dont un somptueux portrait de Valadon croqué figure dans l’exposition) sont aussi mis en valeur. Les multiples commandes qui lui sont faites et qu’elle ne trie visiblement pas, aussi bien que la qualité technique des peintures qui suivent laissent aussi peu d’œuvres inoubliables…
Suzanne Valadon rapidement égarée dans la répétition de manières et d’effets superficiels a donc beaucoup produit, souvent reproduit ce qu’elle ne savait faire sans renouveler ou toujours approfondir la moindre ses compétences dans l’étude des formes, l’intérêt ou la curiosité plastique des compositions, l’art du paysage, le portrait…voire l’insertion de l’actualité artistique de son temps. La célébrité justifiée de quelques peintures pour avoir été réalisées au début de sa carrière artistique et un nombre limité de dessins tout aussi qualitatifs continuent d’être remarquables.
L’art par nature sensible de la peinture d’Olivier Le Bars, galerie Pascal Gabert
Olivier Le Bars aime trop ses artistes préférés pour ne pas évoquer librement ce qu’il leur doit. Il n’y fait d’abord référence qu’en s’en éloignant, littéralement parlant, en se contentant de l’évocation discrète d’un détail et en usant d’une reprise d’expression et de style visuel arbitraire.
Oliviers Le Bars peint donc par besoin de plasticité, de culture et d’amitié. Ses tableaux accumulent les inscriptions en tout genre : c’est tantôt un trait ou une silhouette abstraite au risque de l’épaisseur de la peinture, d’autres fois il s’agit du jeu graphique suggéré ou préféré à l’extrait d’un texte et dont ne reste visible que la mémoire partiellement reconstituée de sa proclamation. Ailleurs, ce sera un assemblage en partie complété par de la peinture ou l’ajout purement esthétique d’une gravure. L’artiste affectionne l’art de la fresque, sa technique comme son apparence murale, l’art étrusque est à ce titre un humus émotionnel ; sur une autre courbe tout aussi céleste, la peinture d’Archile Gorki lui rappelle que créer est à l’échelle d’un océan.
Il y a aussi le Surréalisme, ses rapprochements iconographiques, ses gestes d’inventions poétiques, ses conceptions inclassables, ses emportements, leurs héros… puis, parallèlement la pratique des encres, de la gravure et du croquis ponctuel ou d’étude que Le Bars lui-même affectionne sans distinction, aussi héroïques, autrement, touchantes par leur beauté artistique.
Dans la galerie pas bien grande, les murs se font oublier à mesure que les œuvres susurrent de multiples songes d’expression et ouvrent des fenêtres artistiques. Les pas se font lents, silencieux et réservés, retenus ; le regard, en même temps, s’éclaire et s’approuve. Je réfléchis à l’avancement de mes propres recherches à l’atelier, pour certaines actuellement en pause, d’autres en jachère, mais tout progresse artistiquement. L’art d’Olivier Le Bars anime en écho des suggestions vitales : le moins de théories préalables, aucun dogme final, de l’esquisse de préférence. Rien que les moments d’art d’un artiste que ses passions guident et lui proposent deux ou trois temps d’attentes.