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08/01/2020
Mettant à profit la rétrospective de son travail depuis quarante ans, Christian Boltanski a fait des salles du Centre Pompidou le support d’une nouvelle installation originale. C’est pour lui semble t-il l’occasion d’instaurer aussi une perspective du temps plus métaphysique que plastique dans l’ensemble de ses œuvres. Compte tenu que sa pratique formelle de l’installation in situ est en ce sens un référent toujours fort de sa pratique artistique, on est tenté de songer qu’en intitulant cette rétrospective « Faire son temps », Christian Boltanski clôt l’objet de sa production passée et qu’en même temps, il l’oriente dans une nouvelle phase pour lui réassigner subtilement un autre horizon.
L’exposition se déploie en salles et lieux dédiés à l’illustration d’un fil déroulé par le rappel d’évènements et d’installations aux thèmes purement mémoriels, sans jamais être ni un parcours fermé ni la réunion d’œuvres simplement datées. Guidé par le quasi logo d’une lampe suspendue au-dessus des installations comme la lampe vacillante de Guernica, l’artiste formalise par ailleurs des thèmes où cheminent autant l’insolubilité des idées que celle du souvenir potentiellement imprécis des faits. On conçoit ainsi en passant d’une œuvre à l’autre que, petit à petit, l’artiste s’ingénie à contourner toute référence à l’histoire pour ne se poser que sur la marque d’instants de vie. Au drame hurlant et espérant de la lampe peinte par Picasso au centre de Guernica, Boltanski oppose l’histoire lourdement silencieuse de mondes d’ombres. Qu’un fait mémoriel prenne le dessus, il le recadre dans un tiroir ou une boîte, le temps de regrouper des moments de vies apparemment sans histoire. Que la nostalgie s’incruste subrepticement et brouille pour partie des émotions, il y remédie par l’ironie et l’humour d’un théâtre illusoire : des figures riantes ou/et clownesques sont à cause de cela fréquentes dans son travail. Comme les balancements d’un pendule peuvent évoquer des changements de visages, Boltanski a imaginé à ses débuts des collections d’objets anodins, en reconstituant par la suite de manière allusive des chapitres de vies inconnues pour signifier « comme on peut » des liens supposés ou directs entre de faits éparpillées par des enchevêtrements et des racines fabriquées, il réussit à authentifier virtuellement des carrières exhumées par la plasticité de détails fictifs.
Une fois de plus, Boltanski a pris son parti de l’environnement qui lui est proposé pour profiter d’une possibilité de relecture imaginaire de ses débuts comme artiste. Ses manières de réinventer le cours du temps par des retours sur des détails sans importance ou de l’engager dans des rebonds aux accents sentimentaux, appuient le sentiment d’une volonté de dépasser formellement le déroulé formel d’une rétrospective. Pas de cartels sous les œuvres, les salles se succèdent avec l’idée de suivre les lampes. Les œuvres s’enchaînent sans autre indication qu’un guide basique imprimé faisant office de GPS mental. Comme des mirages caverneux, les installations n’ont d’in situ qu’un signe commun avec les pratiques de l’art contemporain en la matière. Elles donnent en fait souvent le sentiment d’avoir en partie été composées comme des tableaux ou comme les cases d’un interminable storyboard. Il est vrai que Boltanski a commencé comme peintre sur de multiples supports. De cette époque il ne reste apparemment rien, ou si peu qu’il n’en parle que comme d’une époque révolue. Dans l’immédiat, Boltanski détourne à toutes occasions les codes du théâtre et de ses décors, la présence ou l’absence de comédiens, la présence du public, seulement induit par la production des œuvres et leur exposition.
Sur le plan de l’expression, le pire du pire traverse cet art que l’oubli taraude sans arrêt et que les détails parfois superflus ou ironiques de l’histoire récente gangrènent ou éventent. Par son histoire familiale et personnelle, il en connaît l’extrémité, les impasses humaines et philosophiques, il sait et fait plus que savoir qu’elles le dépassent aussi de partout, comme la Shoah dépasse de partout l’entendement du souvenir. Confrontée aux faits réels, la mémoire n’a peut-être pas grand sens. Immatériellement, l’esprit de Boltanski continue d’œuvrer à son imagination rétroactive.
Impossible de perdre les fils d’un passé inévitable. Dans chaque salle, l’illustration d’un thème allusivement différent paraît s’iconiser. Chaque installation est en soi aussi énigmatique qu’extraordinairement imagée. Si toutes les installations portent l’empreinte d’une mise en scène, toutes font également songer à un filmogramme. Christian Boltanski, dont la connaissance des pénombres artistiques est fine et cultivée, ne manque pas une occasion d’évoquer au détour d’une présentation ou d’un angle de vue imprévu une scène caractéristique, parfois empreinte d’humour, le tournant d’une tragédie, le clair obscur d’un tableau ou un ensemble de sculptures et parfois une séquence où la lumière tient un rôle essentiel. Dans certaines salles, les œuvres sont à peine discernables de l’environnement général. Parés d’un noir atmosphérique, les visiteurs se font public nocturne. Boltanski croit aux albums et collections d’images, à tout ce qui, devant échapper au vide, bruisse par réaction de murmures, de signes aveugles. Partout, dans d’allusifs tiroirs ou à travers des visages imprimés sur des tulles, des faits retrouvés ou reconstitués ne sont qu’apparemment silencieux. Toujours faite de moyens simples, souvent d’objets de récupération habilement mis en scène et en espace, l’évidence de chaque objet présent claque, force l’impression d’un aperçu, brise toute remarque impromptue. Un filmogramme résume visuellement une séquence ou un passage d’un film par un jeu de signes simples.
Christian Boltanski est un artiste réaliste et un paysagiste attiré par les paysages mentaux et intellectuels. Son travail rejoint en ce sens les constructions architecturales dont la peinture peut être porteuse des points de vue du Romantisme et du Surréalisme, voire de l’illustration. Souvent assez peu travaillés ou transformés, mais constamment détournés de leur usage ordinaire, les éléments qu’il scénarise après les avoir (r)assemblés profitent de sa capacité à rendre audibles les « bricolages » esthétiques de rapprochements formels spectaculaires. La série d’installations intitulées « Autels chases » ou « Reliquaires » sont dans cet esprit particulièrement explicites. De la provenance des objets qui les composent, tout s’y rapporte et fait sens de fusions opportunes. Quasi frontales et baignant dans des éclairages d’ambiances et d’atmosphères à la fois intimistes et nocturnes, chaque œuvre, comme un tableau devant son mur, s’ordonne sur un support globalement plat et apparaît prosaïquement d’avantage comme une peinture en relief que comme une installation in situ. Défaits de leurs référents utilitaires, tous les objets qui lui servent y deviennent des contenants linguistiques ou des vecteurs de sens ; ce faisant, ils font songer au principe d’un embrayeur plastique mettant un épisode en perspective dans l’histoire personnelle de leur auteur.
L’exposition navigue dans le temps ramassé d’histoires d’enfance personnelle sans cesse émouvante et inquiétante. Sans aucune intrigue appuyée, son travail se rapporte quasi exclusivement à sa famille. Malgré les scénettes drôlatiques animées qu’il a produites au début de sa carrière d’artiste, Boltanski invite parallèlement sans insister à des retours compassionnels sur le passé. Sans jugement, chaque œuvre se transforme symboliquement en aventure humaine.
C’est peu dire que Boltanski est à la fois un créateur et un artiste essentiel. C’est aussi insuffisant de considérer cette exposition que comme une histoire d’esthétique. Cette rétrospective est une œuvre manifestement belle par son engagement hors des champs convenus de l’art. Littéralement contemporaine avec l’exposition consacrée à « Francis Bacon à travers ses lectures », les créations artistiques de Christian Boltanski autorisent à faire converger aussi bien des inspirations purement historiques que des partis pris cinématographiques, des productions picturales ou photographiques, des dispositifs d’expositions conceptuelles… A regarder ses œuvres, on croise encore des bandes dessinées, des magazines populaires, on compulse des albums d’images d’information ou des photos de famille, on sillonne et on retrouve des cartes de territoires et d’autres formats de productions visuelles et audiovisuelles. On se perd et on refait surface, comme on oublie l’actualité en même temps qu’on trace d’anciennes humanités ou qu’on découvre des ruines.
A la fin de l’exposition, à l’instant de sortir, on refocalise des vies possibles pendant que, parallèlement au présent, la mémoire « fait son temps ».
03/01/2020
L’étude pointue de Jurgis Baltrusaitis* sur les anamorphoses a permis que les corrections de perspectives jouissent d’une aura appréciée pour leur histoire, leur technicité, leur théâtralité et leur étrangeté. Grâce aux dessinateurs, aux peintres et aux théoriciens de la perspective, on s’y délectait auparavant de supercheries délicieuses ou de déformations magiques, parfois (pour diverses raisons, érotiques notamment) espiègles ou cachottières et quand elles incluent une vue dont le sens masqué ou flouté s’ouvre sur le fantastique et témoigne de scènes insolites, d’habitudes irrespectueuses, voire saugrenues. Quand l’anamorphose se veut abstraite et joue avec la correction géométrique, les formes évoluent en sections apparemment incohérentes, de sorte qu’aucune homogénéité visuelle ne semble concevable. Le spectacle s’éparpille en désarticulations multiples, tout paraît illogique et illusoire pour ne fonder que des hypothèses. L’anamorphose est encore efficace pour questionner la place du spectateur dans le moindre des dispositifs visuels, les surprendre ensemble et, partant d’un emplacement, inviter à s’imaginer maître des apparences. L’aspect drôlatique ou inquiétant de l’anamorphose résume au fond avec sagacité qu’un regardeur potentiellement déstabilisé ou rêvant peut imaginer qu’en divagant, le regard du peintre peut être son propre objet d’étude.
Le plaisir de se perdre, les désordres ludiques et les illusions d’optique implacablement mises en scène résument en sorte les chemins et l’attrait pour l’anamorphose. Je me régale depuis toujours des « aberrations visuelles » inventées par Hans Holbein le Jeune et commentées par Baltrusaitis ou Jacques Lacan, l’humour des jeux et enjeux optiques voire les prouesses illusionnistes imaginées par Maurits Cornelis Escher, François Morellet et Felice Varini, les corrections visuelles fomentées puis scénarisées par Ian Dibbets, les constructions illogiques et « paralogiques » de David Hockney…
Les esquisses et les dessins d’intentions que Georges Rousse expose à la galerie Putman sont de ces points de vue (sans calembours) malheureusement moins intéressants. Proposés à la fois comme des esquisses dessinées et comme des aquarelles abouties, leurs formes sont à la fois si littérales et si convenues graphiquement qu’on peine à y découvrir un effet d’interprétation technique ou d’invention visuelle. Pire, la mémoire et l’impression que ces projets et leurs dispositifs ont depuis longtemps été imaginés par d’autres domine, conduisant à appauvrir davantage encore leur projet. C’est in fine à se demander si à un moment donné, l’artiste s’est lui même inquiété de savoir quand il croit dessiner pour créer ou créer en dessinant, ou si, pour lui, le dessin en soi compte comme œuvre.
Heureusement, l’exposition ne se limite pas à ces exercices insignifiants, le savoir faire de Georges Rousse comme photographe rattrape l’inutilité des dessins. Les vues en couleurs d’interventions réalisées puis photographiées dans divers lieux sous l’aspect documentaire rappellent une pratique d’œuvre in situ à priori ambitieuse et esthétiquement plus critique (une créativité simultanément ludique et raisonnée où Morellet, par exemple, a excellé de façon spectaculaire). Je m’interroge toutefois sur le paradoxe et les contradictions de ces photographies dont la composition arrêtée, l’image traditionnelle d’un sujet/portrait centré se glacent sur l’idée d’une vue uniquement récapitulative. On aurait mieux imaginé parfois un film ou une animation, voire un montage plus conceptuel. Faute de mieux et compte tenu que l’anamorphose induit et mobilise presque par nature de la surprise et de l’étonnement, ces photographies réduites à une vue hyper focalisée que l’artiste considère comme l’origine et la fin de son travail scénaristique dès l’amont de sa pensée, sont-elles encore créatives ?
Sans surprise ni découverte, presque sans aventure, l’exposition s’avère futile. Qu’il s’agisse de surfaces ou de silhouettes, d’agencements ou d’angles de visions, quelle que soit l’esthétique des compositions, aucune œuvre ne dépasse le stade du document. Le tracé dessiné n’a pas d’aura, les images sont sans surprises. Si par ailleurs la photographie tente de dépasser le dessin, le spectateur perd les avantages poïétiques et heuristiques de la dispersion à la fois calculée et joueuse d’éléments évoluant dans l’espace pour apparaître dans une forme inattendue. Les dessins et aquarelles se perdent dans des gestes d’apprentis dessinateur, les photographies dans ceux de techniciens. In fine, chaque production se borne au modus operandi de projets d’exécution.
Dans l’exposition conçue pour susciter la découverte vs l’exploration de mondes exceptionnels, où le spectateur est invité à plonger dans des profondeurs imaginaires, les œuvres sont finalement plates.
* Jurgis Baltrusaitis, Les perspectives dépravées (3 tomes), Flammarion col. Champs libres
03/12/2019
Galerie Ceyson-Bénétière, Noël Dolla dans le délitement de sa peinture
Dans la présentation des œuvres exposées par la galerie, on apprend qu’en marge de son engagement artistique, Noel Dolla a été un adepte de l’escalade. En fusionnant métaphori-quement les deux engagements, j’imagine qu’à l’inverse des risques jadis encourus sur ses parois, avec la peinture qu’il produit aujourd’hui, l’artiste ne fait que descendre. La superficialité esthétique et plastique de certaines pièces exposées suggère même qu’il pense qu’avoir une pratique artistique de fond et faire de la grimpette est équivalent dans l’effort. Où qu’il suffit de remplacer l’expérimentation plastique par sa parodie. Malgré une installation en partie in situ, et des « peintures au pistolet » (d’un geste hasardeusement emprunté aux Tirs » historiques de Niki de Saint-Phalle en 1961), l’exposition échoue à convaincre que le chercheur jadis de Supports/surfaces est encore aux commandes.
Galerie Les filles du Calvaire, « Chronique du trouble », commissariat Thierry Raspail…
…Ou, comme il est suggéré : « L’œuvre comme moteur de recherche ». La perspective de ce programme suggère implicitement que l’œuvre et la recherche créative sont une seule activité. Dans sa thèse fondamentale sur l’instauration du travail plastique, René Passeron* conçoit que l’œuvre peut s‘entendre comme un mouvement poïétique vers la création d’apparences. Pour le coup, « Chronique du trouble » réunit trois artistes ou trois conceptions du travail créatif, corrélées à l’idée qu’aucune œuvre ne saurait échapper à son inscription dans un mouvement de conception et d’invention réciproque et incessant. Et de fait, Antoine Catala, Jan Koop et Gustavo Spendiao, tous de même génération et comme leur nom l’indique de nationalité différente, instaurent des œuvres dont l’affaire tourne plastiquement autour de trois idées divergentes sur le temps. Quand l’un prend la durée pour thème, l’autre traque et illustre avec humour des instants de pulsation, le dernier enfin s’appuie sur l’actualité de son pays pour faire (re)vivre plastiquement des moments d’engagements collectifs. D’un point de vue esthétique les « estampes » de Jan Koop ainsi que l’environnement, les objets en silicone d’Antoine Catala et l’installation in situ politiquement engagée de Gustavo Spendiao définissent visuellement leurs pratiques à travers des compositions passagères plutôt qu’arrêtées. Fondée sur une composition suggérant une instabilité ou semblant temporaire, chaque œuvre sollicite une participation davantage qu’un regard unique. En passant, les artistes investissent tout l’espace de la galerie, ils le retournent ou la détournent pour suggérer un autre site, les ouvertures subreptices de fenêtres imaginaires, les sons d’une manifestation de rue et des murs pris à parti pour servir d’écho. Si pour l’essentiel les œuvres sont plutôt belles, expressives et convaincantes, on peut aussi songer que parfois, certaines ne brillent pas par leur nouveauté formelle. Salutairement, Thierry Raspail n’a cependant pas oublié que ce qui instaure avant tout une œuvre plastique vivante est qu’elle se fait entendre.
* René Passeron, « L’œuvre picturale et les fonctions de l’apparence, éd.Vrin
« Un artiste, une œuvre, un objet » commissaire Luca Djaou à la galerie Patricia Dorfmann
Le choix des peintures se veut l’évocation d’un commerce intime des artistes avec des objets « phares » présents dans leurs ateliers respectifs. Ces objets sont pour eux des sources d’inspiration autant que des thèmes et des index de style, ils font signes pour des autoportraits par procuration. Intéressant dans son principe, l’exercice est aussi daté que faiblement démonstratif, chaque créateur ayant drainé ou tenté d’établir derrière lui de multiples intérêts. In fine l’ennui est que surtout, dans leur majorité, les œuvres exposées sont impersonnelles, peu représentatives, voire laides, comparativement à d’autres productions des artistes, pour certains historiquement reconnus. Partant, l’exposition devient monstrueuse et la démonstration souhaitée seulement littérale. Chaque œuvre caricature une incarnation à travers laquelle personne n’est expressément humanisé.
29/11/2019
Ce sont des paysages. Indiscutablement aussi, des peintures dont le traitement non figuratif, la couleur et le fond à la fois atmosphériques et matiéristes pointent le regard de l’artiste à son travail. Les œuvres de Monique Frydman exposées à la galerie Dukto montrent que l’artiste également fascinée par ses thèmes extérieurs et l’intimité foncière de son travail d’atelier, veut s’atteler aux inspirations croisées de restitutions imaginaires et de créations toujours personnelles. In fine, les œuvres parlent d’oscillations intimes, de temps d’observation silencieuse, la discrète retenue d’un éveil à un monde unifiant expression visuelle et sensation personnelle.
Exposé au moyen de champs colorés aussi intenses que divers, ce qui fait paysage puise son efficacité dans les traitements visuels conjoints d’une manière de dessiner et d’une technique de peinture poétisée. Il s’agit en fait de pastels, c’est la force des couleurs parfois directes et parfois soigneusement mélangées qui les classe comme peintures. Le dessin est induit par des effets d’empreintes par frottement sur des surfaces granuleuses. La sorte de trame visuelle instaurée est accentuée par l’ajout d’un collant qui provoque un discret relief tactile. Le moindre détail est absorbé dans une masse optique que nulle anecdote ne réduit. Aucune forme n’apparaît séparément des surfaces couvertes de couleurs dont les teintes s’imposent en même temps que leurs agencements irréguliers s’ordonnent en pavages sublimes. Si on ne peut y voir que des prélèvements par nature vaporeux, le contour évanescent de chaque partie confirme une recherche artistique d’expression allusive et subjective par l’artiste imprégnée d’émotions optiques et quasi charnelles.
Les « peintures » caressent le réel comme Claude Monet a pu engager sa mémoire des images instantanées à travers des séries sur un même sujet. Monique Frydman connaît et apprécie intimement ces recherches apparemment toujours non figuratives et dont l’objectif avoué est d’honorer la somptuosité des couleurs du temps, autant que le plaisir silencieux de peindre. Dans la galerie, chaque tableau tient de l’affleurement, de manières qu’a l’artiste de constamment rappeler sa surprise esthétique autant qu’une tentative de rendu devenu pure émotion visuelle. Dans un beau préambule accueillant le visiteur, Monique Frydman ajoute être bercée par la couleur de Gauguin, la sensualité de Van Gogh, la force de peindre de Joan Mitchell, l’intemporalité plastique des tableaux d’Agnès Martin. Et évidemment Cézanne… Et encore un peu évidemment, le paysage abstrait des années 50/60.
Les micro-mondes de Monique Frydman sont les vues fugaces et subreptices d’instants passagers. Leurs compositions émanent d’une même temporalité émergeante ou surgissante. La forme plastique est une architecture visuelle augmentée par le geste et le coloris ; sur le tableau elle peut prendre l’aspect d’un aperçu local ou furtif, faire advenir des apparitions esthétiques. La culture sensible de l’artiste émeut ici au maximum, on se sent imprégné et comme envahi par sa curiosité de retenir du réel qu’il peut se transformer en une métaphysique du regard bouleversé par une image réduite à des empreintes. Sans anecdotes ou purement suggestives, les œuvres projettent des apparences en même temps que des échantillons subjectifs. Galerie Dukto, Monique Frydman fait part de quelques beautés de leurs passages.
23/11/2019
Les peintures se présentent comme des œuvres abstraites peintes directement sur papier. Deux sujets distincts semblent être chaque fois superposés sans jamais complètement fusionner. On voit en premier des silhouettes abstraites serties de plusieurs contours concentriques vivement teintés sur un fond polychrome. Des mélanges de lignes multicolores dessinées par dessus en pointillé composent le second sujet. Le titre à l’origine de l’exposition : « L'artisan et l'assassin » est-il dans l’association formelle des motifs superposés ou dans leur confrontation plastique-iconique ? D’un autre point de vue pictural, les œuvres s’apparentent à une cartographie rêvée ou des micro paysages fictifs.
Depuis plusieurs années, l’artiste s’intéresse aux principes méthodologiques et esthétiques des mélanges de couleurs. Elle semble, cette fois, avoir choisi d’expérimenter les techniques par une stratégie performative des mélanges à la fois chimique et optique des couleurs. Les sertissages répétés et les renvois manifestes ou allusifs à des courants artistiques confirment cet intérêt. Parallèlement, l’usage exclusif d’une manière brute de peindre donne aux tableaux un aspect plus décoratif que questionnant. On conclut que chaque œuvre s’auréole d’une beauté prioritaire-ment factuelle.
A travers la technique pointilliste appliquée aux lignes ondulantes, à travers les couleurs crues presque partout inspirées du fauvisme, à travers le dessin sommaire des formes et l’arrangement ou l’assemblage élémentaire des compositions, à travers le « look » d’un découpage « matissien » et l’image volontairement imprécise des silhouettes évoquées, à travers le style spontané ou/et parfois enfantin du geste pictural, à travers l’aspect frais des peintures, traitées en pochade, les œuvres renvoient au spectacle d’apparences essentiellement jolies.
Faut-il oublier ces apparences et imaginer à distance que ces travaux sont des recherches plastiques approfondies et non des productions d’amateur heureux ? Faut-il se laisser guider par les citations formelles et littérales de nuanciers de couleurs ? Contre le risque d’être troublé par l’accumulation de pratiques aussi descriptives que rudimentaires, voire d’apparences visuelles scolaires, une présentation critique du travail de Fabienne Gaston-Dreyfus par la galerie suggère que chaque œuvre engage un dispositif plastique processuel. On lit qu’« un motif central se laisse gagner par l’espace vide qui l’entoure…qu’une construction (par masses colorées) s’échafaude dans un espace presque perspectif… », que sous l’aspect de « coup de pinceaux répétés/ martelés », l’usage d’un pointillisme acte une culture de l’expérimentation coloriste, que les preuves d’inspirations historiques sont les index de connaissances creusées…
Contre toute attente, le fond d’architecture plastique rudimentaire des compositions centrées/ indépendantes sur leur fond blanc devenu inopérant, le geste pictural du toucher noyé dans sa répétition à la fois enfantine et mécanique, l’épaisseur constante des lignes ondulantes autant que l’emprise des peintures sur leurs supports de papier blanc inopérant attestent ou suggèrent à tout le moins et à contrario un art de peindre quelque peu superficiel et techniquement convenu.
En opposition avec l’intranquilité de peindre, les œuvres semblent d’avantage assurer un confort pictural habituel. Les principes et les moyens plastiques régulièrement employés sans esprit critique restent constamment basiques, au point que chaque peinture assure le sentiment que l’auteur se suffit d’un style de chromo apparemment moderne pour des murs d’appartements vides et anciens. Terriblement, dans un recoin de la galerie, une œuvre réinterprétée en tapisserie et réalisée avec des moyens informatiques sans éclat confirme les illusions esthétiques des peintures sur papier.
11/11/2019
Galerie Templon, rue Beaubourg.
Les œuvres de l’artiste Oda Jaune. De grandes peintures sur le thème du corps humain conçues comme des collages un peu surréalistes. La présentation ose évoquer un travail de morphing… C’est peint dans un style réaliste pompier, mal composé, techniquement laid et mal peint sous des apparences de métier classique, laborieux, et esthétiquement daté. Le théâtre d’un travail sculptural aussi grossièrement imaginatif fait encore partie de l’illusion des œuvres présentées.
Templon rue du Grenier Saint-Lazare : Jonathan Meese.
Le thème : hommage à la capitale de la mode (Paris bien sûr !) et à la Haute Couture. Portraits de couturiers stars : Lagerfeld, Chanel, Saint Laurent, Galliano etc. Tous les codes du genre expressionniste sont réunis et hyperbolisés pour faire style : formats imposants, gestualité exacerbée, couleurs crues ou criardes, ambiance tripale, rendus de matières aussi brutes que badigeonnées sans retenues et à grands traits, compositions à la fois centrées et remplissage de la surface disponible "au feeling", finition aux graffitis braillard… sauf que c'est in fine très convenu, techniquement aussi peu sensible ou critique que possible, faussement créatif à force de se reproduire et en définitive inutile.
Rue Chapon…
Beaucoup d’ironie technique et historique dans l’emmêlement des œuvres et leur installation in situ. Les sculptures sont de deux types : certaines sont des structures modulaires à base de cubes, l’ensemble peut s’apparenter à du design d’étagères. L’essentiel de la structure conservée sans changement a des allures de grille en trois dimensions. Des parties aménagées pour servir de rangements permettent à l’autre type de sculpture, en l’occurrence des sortes de poteries en céramiques « travaillées au doigt », de trôner comme des souvenirs décoratifs. Les parois en plexiglass transparent et vivement teinté des cubes permettent à l’ensemble du « meuble » d’apparaître comme objet d’aménagement luminocinétique dans une ambiance d’espace kaléidoscopique pop. Les « poteries » dans les rangements ou disposées in situ dans la galerie ont conservé l’aspect brut du modelage et font songer à des vestiges. Sont-elles des corps ou des âmes antiques rapportées à leurs effigies abstraites ? L’artiste ne dédaigne pas les allusions à l’antiquité et pratique à l’occasion l’analogie indirecte. Le plus surprenant des œuvres et du travail de Salvator Arencio tient dans l’idée, opportunément poétique, d’imaginer ou de forger des translations entre visions aussi bien intemporelles qu’événementielles. Sur place, l’idée étrange que les étagères soient aussi des sculptures fait songer que la pensée de l’artiste balance entre un univers onirique et un réel théâtralisé. Un peu égaré mais aussi quelque peu émerveillé par l’esthétique éthérée du moment, le spectateur ne peut que se perdre en conjecture pour éprouver avec détachement le plaisir d’inventer des mondes.
Galerie ALB.
« Petites études sur les folies » par Maxime Touratier. Balançant entre hyperréalisme, photographie documentaire, œuvre numérique et peinture d’apparence, ce travail visuel d’essence essentiellement digitale « pointilliste » et technologique peine à sortir d’une réinterprétation purement mécanique. Devenues plus esthétisantes que composées, les œuvres versent dans la production d’ameublement pour intérieurs contemporains.
Même rue, Io Burgard à la galerie Maïa Muller.
Le dessin et la ligne ondulante semblent des préalables dans les œuvres que leur mise en scène, plus que leur composition à plat ou en bas reliefs, tire davantage vers l’objet décoratif. Le style choisi et volontaire draine en même temps une plasticité d’illustration maniérée et stéréotypée, sinon pauvre et sans impact.
Martin Bruneau, galerie Isabelle Gounod.
Une série de « portraits » peints sur le thème de la fable du potier Dibutades. En transposant l’histoire et la légende de Pline dans des portraits métaphoriquement et virtuellement partagés entre esquisse/pochade en pleine pâte et modelage/façonnage des formes, Martin Bruneau transpose et attire poétiquement l’attention sur l’attachement presque métaphysique du peintre à l’Art. C’est plastiquement sensible, chromatiquement intense et très classiquement composé, sans jamais être absolument contemporain ni assurément expérimental. Comme une peinture d’amoureux de l’art à la fois passionné et connaisseur…et moyennement créateur.
Richard Nonas, Galerie Christophe Gaillard.
Une présentation de l’exposition par la galerie cite des propos de l’artiste : « J’installe ma sculpture dans un lieu pour le changer en un autre lieu (afin qu’il le détruise) qui ne contiendra que le souvenir – le fantôme – du premier lieu … de même que le monde et la nature tout entiers sont constamment taillés, changés et aménagés par la culture… » A travers sa formation initiale d’anthropologue sensible aux pratiques d’usages créateurs minimalistes, Richard Nonas retrouve, produit et improvise en autonomie des principes de compositions d’une vitalité inventive manifeste. Conçues et articulées autour de gestes ou de faits élémentaires sinon de constructions d’apparences enfantines, les œuvres déclinent des créations aux apparences « préhistoriques », toujours à la fois surgissant et rémanentes de savoirs architecturaux anciens et de relevés poétiques. Quelle qu’elle soit la formule, chaque proposition plastique fascine autant par sa simplicité méditative et son évidence processuelle que par son humour subtil, l’intimité de sa culture et son ironie personnelle. L’artiste qui partage une conception de l’art proche des idées conceptuelles et minimalistes de ses contemporains : Donald Judd, Richard Long, Antony Caro ou Sol LeWitt, Carl Andre, Richard Serra, voire Barnett Newman etc. donne un aperçu percutant de ses choix esthétiques personnels. L’air de rien, cette expo authentique met en valeur une réflexion personnelle à la fois froide et débonnaire sur certaines complexités de l’invention artistique.
Rue de Montmorency
Tadzio, Galerie Brolly.
Malgré les apparences conceptuelles d’une démarche d’installation associant diverses techniques d’expression d’origine photographique (choix du noir & blanc, lumière, angle ou point de vue du spectateur, cadrage et présentation scénarisée des images), et malgré le discours explicatif (et daté) de l’artiste sur son travail, l’exposition ne fait aucun effet.
Galerie Alberta Pane, Ivan Moudov.
Après avoir été presque entièrement effacées par un badigeonnage nerveux de couleur blanche, les petites toiles exposées ne conservent qu’un étroit bord peint de la surface initialement recouverte. Les œuvres sont réduites à un process d’apparence théorique-critique de mise en cause radicale du support et de l’objet du tableau. On se prend à espérer davantage d’aura et des références d’analyses plastiques moins datées : le travail vs les œuvres ressortirait d’ « une analyse critique des conventions politiques et sociales ainsi que du comportement individuel » (dixit l’artiste). A part ce discours plaqué sur l’art et sa tentative de récupération aussi vaguement situationniste qu’aléatoirement duchampien ou Dada… rien.
05/11/2019
3, rue Auguste Comte, galerie Chartier, « Eloge de la curiosité »…
De nombreuses œuvres, des dessins souvent, quelques créations en volume pour cette exposition en forme de cabinet de curiosités. Tout est dans des formats modérés, ce qui préserve l’intimité qui sied avec le thème. Des artistes pour certains connus, appréciés pour leur inventivité, leur humour et l’humanité des sujets qui les préoccupent, leurs pratiques étranges, cocasses, ironistes parfois…et curieuses, justement, sont réunis dans cette présentation collective au programme ambitieux. Excepté les recherches incongrues et curieuses de Corine Borgnet ou Lionel Sabaté, et faute de réel étonnement pour les autres reste des œuvres dont les styles sont datés, on se prend à penser par exemple aux compositions et pratiques curieuses de Gustave Doré, Odilon Redon, Max Ernst, Magritte, Bernard Réquichot, Abraham ou Roland Topor… « La curiosité n’est pas un goût pour ce qui est bon ou ce qui est beau, mais pour ce qui est rare (vs qui éveille) » suggère une définition. Je m’attendais suivant ce fil à plus d’indiscrétion et dans quelques cas, moins de reprises.
Galerie Slyka, au 25… IX Allégorie par Stéphane Cop.
Des représentations de visages de grandes tailles, sculptées et dressées debout dans un style de stèles, de totems ou de figures de l’ile de Pâques. Les sculptures réalisées en taille directe dans le bois massif s’imposent par leur exposé à la fois figuratif et par un hiératisme d’aspect où tout tient dans un « à peu près » ressemblant convenu. Leur programme esthétique déterminé à l’avance, elles semblent en ce sens devoir pour l’essentiel plaire sans agresser. L’argument environnemental et décoratif sert manifestement de guide principal. Le sentiment prévaut que les œuvres, conçues comme placement et valeur d’agrément, doivent écarter toute forme d’approfondissement pensé de leur sens. L’artiste est un fournisseur.
Même rue, au 44, la Galerie Michel Descours.
L’exposition tourne autour de la participation d’un des trois artistes qui y présentent leur travail. L’intitulé : « Je ne crois pas aux paysages » sert en ce sens d’ombrelle. Découvertes de la production de Frédéric Kodja, vaguement rencontré sur les réseaux sociaux. J’imaginais son art moins marqué par le surréalisme de Juan Miro ou l’étrangeté formelle de Paul Klee. Comme nombre des leurs, les œuvres de Kodja composées d’effets de compositions régulièrement flottants s’apparentent à des voyages visuels tout aussi oniriques. Avec des effets surjoués, le mélange répété de pastel, de crayon de couleur et de dessin partiellement flouté sert efficacement la prégnance et l’aura technique et iconique de visions poétiques assumées.
Dans la seconde salle, des peintures « anciennes » de grand format de Marc Desgranchamps sont rassemblées (essentiellement de 1994 à 2008, une œuvre plus récente date de 2012). C’est peu dire que le peintre aujourd’hui confiné à un style et une technique identifiée, pour ne pas dire une plasticité glacée, s’y révélait davantage un chercheur sensible et audacieux. Déjà perceptible en 2011*, l’esprit de la toile de 2012 intitulée « Dyptique, sans titre » confirme l’abaissement de son mystère de peintre par des complaisances techniques incompréhensibles.
La troisième et dernière salle présente des dessins de Mélanie Delatre-Vogt. Les œuvres, regroupées sous l’intitulé « Je ne crois pas aux paysages », ont l’apparence d’aimables études documentaires de végétaux divers réalisées à l’aquarelle par des étudiants en art dans les années 50. Passé la question du titre, l’ensemble, très formel et uniquement tactique, pèse d’un vide creux. Fort heureusement, d’autres dessins à propos de nuages, à la fois plus imaginatifs et d’essences poétiques, déclinent avec subtilité une incertitude sur des faits devenus réellement étranges.
Marion Baruch à la Galerie BF15, 11, quai de la pêcherie.
Installées plus qu’accrochées ou suspendues aux murs, les œuvres taillées et inventées à partir de chutes de tissus de couleur créent dans l’espace des impressions mêlées de peinture et de sculptures. Avec les murs blancs, c’est tout un jeu subtil de découpes baroques, de lignes et de surfaces diversement enchevêtrées, d’alternances entre vides ou creux et de multiples pans opaques qui dialoguent. Ce sont encore de surprenantes scénographies qui métamorphosent l’environnement en dentelle gothique. On songe évidemment à Matisse, à des pratiques de déconstruction du tableau. On ne peut aussi écarter les artistes qui, intéressés par les théories et pratiques minimalistes en ont profité pour radicaliser leur expérience artistique et produire des formes plastiques essentialistes et conceptuelles. On pense aussi à l’humour technique prétextant les conduites et contextes les plus divers pour faire de gestes professionnels ou anodins des vecteurs d’imagination. Dans l’instant, on retient et on se réjouit de rencontrer une œuvre qui ne se cache pas d’être de recherche. L’exposition promue par cette galerie associative témoigne d’une vision avancée, dynamique et assurément débonnaire de la recherche artistique.
* Au musée d’art moderne de la ville de Paris
05/11/2019
J’aime aller à la Biennale d’art contemporain de Lyon parce qu’avec le gigantisme de l’essentiel des œuvres réalisées et la quasi impossibilité de les acquérir en tant que productions in situ, c’est un désintéressement financier assumé d’œuvres invendables et donc du monde des collectionneurs qui est discrètement promu. Il reste donc des expériences et des recherches esthétiques plus ou moins complexes et ambitieuses. L’artiste, le discours revendiqué de l’œuvre ou son expression recherchée parlent donc à priori sans intermédiaire obligé ni intérêt vénal.
L’intérêt créatif des pratiques plastiques est diversement appréciable : quelquefois d’une cohérence enthousiasmante, à d’autres occasions mal identifiable ou peu probant. Des propositions artistiques filent des perspectives peut-être limitées, voire des « perspec-tives de perspectives » délicates à interpréter ou sans point de vue si on peut dire. Avec ces horizons vaporeux, le beau thème retenu pour la Biennale « Là où les eaux se mêlent » satisfait et par ailleurs manque parfois d’échos, de sorte que les dimensions énormes de certaines œuvres peuvent devenir ou apparaître comme un handicap. Le risque est de devoir à l’occasion affronter les préjugés de gestes gratuits ou décoratifs, des moments insensés de fourre-tout plasticiens que les informations livrées avec l’œuvre ne justifient qu’« à l’arrache ».
Le changement d’organisation et d’administration de la manifestation jusqu’ici déléguée à Thierry Raspail parti pour d’autres aventures par une équipe du Palais de Tokyo semble t’il soucieuse de coller à son monde d’origine jusqu’à donner le sentiment de les confondre y est sans doute pour quelque chose. J’ose espérer pour la prochaine fois que plus de rigueur, d’imagination ou d’opportunité sauront palier la difficulté de nourrir le thème de la manifestation moins formellement et d’à priori quant aux artistes, connus ou pas, pouvant y répondre.
Les pratiques d’installation sont donc majoritaires, jusqu’à présumer sans présomption de culture plastique approfondie, leur priorité vs une exclusivité…ou la règle. Elles occupent l’immensité des anciennes usines Fagor et l’essentiel du Musée d’art Contemporain en exauçant au mieux ou mal le gigantisme des espaces disponibles. Quelle que soit la technique principale : sculpture, peinture ou photographie vs film, vidéo, privilège est donné au théâtre plastique des pratiques hybrides liées à l’in situ et la « performance », aux associations d’idées et de styles, aux références culturelles multiples, fusionnées ou métissées, aux justifications qui absorbent indistinctement intentions, explications et description, aux références sociologiques, et parfois mystiques ou sujétions égotistes… Rarement, exceptionnellement même, ou émanant du seul spectateur, il arrive qu’un propos d’artiste engage une réflexion sensible et approfondie sur le mouvement du travail en train dans l’apparence de l’œuvre.
Les œuvres franchement intéressantes sont de ce point de vue plus rares que les biennales précédentes. Il faut parfois multiplier les efforts pour se convaincre que chaque créateur a réellement à cherché non seulement à être original mais que, surtout, son travail a du fond, que les techniques ou les matériaux employés ont leur rôle. Qu’il y a du choix et non un remplissage logorrhéique de matériaux venant de partout.
L’intelligence du reste des productions est variable et très incertaine. En-dehors d’un bricolage plastique souvent bavard, l’impression qu’aucun discernement n’a prévalu quant aux choix des techniques ou des matériaux domine ; ça frise parfois l’inculture visuelle ou artistique en se bornant à citer des œuvres existantes ou « faire dans le Ready-Made », autre redite. Nombre de propositions n’impressionnent que par leur taille ou leur look contemporain, de sorte qu’il faut beaucoup d’indulgence pour percevoir chez leurs concepteurs la recherche d’un nouveau souffle d’imagination plastique, à défaut une divergence personnelle. On se perd alors en conjecture devant des projets esthétiques que seule leur échelle littérale et illustrative préserve du doute, comme la performance décalée projetée sur écran panoramique d’Abraham Poincheval. L’immensité et la multiplicité des moyens techniques (vs les moyens matériels/financiers) mobilisés ou une ambiance vaguement artistique ou moderniste peinent alors à être autre chose qu’une béquille.
Les halls 2 à 4 se révèlent aussi difficiles. La belle rivière phosphorescente, dispositif évoquant une source d’eau chaude imaginé par Minouk Lim frappe plus par son impact visuel dans l’espace obscurci du lieu que par l’intelligence de liens supposés avec l’histoire sociale de l’usine ou plus prosaïquement avec le sentiment d’une création nouvelle. Même sentiment avec les productions de Myriam Courtois, Isabelle Endriessen, Stephane Thidet, Felipe Arturo, Chou Yu Cheng, ou le duo Ashley Hans Scheirl et jakob Lena Knebl, Sam Keogh, Chou Yung Chen… Sans le cartel de présentation/description le pouvoir esthétique manque. Une sorte de vide absolu semble atteint avec l’inutilité et l’inconsistance technique des peintures de Stéphane Callet, dont on se demande pourquoi elles sont là. On reprend espoir et même on se réjouit in fine en découvrant avec quelle pertinence esthétique et quel humour de connivence, Yona Lee parvient à saisir et jouer avec l’enjeu esthétique du thème général de la manifestation : « Là où les eaux se mêlent » et le site. Sa manière de jouer la fusion à la fois physique, spirituelle et intellectuelle du contexte symbolique de l’exposition dans l’usine fascine.
Le Musée d’Art Contemporain n’est pas en reste. La peinture immersive de Renée Levi retient l’attention par son ampleur sur presque tout le premier étage du musée. A défaut d’être nouvelle, l’œuvre, tout à la fois performative et environnementale, témoigne d’une recherche esthétique et artistique assurée. A l’inverse, l’emploi de la totalité des second et troisième étages du musée, le projet de « musée imaginaire » de Daniel Dewar et Gérgory Giquel est d’une lourdeur plastique, d’une pompe artisanale, d’un creux conceptuel et d’un ennui scénaristique aussi épuisants que l’étendue de l’œuvre est grande. Fort heureusement, le dispositif environnemental et l’installation en forme de performance de Gaëlle Choisne captive par sa poésie formelle. On suit l’artiste dans son appropriation cultivée du contexte d’exposition, ses pérégrinations aussi picturales et sculpturales que théâtrales et environnementales, ses envies de nature préservée et de traces mémorielles.
L’institut d’art Contemporain de Villeurbanne réserve comme à l’accoutumée des surprises avec « la jeune création internationale ». En transformant l’entrée de l’exposition en « sas » pour accéder aux autres salles d’exposition, une installation créée par Giulia Cenci met à distance un sentiment esthétique de désolation et d’environnement pour transmette à la fois de la nostalgie et du rêve. Théo Massoulier a quant à lui disposés plus loin dans des vitrines, des petits assemblages hybrides facétieux et poétiques. Tantôt abstraits tantôt allusivement animaliers, en associant végétaux, minéraux, couleurs et flashies, ils peuplent les étagères comme une collection ou un album reconstitue et raconte par rémanence des univers fanstasmés. Dans une autre salle, Sebastian Jefford semble revisiter la production de Claes Oldenburg et réalise avec humour de nouveaux « objets surdimensionnés, boursouflés de protubérances bulbeuses, tactiles ». Charlotte Denamur imagine dans une autre pièce une suite de vagues marines en tissu imbibé bleu peuplé de silhouettes. Si l’installation évoque parfois des anthropométries de Klein autant qu’un flot musical de Philip Glass, une présentation avertie et judicieuse rappelle en passant que l’architecture de salle est muée en châssis de ses toiles flottantes.
Sans craindre les références, chaque exposant fraîchement sorti d’école d’art s’engage avec autant de créativité que de conviction. L’exposition laisse un souvenir de fraîcheur et de recherches désintéressées. Pas une des installations ne donne le sentiment d’être sans sujet ou inefficace dans son espace de présentation.
06/10/2019
Sur des feuilles légèrement beiges de dimensions conventionnelles, Olivier Cans dispose, répartit, dissémine, ordonne ou, selon les cas et son humeur, organise des assemblages hétéroclites d’images et de représentations de toutes natures. Dans une vie parallèle, il sculpte et met en scène de la même façon des personnages inventés dans des installations d’apparences spontanées. Aucun autre fil créatif apparent excepté quelques ajouts ponctuels de griffonnages divers susceptibles d’être pris pour des objets textuels. Olivier Cans est essentiellement un artiste plasticien qui s’invente.
Que ce soit à plat ou en volume, illustratif ou informel, l’art d’Olivier Cans se joue d’être prolixe ou redondant, imprécis et éparpillé ou au contraire concentré. S’il assemble ou rapproche des fragments de papier, les vestiges de produits divers, toutes sortes de bouts de choses indéterminées ou frivoles, s’il recueille partout et en l’état des traces de vies passées ou passagères, c’est, semble t-il, pour mieux apparenter des couleurs et des traits variés, brusquer de nouvelles apparitions de formes ou exploser des écritures en jeux de mots et variations typographiques libres … Souvent, cet art tout de combinaisons et d’humour fugaces ressemble à un couloir pour coups de vent, à des traces et effacements mystérieux, des expériences plastiques en mouvement continu. Pour le spectateur des œuvres d’Olivier Cans, il n’est question que d’aimer l’inattendu en découvrant son apparition.
Formé dans les classes de Claude Viallat et Annette Messager aux Beaux Arts de Paris, OlivierCans se souvient qu’à l’évidence la pratique artistique vit d’aventure et de culture. Chacune de ses œuvres s’y développe en tant que commencement et ensemble de croisements ou escales passagères. Dans la galerie, que ce soit au sol ou sur les cimaises, les petites installations de sculptures et les œuvres doucement encyclopédiques sur papier s’animent et parlent de contes, de langage de rue, de graffitis et de poésie textuelle ou sonore. En les regardant, on se dit que, subrepticement, Olivier Cans en profite pour glisser quelque hommage ému à des œuvres et des artistes chers à son cœur, que ses mains serrent celles de Jean Michel Basquiat, William Burroughs, Brion Gysin, Bernard Heidsieck ou Jean Michel Alberola… Des plasticiens et poètes, justement !
Dans les compositions faussement hasardeuses d’Olivier Cans, des éléments se répètent, d’autres ne semblent qu’apparaître, certains, plus rarement, sont des traces. A quelques endroits, un effet d’ombre, de lumière ou simplement une technique suggestive est associé à un temps d’interrogation. On en cherche l’objet, on en mesure l’intérêt sans guide ni assurance, on se laisse porter, innocemment séduire, on tâtonne, ça bouge, ça oscille et ça s’éclipse dans un brouillard improvisé. A proximité, une ligne de texte tournicoté comme un phrasé oulipien évoque un son, suggère un phylactère, donne de l’écho à un hypothétique lecteur-regardeur. Episodiquement, un/des visages donne(nt) l’impression de s’entretenir, chuchoter et se regarder ou interpeller le spectateur. Dans leurs espaces ouverts, les œuvres s’ordonnent en moments que l’artiste peuple de feux follets ironiques.
En bas ou en haut des feuilles, Olivier Cans a régulièrement mêlé aux dessins un texte semblable à un exergue sur un journal d’information. Un calembour mime avec ironie une légende ou un titre qu’on n’attend pas dans les variations d’écriture. Chaque texte, par ailleurs discrètement soutenu par une manipulation plastique apparemment saugrenue, surprend par un imprévu qui fait sens. Qu’est ce qui, du texte ou des images dessinées ou non, parle pour l’artiste et pour son travail ? Comme pour les sculptures de bric et de broc promues au rang d’événements fortuits, l’exposition s’avère un théâtre à la fois burlesque, tendre, ténu et facétieux où l’activité créative de son scénographe qu’on devine incessante s’imagine à travers ses inventions.