ZeMonBlog

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22

Un imaginaire ouessantin de mes recherches

18/11/2018

J’aime aller à Ouessant, y redécouvrir que peut-être – et je dis cela en étant sûr que le doute n’est pas permis – que peut-être donc, la silhouette en son principe de l’ile, son corps de terre la faisant paraître flotter ou dériver, son contour sinueux, tout cela a quelque chose à voir avec l‘imaginaire de mes tableaux. Cela fait plus de vingt temps que je parcours la lande d’Ouessant, que j’y remarque que tout y semble être une apparence, que non seulement l’ile s’énonce comme une création émancipée du continent mais qu’en plus, sa tache imprévisible et spectaculaire au milieu l’eau en fait une suggestion surgissant autant à l’improviste que de façon théâtrale. Les rochers élégiaques ou épiques, les reliefs ondulants comme des vagues jusqu’à l’intérieur des terres ou crevassant le parcours des côtes, le « lac » improvisé de Porz Goret, l’insertion de la baie de Lampaul dans le corps de l’ile me rappellent par rémanence des effets de creux ou de reliefs actifs dans mon travail pictural. Il y a aussi la bruyère d’un rose violacé ahurissant qui dès le printemps tapissent par plaques le paysage, la peau vertes et bleue des ronces pullulant de mures en septembre, par endroit supposée brulée par l’air salé du large. Il y a encore le vent, incessant au Nividic ou au Créach, autour de Keller, son souffle qui de Brest intime quelquefois l’ordre d’attendre aux bateaux de Penn ar bed ; et ça obtempère, et voilà l’ile plus livrée à elle-même que jamais. Cela fait des lustres que j’imagine l’île être un dessin en cours, ses gestes de chemins se muer en tracés aventureux, esquisser un changement d’allure du paysage, une demande faite aux rochers d’être méphistophéliques et lucifériens, de faire mine de se dérober visuellement au moindre ciel changeant.

Ma peinture tient assurément de ces lieux où silencieusement, ma liberté d’imaginer me semble totale. Dans l’atelier, ces souvenirs s’effacent pour ne plus exister qu’en coïncidant « accidentellement » avec mes recherches, elles mêmes aussi bien suscitées par d’autres compagnonnages qu’on qualifiera de purement conceptuels. Et si par des oxymores répétés quelques croisements « peuvent tout expliquer », rien n’est plus approximatif que la moindre reprise qu’on souhaiterait adouber comme une ombre seigneuriale. Isolé dans l’atelier, j’apprends sur le tard, après avoir longuement admiré son environnement, qu’avec Ouessant, j’ai en partie été invité à concevoir mon travail dans la pudeur de sollicitations parfois analogiques. 

Fédérique Lucien statique à la galerie Fournier

11/11/2018

            Il est dit que les œuvres ont pour thème « Feuiller ». Un autre intitulé annonce parallèlement : Trames et variations. Un troisième programme, à la fois détaché et transversal instille deux autres projets. Le premier est technique : « Dessiner /tracer », l’autre, décliné en autonomie par l’artiste se déploie par références historiques autour des découpages de Matisse.

Chaque œuvre tire son propos d’une forme végétale dont la silhouette a été isolée et découpée dans une feuille de papier pour apparaître en réserve et comme matrice. Dans une seconde opération les apparences vides du végétal sont remplies par transparence à l’aide de thèmes visuels (que l’artiste appelle Trames) puisés dans des motifs de tissus colorés imprimés. Les œuvres dont les formats comme les styles visuels très variés sont réalisés par recouvrements des papiers imprimés et découpés. Tout fait effectivement songer à la part décorative des collages de Matisse.

            Franchement répétitives dans leur principe, les œuvres peinent à exprimer plus qu’un procédé de production, de sorte qu’on s’interroge sur la pertinence des clins d’œil de l’artiste sur le travail de Matisse. Bien que revendiquée, l’invention des œuvres : « Je ne dessine pas sur le papier mais dans le papier » fait que « Feuiller » échoue en ce sens à faire penser à un jeu de correspondances esthétiques autres qu’hasardeuses, accidentelles ou factuelles entre des feuilles de papiers et des images. Il faut donc beaucoup de culture et d’imagination pour déceler en quoi Matisse a pu servir d’embrayeur à une recherche plastique approfondie tant les œuvres, toutes conçues sur le même principe de composition, semblent ignorer la différence entre une plasticité mobile, celle de Matisse, et une production formaliste fondée sur un procédé technique repris sans discernement. Au passage, on se pince de percer la signification que l’artiste accorde au binôme trames et variations.

L’artiste a-elle voulu « jouer » avec la mémoire de Matisse, et dans sa suite supposer plaire par une succession d’intentions enfantines ? Frédérique Lucien toute à la naïveté de son plaisir de fabriquer des œuvres agréablement plastiques oublie l’âpreté critique de Matisse redéfinissant sans cesse son devoir de sujet créateur. En réduisant le mouvement de fond du travail esthétique à un emballage formel, elle fait fausse route tant sur les concepts (de trame, de composition, de production plastique etc.) que de changement de forme. Il ressort que les approfondissements continuels auxquels Matisse s’impose et l’obligation où il s’engage à ne jamais se suffire des commodités d’une réussite passagère1 rappellent à contrario qu’il est vain de singer l’image connue de la verrière couverte d’études de son atelier pour faire croire à une recherche en réalité abolie dans le spectacle.

 

1/ Matisse, Ecrits et propos sur l’art, ed. Hermann.

Peindre, travailler ! Créer, travailler : oxymore

23/10/2018

Dans Pour les oiseaux, John Cage explique son art par une attention perceptive mêlée de détachement assumé. Admirateur des « Nymphéas » peints par Claude Monet, Barnett Newman rejoint Meyer Shapiro qui estime qu’en distinguant le sujet de l’objet dans la peinture, l’impressionniste a libéré les artistes. Est ce aussi déjà l’analyse dont Marcel Proust se réclame quand, parlant de Chardin, il présume que « le peintre avait proclamé qu’une poterie vulgaire est aussi belle qu’une pierre précieuse, qu’il avait proclamé la divine égalité de toute chose devant l’esprit qui les considère, devant la lumière qui les embellit, il nous avait fait sortir d’un faux idéal pour pénétrer largement la réalité… » Etre abstrait, faire en art abstraction de la pure description pour « largement pénétrer la réalité », lui substituer une distance formelle, sensible, conceptuelle, afin de l’imaginer sans la singer, lui opposer une science de l’art en action par exemple… Se souvenir qu’Henri Michaud a publié « Emergences Résurgences ».

Ëtre en ce sens hors sujet et dire qu’il s‘agit de relier deux sujets, une actualité et un artiste, voire n’y rien rapporter de particulier à l’un ou à l’autre et feindre le manque de discernement et partir ailleurs avec le même regard flottant prôné par Cage, tenter l’aventure de parcours autres, rire en avançant que d’autres perspectives sont soutenables… « Jouer au con » pour essayer une autre pente…

Autre piste : « Faire le con », comprendre de travers ou l’envers, s’étonner bêtement, presque animalement. Suggérer avec humour que les autres rapprochements et l’autre berge espérée, l’autre berge hier ignorée mais possible, refusée mais insoupçonnée, comme une ile brusque, comme un monde aujourd’hui imprévu et demain cohérent, prometteur et provisoire, encore provisoire… L’artiste draine avec son travail des techniques, et autant de débordements bêtes à partir desquels il pense toujours possible d’engager des rives « extraterrestres ». Il s’amuse à ignorer le dogme pour expérimenter « ailleurs », pour le bonheur du hasard et par fausse naïveté, pour le plaisir de suspendre un chemin tracé ou, sans irréalisme, « imprévoir » l’imaginable. Inimaginer en quelque sorte. In-imaginer !

Ce que peindre engage…? Ce qu’un(e) artiste retient ou récuse, efface partiellement en totalité pendant son travail ; le sens imprévu d’une perspective nouvelle ne peut qu’entrainer de nouvelles recherches. Qu’imaginer produire, quel état conserver, retenir ou laisser librede se produire ? Ces quêtes d’accords, Eugène Leroy les évoquent de son côté quand il dit « Je crois que je n’ai pas voulu faire une belle toile, j’ai simplement voulu faire de la peinture. » On conçoit en écho qu’il ait sans cesse repeint ses œuvres, qu’à la fin, il ne reste comme œuvre qu’une épaisse et dense croute de peinture, ou comme Cézanne des œuvres jamais finies. Comme Chardin et Proust, Monet et Newman, Leroy a constamment su sortir des évidences premières du sujet pour n’aborder sa peinture qu’en peignant, rendre remarquable son objet même, puiser dans son incarnation l’intelligence de toutes les distances possibles.

C’est en substituant librement des relations à découvrir contre tout résultat durable, en traitant sans paradoxe des problèmes techniques comme des propos questionnant, tactiques ou imprévus mais opportuns qu’on présume qu’une œuvre ne peut qu’échouer à être sensible quand son auteur les ignore comme champs d’expérience(s).

S’éloigner de la figuration et de l’anecdote, et pour cela, vouloir ou feindre être hors sujet, hors course, hors propos, hors cadre, tout cela évoque un travail exposé au vent, ses mouvements, un travail à la recherche d’émergences et la révélation, un travail fondé sur la déprise. Le projet du tableau entraine quantité d’expérimentations à travers son format, l’orientation de celui-ci, l’étendue qui se dessine, l’espace qui s’annonce, se déclare, s’étend, s’informe. Manet illimite sa peinture aux confins de paysages, Newman s’appuie symboliquement sur l’oxymore de champs incertains mais uniformément colorés, Eugène Leroy extrait sa toile d’un labour devenu peinture, Bram van Velde, Geneviève Asse ou Pierre Tal Coat s‘essaient à des mesures métaphysiques du fond pictural… Tous s’adonnent à la recherche d’un langage personnel dont les articulations devant l’avancement de l’œuvre à faire supposent, sans l’interdire une apparence étrangement vide de mots, traversée par une pratique difficilement qualifiable. Suggérer qu’il s’agit d’un langage est même bizarre tant il parait autocentré, contraire au principe même de ce qui devrait en ce sens le fonder. Peindre n’est pas communiquer assène régulièrement Pierre Soulage.

On peut donc sans le vouloir décider de se tenir à la marge, chercher à subjectiver l’expérimentation par la réalité factuelle de l’ « expérimentation en train ». L’objectif est de concevoir le temps de peindre comme une histoire sans fin du plaisir de travailler « abstraitement » et sans attache, éviter l’arrêt sur image que peut entrainer l’anecdote d’un sujet externe.

Les artistes réunis pour cette exposition témoignent d’un faire savoir pictural d’abord imaginatif, détaché/aliéné par l’imagination du faire devrait-on dire, en plein voyage d’imagination. Leurs compétences à suggérer, transformer, susciter les forces surgissant de leurs laissers allers dépassent leurs productions apparentes, abstraites ou représentatives, et toute anecdote connue sur l’art.

Epilogue. L’exposition est reportée, indéfiniment. Trop de plaisir au travail poïétique.

A la Fiac.

21/10/2018

A la Fiac, proche de l’entrée, une œuvre somptueuse de Leroy, plus loin, découvrir la puissance d’une peinture de Lee Krasner (veuve de Pollock), puis une œuvre récente et bigrement intéressante d'Alberola chez Templon. Je tiens ce peintre pour un des artistes français les plus intelligemment créatifs. Retrouver presque furtivement des dessins admirables de Réquichot (mêlés à un hommage à Daniel Cordier). Pas bien loin, de belles œuvres de Motherwell dans des formats intimes (Quel bonheur d’avoir pu contempler une belle sélection d’Open par Motherwell chez Templon cet été) ; le plaisir de débusquer un dessin captivant d'Hannah Hoch, être impressionné par un Basquiat monumental et beau. Regrets devant le barnum inutile et vide de sens de la galerie Gagossian, l'épaisseur de papier de cigarette des œuvres chez Kamel Ménour et chez Perrotin, l’ensemble du one man show consacré à l’artiste Thilo Heinzmann, brillantes dans leurs vitrines faciles… Curieusement, c’est dans certains recoins de galeries discrètes que bons nombres d’œuvres éclatantes de sensibilité, d’audace créative et de beauté suscitaient de folles envies d’acheter et de collectionner de l’art.

« Rétrospective » Georges Mathieu chez Templon.

13/10/2018

« Rétrospective » Georges Mathieu chez Templon. Le ridicule d’une manière de  répéter sans le moindre esprit critique et jusqu’au ridicule des gestes, procédés de compositions et un style égotiste pour satisfaire un spectacle dont l’insignifiance esthétique est la marque et le fond conventionnés. Bernard Buffet, contemporain de Mathieu, avait en la matière déjà poussé l’absence simiesque d’imagination à un niveau qu’aujourd’hui encore on pouvait croire inégalé. Le cirque horriblement daté et grotesque de Mathieu ne doit pas faire oublier que la galerie Claude Bernard présente en même temps une sélection de peintures d’Eugène Leroy aussi somptueuses que réellement lyriques. Et sur son fil tout un art moderne de chercher la peinture avec sensibilité et créativité autre que le médiocre Mathieu.

Hermann Nitsch naufragé galerie RX.

10/10/2018

Hermann Nitsch galerie RX. J’avais conservé en mémoire ses « actionnismes viennois », leur théâtralité ultra symbolique, faite de sacrifices d’animaux, de fausses messes païennes ou cathartiques, prétendument antireligieuses et pour l’Art conceptuelles. J’avais en mémoires les photogrammes de ses films le montrant dégoulinant de sang humain (en réalité d’animal), de liquides et matières corporelles supposées de toutes natures…

Redevenu simple peintre, si on peut dire, l’homme, aujourd’hui marqué par l’âge expose ses dernières œuvres, des toiles de grandes dimensions sans titre, abstraites et violemment gestuelles. Rien n’est oublié des draps et pseudo linceuls naguères imprégnés ou souillés, des corps ouverts comme des bœufs écorchés, des organes rependus et de leurs liquides exposés au public, des bruits emportés de la cérémonie.

Quelques peintures de teinte jaunâtre reprennent le thème des fluides corporels. Pisse, humeurs s’y trouvent mobilisées en aspects de flaques, trainées et éclaboussures. Le rouge sang dégouline dans la plupart des autres tableaux, les envahit même. La merde, convertie en brun aussi. Des matières originelles, ne reste que ce que la peinture directement versée, répartie avec les mains et pétrie, labourée et séchée en boue et sillons épais sur la toile permet. L’artiste a visiblement voulu retrouver l’ambiance d’orgie et de lyrisme d’opéra des actionnismes d’antan. Reste ce qu’aujourd’hui l’image reproduit et rappelle symboliquement, ce que la peinture n’a pas transformé et que le peintre ne veut (ne peut) dépasser, ce qui, constitue sa marque et le date. Aussi imposantes et apparemment qu'elles soient, les œuvres ne tiennent qu’à cause d’un gigantisme esthétique à travers lequel le peintre tente de sauver ce qui n’est plus qu’une coquille vide et une apparence vaine.

Reste un travail de faiseur, seulement commercial.

Paul Armand Gette Galerie Incognito Artclub.

10/10/2018

Au 16 rue Génégaud, Galerie Incognito Artclub, l'exposition de Paul Armand Gette est subtile et inattendue, tendrement intime, espiègle et facétieuse avec le spectateur qu’il feint joyeusement de croire naïf. P.A. sait ainsi avec délicatesse acter l’intimité conjointe d’un sujet et d’un problème plastique en cultivant la rencontre fortuite et parfois cocasse d’une réunion d’objets et d’un appareil photographique instantané. Dans la galerie au nom prédestiné, son travail hautement artistique fait avec poésie rimer la prosodie d’effets de visions et des d’enregistrements fabriqués, en réalité « faussement » opportuns. Et c’est ainsi que ses œuvres, qu’elles soient photographiques ou simplement dessinées, que ses assemblages qu’ils fussent soutenus ou accompagnés par un tracé renvoyant à un entretien silencieux ou la fiction d’un rendez-vous secret, que ses assemblages,encore, formellement sous entendu par leurs puzzles aux accents érotiques, ou adroitement conçu comme des relevés objectifs peuvent visuellement s’accorder sur une douce musique.

C'est à aller voir. Sans hésiter !

Marion Charlet imagine ses tableaux d’intérieurs au Patiot Opéra…

06/10/2018

Quel est le présent de Marion Charlet ? Sait-elle seulement où elle se trouve quand, rattrapée par le besoin de peindre, elle choisit de supposer le plan par principe frontal de sa toile transformable en objet virtuel, sinon à définir ?

Marion Charlet élabore des images d’intérieurs de maisons composées de serres, de vérandas, de piscines intérieures, d’escaliers saisis en vue plongeante, de verrières et de portes vitrées, de balustrades transparentes, de sols carrelés ou mosaïqués…le tout en « un certain ordre assemblés ». Les espaces à la fois limités et transparents entremêlent l’intime et l’extérieur d’architectures complexes et de paysages luxuriants aux accents constamment paradisiaques. On ne perçoit pas de personnage mais plutôt une invitation symbolique à entrer ou séjourner dans chaque tableau comme on s’isolerait sur une île ou dans un lieu métaphoriquement coupé du monde. La question se pose par ailleurs de savoir si l’artiste ne revisite pas à sa manière le thème du jardin d’Eden ou si, par métonymie, ce n’est pas un rêve d’atelier et le bonheur de s’y couper du monde qui lui suggèrent ses images…

Chaque œuvre et l’espace d’exposition résultent d’une composition constamment imaginaire dont l’objet paraît vouloir défier le réel. Marion Charlet ne peint pas des lieux existants mais des lieux fantasmatiques, transparents ou ouverts par une porte ; les murs que limitent chaque lieu font présumer des espaces sans dehors ni dedans, rendus presque immatériels. Par ailleurs, chaque vision s’organise simultanément à partir de plusieurs angles de vue ou d’un angles de vue si rapprochés du spectateur que les formes subissent une anamorphose. La confrontation, bien qu’amplement favorable à la conception très élaborée des images, engage ainsi une réflexion sur l’art de peindre aussi bien à-travers des transformations optiques que comme détails et extraits, en tant que vues exceptionnelles et surprenantes. On se sent alors aspiré par les environnements décrits ou saisis de vertige en descendant des escaliers peints, comme Vélasquez a opportunément scénarisé l’avant scène des Ménines pour mieux viser un trompe l’œil du cadre visuel de son œuvre. Marion Charlet bâtit en écho rigoureusement ses images, les lignes de perspectives incluent ou prolongent intellectuellement les arêtes des murs à l’ensemble des espaces de la pièce d’exposition. Tout concourt à ouvrir également les œuvres et leur format au monde environnant, et il devient impensable de les considérer autrement que comme un oxymore figuratif. Grande ou de format réduit, chaque peinture incarne par reflet une fenêtre poétique qui intègre l’extérieur en gravant dans l’esprit des épures inspirées des leçons de la Renaissance. Des œuvres comme Inner-space, la série Gateways, Countdown, ou Cicérone II s’ordonnent autour de vues en plongée, de sols carrelés ou mosaïqués et de plans successifs qui rappellent et combinent les vues en géométral de Philippo Brunelleschi avec les perspectives dépravées décrites par Jurgis Baltrusaïtis.

Le style de Marion Charlet est lisse, sans marque de pinceau, en s’appuyant sur des colorations d’apparences. Chaque composition a été d’abord soigneusement étudiée d’après photo sur écran (un autre espace virtuel et à sa manière également lisse) de sorte qu’un tableau validé est à la fois une copie, une reprise transformée par la peinture et surtout un montage manifeste. Partant, on comprend qu’à cette suite ne peuvent convenir que des procédés visuels spectaculaires, confirmant par avance le caractère fabriqué et illusionniste des images. Pareil pour le traitement des parties éclairées ou créées dans l’ombre ; rien n’est réel, tout semble appartenir à un mirage ou produit dans des nimbes. Dire que tout est flottant serait impropre, mais on peut avancer que rien ne semble rechercher le sol comme unique socle.

Marion Charlet peint comme on rêve de peindre, indépendamment des contingences, immergée dans le travail de création picturale. Des œuvres de petit format récentes intriguent par leur exotisme amplifié. Et brusquement tout replonge du fictif vers l’inventé, faisant du tableau le trompe l’œil de sa propre perspective. L’atelier exhale la liberté recherchée : autant que possible, peindre sans penser à d’autre monde que celui de l’œuvre à faire, du travail en cours. Seule concession à l’actualité peut-être, éventuellement l’insérer comme une hypothèse du réel par quelque artifice technique et visuel, quelque imaginaire authentique. Mais tout est question d’art visuel.

Jacqueline Dauriac elle-même à la galerie Isabelle Gounod, ou la Lumière « pluto bien ».

29/09/2018

Jacqueline Dauriac à la galerie Gounod. Après avoir évoqué l’art de vivre bien au CREDAC avec une exposition intitulée « Ça va pluto bien » (dixit), elle remet le couvert avec une re-présentation que cette fois elle titre « Le plaisir sans remords ». Singulière façon de réitérer le bonheur de jouer la couleur sans limite que cette nouvelle présentation qui renvoie l’art d’être artiste à de purs et modestes jeux de lumière colorée. Pas de murs, le moins de tableaux possibles, des plan lumineux intenses tantôt vert, tantôt jaune ou rose, vaguement brun par mélange optique, transparents partout, enveloppants et transfigurants. Au sol, un pseudo miroir est posé, c’est en fait un caisson circulaire lumineux blanc. Dans son sillage une mannequin longue et sculpturale habillée de rouge vif pose comme une sculpture. Elle semble à la fois vouloir faire écran et matérialiser la lumière, exister par et dans elle, être dans son jour sa propre architecture. Sur les murs, des agencements en relief composés de verre teinté forment les pans virtuels de hauts reliefs géométriques. La lumière rouge, verte ou bleutée qui les traverse s’épand aussi dans l’espace, diffusant une présence partout insaisissable. Les volumes créés et leurs éclairages théâtraux suffisent en même temps pour déréalisés l’environnement de la galerie qui devient autant une cage de scène qu’un antre d’artiste imaginant des lumières pour son monde.

L’artiste a t’elle cherché pour son œuvre l’in situ d’un luminocinetisme spirituel ? Jacqueline Dauriac cite Monet, évoque l’idée d’un art fondé sur sa recherche agissante, signifiant par son installation, lumineux par la conception pragmatique de ses moyens et de ses outils. La lumière colorée intègre avec cette remarquable exposition des réserves créatives susceptibles d’effectivement valoriser la sensualité du spectateur.