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22/09/2025
Les arts visuels de Frantz Lecarpentier, Hans Op de Beek, Maurice Estève, Georg Bazelitz, Pierre Bendine-Boucar et Ding Yi aux risques imaginaires des uns et des autres.
La face conceptuelle du travail de Frantz Lecarpentier à la galerie Fabrique Contemporaine
Frantz Lecarpentier peint des tableaux d’apparence non figuratifs, très colorés, d’une facture à la fois tachiste et géométrique. Bien qu’à distance de la réalité, son document ou une quelconque suggestion illustrée, les peintures sont titrées pour suggérer la plasticité d’un rendu prioritairement sensible et poétique. Il se distingue ainsi de Nicolas de Staël pour lequel son admiration n’est pas contestable, en entremêlant plastiquement des expressions abstraites personnelles avec des systèmes visuels paradoxalement gestuels et spontanés mais où une forme de distance prime : en un mot, conceptuels.
Les dimensions modérées voire intimes des tableaux surexposent ainsi et (en sorte) les possibilités d’une peinture conjointement en germe, en action et à distance variable ou aléatoire de ce qui se regarde, se montre et s’interprète. De ces façons, on devine autant qu’on se projette fictivement en train de concevoir quelque chose que Frantz Lecarpentier a tenté d’instaurer mais que, peut-être, il préfère laisser imaginer, étant lui-même confronté avec ce qu’il cherche à rendre essentiellement sensible. Toujours est-il que les manières qu’a le peintre de faire osciller ou interagir ses choix entre composition et non composition, taches, empreintes ou écritures, diversité et intensité des couleurs troublent et provoquent attention et questionnements. On se demande alors qui du peintre ou du spectateur fait décoller et entraîner les peintures vers des visions nouvelles qu’elles anticipent, traduisent ou présument à la fois.
A n’en pas douter, tout cela fait émerger la peinture de Frantz Lecarpentier de profondeurs sensibles que seul un travail plastique assumé et réfléchi a pu conceptualiser et épaissir.
« On vanisching »* : Hans Op de Beek, galeries Templon Grenier Saint-Lazare et rue Beaubourg.
Transformée en une sorte de forêt où des « clairières » servent de zones d’expositions, la galerie rue du Grenier Saint-Lazare a des allures de paysage intérieur et de vitrine où les œuvres sont offertes en spectacle. Rue Beaubourg, pas d’environnement spécifique, l’aura de l’exposition est plus neutre malgré l’allure toujours sensationnelle des œuvres.
Les deux expositions vs l’art d’Hans Op de Beek se caractérisent par des installations et des sculptures hyperréalistes à la fois narratives et illustratives. Le goût avéré de l’artiste pour la théâtralisation cumule et fusionne avec l’intérêt de l’artiste pour « les intérieurs fictifs, les scènes d’extérieurs, les natures mortes »**, les portraits symboliques et oniriques… L’ensemble aurait un arrière goût de déjà vu si un voile uniformément gris cendre n’auréolait pas curieusement chaque ensemble d’une image spectrale. On s’essaie donc à une appréciation à la fois créative et conceptuelle des œuvres autour des thèmes du présent et de l’éternité, « l’inattendu et l’émerveillement »**, la vie et la mort…
L’artiste assure ses références artistiques et historiques tout en s’essayant à s’en démarquer. Les installations font penser aux visions complexes d’Edward Kienlhoz, les natures mortes simples ou reprenant le thème des vanités s’inspirent des accumulations d’objets du XVIIe ou du XVIIIe siècle, l’esthétique à la fois hyperréaliste et conteuse des sculptures silhouettes allusivement les fantasmes narratifs de John de Andrea ou Georges Jeanclos etc. De mémoire, Hans Op de Beek combine, articule en volume des images entre réalité et imagination, fabrique des contes, tente des métaphores ou des glissements expressifs, s’essaie à l’art du monochrome conceptuel, le tout sans convaincre visuellement et techniquement… En voisinant sans critique formelle avec des productions figuratives seulement analogiques et illustratives, les compositions des œuvres apparaissent plus fabriquées qu’imaginées, leur intérêt plastique narratif ou contemplatif patine ou ne déborde pas.
* « En cas de disparition » vs «…disparaître soudainement et entièrement » ou « devenir zéro ». ** Cf un texte de présentation proposé par la galerie.
Maurice Estève, galerie Ceysson & Bénétière
Les œuvres d’Estève sont d’un style facilement repérable. Leurs abstractions vaguement organiques en forme de paysage coloré non figuratif et aux formes dissolues m’indiffèrent. Je vois ça comme une peinture plaisante ; sans plus.
L’exposition, quelque peu rétrospective, réserve contre toute attente trois belles surprises avec des œuvres anciennes où le peintre, attentif au cubisme de Cézanne autant qu’à celui que Picasso a (re)créé à sa manière, se montrant aussi sensible que critique sur l’instauration de sa peinture. « Nature morte verte » et « Les hommes volants » respectivement datées de 1938 et 1947 sont des tableaux intrigants de curiosité esthétique et technique. Estève malmène la forme de chaque peinture et le fait exister à travers des gestes de peindre et en même temps dessiner, surprenants d’énergie et de sensibilité. On a l’impression de voir les œuvres se constituer dans la confrontation esthétique particulière et temporelle aux deux modalités d’expressions : personnelle pour la première et pratique vs professionnelle pour la seconde. Une grande nature morte intitulée « Compotier et tapisserie » (1938) retient plus loin l’attention : sa composition par plans et écrans à la fois hors et dans la surface du tableau rappelle autant les compositions risquées de Cézanne que la créativité des cadrages de Vuillard et Bonnard…et plus tard Matisse. La réactivité du peintre agissant dans un programme d’instauration plastique lui fait échafauder une vision picturale aussi mobile que marquée par son équilibre esthétique.
Des gravures de Georg Bazelitz galerie Catherine Putman
Le concept de détachement sur lequel Bazelitz se fonde pour se passer d’un débat entre figuration et abstraction en justifiant l’inversion plasticienne et historique de ses images retournées « tête en bas » m’a toujours semblé intéressant, mais aussi un peu court. Baselitz reste cependant un très grand peintre et graveur d’expression figurative. L’exposition actuelle confirme ainsi le paradoxe de mon adhésion quand je remarque l’étrangeté plastique de certaines gravures devenues presque « inorientables » et de ce seul fait aussi déroutantes esthétiquement que convaincantes par leur créativité visuelle. De sorte que si Baselitz continue de faire du Baselitz, il lui arrive aussi de se perdre en pariant de rester fidèle à son style au point d’être, du coup, inattendu.
Pierre Bendine-Boucar, Galerie Hoang Beli
Pierre Bendine-Boucar peint des paysages. L’exposition intitulée : Motifs (le pluriel est important) préjuge l’ouverture du thème à une diversité à la fois dispersée et ciblée de modules de composition : cercles, grilles, décalcomanies de trames, fleurs et nuages stylisés, voire personnages de fictions.
Les tableaux sont d’un format modeste, la couleur y tient un rôle central. Leurs compositions répètent une conception visuelle fondée sur la variation et la série dont ils ne s’écartent que par des effets de cadrages et de distribution des modules. Contraints par l’image qui leur sert d’apparence, leurs styles multiplient les effets d’empreinte et de rappel comme ceux d’écarts et de reprises partielles, de déplacements et d’e réinterprétation d’éléments de disponibles comme s’ils étaient ceux d’un puzzle arbitraire.
Pierre Bendine-Boucar s’affiche ainsi comme un chercheur imaginatif et insatisfait mais opiniâtre devant la tâche complexe parce que questionnante du tableau. Il éprouve en même temsp la part d’humour qu’implique l’idée d’unité d’une série dont les variations d’aspects ont des échos d’explications mécaniques, mais encore, et peut-être surtout, ou évidemment d’abord une aura sensible.
Les « Contellations » de Ding Yi à la galerie Karsten Greve
Ding Yi est présenté comme une figure majeure de l’abstraction contemporaine chinoise. Les peintures colorées pour évoquer poétiquement des univers nocturnes, scintillantes de points clairs pour incarner des étoiles, reprennent les conventions visuelles pour coder formellement des ciels la nuit, avec des galaxies dedans pour marquer leur temps clair. Les étoiles sont schématiquement détaillées en forme de croix, leurs regroupements sont imagés comme des dessins de constellations. Les tableaux représentent leurs myriades.
Les œuvres peinent à justifier l’idée d’abstraction tant les images sont analogiques. On veut bien croire qu’il existe d’autres peintres abstraits chinois et surtout d’autres styles ou voix d’expressions plastiques pour l’abstraction, que celles reconnues de Zao Wou-Ki ou Chu Teh-Chun. Sauf que les évocations géométriques ou vaguement non figuratives de Ding Yi ne proposent rien au delà des codes de lecture qui montrent ses peintures comme des illustrations esthétisées ; tout se réduit en définitive à des propositions descriptives et mimétiques. In fine, cette peinture céleste n’a de Constellations que son titre.