ZeMonBlog
28/05/2025
L’artiste laisse fléchir les attentes illustratives afin que la peinture porte en elle son motif esthétique…
Sur les murs de la galerie, les peintures de taille et de surface contrastées appellent l’attention sur leur objet et l’intitulé qu’a choisi Claire Colin Colin pour les exposer : « Une bonne fois pour toutes » Les œuvres ne représentent rien si ce n’est ici l’apparence d’une tache colorée ou là le contour silhouetté d’un rectangle reprenant en partie la géométrie de la toile. Chaque tableau défie un motif bizarre dans un environnement entre monochromie allusive, univers gazeux et cadre occasionnel. Claire Colin Colin poursuit sa quête d’une peinture ni « tout à fait » abstraite ni « assurément » figurative. Vaguement dessinée ou seulement induite par sa tache à la fois colorée et « aforme » ou dessinée par une apparence grossièrement linaire, chaque œuvre creuse le regard, questionne son fait et invite à repenser au tableau comme fenêtre ou comme lieu. Claire Colin Colin a choisi d’intituler son exposition « Une bonne fois pour toutes ». Logiquement, se retient-on de dire !
A quoi songe Claire Colin Colin avant, pendant et après avoir travaillé son art ? Ou est-elle dans l’attente d’une autre œuvre ? Sa peinture interpelle les paradigmes du « motif » ce mot toujours marqué de temporalité autant que poïétiquement mot-valise, jalonnant et divaguant entre figuration et métaphore ou projet, une évocation–personnelle–« mais pas que »—et « quelque peu ailleurs ». Les œuvres d’un format tantôt intimiste comme des vues privées ou étendues à des surfaces murales ou des visions minimalistes diffusent des retraits où on croit deviner l’aura d’une méditation en partie métaphysique.
Elle semble depuis toujours vouloir creuser le sens de l’art de peindre comme on trace ou comme on figure un motif impossible à border. Longtemps elle a essayé des images artistiquement flottantes et d’aspect incorporel, imaginées d’un seul geste sur un fond indéfini (certains diront nuagiste), d’autres suggèreront un univers atmosphérique en invoquant Turner. Eux-mêmes sans intitulés et laissant émerger leurs mondes énigmatiques, les tableaux présumaient un regard contradictoirement général et occasionnel dans une tension naturelle où une apparence native oppose sa plasticité d’ébauche à une image fixe. En se laissant à la fois émerger du mur et deviner comme le tracé approximativement peint d’un rectangle suppose la géométrie réinterprétée du subjectile initial et la trace brute d’une apparence imaginaire, les tableaux actuels présument des recherches plastiques où le geste de commencement paraît sans frein. Avec « Une bonne fois pour toutes », chaque motif peint dans un style aquarellé ou pâteux, suggéré, effleuré ou glissé ou emporté dans un trajet rêvé et des images flottantes ou des effigies conçues pour paraître à priori innommables, semble t-elle se résumer à une pure inspiration esthétique ? On peut estimer que dans l’exposition d’une « Une bonne fois pour toutes » chaque œuvre invite à méditer sur l’art de peindre.
L’exposition actuelle semble marquer simultanément un apaisement de l’artiste confrontée au « besoin » du motif, quel qu’en soit le paradigme : intention, sujet, cause, prétexte ou raison d’être, modèle… Imaginées comme des univers et des aspects, les œuvres d‘aujourd’hui ne sont pas seulement diverses plastiquement, elles diffèrent des productions précédentes par le refus d’une histoire d’un tableau en partie déjà écrit depuis l’usage symbolique du chassis toilé. Claire Colin Colin peint actuellement sur des « panneaux en forme de restes ou d’extraits de planches » ramassés. Les tailles sont, là encore, intimes, les marques qu’ils portent des palimpsestes témoignent d’usages passés, de maculages et d’usures aussi. L’originalité foncière de ces nouvelles surfaces « à peindre » fusionne avec la plasticité sauvage de nouveaux lieux de travail où resurgissent en échos et surprises artistiques des effets de « ready-made » et d’art brut. Le geste évolue, réflexif et naïf, Claire Colin Colin ré-aventure et redéploie l’histoire artistique de son ambition picturale. Sa re-territorialisation redevient terrestre avant d’être théorique, voire céleste. Les œuvres entremêlent des environnements visuels tissés d’opportunité, d’altérité et d’improvisation. Les gestes et les formes juste silhouettés s’opposent et s’allient en même temps aux fonds accidentels et environnementaux, chacun agissant par rapport à l’autre comme son complément ou une contre-forme, chacun advenant dans des temps et des mouvement d’apparition semblables et d’aspects différents. Des visées intentionnellement confuses ou lacunaires relativisent tout ce qui fait image, une atmosphère générale factuelle et conséquente, la possibilité de rêver d’expressions visuelles inédites, jusqu’à définir la peinture par la fragilité de n’être qu’elle en étant curieuse. Partant, tout en faisant place à d’autres perceptions sensibles et intellectuelles et même en s’en débarrassant à l’avantage d’autres champs et fonds poétiques où le travail pictural réel ou induit sinon imaginé peut s’accompagner de ses lacunes, l’artiste laisse fléchir les attentes illustratives afin que la peinture porte en elle son motif esthétique.
On l’a dit, une sorte de méditation métaphysique traverse ces peintures. Par leur aspect aforme ou comme retiré du temps factuel vs le mouvement atemporel de création, les œuvres de Claire Colin Colin s’accompagnent d’une conception aussi immatérielle que d’aspect extrême-oriental du temps de peindre. On se sent tenu d’à la fois contempler chaque œuvre et de devoir en même temps s’en éloigner pour y revenir. Des lors, son travail se présente également comme un « non travail » au bout duquel peindre peut associer une activité recherchée d'actions lacunaires et la suggestion de fenêtres. Peut-être faut-il, à ce propos, s’interroger sur ce que porte l’idée de relation en art. Les abstractions auxquelles Claire Colin Colin recourt suggèrent de repenser à la fois à Pierre Soulage réfutant que peindre puisse « être de la communication » et au doute dans lequel de Bram Van Velde prédit l’effacement nécessaire et abouti des mots. A l’aune de cette aporie possible, le travail de Claire Colin Colin tente une réponse en empruntant un biais et une pente où le silence esthétique de l’abstraction peut de tout côté paraître aussi complexe dans sa forme qu’assourdissant d’expression intérieure : « Rater, mais rater mieux » songeait Samuel Beckett à propos de Giacometti.
La sobriété recherchée, et, somme toute, le minimalisme esthétique dont se prévaut l’apparence du travail de Claire Colin Colin se mesure-il par un Œuvre complet en toute hypothèse accompli ponctuellement dans chaque tableau ? Parallèlement à la recherche improvisée en continu dans son travail, chacune de ses peintures actuelles peut être regardée comme un instant d’éternité à vivre et probablement à redécouvrir.