ZeMonBlog
04/05/2025
D’un site à l’autre, des expositions…
« Enormément bizarre », la formidable collection Jean Chatelus à Beaubourg
L’exposition est celle d’un collectionneur d’art contemporain, en l’occurrence Jean Chatelus, professeur d’histoire à la Sorbonne, spécialiste du 18es et par ailleurs rêveur impénitent et acheteur passionné et compulsif d’œuvres centrées sur l’objet de curiosité : soit près de 500 œuvres, de dimensions extrêmement variables : minuscules ou monumentales, d’aspects et de factures par nature aussi étranges qu’incomparables, souvent fantasques et provenant d’artistes quasi anonymes ou mondialement connus. L’éparpillement de ce cabinet de curiosités devient réellement sidérant quand on regarde de bout en bout dans l’exposition un film documentaire tourné dans la maison et dans l’entrepôt en forme de capharnaüm où Chatelus a tant bien que mal réussi à accumuler et entasser, disperser et disposer, stocker et entreposer et, à sa manière, toujours valoriser ou documenter ses conquêtes. L’exposition devient aussi un cour d’esthétique sur l’idée du corps dans l’art contemporain quand, de fil en séquences, le film permet de suivre le collectionneur se faufilant dans les pièces exigües de son hallucinant microcosme personnel, livrant avec envie, d’une œuvre à l’autre, quelques détails d’incongruité et d’humour ou reconnaissant à demi mot une délectation bizarre pour le « répugnant ».
Cet univers poétique rappelle en partie le monde décollé du réel qu’André Breton a réuni dans son appartement galerie/musée et atelier de la rue Fontaine* et qu’on pouvait croire unique en son genre. On se dit par comparaison : « : « Ah, c’est lui qui avait cet ensemble photographique conceptuel de Vito Acconci, ces sculptures de Michel Journiac ou Gilberto Zorio, ces dessins d’Unica Zurn ou Henri Michaux, ces pièces d’Arnuf Rainer et Robert Filliou, tous ces masques africains, et ces idoles océaniennes, ces assemblages surréalistes, ces « bricolages » populaires mais fascinants qui rappellent des créations d’art brut, ces objets culturels ou probablement cérémoniels et cultuels, pratiques sociales également chargées de psychologie profonde ou évocatrices de rêves personnel et collectifs, choses impénitentes, importées de mondes autres… C’est encore sous son toit sensible que des œuvres rares de Peter Klasen, Odilon Redon, Joseph Beuys, d’Edward Kienholz ou George Segal, Gina Pane ou Pierre Molinier et Andres Serrano, Nam June Paik et Daniel Spoerri, etc ont in fine été domiciliées… De salle en salle, à travers les reconstitutions partielles de ses appartements ou le simple étalage des objets de sa collection, la personnalité intime et déroutante de Jean Chatelus laisse transparaître des obsessions et un goût insatiable pour l’inconvenant, voire le sale, le terrible et l’inclassable voire le laid, la ruine et la décomposition, la provocation et l’inconsistant, l’étonnant ou l’infernal et le transgressif, tout ce qui, entre décomposition et désordre, entre déconstruction et dérives caractérise des expressions visuelles tantôt inquiétantes et « tantôt divertissantes. L’hétérogénéité disruptive des œuvres et leurs proximités toujours culturelles et sensibles avec le Surréalisme pointe à contrario l’aura d’un monde certes hétéroclite mais surtout entièrement personnel.
Jean Chatelus a chargé l’autre collectionneur et ami qu’est Antoine de Galbert de prendre soin de son monde après lui. Antoine de Galbert a transformé cette confiance en donation au Musée national d’art moderne vs Le Centre Pompidou. Ce dernier, prévu pour être en travaux durant 5 ans va devoir s’organiser pour présenter l’instructive et « énormément bizarre » malle artistique de Jean Chatelus…
* L’atelier d’André Breton est partiellement reproduit et présenté comme une œuvre en soi dans le musée
Oda Jaune, « Oil of angels », Templon Rue du Grenier Saint-Lazare
« Son univers complexe et fascinant »*… L’intérêt du thème susceptible de charpenter l’ensemble des œuvres est décliné si littéralement qu’on peine à rencontrer le travail pictural d’interprétation au delà de ce qui est montré. Oda Jaune surjoue les effets de mélanges d’images, de collages supposés complexes. On cherche ce qui a pu présider aux compositions qui apparaissent seulement tarabiscotées à la manière d’un Dali usé jusqu’à la corde. On tente par comparaison et sauvetage de possibles sources d’inspirations, les arts fantastiques ou visionnaires de Füssli ou de Gustave Doré, une échappée récupérée d’Odilon Redon… Les œuvres ne livrent que des montages descriptifs poussivement oniriques.
Plus problématique, chaque vision n’a qu’une originalité de façade, les sujets sont vaguement dessinés, les effets n’étonnent pas, ne dérangent pas. Ce qui est peint se résume à un style léché.
In fine le travail d’Oda Jaune n’infuse rien de neuf dans l’art symboliste, fantastique irréaliste ou narratif voire délirant. L’artiste veut-elle faire oublier que sa technique picturale impeccablement lissée n’est que l’affleurement d’un travail créatif pas questionné ?
* dixit la présentation suggérée par la galerie
« Country life » : la peinture hédoniste d’Amélie Bertrand chez galerie Sémiose
J’ai eu l’occasion d’évoquer les apparences peintes des œuvres d’Amélie Bertrand sous l’angle d’images méthodiquement conçues à l’aide de logiciels de dessins et d’images. Toujours modélisées en fonction des programmes informatiques utilisés, les compositions aux couleurs vives et sans aspérités visuelles s'avèrent faciles à apprécier pour leur exécution mécaniquement parfaite. Les paysages de « Country life » sont faits pour évoquer des atmosphères insouciantes de rêves de beautés plastiques dans des mondes oniriques simples.
L’image du paysage sert de thématique aux peintures. L’artiste superpose et décale des formes et des objets visuels la plupart du temps abstraits et géométriques pour évoquer des impressions de nature et d’espace. De violents effets de lumière impressionnent les aperçus en créant simultanément une impression de décors de théâtre. Les tableaux semblent représenter des apparences d’environnements imaginaires dans des tableaux.
Contre toute disruption plastique, les œuvres ne diffèrent les unes de autres que par des modifications de placements ou de positionnement des ingrédients formels qui les composent. L‘aspect fabriqué des images apparaît in fine sans marques d’originalité et leur donne des accents d’illustrations commerciales.
Galerie Nathalie Obadia : « Guilty pleasure »
Sept artistes « de la création contemporaine » et sept œuvres autour d’un sujet commun : « Plaisirs coupables ».
Les œuvres retenues pour illustrer le thème évoqué se révèlent plastiquement peu dérangeantes et innovantes. L’exposition fait allusion à des situations symboliques, erre entre les images tantôt figuratives et tantôt narratives, ou un peu des deux, quand elle ne procède pas d’une expression visuelle seulement littérale du thème. Les interprétations picturales sont tout aussi discutables et les compositions sensées les soutenir esthétiquement paraissent relever de bricolages de souvenirs artistiques plaqués. On s’ennuie d’imaginer les artistes de la « jeune création contemporaine » en deçà de l’articité inventive et picturale de peintres d’avant le XXe siècle…
« Gillet et compagnie», un dialogue disruptif autour du portrait, Galerie Nathalie Obadia
L’art figuratif et tripal de Gillet m’a toujours semblé mal réfléchi et peu attirant sur les couleurs. Les portraits qu’il a peints ou plutôt les têtes dont il ne laisse que des effigies abstraites réunies et exposées en même temps que les images de portraits de17 autres artistes importants de la scène artistique actuelle me semblent à l’inverse artistiquement remarquables, parce que justement animées d’un fond.
L’intérêt complémentaire de l’exposition tient à la réunion d’œuvres réalisées sur le même thème du portrait par autres artistes. Le mélange conceptualisé de techniques comme de styles d’expressions visuelles recherchées pour chacune des œuvres valorisent la présentation..
Les portraits littéralement détronchés jusqu’à l’abstrait et l’informe de Gillet fantômatisent métaphoriquement tous les visages rassemblés. On passe d’une figure renfrognée à un visage clownesque, un portrait coloré saisi en pochade laisse la place à une silhouette obliquement comparable à un personnage de parade, de théâtre ou un portrait fantasmé jusqu’à son médaillon artistique légendaire. Ni Cézanne, Soutine, Bacon ou Dmitrienko ne sont là ; mais Eugène Leroy peut converser avec Sarkis, Gillet peut échanger avec Valérie Belin ou Andres Serano, Jérome Zonder peut interroger Philippe Cognée… In fine, ne restent que des propositions artistiques autour de personnages picturalement aussi réels que fictifs, des visions inventées de leurs visages et en perspective des comparaisons esthétiques entre artistes figuratifs ou préoccupés d’expression visuelle. Dans la galerie, d’une œuvre exposée à l’autre, l’envie de creuser le sens de l’inspiration qui a pu guider plastiquement chaque créateur aux prises d’un miroir constamment supposé suggère de traverser l’aura picturale ou l’humanité irréelle du genre de tête que peut incarner en toute hypothèse une image peinte.
Les styles à la fois figuratifs, expressifs ou conceptuels/plasticiens représentés tranchent avec les productions seulement illustratives, souvent sans concept ni programme pictural qui pullulent. L’exposition attire, elle étonne et parfois fascine ou enseigne avec la diversité des œuvres choisies comme avec les recherches et mises œuvres réitérées de Gillet exposées en regard sur le thème du portrait.
Sarkis : « Infini croisement des détails avec mesure en lumière » chez Nathalie Obadia, rue du Faubourg Saint-Honoré.
De vastes panneaux verticaux de tissu sur lesquels des dizaines images photographiques en noir et blanc assemblées et imprimées transforment les murs de la galerie en un vaste sanctuaire mémoriel. Un néon cristal en forme de trait, de ligne virtuelle ou de bâton de marche séquencé en sept segments aux sept couleurs de l’arc en ciel ponctue chaque panneau en longeant une partie ses bords. L’ensemble est sensé refléter l’atelier de Sarkis, un antre d’imagination dans lequel il a accumulé des d’objets divers par milliers, et autant de strates, de marques de parcours et de témoignages de vies autant formels que sensibles. Les œuvres simplement accrochées aux murs par des pinces à dessin murmurent un univers clair-obscur, ouvert au monde et en même temps recueilli, symboliquement retiré, peut-être…
La galerie vire métaphoriquement en crypte et lieu de fouilles. Une installation parallèle composée d’une plaque de verre posée sur des tréteaux et surmontée d’une voûte arc en ciel dessinée à l’aide de lignes d’ère là encore faite de néons semble tracer un lieu temporaire d’inspiration et de réflexion. Son installation semble réitérer le travail préparatoire des panneaux dans l’atelier, voire l’âme et le lieu eux mêmes.
Programmée comme une œuvre in situ et mise en scène comme une série de tableaux ou de tapisseries poétiques, l’ensemble impose sa modestie et la complexité plastique des moyens expressions réunis. Sarkis a rarement été aussi près de traduire à partir de quoi l’humanité de son imagination et son travail d’artiste divaguent et fabriquent poétiquement du temps et de la pensée esthétique. L’exposition est somptueuse d’efficacité expressive et onirique, exemplaire par son aura discrète sur ce que pratiquer l’art peut subjectivement receler de rêves, de rappels et de connaissances sensibles comme de créativité fortuite.
Les beautés tachistes et autres d’Henry Michaud chez Nathalie Seroussi
L’art plastique informel et anti spectaculaire d’Henri Michaud tient une place particulière dans ce qu’en d’autre temps Michel Tapié1 comme Guy Debord2 évoquaient dans et à propos de « Un art autre ». L’ensemble des encres tachistes et dessins mescaliniens rassemblés dans cette exposition intitulée « Combat de lignes » rappelle un enseignement à la fois constant et progressif dont Pierre Soulage soulignait pèle mêle l’appel poïétique : « …Je n’ai pas de programme, pas de théorie, la peinture n’est pas faite pour communiquer… plus qu’on le croit, je me laisse guider par l’intuition, l’imprévu et le hasard et l’accident… »3
C’est un moment de pur bonheur esthétique que se laisser aller d’admirer « L’art de la tache »4 et celui de la perte momentanée de conscience proposés par Michaud. En reprenant ou réinventant les paramètres de compositions, de formes ou de figurations, de sens courant et de non sens divaguant, les jeux ou enjeux et les aléas de la matière et de la couleur, le tout venant et survenant au gré ou/et à l’insu du travail plastique, l’artiste active le travail à l’œuvre par une création permanente.
« Combat de lignes » (re)pointe que l’œuvre avance plus que toujours comme un chantier d’aventures par chaque circonstance vagabonde recommencée. On ne redira donc pas assez qu’une œuvre sans surprise plastique s’«atmosphérise » d’un fade goût de raté créatif.
1–Michel Tapié, Un art autre, où il s’agit de nouveaux dévidages du réel, 1952, Gabriel-Giraud et fils, 1952, 2–Guy Debord, propos sur Michel Tapié, in Internationale Situationniste n°2. 3–Propos décousus de Soulage, en substance et à diverses reprises aux cours d’entretiens divers. 4 –Jean-Claude Lebensztejn, introduction à la méthode d’Alexander Cozens.
Les peintures « destins » d’Aristide Bianchi galerie Bernard Jordan
L’intitulé des œuvres : « Avers » paraît devoir résumer esthétiquement à la fois leur filiation historique, leur programme de création et leur conception visuelle. Aristide Bianchi travaille sur la dislocation et la recomposition du subjectile (le tableau, sa silhouette, son format, sa surface vierge, les premiers gestes de compostions du peintre…). L’ensemble donne à voir des assemblages ressemblant à des déconstructions suivies de remontages « infidèles », des aires partiellement teintées de couleurs discrètes ou en partie parcourues de traces de dessin renvoyant à des études géométriques d’essence structurale.
Accrochée sans cadre, chaque œuvre fait métaphoriquement corps avec son mur en rappelant le travail d’atelier quand il est « en cours ». On songe évidemment à la fois aux œuvres historiques du groupe Supports Surfaces (Louis Cane et Marc Devade surtout) et à l’esthétique graphique/picturale informelle d’esprit extrême-oriental préoccupant Jean Degottex, et, suivant ces fils mémoriels, on ne peut qu’observer que la pratique personnelle d’Aristide Bianchi est à la fois clairement datée et, pour lui, possiblement incertaine.
Le goût marqué du peintre pour les combinaisons purement esthétiques demeure un projet d’expression plastique intéressant quand l’œuvre entraîne tout le corps de l’œuvre dans un travail général de palimpseste. L’idée que l’ensemble du travail aboutit à un retour esthétique sur le premier geste comme sur chaque étape oriente la vue vers le temps du croquis ou de la note d’intention. Partant, Aristide Bianchi fait de sa pratique un palais de glaces dans lequel tout se reflète, se perd puis devient paradoxalement relatif en se recombinant indéfiniment.