ZeMonBlog
07/07/2025
Quatre mondes artistiques etc…
Les bouquets populaires de Stéphané Edith Conradie chez Ceysson&Bénétière
Les assemblages en formes de bouquets de fleurs imaginés de Stéphané Edith Conradie s’affirment aussi spectaculaires et surprenants que des compositions déjà vues. Leurs silhouettes exagérément hybrides, colorées et matiéristes rappellent l’esthétique intime et ironique ou cocasse des bricolages baroques de l’art populaire. Chaque œuvre surprend donc par le caractère naturel d’un plaisir profane que tout rappelle et relie aux pratiques créatives brutes et singulières d’artistes comme Picassiette ou André Robillard. Le plaisir simple de partager ce travail d’imagination spontanée mu par la recherche sans concept de sa beauté immédiate mobilise l’attention. Sans risque d’être influencé par le texte de présentation hors sol et nébuleux supposé argumenter l’humanité de l’artiste.
« Mirror », où l’incongruité du tableau entre l’artiste et sa peinture par Anne Neucamp Galerie Sémiose
Anne Neucamp puise des pictogrammes de miroirs dans des banques d’images et les met en tableau. Chaque image retenue est représentée isolée sur un fond grossièrement badigeonné comme si l’objet était devant un mur brut. Avec son cerné noir aussi minimaliste, chaque miroir semble dévisager son peintre dans un autoportrait fictif.
A l’issue de leurs vis à vis paradoxalement opaques et sans autre reflet que des brillances fabriquées, les tableaux et les miroirs détaillent dans tous les sens des confrontations d’atelier. Le rappel symbolique de quelque teinte uniformément bleutée de la matière du verre, la réduction visuelle entre hyperréalisme et illustration de bande dessinée où se découpe chaque fois une possible effigie et un médaillon incarnent dans chaque peinture un oxymore entre signe global et fiction narrative.
Anne Neucamp ne cache rien des banques d’images numérisées qui l’inspirent. Rien non plus des sources artistiques et plastiques dans lesquelles elle puise sa pratique. Rien encore de ce que lui suggèrent les idées de styles et d’histoires de peintures. Il est bien clair que le Pop Art et particulièrement Lichtenstein l’enchantent. Il est encore aussi manifeste que l’art conceptuel comme l’art numérique l’intéressent, tout comme sa manière de focaliser et détacher symboliquement ses vues au centre des tableaux atteste que ses compositions calquent leur efficacité plastique sur l’art des portraits. Pour ce qui est des rendus simplifiés des images, Anne Neucamp semble à contrario chercher à enjamber ce qui est ou paraît mécanique pour laisser se dessiner d’autres perspectives de regards que des illustrations explicites.
N’était ce donc son évidence archétypale, sa neutralité esthétique ou le centrage de son sujet, chaque œuvre déroule néanmoins une attention métaphysique pour un regard sensible en action. Réduite à des substituts ou des avatars, chaque construction plastique montre et re-produit des détails qu’Anne Neucamp ne conçoit qu’en tant qu’apparences visuelles. Les réussites, les hésitations et les incertitudes de netteté que l’œil voit sont induites par des flous arbitraires, seule la plasticité subjective des images explique : Anne Neucamp bricole ce qu’elle reproduit. Les contours de « ses » miroirs difractant leur régularité, elle rend les surfaces peintes flottantes entre aires et zones. Chaque occasion semble faite pour que les miroirs renvoient autant à l’histoire du portrait qu’à l’histoire parallèle du regard. Des métonymies pépitent autour de quelques fausses présomptions de myopie, d’astigmatisme ou d’inattentions ponctuelles comme des cadres ou des fenêtres suggèrent ironiquement qu’in fine il ne soit question que de Peinture.
Les miroirs fixent dans tous les sens les regardeurs, comme des yeux se dispersent paradoxalement sur un objet focal. Anne Neucamp dope ses tableaux d’un hiératisme graphique muré sur l’esthétisme de la toile convertie en mur et en une sorte de cul de sac visuel. Ses peintures se désincorporent avec la virtualité de ce qu’elles figurent mais qu’il est impossible d’ignorer parce qu’elle nous place devant un oxymore. Ces miroirs sans existences réelles sont aussi des mouroirs pour l’œil dont les attentes sont constamment défaites par la pauvreté minimaliste des images et la complexité de leur composition. L’artiste est-elle pour autant ailleurs et absente et à sa façon désincarnée par l’expression neutre graphique qui convient par convention aux pictogrammes ? Les clins d’œil sous-jacents au Pop Art et à Lichtenstein ne sont pas de trop. Ils permettent en tout état de cause de valider, épaissir et donner en même temps du sens auctorial à un style d’image qui permet en perspective à Anne Neucamp d’illustrer son art par une parfaite ironie d’histoires de psychologie entre le peintre et son tableau.
« Le poids du ciel illumine la terre » ou Les retables à tout propos de Joris Van de Moortel
La galerie totalement investie par le peintre semble être devenue à la fois un sanctuaire et un théâtre, un dédale de chapelles et une place publique où l’artiste a dispersé/installé ses peintures narratives ou symboliques, ses vitraux et ses retables, ses sculptures/stèles et ses architectures d’églises. Tout y est passé : des allusions irréalistes aux peintures religieuses de manuscrits du moyen âge aux emportements et compositions fantasmagoriques de Jammes Ensor. On songe aux « performances/chorégraphies » fourre-tout et bordéliques de Jan Fabre archivant dans un désordre syncrétique des assemblages et des accumulations de toutes natures sans autre raison que, semble t-il, remplir pour produire. Joris Van de Moortel est un peintre performeur expressionniste qui fait son art de ses traversées ou transgressions iconographiques et artistiques.
Les exagérations gestuelles et les dessins approximatifs dont l’horizon esthétique échappe à l’entendement plastique fusent, les mises en scène forcées et les caricatures abondent, c’est souvent plus vaguement peint que stylisé, davantage extérieur que discerné. Dans la galerie envahie, « tout y passe à tout propos » : des autoportraits grotesques à des allusions aux peintures religieuses du moyen âge aux emportements grimaciers et fantasmagoriques de Jammes Ensor, de scènes prétendument burlesques à des histoires imagées sans fil. On songe aux « chorégraphies » fourre-tout et bordéliques de Jan Fabre cultivant les bricolages et les montages grandiloquents de toutes natures sans autre recherche ou raison que, semble t’il, remplir pour produire. L’amateurisme d’apparence des moyens plastiques mobilisés sacrifie à un amateurisme de satisfaction d’aspect populaire sans laisser une impression favorable durable.
« Paris noir » au Centre Pompidou
L’exposition rétrospective et thématique sur « les circulations artistiques et les luttes coloniales entre 1950 et 2000 entre les esthétiques panafricaines et transatlantiques » et Paris était nécessaire en ces temps ballottés de propos identitaires incultes sur les chances de l’immigration pour la France*. Elle l’était d’autant plus que, justement, ce sujet avait pour partie été engagé il y a 5 ans par le Musée d’Orsay avec l’exposition « Le modèle noir de Géricault à Matisse ». Que ce soit donc pour la littérature ou les arts plastiques, la musique et le cinéma ou la danse, quelques rappels sur l’immigration noire en France se justifiaient, afin de re-marquer sa place actuelle, ses apports et ses traces autant que ses bénéfices culturels pour l’art en France.
Comme attendu et connu, un nombre limité d’artistes exceptionnels par leur liberté créatrice ressort. L’exposition rappelle le magnétisme qu’exerçait la France : Paris est une école d’arts : les ateliers de Fernand Léger ou d’Ossip Zatkine attirent, les regards de Matisse et de Picasso sont des miroirs, le Louvre et le Musée de l’Homme ou l’Ecole des Beaux Arts sont des lieux de formations recherchés. Les apports et les influences, les croisements et les hybridations pullulent. Qu’on vienne d’Afrique, des USA, d’Amérique du sud, des Caraïbes où d’ailleurs. on peint symboliste ou vaguement impressionniste, ou cubiste, surréaliste et expressionniste de toutes tendances, les inspirations personnelles infusent et fusionnent, se croisent parfois et se superposent, des styles d’art s’entremêlent pour s’extirper brillamment du « semblable ». Parfois les reprises sont mimétiques et un peu naïves : « L’école » a pu aussi virer vers sa mauvaise caricature. Restent les richesses confrontées de Wifredo Lam ;, Aimé Césaire, Augustin Cardenas, James Baldwin, Edouard Glissant ou Léopold Sedar Senghor, Romare Bearden, Beaufort Delaney, Ernest Breleur et Hessie, tout autant qu’Ousmane Saw et Franz Absalon ou Elodie Barthélemy, Le Jazz, Grace Jones et Serge Gainsbourg,…voire JonÔne : chacune explore ses liens communs, souvent ça s’emprunte et ça s’entrelace. Dans l’exposition, les œuvres actent alors des richesses transculturelles sans qu’il faille leur opposer l’idiotie d’ignorantes polémiques sur un changement de civilisation.
* Bruneau Retailleau : « L’immigration n’est pas une chance pour la France », Interview, mars 2025, in Le progrès de Lyon