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Trois expositions bonheuresques…

29/11/2022

"Célébration du 0m" par Paul-Armand Gette, galerie Satellite.    

     Paul-Armand Gette poursuit son exploration de l’intime et de la botanique. Comme on peut s’y attendre, l’imaginaire de l’un et l’autre des deux univers étant aussi suggestif que subjectif, l’artiste les incarne en les faisant bruisser à travers les deux thèmes de la distance et du temps opportun dont ils se complètent par ailleurs. Partant il érotise à sa façon l’ensemble.    

      Les propositions artistiques créées par Paul-Armand Gette affichent en écho une plasticité subtile et esthétiquement humble. Les manières à la fois amicales et formellement paradoxales qu’il a de forcer l’imagination frappent à la fois par leur radicalité et par la retenue de leurs instaurations visuelle.

      L’exposition a donc été conçue en deux séquences : comme un film et comme une installation en images. La première a consisté en une lecture de Paul-Armand Gette et de la performeuse Wenjue Zheng au cours de laquelle l’auteur et son accompagnatrice ont interprété un court récit autour du thème « 0 m » (Zéro mètre). Présenté comme un commerce et une métaphore autour de l’idée de commencement, dont Paul-Armand Gette assure qu’il est invariablement porté par un récit à la fois intime et inconnaissable mais toujours « avenir », le « O m » n’est illustré qu’à partir de signes scénaristiques, d’évocations poétiques et d’entrevues sensibles.

     La seconde séquence a l’aspect d’une exposition photographique. Les œuvres, généra-lement composées d’un duo d’images de même grandeur placées l’une sous l’autre, sont imaginées et à la fois associées comme les épisodes d’une chronique aussi brève qu’un haïku visuel et comme un récit autonome. Comme on le devine, Paul-Armand Gette a subtilement entremêlé chaque contenus de sorte qu’à la succession des images exposées résonne chaque instant de la première séquence.      Dans l’exposition, un beau texte de Paul-Armand Gette reprend en partie le fil d’un entretien qu’il eut avec Bernard Marcadé intitulé « Puis-je vous toucher ».* Il y est un moment question  de perspec-tives d’interprétations formelles ou et/ou poétiques, voire les deux, évidemment ! « La gamme des médiums a été parcourue permettant aux images de passer de l’icône à l’indice tout en traitant le même sujet, et là encore il est question de distance…mes recherches, intitulées “Contribution à l’études des lieux restreints” restent fidèles dans ma pratique du “Regard rapproché”, où l’aptique devient le prolongement de l’optique pour peu qu’il soit désiré » L’exposition vire à une allégorie en acte de l’art instaurateur. On ne peut qu’être touché par la pudeur suggestive des compositions, leurs histoires et les fictions réelles et fictives qui les traversent, la délicatesse et la retenue des instants qui y sont imagés et qui demeurent silencieux comme des images. On  s’est tout autant captif de l’humour discret que l’auteur donne au sens du toucher « à 0m près ».    

     Paul-Armand Gette fait vivre ses rêves en scénarisant avec ironie leur intimité à travers une érudition sans pareil. Le temps passe, à la fois lent, stationnaire comme une respiration intérieure précipitée comme une effusion. Les sources « sacrées ou pas furent diverse et variées » comme des allusions affleurent par étapes ou pauses. En même temps les compositions semblent de tendres interstices entre agencement et forme poétique. L’art de Paul-Armand Gette procède d’un souffle puissamment doux.

*Bernard Marcadé/Paul-Armand Gette, « Puis-je vous toucher » entretien, in Artpress n°99, janvier 1986. ** Paul-Armand Gette, « L’actualité 0 m et ses rapport avec le petit linge », texte de P.A. Gette présenté parallèlement aux œuvres dans l’exposition.

 

Pascal Casson, "L'inventaire complet" au musée d’art contemporain de Caen.

       L’intitulé de l’exposition a des résonnances ironiques. Qu’est-ce à dire ? Un inventaire est par définition complet puisqu’il énumère exhaustivement des éléments qui le constituent tel qu’il se trouve. Dire qu’il serait incomplet reviendrait à y supposer des manques en partie déjà connus de leur « comptable ». Autant suggérer que Pascal Casson n’aurait d’yeux que pour les évaluations indéterminées, qu’il serait davantage attiré par les aventures qui continuent que par celles qui se terminent. Dès lors, l’infini supposé (ou suggéré) de l’inventaire devient l’élan par lequel il devient illusoire sinon inutile et Pascal Casson invente l’argument qui nous pousse à déjà penser que l’exposition de ses œuvres est non seulement sélective mais qu’en plus il aurait lui-même en tête de rendre inconcevable l’exhaustivité esthétique même de ses recherches. Autrement dit, Pascal Casson inventorie ce qui le pousse à élargir, augmenter ou redéfinir sans cesse ce pourquoi sa créativité artistique n’aura de cesse d’explorer de nouvelles formes d’expressions.

       Dès son aperçu depuis un grand assemblage mural précédent la salle principale de l’exposition, la peinture de Pascal Casson stupéfie par son inventivité technique et plastique, voire son imprévisibilité : elle apparaît à la fois radicale et nuancée, d’une expression résolue et en même temps ouverte à sa propre diversité d’inspiration culturelle, abstraite sans être aforme ou dogmatique vis à vis de l’image. Catalogue à la fois analogique et suggestif de paysages qu’on devine réels et mémoriels, les peintures égrainent aussi en miroir des apparences qui semblent autant de passions ironiques de son créateur pour l’expression visuelle.

    Plus que de peinture, davantage que d’œuvres, il vaut d’ailleurs mieux parler de projet d’esthétique picturale, car c’est de cela que l’artiste creuse son art : il s’agit de concevoir et d’imaginer une recherche artistique générale. Le paysage des œuvres qu’on conçoit sur le seuil et qui continue dans l’exposition principale donne une impression diffuse de constance et de questionne-ments renouvelés.Visible jusqu’en février 2023 au musée des beaux arts de Caen, l’exposition gratifie ce genre de bonheur dont on garde une trace émue tant la cohérence et l’intelligence de l’univers créatif qu’on découvre en vrai sont aussi bien mis en valeur.

      Les tableaux de Pascal Casson sont faits de vastes assortiments de formes, de couleurs et d’effets de matières en un certain ordre dispersés*, d’amalgames bizarres, de regroupements, de rapprochements, d’accolages et de constructions baroques de surfaces et de tracés, d’associations d’improbables silhouettes ou de motifs aux dehors géométriques… Pas d’ordre apparent, sauf à remarquer que l’artiste semble vouloir sublimer l’espace disponible de son support en le débordant ou en soulignant ponctuellement une limite. Les couleurs souvent évocatrices de teintes semblent inspirées par la nature, et le geste du dessin est à la fois tranquille et spontané. La touche du pinceau est posée et mesurée comme celle de Philip Guston, sensible comme une esquisse visuelle d’Hervé Télémaque. D’une dimension importante ou limitée au format de cahier d’écolier, les œuvres paraissent esquissées, relevées comme des empreintes, parfois révélées comme des vues émergeant dans un laboratoire photographique.

        Pascal Casson peint sur des papiers de récupération, des cahiers inutilisés et oubliés. Depuis peu, il utilise aussi de grandes feuilles de yupo**, support synthétique à la fois lisse et non poreux. A son contact, l’artiste se tient prêt à réagir à ses variations et à son rythme irrégulier, l’intuition redouble d’intérêt. On l’a dit, le geste spontané ou glissant compose avec la visualité expressive des motifs tantôt expressifs, tantôt incontrôlables. Des formes inspirées par réminiscence de la nature subliment des compositions suspendues aux frottements sensibles de l’artiste aux prises avec l’action prégnante de son travail en train. L’avancement est énigmatique, il fait cohabiter plusieurs sources d’inspirations dans des sortes de rebuts plastiques et l’œuvre fait songer à un paysage archéologique ou aérien aux accents minimalistes et conceptuels. L’œil agence d’autres fois des signes en apparence abstraits, silhouettés de leur seule tache sur l’étendue du yupo. On se surprend à trouver entre eux une origine ou des liens. In fine, l’idée d’un paysage mental  et poétique gagne du terrain.      

        L’exposition se visite comme on vient voyager avec l’artiste absorbé par son entreprise créative. Sur les murs, des paysages d’horizons imaginaires sont cartographiés. Répartis sous d’autres aspects dans des vitrines à travers des séries d’études sur feuilles uniques aux intitulés évocateurs, tout incite à la contemplation. Pascal Casson agit, parfois il pense en compositeur sonore. Chaque œuvre témoigne des actions subtiles empiriques ou intentionnelles qui l’ont fait passer de l’ouvrage au tableau, et qui, entre formations et transformations visuelles l’ont spectaculairement changé en art libre. Pour le spectateur, ça confine parfois au monument ou à l’échange complice : ça parle modestement, mais ça parle en profondeur. Pascal Casson l’a inventé et produit comme Walter Benjamin a défini l’aura du travail visuel par son moment temporel d’instauration. Dans leurs vitrines respectives, sur chaque mur, le travail artistique de Pascal Casson pulse du temps qui le conduit à faire vivre son indéniable pouvoir de poésie picturale.

* J‘ironise volontairement sur une expression aujourd’hui dépassée du peintre Maurice Denis : « Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. » Maurice Denis in Art et Critique, 1890  ** A l’inverse des papiers fabriqués à partir de fibres végétales, le papier Yupo est un papier synthétique élaboré à partir de matières plastiques (propylène).

 

Anne-Sophie Tschiegg, "Inventaire", à la galerie Sabine Bayasli.

     On voit d’emblée que ses tableaux sont d’une épaisseur esthétique particulière, dense et aérienne, quasi ontologique d’une activité irréductible à l’histoire de son art. On se convainc  que ce qui est  peint s’oppose à toute objection, qu’on est face à une artiste autonome. Anne-Sophie Tschiegg peint des motifs allusifs où on peut identifier une silhouette humaine et un bouquet de fleurs, les éléments d’un paysage imaginaire ou un univers visuel aux confins de l’abstraction, réinventé ou retrouvé ? Peut-être ? Jamais littérale, sa peinture impose une matérialité sensuelle, perturbante de profondeur technique et de simple humanité.

     Généreusement composé par couches successives plus ou moins transparentes, de formes variées vivement dessinées et colorées en direct, chaque tableau montre que l’envie de peindre emporte tout. De multiples indices d’ébauches, de marques d’hésitations et d’apparences encore intermédiaires montrent qu’intuitivement tout s’ordonne par rapprochements et fusions d’effets de présences et de constructions imaginaires. Le rectangle comme la surface du subjectile ne sont jamais oubliés ou en reste : Anne-Sophie Tschiegg questionne leurs bords respectifs dont les limites rarement couvertes remontent ça et là comme des traits de lisières subtiles. On voit encore que bien qu’intimement emportée par son activité résolue, l’artiste par ailleurs affairée à une conception prioritairement sensible de son travail artistique a cherché à faire que les tableaux ne se bornent pas à l’exercice d’un expressionnisme individuel. De multiples détails structurants et des aperçus finalement conservés montrent en effet qu’Anne-Sophie Tschiegg se réapproprie des intellections picturales historiques.

        Qu’est-ce qui la pousse à se rendre artistiquement si sûre qu’elle ne cédera rien au spectacle de réussites rentables, qu’elle ne veut rien craindre du travail plastique nécessaire pour faire valoir un choix esthétique personnel ? Quel destin personnel la force à ne pas s’imaginer autrement qu’en peintre libre ? Croit-elle d’ailleurs à un autre monde possible, sinon pensable, que le sien ?

     Bien de précédé par l’intitulé « Inventaire », aucun tableau n’est titré, il n’y a pas même l’indication « sans titre » ; reste un art singulier de peindre, de s’aventurer à vouloir réaliser un tableau, surtout d’en montrer la recherche aventureuse et incertaine. Qu’elle soit imposante par sa taille ou presque de poche et intime, chaque œuvre capte cependant l’attention par des forces sensibles qui semblent vouloir surpasser l’impossible par des influences affectueuses. Et en confiance avec ces horizons, l’artiste veut rendre toute sa chair à la peinture, l’image à ses étonnements, veut prolonger l’accès au pictural par des expériences d’étape, méthodiquement et intuition après intuition. La vie du tableau l’intéresse : sa forme doit surprendre. Les nombreuses reprises remarquables dans sa peinture informent qu’Anne-Sophie Tschiegg est attachée aux rappels et aux souvenirs irrévocables de son engagement ; s’y contraindre par désir, comme une évidence, jusqu’aux confins de l’injustifié, montrer qu’on s’en détache en acceptant le tableau tel qu’il sera assumé. Anne-Sophie Tschiegg pense sa vie de peintre comme une incarnation à  la fois possible mais aussi toujours imaginaire : elle lui a confié à égalité son existence et celle de ses peintures. Je vais me replonger dans la lecture du « Chef d’œuvre inconnu ».

Des expositions enthousiasmantes et parfois bof !…

09/11/2022

Jérôme Zonder « Sans issue » (sic) chez Nathalie Obadia    

      Il est indiqué que la thématique de l’expostion est un portrait de Pierre-François, personnage-acteur cinématographique de Marcel Carné dont le dessinateur creuse l’expression visuelle depuis plus de dix ans. Jusqu’ici fondées sur des descriptions réalisées à la peinture en utilisant des traces d’empreintes du doigt en noir et blanc, les images montrent, cette fois des sortes de collages photographiques reproduits in extenso au crayon noir au centre de vastes feuilles. Chaque motif d’assemblage préalablement « composé » au centre semble tantôt absorbé et tantôt émergeant sur le fond couvert d’un noir intense et monochrome. Il faut forcer l’interprétation sur les nuances de teintes et les zones blanches avant de discerner un réel travail sur la lumière.    

        Jérôme Zonder redessine des assemblages faits d’images qu’il reproduit in extenso à la mine de graphite sur papier. Traité dans un style proche de l’hyperréaliste, chaque sujet est la plupart du temps centré sur un fond noir au centre de grandes feuilles rectangulaires. L’essentiel des œuvres exposées rappelle l’esthétique pointilliste « du touché du doigt » et peuvent faire songer au travail de certains portraits de Chuck Close ou encore à des compositions de Erro (mais en moins conceptuelles et moins ironiques) voire des essais d’interprétations documentaires d’un modèle donné. S’il ne s’agit pas d’assemblages préalables, les autres œuvres semblent se limiter à des images photographiques reproduites à l’identique en noir et blanc au crayon de papier.    

        L‘esthétique des œuvres questionne, tant l’ensemble de la recherche plastique paraît mince. La répétition d’indices d’inexpérience technique ou de diversité dans l’expérimentation plastique alourdit les œuvres et interroge quant au travail d’incubation créatrice fondamentalement liée à l’invention vs l’engagement sinon la recherche d’instauration artistique. La faiblesse récurrente des compositions où le centrage du motif n’active chaque fois aucune force visuelle particulière, la banalité graphique et l’absence d’imagination sensible du geste du dessin exécutant sans autre ambition de facture qu’un effet de trame supposée tout cela stupéfie d’inintérêt et fait que l’imposant labeur de l’artiste paraît se cantonner à un exercice scolaire, sans lumière critique ni singularité technique voire d’articité. De sorte qu’en dépit de l’étendue imposante de leur format, chaque dessin ne répond que de solutions d’exécutant où rien n’évoque une trouvaille ou un élan disruptif d’interprétation plastique.

 

Fabienne Gaston Dreyfus chez Galerie Fournier    

      « Voyager léger » est le titre ou le thème de cette nouvelle exposition de Fabienne Gaston Dreyfus. L’artiste excelle dans la conservation d’un style et d’une technique (ou une manière) dont on ne comprend pas bien si elle compte principalement s’exprimer à partir d’un geste du pinceau, d’un débit de couleurs crues ou d’un paradigme de composition où l’addition et la superposition des formes est la règle. On se demande encore si la question poïétique de l’avancement de l’œuvre à faire l’inquiète, tant chaque objet pictural semble apparemment déjà arqué sur un paradigme établi. Quelle que soit l’œuvre le spectacle d’une peinture facile à regarder s’impose ainsi sans réserve. Mon sentiment à la vue des apparences perceptibles en 2019 demeure : ça reste original, peu subtil sur le plan technique, d’une polychromie aussi éclatante et chatoyante que sommaire… C’est agréable à regarder, d’un commerce sympathique avec l’abstraction. On se lasse toutefois assez vite d’une production d’agrément à chaque œuvre et peu dérangeante sur la recherche plastique… mais ça reste joli et plaisant. 

 

Jim Dine chez Templon, rue du Grenier Saint-Lazare    

       Dès l’entrée dans la galerie, c’est la claque. Le spectateur est saisi par une émotion esthétique intense devant un grand tableau, immense d’engagement pictural. On est face à un mur à la fois à l’état brut (on peut imaginer la paroi d’une grotte), un mur réinventé et empeint (on peut y surprendre le plat frontal du tableau) et un lieu peint (on peut le concevoir à l’aune d’une captation de street artiste). Face à un arrangement visuel simultanément en deux, trois et poétiquement en quatre dimensions, le regard flotte (ça tombe bien, Jim Dine y a inséré en plus un motif linéaire informe). Plus encore, la vie d’une œuvre en train de presque s’autoproduire suggère l’idée d’un mouvement créatif initié autant par la contemplation immobile que par l’enregistrement d’une mobilité simultanément in motion et brièvement pausée. Plus encore, avec sa manière de réinvestir le centrage formel d’un sujet par la rigidité de son emplacement, en s’inspirant des apparences possibles de la matière, de la lumière ou des silhouettes, en déjouant le risque de clore plastiquement le tableau, l’artiste parvient à rendre poétique l’idée inverse d’un déploiement à la fois formel et narratif de ses dispositifs. De sorte que partout dans l’exposition, qu’il s’agisse de sculpture ou d’installation suggérée, en s’appropriant avec ironie l’idée d’un trouble sensible depuis les signifiants plastiques à fois conventionnels et personnels de sa pratique, Jim Dine disrupte avec  le confort d’un regard et d’une œuvre finie. 

 

Hoda Kashiha chez Nathalie Obadia    

        « I am here, I am not here » thématise et guide l’essentiel des compositions des divers tableaux exposés. On perçoit sans difficulté beaucoup d’influences et de sources d’inspiration : l’iconographie BD et une esthétique « cartoonesque », des réminiscences de pop art et du cubisme, quelques partages avec des engagements « philosophico-sociaux » et quelques discours formalistes sur le caché et le dévoilé, le révélé et le censuré formalisés et scénarisés par l’art plastique conceptuel des années 70… On remarque en même temps qu’à chaque composition sont ajoutés et entremêlés des gestes de dessin narratif. L’artiste d’origine iranienne, à la fois sensible et coutumière, colle, superpose et combine ainsi ce qu’elle a extrait par plans dans des compositions hétéroclites où le fragment semble à la fois faire loi et servir de guide de compréhension esthétique. Partant, chaque opportunité d’évocation trouve son style dans les manipulations habiles de toutes sortes de techniques d’expressions visuelles : techniques simultanément graphiques et picturales, apparences photographiques et parfois trompe-l’œil cinémato-graphiques, effets optiques… L’artiste engage par ailleurs son opinion sur les normes sociales et les codes sociaux dans  ses peintures, notamment celles du genre. Partant, on devine que son art plastique des collages et des plans de montages, sa faculté à mobiliser les débordements ou les passages des formes les unes par rapport aux autres expriment allusivement un point de vue autonome sur la fluidité des choix de vie possible. En marge de son esthétique particulière, chaque peinture s’avère à la fois translucide et cryptée. 

 

Tudi Deligne galerie Mariska Hammoudi    

        Il s’agit exclusivement de dessin à la mine de graphite ou au crayon fusain sur des feuilles de grandes dimensions. Réunies sous le thème « Disputes académiques », Tudi Deligne soumet des œuvres picturales d’artistes réputés à leur réinterprétation onirique. Revue, repensée et ré-imaginée au moyen de techniques numériques, chaque œuvre a servi de prétexte à des mélanges, des torsions et des transformations visuelles et stylistiques. Prise à partie et soumise à l’imagination débridée de l’artiste, les peintures d’origine semblent à la fois dématérialisées et remuantes dans une ambiance gazeuse d’univers fantasmatiques.     

        L'excellence technique du dessinateur dans la description des formes, l’expression lissée des lumières et des ombres frappe d’emblée le regard. L’espèce de neutralité photographique du geste constamment fondu jusqu’à l’effacement dans l’image recherchée est le second aspect qui retient l’attention. Le regard se fige et tout semble quelque peu gelé dans ces productions où le perfectionnisme du savoir faire confine à un fabriqué plus artisanal que projectif. Confronté au laminoir d’un désir de perfection analogique, on reste, du coup, en attente devant un travail dont l’instauration se glace sur la fin d’une apparence plastique.    

         En marge de ce qu’il présente comme des études en devenir, l’artiste a affiché un texte d’esprit philosophique sur sa démarche. Dans un vocabulaire riche et documenté sur la recherche esthétique, son argumentation use des référentiels comme une grille magique. Autre manière de poser que l’œuvre qui s’y photographie peut s’égarer dans le spectacle d’une intention théorique en oubliant parfois d’être techniquement légère.

 

Philippe Ramette chez Xippas    

      La galerie indique, ou du moins prévient comme dans un lapsus révélateur : « Dans la conti-nuité des œuvres précédentes… ». Si, précédemment, les œuvres de Philipe Ramette pouvaient paraître ironiques et gentiment surréalistes, cette exposition sans autre imagination que celle qui consiste à reproduire à grand frais des gags éculés d’esprit Dada ou Panique sent le sapin.

 

Côme Mosta-Heirt galerie Eric Dupont    

       « Mon activité première est le travail de volumes peints dans l’espace ». Côme Mosta-Heirt poursuit son travail conceptuel sur l’alliance du dessin et du volume. La scénarisation est teintée de théâtralité des œuvres : des sortes de stèles imposantes mêlant des blocs de verre « tachés » de couleur et de bois brut, des constructions en bois « distraitement » cubistes posées à même le sol, des assemblages de petits tasseaux en bas reliefs « hasardeusement » peints, tout a une apparence apparemment ponctuelle et semble évoluer comme des fantaisies. En un sens Côme Mosta-Heirt badine avec l’instauration combinée des échelles, des surfaces et des masses, il ironise avec les socles, trouble en frisant avec esprit la monumentalité. A travers ses références avec le cubisme, le Minimal Art et l’Arte Povera – voire, prosaïquement, l’art abstrait – son travail n’est pas seulement plastique et prospectif, il feinte cette une fausse légèreté que créer demeure une aventure à risque.

 

Jean-Baptiste Boyer, « Les portraits d’âmes », galerie Laure Roynette    

        L’anachronisme est difficile à accepter pour beaucoup d’artistes. Par « mal accepté », je veux dire qu’ils l’ignorent quand, par « mégarde », il pointe son nez et prend l’aura d’un laspus, ou quand ils expliquent doctement y échapper grâce aux thèmes qu’ils exploitent, aux références culturelles qu’ils disent dépasser, au mieux que leur art traverse l’histoire de l’art en restant actuel, voire qu’il est « d’avant-garde »…mais sans amnésie. A travers sa personnalité flamboyante et sa créativité ironique, Picasso a toujours été un contre exemple positif du risque d’être ou d’oser être inactuel.     L’idée que sa peinture est surannée jusqu’à la caricature n’affecte pas Jean-Baptiste Boyer. L’artiste produit avec sérieux ses antiquités dans un style ténébriste qu’il croit être celui du Caravage, il met en scène des allégories littérales qu’il pense actuelles et in fine produit des peintures pour « Demeures et Châteaux ». Rien à apprendre de cette exposition datée au point d’être ennuyeuse, rien à imaginer à partir de ces peintures férues de technique et réalisées à la manière de… mais qui, dans le détail, s’avèrent bien minces et sans relief quant au dessin et au coloris. 

 

Adel Abdessemed, « Out, out, brief candle » (Eteins toi, éteins toi, court flambeau) chez Continua      

       Adel Abdessemed aime l’expression théâtrale et ne recule devant aucune possibilité de cons-truire son travail plastique comme s’il devait toujours tenir d’une alliance instruite faite d’actualité, d’engagement et d’expression artistique personnelle. Rien de ce qu’il produit ne s’écarte ou ne se détache de l’insertion de sa pratique dans l’inspiration venue du monde. On est donc sur du narratif et du symbolique, de l’allégorique et du concept d’illustration. Il faut avertir ou dénoncer par l’installation, proposer une relecture ou encore la re-présentation et l’assemblage métaphoriques : la noirceur de l’actualité et plus largement du monde inspirent chaque œuvre d’une couleur noire effectivement monochrome.    

        La diversité des moyens plastiques et des réalisations que se donne l’artiste mis hors de cause, on observe en même temps que l’expression ou la composition générale des œuvres peinent a échapper aux conventions académiques du sujet focalisé et centré dans un cadre. De sorte qu’allégorisée et traduites en bas relief ou interprétée en sculpture, chaque composition plastique reste confinée à la « réglementation. » Au bout du compte, bien que se présentant comme moderne et éclectique dans ses choix de conception et d’expression formelle, l’artiste s’en tient à des normes. Ne parvenant pas à arriver à questionner en profondeur l’étendue des moyens plastiques d’expression à sa disposition en se limitant à l’analogie, que ce soit du point de vue de leur thème ou de celui de ses potentialités d’évocation (sa sculpture du "Coup de boule de Zidane" concurrence avec brio l'inintérêt et la sottise olympique des "Balloon dog" de Jeff Koons), chaque œuvre bute sur les finesses suggestives qui font signes d’un usage sensible et nécessairement complexe de l’allégorie. En gros, si la ressemblance avec le sujet traité y est, néanmoins la mise en forme apparaît banale et peu créative.

 

John Chamberlain chez  Karsten Greve    

      Nouvelle présentation de sculptures de John Chamberlain par la galerie avec laquelle il a collaboré dès 1970. La force créative du sculpteur stupéfie et fascine dans chaque œuvre. A travers son sens des silhouettes « informes », sa pratique personnelle du volume peint et sa sensibilité particulière, l’espace, la lumière et le dessin des rythmes, le métal dont il s’est approprié la matière d’expression s’expriment chaque fois dans un élan et un souffle d’auteur incontestables. 

 

Alice Neel à Beaubourg    

       C’est peu dire que sa peinture est politiquement et socialement engagée, revendicative et véhémente. C’est peu dire encore que sa conception du travail pictural, la plasticité que ça peut mobiliser, tout cela lui semble sans intérêt. Alice Neel cultive sa manière descriptive rudimentaire par un dessin analytique souvent bâclé, régulièrement réduit à des cernes gras autour des formes, appuyés pour décrire littéralement. Conforme à sa vie militante féministe de gauche, l’artiste déploie un art essentiellement dénonciateur des injustices (racisme, pauvreté, machisme etc. dans son pays, les USA).    

         Avec sa plasticité misérabiliste, son style quelque peu naïf et décomplexé, Alice Neel excelle en même temps dans des compositions qui, au début de sa carrière d’artiste, rappellent les caricatures politiques de Georges Grosz ou Otto Dix. Dans une seconde partie de vie dévolue au portrait, rien ou presque ne change. Qu’elle portraiture les habitants de la Factory d’Andy Warhol (et Warhol lui-même dans un portrait charge hallucinant) ou ses amis de passage, la même désinvolture, la maladresse sinon l’ironie face à l’excellence technique servent fréquemment d’alibi pour incarner les corps physiques dans des images toujours plus crues et moins conventionnelles.    

        On ressort de l’exposition à la fois troublé et dérangé, ne sachant que penser de cette pratique ou cette esthétique sans reconnaissance. Alice Neel emporte l’empathie par ses sujets et ses engagements de femme et de citoyenne. Sa peinture où la recherche plastique se borne à des descriptions à la fois réductrices et littérales laisse parallèlement perplexe quant aux limites expressives que l’artiste semble vouloir poser comme un préalable à leurs images. Par ailleurs, on est ça et là déstabilisé par des prouesses plastiques sidérantes : la restitution et l’expression dessinée des mains ou de certains gestes de ses modèles surprend parfois par les qualités anatomiques et suggestives de leur dessin. Et parfois encore, on ressort convaincu par un style incarné et sans complexe qui s’affiche comme une vérité arbitraire d’auteur.

Des expositions variées, parfois inattendues voire dérangeantes.

02/10/2022

Laurence Papouin et l’intimisme du travail à la galerie Richard 

        Pas de support clairement délimité, ou plutôt la superposition de plusieurs espaces de travail simultanés, chacun présumant un temps de perception particulier. Pas de support unique (ou exclusif) et pas d’espace homogène (ou allusivement homogène), à la fois borné par un cadre parfois même hypothétique, ou un territoire naturellement assigné à une matière. Chaque subjectile est fait d’un assemblage opaque de feuilles de papier blanc superposées et de feuilles de calques polyester. L’ensemble surprend par des allures de monde céleste.    

         Avec leurs taches multicolores librement disposées tout en étant apparemment encore fluides et plus ou moins étendues, Laurence Papouin ne cache pas son choix pour l’abstraction. Il faut imaginer l’artiste rêver son monde pictural en le regardant à la fois apparaître et respirer : spectaculairement dispersé et alangui dans une nonchalance feinte, il semble se reposer. L’intitulé un rien ironique de l’exposition sublime aussi ce monde : Serre moi fort dans tes bras et faisons le tour de la terre.

         Les œuvres aux dimensions variées se présentent comme des suites ou bien sont regroupées en polyptique. Les taches libèrent leurs motifs naturellement informels dans des lenteurs  évanescentes. Son matériel visuel semble plus dispersé que composé. Sans en avoir l’air, chaque œuvre s’équilibre dans un désordre paradoxalement instaurateur. On repère des indices de palimpseste dans l’entremêlement des feuilles et des plans visuels. Quand il y a un effet de matière, il est pareillement imaginé en jouxtant des techniques tantôt aquarellées et tantôt travaillées en pâte. Le paradigme d’un théâtre esthétique se crée par des suggestions d’empreintes et de traces. Les formes sans contour fixe deviennent aussi tactiles que mémorielles. On bat la mesure en pensant free jazz et musique informelle, on mixte Milford Grave avec Morton Feldman ou John Cage. On suit les mouvements de nuages flânants et on suit des eaux vives, à moins qu’on écoute la matière inouïe d’aperçus temporaires.

      L’étrangeté des rendus redouble quand on remarque que l’artiste ne peint pas toujours directement les formes qu’elle utilise. A bien observer (ou anticiper et prédire) son action restreinte*, on constate qu’elle a procédé par collages. Les sensations de matière virent à l’énigme ; empreinte, dépôt ou restes et souvenir : de quoi sont-elles originales ? Bien qu’elles soient « fabriquées » à partir de rebus et de « peaux  de peintures » qu’on imagine prélevées de palettes abandonnées, la façon dont l’artiste accessoirise ce qu’elle prélève suscite l’intérêt pour leur scénarisation. Tout semble être étudié pour (faire) rêver d’un art paradoxalement brut, à la fois allégé de tout précepte plastique et en même temps débarrassé de sa culture. Laurence Papoin, également auteure de sculptures en ronde bosse et d’installations a souvent parié sur le double (en)jeu de l’aplat du support pictural et du volume en repensant certains aspects d’oxymores créés par leur tumultueuse opposition. Alors que la translucidité des œuvres actuelles fait songer à un conflit d’incarnation/ désincarnation, le déplacement dans les deux sens, de l’évanescence vers le relief, sert d’argument à l’étrangeté d’un parti pris bizarre et paradoxal. Alors que les œuvres exposées doivent se regarder comme des reliefs et des étendues, comme des peaux autant que comme des empreintes, chaque expression considérée en quatre dimensions ou seulement en deux apparaît comme une concrétion esthétique d’espace et de temps.

        La peinture de Laurence Papouin n’est pas seulement complexe visuellement, elle se déploie aussi comme une parabole sur l’écoulement du temps. Pour elle, chaque occasion de créer de l’image temporelle apparaît propice à abonder dans son travail des marques sensibles de temps d’accomplissement. La moindre opportunité de réunir un contexte (une œuvre, son support, des formes, couleurs et des effets de matière, des apparences iconiques et des esthétiques visuelles), rien ne semble devoir échapper à l’index de pratiques constamment titillées par leurs temps d’expérience. Dans ses œuvres, que ce soit bref ou durable, rien n’est arrêté. L’idée même d’étirement ou de délassement d’une vue provisoire lui semble audible. Rien n’échappe à sa considération sur l’œuvre en train : l’aspect des choses ou leur supposé rattachement à une image finie, fusse t-elle d’un temps limité : l’instable est son équerre. On pense à ces « Je ne sais quoi et ces presque rien » commentés par Vladimir Jankélévtich**. Ces nouvelles œuvres de Laurence Papouin suggèrent, de fait, une réflexion sur la vie de l’œuvre, ses passages furtifs et ses moments d’existence fugace, les choix temporaires dont elle ne peut se démettre, et dans lesquels elle indique puiser d’autres respirations, écouter le son discret d’un filet d’eau ou de vent soufflant entre les nuages.

* Jean-François Chevrier, cat. « L’action restreinte. L'art moderne selon Mallarmé », Ed. Hazan/Musée des Beaux-Arts de Nantes, 2005  ** Vladimir Jankélévtich, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, ed Seuil.

 

Mathieu Cherkit, Time’s up ? chez Xippas

        Mathieu Cherkit représente des intérieurs qu’on peut voir depuis leur porte d’entrée laissée ouverte. Les tableaux sont colorés dans des gammes rappelant l’expressionnisme et le fauvisme. Le point de vue toujours très rapproché entremêle deux impressions contradictoires : un écrasement d’un intérieur visible avec l’entrée symboliquement ouverte dans le plan de la toile, et la déformation anamorphique de l’espace convexe où se trouve le spectateur. De sorte que les images obtenues et exprimées dans un style à la fois réaliste et expressionniste semblent refléter et superposer la double vision interne et en surface d’un globe oculaire : (on songe évidemment à l’image du tableau Les Epoux Arnolfini peint par Van Eyck dans le miroir au centre du tableau éponyme). Difficile de ne pas songer aux intérieurs échafaudés par Francis Bacon autant qu’à ceux anamorphosés par Sam Zafran. Ces généralités dites, l’intérêt de beaucoup d’œuvres tient à l’aspect que l’artiste accorde à l’expression matérielle du tableau à travers l’interprétation de ses bords. En traitant certaines productions comme si elles avaient été arrachées de leur support, Mathieu Cherkit active simultanément les deux lieux que sont l’avant et l’arrière plan maintenant devenus des espaces projectifs et virtuels. Partant, l’artiste induit une fragilité mémorielle intéressante pour son tableau. A partir cette scénarisation dans laquelle, toutes choses égales, le spectateur peut entrer et sortir ou coller à son « mur peint » on se dit que l’artiste se démêle ou se mêle avec des vues dont il a décidé l’entremêlement. A la fois habile et visuellement forte, et bien qu’à la fois assez conventionnel et dans l’air commercial du temps, ce travail rouvre à sa façon des voies de figurations historiquement intrigantes.

 

Ali Banisadr chez Thaddaeus Ropac rue Debelleyme.

        « Return to mother » est l’intitulé semble t-il symbolique de cette exposition dont le programme signe une vision de la peinture à la fois romantique, épique et traditionnelle. Particulièrement au fait d’une esthétique fresquiste et d’une maitrise impressionnante des effets plastiques du geste de peindre, le peintre déploie ses vastes tableaux avec le souci constant d’y mobiliser tous les effets possibles de mouvements et de traces du geste emportant les motifs. Bien que réaliste, aucun motif ni aucune forme ne restent lisibles, les images semblent avoir été traversées par un ouragan d’effets formels conçus pour abstractiser ou dissoudre les formes. Ne restent que des effets de contexture et de texture esthétiques, des objets picturaux pouvant de loin rappeler en les entremêlant Turner ou Delacroix. Les résultats sont impressionnants, subjuguants, spectaculaires, sidérants, envahissants d’expertise dans les compositions et la manière comme dans l’aperçu stylistique. Ce programme de création/exécution manifestement préconçu se répète en surface de tableau en tableau sans réellement parvenir à une expression picturale épique et romantique à laquelle il semble vouloir croire. In fine, chaque œuvre donne le sentiment que le peintre a lui-même perdu le contrôle et la distance tactique de visions qu’il imagine au détriment d’un spectacle superficiel où on perd le décollage pictural poétique. 

 

Tina Schwarz, « Corps étranger », chez RX

         Le corps régulièrement représenté de manière transgressive et emporté dans des mouvements et attitudes caricaturales sert des images en tension entre fiction et délire. Les images de chaque monde possible s‘enchevêtrent en allusions, récits ou à thèmes d’expression à travers les anatomies des corps aussi enveloppantes qu’elliptiques. L’onirisme assumé du dessin est compliqué. En marge des éléments simplement plastiques, des influences ne sont pas abstraites : ce sont des compo-sitions cubistes et des associations surréalisantes, des variations expressionnistes et des suggestions optiques apparemment empruntées au cinéma ; d’autres fois, c’est une vague impression d’être un mouvement apparemment séquentiel et une case d’un storyboard. Les silhouettes se contorsionnent ou bougent en transe avec des accessoires supposés ou des objets prothésiques ; en même temps, la subjectivité fluide et véhémente du geste du dessin épisodiquement appuyé et tantôt rehaussé de couleur s’impose par une autonomie indiscrète. Les toiles, par endroit laissées écrues, apparaissent comme des réceptacles de fantasmes indescriptibles ou égrènent des narratifs sommaires. L’attrait de l’artiste pour le fantastique n’est pas feint.

 

« Paysages insommiaques » par Philippe Cognée chez Templon, rue Beaubourg

       L’exposition est placée sous l’aura d’un «amour inconditionnel du peintre pour la peinture figurative»… Naguère à la fois surprenante et d’une efficacité reconnue pour sa somptueuse plasticité, la technique picturale à la cire fondue de Philippe Cognée n’est plus qu’un formalisme. Les tableaux brillent d’apparences sans créativité : plus d’effet all over problématisé avec la charge expérientielle des limites du support en dehors de coupures conventionnelles des motifs, pas davantage de recherches quant à la déconstruction du figural, pas de ressort quant aux dimensions des tableaux aveugles sur l’idée de monumentalité. Les représentations manquent aussi d’envergure quant aux choix de focales et d’invitation à l’étonnement pour le spectateur, quand bien même certaines images d’arbres ou de champs de tournesols rappellent des œuvres et des artistes réputés (« un peu » Van Gogh…) La méthode picturale a même perdu l’expressivité plastique et subjective sinon onirique et de ses fondements matiéristes. Ne reste qu’une production commerciale.

 

Xie Lei, « Chant d’Amour », chez Sémiose

         Les tableaux à la fois fortement contrastés et fermement réalistes focalisent l’attention sur des apparences stylistiques et esthétiques qui ne se cachent pas d’avoir été, semble t-il, des préalables. Tout porte à considérer sous cet angle les rôles et les choix répétés de l’artiste d’assumer une manière du geste de peindre. Ce sont par ailleurs des principes d’attirance visuelle sur une formule narrative, et c’est, me semble t-il, le désir de privilégier une forme de description littérale des formes, davantage qu’une recherche sur les moyens spécifiques de la peinture au sens d’une recherche en soi. Ici, tout paraît lié à un texte. On a le sentiment de s’illusionner  en partie si on croit le geste pictural engagé sur son sens tactique au delà du service descripteur. Cette façon récurrente qu’a l’artiste d’affleurer ou de balayer la surface de sa toile pour flouter les ses sujets et leur environnement crée du mystère et atteint une forme indiscutable de beauté théâtrale. Sans réellement approfondir la fragilité des apparences qu’il met en scène et nuance pour dépasser l’anecdote illustrative par une impression d’atmosphère, Xie Lei parvient toutefois à muscler les silhouettes dont ses images ont besoin, de telle sorte qu’elles s’enrichissent d’être littéralement imprécises en étant arbitrairement stylisées. Cet effort s’affirme encore quand on note un décalage entre l’attention accordée à l’autonomie spécifique du tableau au profit d’une lecture quasi scénarisée de son programme de composition. Passé son style préconçu, cette peinture trouve in fine son étonnement esthétique.

 

Bernard Moninot : « Lumière fossile », chez Galerie Catherine Putman

       Bernard Moninot poursuit sa quête mémorielle des cieux. Il est encore question de lumière et d’étoiles, de constellations et de voie lactée environnante. Bernard Moninot a entrepris d’en révéler le spectacle de plusieurs façons : des visions entremêlées d’architecture et de nuages filaires et des peintures fourmillant de taches aquarellées blanches, dispersées sur un fond de papier noir. Chaque œuvre paraît simultanément immatérielle et intemporelle, délicate au point de questionner le réalisme de son incarnation plastique.

        La lumière réfléchie des étoiles ne suffit pas davantage que l’équivalence espérée d’un dispositif artistiquement utilisable : il faut en même temps à l’artiste convoquer la nuit comme fond. Les archi-tectures composées de minuscules étoiles de métal argenté reliées par des fils sont délicatement suspendues aux murs. Les peintures serties dans des coffrages obscurs s’offrent comme des croquis et des notes prélevées sur le spectacle du ciel étoilé. Chaque œuvre fait naître un mirage où il est question d’évocations sensibles dans les deux sens réciproques d’une inspiration et d’une expression légère.

     Pour l’artiste, les repères visuellement incertains de ses myriades allusives et leur distance problématique pour l’œil deviennent des prétextes à réévaluer les marges de son projet artistique dans un espace illimité. Chaque construction en volume et chaque composition exercent simultanément une force attractive commune. Sur les murs de la galerie, quelles que soient leurs dimensions intimes et panoramiques, les œuvres inversent les regards éloignés et les immersions individuelles vers des cosmogonies mixées d’étoiles poétiques et de réseaux imaginaires. 

 

Pierre Tal Coat au risque de « l’art primitif » chez Christophe Gaillard

       « Tal Coat peintre premier », comme on dirait de Picasso confronté à l'art africain : « Picasso sculpteur premier » ou « Dubuffet, artiste brut premier… » Pourquoi pas, quand bien même le primitivisme apparent de la pratique de Tal Coat et certains aspects des productions préhistoriques ou des sculptures africaines puissent se relier entre elles et sembler partager un corpus commun. Sensible ou universitaire, le rapprochement, pour aussi naturel et ordinaire qu’il paraisse, peut en même temps s’avérer superficiel quand il s’agit de distances anhistoriques… Une information de la galerie rappelant que Tal Coat n’a jamais « collectionné » d’œuvres d’ « art premier » conforte le caractère autonome de cette perspective de confrontation culturelle. Quelles que soient les œuvres exposées, celles de Tal Coat ou d’un artiste « premier », les pièces réunies sont en même temps d’une puissance esthétique remarquable. Dans les divers espaces de la galerie, l’intérêt formel esthétique entre réalisme, abstraction et narratif défie l’approche critique. Je ne peux que redire mon émotion devant l’intelligence sensible du hiératisme des peintures de Tal Coat. Qu’importe que la sobriété de sa peinture soit confondue avec les réductions visuelles courantes de sculptures africaines ou préhistoriques, Tal Coat a développé à sa manière un art synthétique et imaginaire de peintre exceptionnel d’intelligence plastique. Sa technique qui mobilise plastiquement à la fois la toile comme lieu, espace, objet et événement visuel comblent autant mon désir d’admiration que les œuvres de ses contemporains, Bram van Velde ou Geneviève Asse. On est particulièrement saisi par la beauté subtile de l’ensemble des très petites œuvres assemblées dans une des salles. On sent chez lui un authentique projet artistique, voire « une peinture sans filet* ». Inoubliable !

      Parmi les œuvres d’art premier exposées et confrontées, la merveilleuse efficacité expressive et humainement sensuelle d’une modeste sculpture représentant un corps de femme (enceinte ?) provoque l’enthousiasme. Au point de faire presque  « oublier » les œuvres du peintre pour se concentrer sur sa plasticité aussi essentielle que celle d’une Venus de Willendorf.  In fine, on peut autant se laisser porter par l’indépendance historique des deux univers d’expression que leur reconnaître une étrange proximité humaine.

* Samuel Beckett à propos du travail de Geneviève Asse

La peinture de ChaX à la galerie Fabrique Contemporaine

04/08/2022

        Les nouvelles peintures de ChaX actuellement réunies à la galerie Fabrique Contemporaine montrent le goût persistant de l’artiste pour la matière. A l’abri des couleurs, tout des œuvres fait signe d’une pratique de l’informel qui, bien qu’à priori portée à l’abstraction, semble marquée en profondeur par le thème du paysage. S’en suivent des compositions qui ne se cachent pas d’être à la fois non figuratives et cependant évocatrices d’une voix intérieure. Les tableaux aux allures d’empreintes drainent une intention autre, à la fois insistante et sensible, formellement éloignée de leur esthétique paradoxalement gazeuse et tellurique.

          Sans être opposé à une déconstruction hypothétique du tableau et par voie de conséquence à une conception abstraite, du moins non « figurative et illustrative », en faveur d’images travaillées comme des texturologies*, la manière dont ChaX réfute l’horizon visionnaire de son travail sans titre ni forme apparente interroge. Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans cette peinture aux compositions certes matiéristes, mais aussi et semble-il préfigurées par le référent d’un genre : le paysage, dont le peintre ne paraît pas souhaiter se détacher. Et d’ailleurs, il en révèle l’importance comme on produit un lapsus en nommant à son insu ce qu’on retient en silence : « voyez ce que je vous cache avec l’informe, contemplez ce que je ne veux pas montrer et que j’enfouis sous la matière. Je le tais mais vous ne pouvez que le regarder puisque je vous l’expose aussi crûment qu’analogiquement. Il a pour image tout ce qui structure et fait signe d’un paysage peint : un horizon et deux plans/espaces, l’un pour le sol et l’autre pour le ciel, une atmosphère lumineuse et des vues de prédilections pour sa diffusion… » Assez curieusement pourtant, l’artiste, interrogé sur ce qu’il veut peindre, semble vouloir expliquer son travail par un discours théorique-pratique à distance des faits réels…

          In fine, le sensible explose dans certaines compositions où le paysage existe allusivement et authentiquement. On songe à des horizons artistiques de jean Dubuffet ou Jean-Marie Ledannois, et aussi parce que c’est d’actualité, au jusqu’au-boutisme d’Eugène Leroy. Le peintre comme sa peinture n‘est pas factuellement présent dans son thème du paysage : chaque œuvre peinte s’incarne dans une proposition plastique et esthétique dont l’apparente beauté se réfère poétiquement sans préceptes ni théories extérieures.  * Le terme a été utilisé par le peintre Jean Dubuffet pour nommer à la fois la forme et l’informe de productions concentrées sur l’esthétique de la matière brute. Les peintures placées sous cet intitulé se présentent comme des étendues/empreintes illimitées de sols apparemment naturels.

Aux hasards d’autres pratiques…

25/06/2022

D’autres peintures pas nouvelles de Julien Tibéri galerie Semiose    

        Julien Tiberi peint la plasticité du mouvant, de l’instable, il peint l’aspect à la fois visuel et formel de la surprise, son spectacle, presque. On perçoit qu’il les provoque de toutes la façons concevables, ensemble et séparément, qu’il vise les moyens ou les occasions de s’y laisser surprendre, de flotter au gré des aléas de sa pratique ou de se frotter à ses inévitables imperfections tactiques, s’en enivrer… On se laisse pêle-mêle entraîner par une recherche esthétique autour de l’imprévu, autour des aventures de la tache provoquée ou encore par un engagement informe.* L’artiste est attiré par les effets de superpositions, les calques qui s’entremêlent ou les plans qui se chevauchent, les temps d’exploitations nettes ou floues de l‘«avenant », les multiples avers et envers du regard scrutant les « paysages » qui surgissent progressivement, qui sont inventés ou découverts.    

         Que conserver alors de ces tableaux dont la notice qui accompagne l’exposition évoque une beauté apparemment sans autre moteur que celui de l’artiste cherchant à rendre performant un univers d’inspiration sans limite ou des forces d’instaurations aussi bien techniques qu’accidentelles ?     Julien Tiberi peint liquide, évanescent : son vocabulaire expressif semble se nourrir d’eaux translucides et dormantes, faiblement éclairées ou vaguement agitées, d’images un peu floues et de reflets apparemment glacés. Il en tire des vues complexes d’irisations et des graphismes colorés, des agencements fluctuants illuminés par le spectacle fugitif et insaisissable naissant d’impressions et de masses floues ou de silhouettes aux cernes hésitants. Ses tableaux semblent être aussi des relevés d’empreintes inconnues. Les peintures focalisées sur des allusions et des illusions formelles font simultanément songer aussi bien à des apparences visuelles qu’à l’invention et la captation d’un théâtre de motifs débridés, chacun devenant pour le peintre un univers d’expression potentiellement esthétique. On songe aux Nymphéas de Monet autant qu’aux expériences picturales oniriques de Victor Hugo, à l’art de la tache d’Alexander Cozens qu’à un tachisme d’imagination de Justinus Kerner.    

             Le narratif de l’article de présentation de Laurence Schmidlin* décrit la beauté en mouvement d’une peinture inventive. L’aboutissement assez sage des tableaux exposés questionne non pas sur les avancements de cette créativité mais sur les apparences de leurs conclusions formelles. Bien que fondée sur une méthode de travail régulièrement disruptive, la fécondité essentialisée des hésitations voulues, provoquées ou subies du fait de la pratique présumée, n’est sensible qu’en s’attardant sur la relative abstraction des œuvres tout en ne remarquant pas qu’elles sont finalement solidement « cadrées » comme des portraits traditionnels. Car à bien s’attarder sur chaque peinture, on repère que les compositions sont bordées par des marges peintes dans la surface disponible et que la découpe du subjectile ne joue pas réellement. On relève aussi qu’en dépit d’effets de transparences et de profondeurs illusionnistes ou de combinaisons visuelles imaginatives, les compostions sont plates et n’impactent pas expressivement l’espace imaginaire ou direct. On apprécie cependant une dimension temporelle à la fois transmise par les sujets et par leur traduction visuelle. Chaque tableau suppose en ce sens un travail de périphrase plastique autour d’un programme marqué d’illustration ou de portrait, un travail, me semble t-il, à distance des visions à l’inverse très tactiques de Claude Monet, Victor Hugo ou Justinus Kerner, chacun étant, comme l’indique la présentation, autrement et diversement porté par une conception en mouvement (in-process) « du faire ». Soutenue par avec un indéniable talent restitutif et une profusion impressionnante de formes expressives, la subjectivité des peintures de Julien Tiberi me semble diverger sans réelle créativité nouvelle pour confirmer in fine l’institution du cadre du tableau traditionnel. Cette volonté de produire une peinture fonctionnelle ne limite t-elle pas l’objet créatif du tableau au spectacle illusionniste d’une image programmée « par défaut »?

 

* Landsmarks mélodia, Juline Tibéri

 

Otis Jones, même galerie    

         Chaque peinture réalisée sur toile tendue à l’aide de centaines d’agrafes se présente comme un tondo évasif monté sur un châssis construit à l’aide de morceaux de palettes de transport. Chaque œuvre se détache du mur comme un bas relief peint. Sur les fonds régulièrement badigeonnés d’une surface monochrome, pas d’autres figures que des ronds de dimensions égales diversement teintés chacun dans une couleur unique, et positionnés aux limités des châssis. C’est à la fois de l’abstraction et de l’évocation : parler de représentations apparaît un défi bien que les dimensions variées des œuvres, la variété des harmonies colorées entre les peintures et le nombre ou la composition des ronds instillent des effets de vues.    

          L’exposition s’impose par sa radicalité austère, paradoxalement imprégnée de culture picturale à la fois conceptuelle et expressionniste, et aussi par l’esprit et la façon dont les œuvres sont peintes. Leurs silhouettes « oblongues »  en même temps qu’approximatives ou accidentelles, esquissées ou hasardeuses déroutent : on ne sait quel système relie la rondeur approximative des châssis toilés et les emplacements de ronds tantôt collés les uns aux autres et tantôt diamétralement séparés sur la surface disponible ou par rapport à son contour.  Confronté aux tensions induites, on imagine chaque composition sous-tendue par un essai de synthèses formelle ou purement esthétique, tout un théâtre à la fois conceptuel et sensible autour de la complexité expressive de la préférence figurative, illustrative ou traductrice. Sur les murs, quelles que soient leur grandeur ou les visions qu’elles offrent, les géométries irrégulières ou hasardeuses des tableaux et la finesse pratique ou artistique de leur réalisation, les forces créatives, expressives et ironiques des œuvres convainquent d’une indéniable rigueur d’artiste.

 

Franz Ackermann chez Templon rue du Grenier saint-Lazarre    

          « A Range of Thoughts » (« Une gamme de pensées ») sert d’intitulé à l’ensemble. C’est grand, très coloré, très spectaculaire et esthétiquement démonstratif. C’est un peu songé comme de l’art urbain, du collage, de l’assemblage, de la citation artistique,  un art  divaguant et à la fois conceptuel et numérique… Ça se veut planant ou flottant entre réalité et illusion, détaché du jeu expérimental ou pratique. C’est joli. Gauguin comme André Masson ont suggéré avec force qu’en art, le joli, c’est court et « ça dérange personne ».

 

Valerio Adami, chez Templon Beaubourg    

            Adami cultive ses images peintes et son style à la fois figuratif et conceptuellement stylé, son art des silhouettes et des ellipses visuelles, la force poétique de la figuration narrative, ses modes de compositions faits d’aplats vivement colorés entre des cernes complexes, oscillant entre contours purs et limites émergeantes, sa culture subtile des perspectives d’espaces visuels. Même avec cette production récente, l’artiste donne l’impression de se « reproduire » et, avec cette exposition, d’être parfois moins profond, l’originalité du travail de création et d’invention expressive d’Adami demeure une source d’inspiration artistique.

 

Carl d’Avia, galerie Hussenot    

           Ça se présente comme un travail hybride de sculpture pure, entremêlé d’un travail d’instal-lateur œuvrant in situ ou en milieu urbain. Avec ses silhouettes sommaires couvertes de résine époxy industrielle, l’ensemble des œuvres a surtout l’apparence de blocs lisses colorés intensément et plus visuels qu’expressifs. Chaque pièce est largement inspirée par la beauté « flashie » du design des années 70 (Joe Colombo, Verner Panton). Parfois exposé dans un décalage dosé d’ironie à la manière d’Erwin Wurm), l’ensemble n’empêche pas un sentiment diffus d’insuffisance conceptuelle et artistique quant au domaine du volume, et plus généralement de l’espace en sculpture.

 

Dominique Figarella chez Anne  Barraud    

         L’exposition réunit des œuvres sur le thème « A pied ». Les tableaux ont été peints en inscrivant — vs en utilisant — les traces des pieds laissées lors de performances sur la toile posée au sol. Davantage marquée par ses seules conditions de réalisation que transformées plastiquement, les œuvres semblent se limiter à des constats sans perspectives plastiques. Par ailleurs on ne voit rien d’original ou de re-créatif après les magnifiques « Arabesques » développées sous forme de performances, d’expériences d’écriture choréographique et d’œuvres graphiques-/picturales par la danseuse et chorégraphe minimaliste Trisha Brown il y a « trente ans (?) ».

 

« Cold Wave » par Nicolas Chardon chez Laurent Godin    

         L’exposition s’intitule d’abord : « Cold Wave : du nom du mouvement punk de la fin des années 70, aux sonorités industrielles et rythmes répétitifs ».1    

          Un autre intitulé est son programme formel : « Le lieu de ma peinture est le tableau. Mon travail se fonde d’abord sur l’observation de ce qui le constitue matériellement : le châssis et la toile fixée dessus. Mais cette toile est particulière. En effet, mes supports sont des tissus vichy, madras ou écossais, autant de « canvas » orthogonaux colorés. La grille du motif de mes toiles, déformée par la tension, est à la fois une expression physique élémentaire et une image particulière. Quelque chose se joue là, entre le fait matériel et le fait iconique. Paradoxalement, la déformation de la grille est la preuve que la toile est bien tendue, qu’elle offre ainsi la surface plane idéale à la réalisation d’un tableau. Ma peinture commence à ce moment-là. ».2    

           …En conséquence de quoi, Nicolas Chardon peint des carrés blancs sur fond noir et des formes à peu près carrées en noir sur fond blanc. C‘est peint exclusivement en aplat, sans d’autre teinte que ce qui est déjà dit. L’apparition comme un repentir du tissu vichy utilisé en guise de toile à peindre laisse émerger un quadrillage assourdi. La technique employée se veut maigre, les compositions se veulent épurées, le style se veut hostile aux épanchements : aucun signe d’affect. Quelques variations d’ordres formels font signes d’effets plastiques revendiqués mais qui interrogent (relire l’intitulé du programme signifié comme autre intitulé par l’artiste…)    

           Les compositions à priori abstraites se suivent et se répètent graduellement sur un fond semble t-il plus figuratif et descriptif que conceptuel. L’impression est qu’en s’inspirant et en reproduisant presque à l’identique « ce qui se joue là entre le fait matériel et le fait iconique » Nicolas Chardon se livre à un exercice d’interprétation illustrative, questionne sa conception picturale de l’incident créateur. On remarque en ce sens que la place imaginaire accordée aux subjectiles utilisés semble en grande partie minorée au profit d’une iconicité préconçue et modélisée. Les compositions des œuvres se départissent difficilement d’une sensation de formalisme général. L’humour subtil évoqué par un texte disponible sur place peine a s’incarner.     

              Sur un plan plus limité à la question esthétique, Nicolas Chardon s’intéresse au négatif et à l’infime. Ce qui est de l’ordre du négatif s’appuie sur la plasticité d’un NON à la fois inclassable et innommable. Insistant comme une litanie, il prend forme à travers la pauvreté foncière de la répétition, la fadeur de l’impersonnel et l’anonymat auctorial. Plus subtilement, l’infime trouve une voie expressive dans l’inconsistance apparente d’une gamme squelettique d’outils d’expression et dans une démarche et une méthode où l’artiste ne cache pas flancher sur les dogmes. On songe autant aux multiples formes prises par les Définitions-Méthodes  de Claude Rutault qu’aux Bandes inlassablement réinvesties de Daniel Buren.3    

          Les travaux exposés fortement marqués par l’art géométrique et par l’art conceptuel des années 70 ne dérogent pas avec la pertinence toujours supposée ouverte et créative des réductionnismes visuels formalisés par Malévitch, Mondrian… Par ses réfutations de la trace ou du geste, de la variété et de l’éclat des couleurs, du volume et de l’espace ou de la matière, et plus par une stratégie décorative, Nicolas Chardon poursuit et feint en même temps de continuer l’histoire de ce pédigrée radical. Il reprend par ailleurs certaines questions sur la « dureté » artistique, ultérieurement débattues au sein du groupe Support-Surface. Partant, son propre travail fait davantage songer à un projet appliqué qu’à un horizon créatif personnel.     

           La forme comme le style visuel paraissent plus littéraires que plastiques. Bien malin celui qui trouvera à qualifier la problématique des œuvres autrement qu’en lisant leur programme formel et qui sera déstabilisé ou surpris par leur conclusion visuelle : chaque œuvre trop discrète sur l’engagement disruptif risque vite le désintérêt.    

            A l’inverse, considérées dans le dispositif scénarisé de l’exposition et sous couvert d’avoir été pensées ou « installées » (conçues ?) pour être associées à une production « in situ », les qualités disruptives et esthétiques de la démarche de Nicolas Chardon et les œuvres se chargent d’histoire(s) du tableau et peuvent passer pour plastiquement sensibles. Voire espiègles. Là on esquisse un sourire complice.

 

1– « Nicolas Chardon, Cold Wave »,  Sebastien Gokalp, texte de présentation Galerie Laurent Godin, 2022.

2– « Introduction à l’œuvre de Nicolas Chardon par lui-même », https://www.laurentgodin.com/nicolas-chardon.

3– « Daniel Buren développe, dès le début des années 1960, une peinture de plus en plus radicale qui joue à la fois sur l’économie des moyens mis en œuvre et sur les rapports entre le fond (le support) et la forme (la peinture). Daniel Buren développe, dès le début des années 1960, une peinture qui joue à la fois sur l’économie des moyens mis en œuvre et sur les rapports entre le fond (le support) et la forme (la peinture » « Introduction à l’œuvre Daniel Buren », Wikipédia

 

Eva Nielsen à la galerie Jousse Entreprise    

      D’où vient le mystère de ces photographies mêlées de paysages réels et de contrées apparemment réémergentes sous les écaillements de murs oubliés ? Chaque œuvre ne se livre qu’en laissant le regard pérégriner entre les divers motifs créés par les superpositions organisées par l’artiste. Ses manières de brouiller volontairement les effets de présences reconstitue et de loin en loin les motifs dans une relative distance avec leur sources. Leurs silhouettes semblent se perdre et resurgir, s’évaporer ou se diluer dans une atmosphère optique et rétinienne. On est devant des murs de mémoire, que les palimpsestes qui font revivre en récits dérivants et en démesures de temps.       Les images photographiques reportées et imprimées numériquement sur toile livrent des images incertaines sur leur contenu toujours aussi réel que supposé. On s’interroge sur ce que les lambeaux de murs supposés de murs permettent de retrouver et réunir. Les formes imprécises et les teintes formellement assourdies font que le regard se cherche ou s’invente. Des vues passent, en même temps que la matérialité des peintures flotte.

Deux pratiques artistiques bien distinctes de l’observation de la nature…

26/05/2022

L’art paysagiste d’Olivier Marty    

        Olivier Marty connaît le paysage pour en enseigner l’histoire à l’école du paysage de Versailles. Il l’étudie aussi en pur artiste et, à ce titre, y puise matière à traduire ses ressentis artistiques dans des compositions mêlées de dessins et de peintures solidement argumentées des points de vue plastiques et expressifs.    

      En fait, l’image du paysage constitue pour lui une source inépuisable de stylisations et de définitions symboliques. Créer ou exposer ses mondes  revient à apparenter des configurations de végétaux, de plans, de taches, de formes, de trait et de gestes, des couleurs et des effets de matières, le tout en un certain ordre naturellement scénarisé.* Sous son regard avisé, l’image d’un paysage est autant faite d’émotions visuelles que d’instants mémoriels ; c’est un corpus d’empreintes authentiques et fabriquées, d’observations, de découvertes et de signes identificatoires inventés pour des représentations entre réalité et archéologie, une solution disruptive à l’oxymore de la réalité et de la fiction. Pour arriver à ses simplifications visuelles et esthétiques jusqu’à l’abstraction et soutenir une transposition arbitraire, il recoure des teintes en partie imaginaires, un graphisme aux apparences scientifiques voir à des assemblages inspirés par l’art conceptuel ou un tachisme lyrique. Comme il l’entend artistiquement, une fois interprétés et transposés ou stylisés et incarnées dans la peinture, ses tableaux, qu’ils soient uniques ou créés en frise apparaissent comme des théâtres de codes visuels et esthétiques ouverts à l’imagination interprétative.     

        Au fond, Olivier Marty s’exprime comme un artiste poète. Sa capacité à recomposer la peinture de paysage comme des mondes revisités en fait un créateur d’effets d’entendements  sensibles. Il peint pour être expressif avant d’être descriptif, et s’il parvient à croire et à faire partager la réalité de ses transpositions artistiques, c’est d’abord parce qu’à ses yeux, et finalement aux nôtres, il n’a peint que ce qu’il a vu.

 

Le paysage à l’œuvre et l’imaginaire artistique pour Joël Paubel    

       Le thème du paysage fonde et irrigue le travail artistique de Joël Paubel. Sa nature et ses images l’inspirent, quels qu’en soit l’origine ou l‘aspect immédiat, quoi qu’il puisse advenir des œuvres qui en découlent en retour. Il guette et cultive la vie de leurs signes visuels en artiste-paysan autant qu’en artiste-chercheur. Il y songe aussi comme descripteur averti et comme conceptueur-producteur soucieux de forger des œuvres aux apparences formelles et sensorielles chargées de sens.     

         Dans l’exposition, des tableaux sont tantôt accrochés aux cimaises et tantôt appuyés debout contre un mur comme des stèles ; il y aussi de longues tables couvertes d’œuvres composées en duo ou ordonnées en miroir comme on rassemble des séries d’études et de vues de styles divers en couleur ou en noir et blanc. Des volumes étrangement sphériques, incarnés dans des boules de papiers colorés et froissés mobilisent le sol par endroit. Certaines œuvres sont peintes sur toiles, d’autres sont conçues sur carton ou sur papier, voire sous la forme de livres-accordéons (des leporello). Les formats contrastés et les méthodes créatives souvent employées de façon inattendue entremêlent les techniques traditionnelles et les visions disruptives. Il y a de la spontanéité et de la distance conceptuelle partout : bref on se perd en conjecture tant la forme de l’exposition rappelle autant l’univers intime et intuitif de l’atelier qu’une inquiétude sur l’instauration du travail artistique.      

        Chaque étude tourne autour du paysage et du paysan de son enfance bresssane. Des peintures évoquent simultanément la campagne naturelle et la mosaïque administrative des champs cadastrés. Des vues complexes faites d’arbres et de végétaux largement brossés à l’encre comme des pochades et des croquis « informels » cryptent plastiquement des relevés à la fois partiels et généraux. Rien n’est caché des ressources qu’impose la recherche quand elle se veut arbitraire, réservée ou suggestive. Partant, les œuvres peuvent librement être descriptives ou synthétiques jusqu’à l’abstraction géométrique, simplement sensibles, ou purement expressives comme pour une œuvre d’amateur éclairé. Joël Paubel se sait autant dessinateur que peintre, autant concepteur d’apparences que metteur en scène de formes allusives ou focalisées sur un aspect d’un sujet particulier. Son travail aussi rémanent qu’actif sur les stratégies créatives tisse les arpentements historiques et sensibles d’un univers personnel traversé de faits et de gestes paysans, de souvenirs et de visions anticipatrices en même temps qu’attentif et critique aux effets de l’anthropocène. A travers leur esthétique toujours rigoureuse, ses œuvres aux apparences visuelles parfois improvisées, la constance inventive de leurs compositions  faites d’élans et de gestes tachistes ou lyriques du dessin, confortent le sentiment d’une imagination artistique sans cesse refondée.

Des œuvres dans des expositions ça et là…

03/05/2022

Catherine David en forêt, galerie Fabrique Contemporaine    

     L’illustration du thème de la forêt passe par autant d’images descriptives que de visions personnelles et oniriques : la forêt a tout pour être une perception avant d’être une simple vue. Pour Catherine David, la forêt est un paysage essentiel et silencieux, complexe et schématique, les arbres s’étirent comme des corps ondoyant vers le ciel… Tout s’y étoffe à la fois en masse charnue et en contexte¬ — on est dedans ou on la regarde depuis une lisière, tout s’y révèle icône en même temps que rêves de peintures évocatrices. Dans les vues dont elle s’inspire, la forêt est une mise en abîme de ces façonnages.    

      L’essentiel est suggéré : la profusion serrée des branchages attirés vers le haut et, par projection, le parapluie forestier de la canopée servent de prétexte à des compositions plastiques libres. Chez Catherine David, la forêt a d’abord l’apparence physique d’un mur frontal parallèle au plan laissé blanc de la toile. Les arbres silhouettés d’un tracé égal figurent en nombre serré. Leurs feuillages sont suggérés par des rameaux arborescents ondulant dans des torsions de flammes. Par endroits, des variations de leurs apparences simulent par degrés des sensations de volumes. Qu’expriment donc ces arbres aussi dessinés qu’associés à des aperçus d’ensembles? L’artiste mobilisée par la profusion confuse de son thème semble ressourcer des visions intérieures et énigmatiques. Le fait est que par rapport au réel, la gamme des couleurs restreinte à une teinte développée en camaïeu amplifie les décollages imaginaires…    

        Catherine David veut se placer sur le terrain exclusif de l’évocation à partir des richesses visuelles de son thème. L’univers de la forêt devenu formellement insaisissable, les feuillages des arbres deviennent des linéaments abstraits ou s’inversent en prenant l’apparence de racines célestes. Avec leurs formes de réseaux irriguant les compositions en ramures et en rhizomes, ils peuvent aussi être regardés comme des veines.    

         Les silhouettes des arbres étroitement liées aux gestes du dessin et le nombre réduit des couleurs orientent les compositions vers une esthétique graphique de l’image de la forêt. Le style de chaque peinture se transforme en expression et en communication visuelles. L’image de la forêt serait-elle donc si mystérieuse qu’il faille la voir comme une accumulation et une répétition de signes supposés faire une écriture de son image intelligible ? Quelque chose des peintures de Catherine David fait par ailleurs irrésistiblement songer à des recherches plastiques autour du monochrome. Quelque chose de la manière dont l’artiste dépasse les bords de ses supports dit encore que son travail s’entremêle avec la technique du all over de la peinture expressionniste américaine. Toujours encore, l’usage répété d’une silhouette graphique des arbres comme patern en association avec des variations ou des changements subjectifs de gammes, rapprochent son art du paysage symbolique… On l’a dit, pour l’artiste, la peinture s’ouvre avec une élégance visuelle certaine sur des enjeux plastiques et esthétiques résolument personnels.    

          Les toiles peintes comme si elles devaient être emplies d’images, le motif traité et modélisé des arbres présenté sous l’aspect d’une masse compacte où la lumière traverse par accident, les entrelacs voire le fouillis inextricable des branchages, tout cela conduit Catherine David à privilégier des visions artistiques qui la satisfont et qui l’inspirent. Le thème de la forêt apparaît dans ce cadre comme un prétexte à initier des peintures de paysages aussi réels que non figuratifs qui disent le plaisir de peindre. 

 

« Well and truly » par Roni Horn à la Bourse du Commerce Fondation Pinault    

          Les œuvres in situ comme les installations filent par définition les cheminements de l’histoire de l’Art Conceptuel. Well and truly  a la forme d’une installation sur le thème de l’eau ; sa créatrice ne cache pas ses sources d’inspiration. L’œuvre se compose d’une dizaine de blocs de verre cylindriques baignant chacun dans une délicate et translucide couleur d’eau bleue, vert-bleu, violacée, gris clair et blanche. Eu égard aux logiques de l’Art Conceptuel, leur esthétique et leur mode d’exposition ne procèdent objectivement que de leur constitution, leur présentation et leur répartition. Roni Horn applique ainsi l’idée de concepts acquis ou à imaginer à partir de correspondances scientifiques ou métaphysiques de l’interprétation de l’eau et de ses images.

      Arguant une inévitable part de scénarisation, il est prévu que chaque installation de l’œuvre occupe virtuellement toute la surface de son emplacement. Habilement dispersés au sol, les cylindres d’eau pétrifiés et, parallèlement, l’aspect artificiellement gelé et coloré de leur surface concentrent l’attention sur la possibilité d’un immense lac en réduction. La totalité du lieu est acquise à une lecture métaphorique de l’œuvre, l’intérieur de la salle d’exposition laisse place à un vaste paysage de méditation que, j’imagine, le peintre Caspard David Friedrich n’aurait pas réfuté…    

    Le paradoxe est que les cylindres d’eau silhouettent des formes solides. En contemplant attentivement ce spectacle entièrement illusionniste, on note que chacun seulement apparaît en tant que contenu démoulé d’un contenant effacé par l’artiste. On convient donc que malgré la relative opacité de leurs teintes bleue, vert-bleu, violacée, gris clair et blanche, leurs enveloppes extérieures sont tout aussi fictives… Pareil encore pour l’eau incolore, limpide et d’une totale transparence, si vraie qu’on croit pouvoir agiter sa surface, ou dont la profondeur miroite la lumière et l’environnement.    

      Le regard contemplatif, on se laisse porter par l’esthétique flottante et silencieuse d’une sculp-ture poétique installant un paysage baigné d’une atmosphère d’aube. Au-delà de son irréfutable intelligence plasticienne, Well and truly  est d’une force résonnante et d’une beauté absolues.

 

Shirley Jaffe à Beaubourg    

      On a envie de dire et répéter « Vive l’art de peindre ! ». De peindre à la fois intelligemment et d’instinct, d’un mouvement spontané et aussi d’un geste espiègle. Vive les tableaux aussi faciles à regarder que compliqués à aimer durablement. Vive les compositions visuelles barbares, vives les agencements libres et les désordres calculés, vive les incohérences ponctuelles et vive les avantages prévisibles de leurs mystères. Vive l’innocence improgrammée des œuvres encore imaginaires et les apparences maintenues à l’état d’esquisses.    

      « Le geste de peindre » au début émotionnel et matiériste de Shirley Jaffe est resté « un geste de la forme peinte » qu’elle a valorisé avec un talent fou dans les œuvres ultimes de son travail d’artiste. Pas un renoncement, pas une faiblesse, aucune peur, mais des doutes créatifs et des engagements disruptifs contre les habitudes, à l’opposé des évidences. Qu’elles résultent de silhouettes posées sur un fond ou qu’elles s’en détachent entre plein et vide sans qu’on comprenne de quel motif elles sont inspirées, qu’elles soient géométriques, abstraites ou quelconques, que dans chaque composition une partie du tableau soit stable et qu’une autre bascule, qu’in fine on trouve certaines œuvres réussies et d’autres moins abouties, les peintures de Shirley Jaffe invalident toute réserve quant à sa décision d’être irréparablement artiste en même temps que soi.

D’autres expositions diverses…

23/04/2022

Haim Steinbach chez Laurent Godin    

      « Who’s there ? » L’exposition se compose pour l’essentiel de citations et d’inscriptions en anglo-américain inscrites en noir et blanc sur les murs. Les typographies sont chaque fois de taille et de styles différents, l’œil des lettres est net, sans aucun effet de matière, et parfaitement contrasté sur leur fond blanc. Détail d’importance, chaque texte est « « placé »  à une hauteur et à un endroit particulier sur son support.    

      Dans une autre partie de la galerie, des étagères exagérément détachées du mur contre lequel elles sont posées regroupent des objets divers reliés entre eux par des connivences d’origines, d’aspects visuels et stylistiques ou d’apparents calembours. Là encore, un détail attire l’attention : on remarque que chaque étagère semble drainer avec elle un passé significatif de sculpture peinte et de bas relief narratif.    

       Le travail de Steinbach est conceptuel sur la forme comme sur le fond. Fortement imprégné de cultures littéraire, populaire et plastique, il faut y accorder une attention à la fois pragmatique et abstraite pour être sensible à sa manière de jouer sur les perspectives du référent. C’est heureusement aussi un travail de scénarisation habile et d’installation teintée d’humour à compter desquels l’artiste redescendant sur terre en profite pour naviguer entre évidences et décalages, suggestions et « entendements narquois ». Ses façons d’articuler les vues générales et les détails saillants dans ses œuvres sont subtils.    

        Reste la forme d’opacité et d’adhésion à un art et un système tous deux plastiquement et dont l’origine Duchampienne marque le pas sur la recherche en composition du renouvellement scénaristique et esthétique. S’il permet quelques discernements en fournissant à la fois un mode d’appréciation de la démarche et de la « beauté » des œuvres de Steinbach, le texte qui accompagne l’exposition arrive difficilement à dépasser l’explication scolaire sur les richesses de base du matériel typographique. Partant, le travail ambitieusement poétique sur les citations égale laborieusement l’exercice d’art appliqué. 

 

Christian Babou chez Galerie T&L vs Galerie Patricia Dorfmann    

        Après une mini rétrospective consacrée à la peinture d’Yvan Messac, la galerie a choisi cette fois de rendre un hommage à l’œuvre de Christian Babou. Les angles principaux de recherches de l’artiste sont symboliquement représentés par des œuvres précises. Sans remettre en cause la finesse des vues de Gérald Gassiot-Talabot sur certains questionnements esthétiques majeurs du peintre, force est de constater que le style apparaît aujourd’hui davantage comme une méthode et un système plutôt qu’une mise en perspective du travail d’instauration de l’œuvre en train. A la faveur du recul historique, je note que Babou a constamment cherché à jouer avec un style « simplifié » de rendu pictural plutôt que travailler à une recherche synthétique d’expression. Sa façon d’engager à la fois une vue d’architecture partielle et son image rapprochée au moyen d’un détail exclusif a favorisé des apparences peintes à partir de focales devenues imaginaires.

 

Claire Trotignon, expo. éphémère 24 rue Beaubourg    

      Le paysage, son image générale et ses spectacles, mais aussi ses vues partielles ou sa revue émiettée par les mouvements du regard, ou plus encore, ses sites topologiques… Claire Trotignon prétexte l’idée du paysage pour inventer un dessin descriptif ou fictif : elle tente alors des installations suggestives à travers des reconstructions teintées d’histoire. Ses procédés illustratifs  stimulent des montages sculpturaux autant que purement visuels : sur un mur, des armatures couleur cuivre s’organisent en haut-relief autour des lignes d’un paysage supposé montagneux et servent de support à un papier bleu faisant office de ciel. Des bris de plâtre apparemment prélevés de « ruines » et partiellement teintés de bleu outremer supposent d’autres contrées sous un ciel de midi… Selon les projets, sa palette d’expressions traverse l’idée d’un dessin sobrement exécuté sur feuille. Claire Trotignon présume de multiples façons de passer du plan unique à la mise en espace. Ses œuvres naviguent entre les paraphrases visuelles et les périphrases plasticiennes dans des productions toujours efficaces esthétiquement.

 

Sophie Kitching chez Isabelle Gounod    

        L’expo présente une nouvelle série de peintures sur toiles sur le thème des feuillages et des plantes, intitulée « The English garden ». Les œuvres s’inspirent de la variété, la densité et la diversité formelle des végétaux. L’artiste puise aussi dans l’impression qu’en même temps tout s’ordonne et s’éparpille en massifs ou en tapis. La forme est celle de la pochade, du geste spontané autant inspiré de l’ébauche vivement colorée que du croquis peint expressif. Des propositions de sculptures sur le même thème sont également exposées.     

      L’hypothèse plastique éveillée par les supports en polycarbonate à la fois translucide, partiellement immatériel ou évanescent de la première exposition semble s’être délitée pour un retour acritique vers une conception conventionnelle de la toile opaque. De sorte que la proposition créée par l’immatérialité créative initiale et évanescente du subjectile s’est évaporée pour un retour au plan opaque du tableau conventionnel. En imaginant son « nouvel » espace de travail visuel comparable à celui d’un espace esthétiquement flottant et un champ aussi ouvert et sans limite, Sophie Kitching présume son geste aussi prodigue à produire des réalités imaginatives. Reste que peintes avec les mêmes gestes que ceux de la pochade, ses nouvelles œuvres ne sauraient s’apparenter ou équivaloir à la même suggestivité. Les efforts de conception instauratrice que proposent la frontalité du plan opaque et le plan translucide et « évanescent » ne se valent pas et, quand bien même tout doit rester interrogeable pour que la recherche esthétique ne soit jamais abandonnée, le manque de rebond de sa technique et ses œuvres exposées instillent une impression de perte créative.

 

Céline Cleron chez galerie Papillon    

          Sculptrice ou créatrice d’installations plastiques ou de pièces environnementales, les questions que Céline Cléron pose à l’œuvre en volume entremêlent avec talent des réponses aussi malignes qu’impactante et humoristiques. Ses rapports au plan quelle que soit son apparence murale, du sol ou de celle d’un socle, sa conception du vide et du plein qu’il soient réel ou transmis par de la transparence ou une masse opaque, en somme ses affinités avec l’objet et sa matérialité et sa place sont intéressants et efficaces. Reste pour l’ensemble une aura de déjà vu, et même une impression de déjà imaginé, et faits quelque peu troublants (dont le mérite pourrait revenir au Catalogue des objets introuvables (Jacques Carelman). Dans la galerie, les œuvres, toutes impeccablement réalisées, sont plus réjouissantes que surprenantes.

 

Aurélie Dubois, rue Française    

       L’art d’Aurélie Dubois est autobiographique. L’art d’Aurélie Dubois est multiforme dans son expression visuelle. L’art d’Aurélie Dubois n’a d’autre source d’inspiration que son existence personnelle. Elle pratique le dessin, la peinture, le collage et l’assemblage, l’installation et la vidéo, la performance, la sculpture et, bien entendu, l’écriture. Les sujets qui lui importent comme ses thèmes d’expression puisent dans l’auto-portrait, l’érotisme et le genre, la filiation et la mémoire, le spécisme et l’anti-spécisme… Son art « naturellement original » — illustratif et plus souvent littéral que plastique — chemine entre les images narratives et symboliques ou « tressées » de syncrétisme subjectif. Partant, l’artiste autoproclamée «…de Garde » et guidée par Son ressenti veille aux moindres détails à Son interprétation extérieure. De sorte que, sous couvert d’approfondir ou d’élargir l’instauration critique de son travail d’illustration, elle oblige à décrypter l’égotisme foncier de ses productions. 

 

Paul Armand Gette chez Yvon Lambert    

        L’exposition sert de prétexte à une nouvelle œuvre éditoriale illustrée dont le titre est « Danger ». Comme à son habitude, P. A. Gette  l’a conçue autour de courts récits photographiques aussi brefs que des haïkus. Comme toujours encore, P. A. Gette parle d’art et de culture (la sienne est remarquable), de liberté, d’intimité et de rencontres avec la féminité. Il faut évidemment lire le texte guère plus long qu’une note qui les accompagne en miroir dans le livre. Dans l’attente, chaque « micro-film » et chaque image exposée évoquent esthétiquement avec malice son contenu poétique sur les murs. Rien de moins !    

      Une autre œuvre vidéo intitulée « Paul Armand Gette au pays des merveilles » est proposée en exergue dans la galerie. On y peut voir et entendre P. A. Gette rembobiner le film de son art et parler de ses rencontres en « voyeur autorisé ».* Rien de plus !    

       Et quelle belle exposition ! Et quelle jolie publication !

 

* Bernard Marcadé, in Art Press n°99, janvier 1986.  ** Editions Yvon Lambert 2022

Diverses galeries, divers arts, diverses expositions, diverses expressions plastiques…

17/04/2022

Ivan Messac, Pop Politique galerie T@L vs Galerie Patricia Dorfmann

      Petite rétrospective de la production d’un artiste âgé de 20 ans, engagé à gauche en 68, bouillonnant de créativité et de vie. On revoit en partie les peintures de l’époque de Fromanger,  Rancillac, l’importance du courant de la Figuration Narrative : la reconnaissance et l’égalité des droits de chacun et de tous, les revendications internationalistes et libertaires, l’enthousiasme de la participation à l’histoire au présent… L’art et la société ont rarement fait aussi bon ménage pour évoquer le mode d’insertion politique des artistes dans la société. Comme bien d’autres dont la sincérité ne saurait être mise en cause, Ivan Messac ne manquait pas de générosité sur ses choix et son humanisme, quitte à risquer parfois aussi l’aveuglement historique. Cinquante ans de distance n’ont pas entamés la joie visible et dynamique de cette peinture.    

     Le style hyper graphique tout en silhouette et « pochoir » des personnages peints, la manière habile de jouer sur les rapports entre fond et forme, les couleurs vives passées en aplat, une littéralité des sujets à fleur de tableau fonctionnent à merveille avec une esthétique « poster » assumée. Bien que datés, le style et les œuvres parlent d’images modernes, d’engagement moderne et de générosité que Sheppard Fairay ne rejetterait pas. Un bonheur d’implication artistique encore jeune.

 

Yousef Nabil galerie Obadia Beaubourg    

    Des montages photographiques sur le thème de l’autoportrait, impressionnants d’absence d’originalité technique, de banalité plastique et d’esthétique laborieuse. D’abord attiré par une forme de pictorialisme photographique sous-jacente des images, on ressent vite un malaise devant la minceur artistique des « œuvres ».

 

Gloria Friedman chez Ceysson et Bénétière    

       L’exposition groupe des sculptures et des dessins sur le thème du vivant « avant l’après » (dixit l’artiste). Dans l’expo, « l’humain est présent sous des formes fantasmées… je pense que si nous acceptons d’être un animal comme les autres, on voit les choses autrement » (ibid l’artiste). Sauf à accorder aux formes et à l’expression une valeur de naïveté inédite, on peut aussi remarquer qu’esthétiquement, l’ensemble n’est pas seulement d’un inintérêt technique et plastique olympique, il est moche aussi.

 

Michael Ray-Charles chez Templon rue du Grenier Saint-Lazare    

    D’imposantes peintures figuratives réalisées comme une mosaïque de sources multiples, de palimpsestes de styles inspirés par le spectacle de music hall ou des compositions théâtralisées de personnages et d’objets dans une trajectoire qui évoque la production photographique de Man ray. Un autre intérêt des tableaux tient à leurs thèmes sur la question afro-américaine dans l’histoire de la culture populaire américaine. Habilement traversée par cette histoire tragique mais aussi formidablement réactive, chaque œuvre décline avec ironie et goguenardise les combats et discriminations de l’identité noire dans une esthétique de lumière et d’ombre de cabaret. Reste le travail parallèle de la peinture et l’inspiration des images interprétées en noir et blanc dans un esprit allusivement photographique. Autant l’engagement ironique et culturel des compositions retient l’attention, autant, pour l’expérience plastique, le manque de distance artistique et la faible épaisseur technique et imaginative de Michael Ray-Charles apparaissent insignifiants. La matière proprement visuelle des peintures, et sous cette réserve, le contenu des tableaux, est à ce point inintéressante qu’on se dit qu’une réflexion appropriée sur le photographique et un rendu techniquement à la hauteur auraient mieux démontré des perspectives de créations iconiques à la fois documentées artistiquement, disruptives sur la forme et critiques sur l’imagerie.

        L’exposition présente aussi des sculptures de l’artiste. A oublier !

 

Charlotte Salvaneix chez Mariska Hammoudi    

     La somptuosité des coloris, le travail ajusté du dessin et l’expression des matières frappent d’emblée le regard. Puis il y a le double thème : « Penelope Lying » (le mensonge de Pénélope) teinté d’épopée et de développement allégorique avec la traduction « Femmes à leur ouvrage ». Les clins d’œil à des œuvres et des artistes sont constants, depuis les maîtres flamands du XVe siècle jusqu'à quelque peintre symboliste du XIXe, faisant revivre des œuvres inoubliables ou des styles d’images et d’atmosphères.    

    Tout à son travail, Charlotte Salvaneix mobilise parallèlement dans ses compositions des techniques d’arts appliqués à la fabrication des fonds marbrés (en général dans le domaine de la reliure d’art). Ce travail à l’origine purement décoratif intervient dans les tableaux en sériant l’ordre de plans imaginaires ou en creusant le sens de transparences librement combinées et façonnées pour faire une surface sensible du premier plan du subjectile. Partant, les cadrages s’ouvrent ou se resserrent au contact de la figure peinte, le tableau se met à parler de vie intérieure. Chaque couturière ainsi installée dans un espace sans profondeur est présente dans sa première humanité. Sa silhouette en partie détachée de la surface de la toile survole l’image comme la peinture conservait son objet d’icône religieuse. Ainsi promue, chaque « Pénélope » redouble son référent en transparences avec la figure antique de la fidélité pénélopienne d’une part, et d’autre part à une image de modeste travailleuse attachée à son ouvrage d’autre part.    

       L‘art de Charlotte Salvaneix vaguement désuet et décalé avec son époque assume ses songes de splendeur artisanale. Affairée à honorer la somptuosité du médium pictural dans ses perspectives à la fois métaphysiques et évocatrices, l’artiste veut-elle restaurer le métier de peintre pour régénérer une vision nostalgique du tableau de genre ?

 

Charles Ray au Centre Pompidou    

       Il est dit en préambule que l’artiste « procède à l’origine de cette question : Qu’est ce qu’une sculpture ? ». On ne s’étendra pas sur la banalité de cette interrogation déjà labourée en profondeur par le gratin des sculpteurs innovants dès le milieu du XIXs (Rodin, Daumier, Degas…) « Qu’est ce que sculpter ? » est plus intéressant, plus fin et plus créatif. Dans cette perspective, Charles Ray reproduit ou initie laborieusement ou seulement en apparence des réponses connues dont notamment le Ready Made… Constamment poreuse avec l’art conceptuel, sa pratique à la fois faite d’allusion et d’escamotages esthétiques ou historiques achève parfois sa plasticité par un discours auto-justificatif aussi envahissant qu’inutile ou superflu (« ce que je partage avec vous, c’est une réalité physique qui intègre un processus mental… »).

      Dans cette exposition manifestement cornaquée et « sponsorisée » par Pinault-Collection, de rares mais vraies créations arrivent toutefois à marquer l’esprit par l’ironie interprétative, comme ses photographies/œuvres d’artiste performer en tant que sculpture vivante ou à travers « How a table Works » et « Yes » (1990).

 

Sylvain Roche à la galerie du Haut Pavé    

      Sylvain Roche peint des tableaux d’oiseaux (mésanges, chardonnerets, moineaux…) presque aussi grands qu’eux. Avec leur pâte colorée appliquée en épaisseur, sans mélange, et leur style plus modelé et sculpté que peint en nuances, ses œuvres donnent le sentiment que l’artiste a voulu concentrer son art de peindre plutôt que de réaliser des images. De sorte que le premier sujet de ses micros mondes n’est pas l’oiseau représenté mais une conception esthétique de la peinture qu’il veut personnelle, ou toutes choses égales, une manière subjective de la sublimer.    

      On songe à la peinture quasi pariétale d’Eugène Leroy, sa définition autonome de l’art : son bonheur d’en développer la substance jusqu’à une essence quasi métaphysique. Chacun des tableaux de Sylvain Roche triture, enfouit et fait surgir ce que peindre ordonne de faire et être en même temps. On pense aux manières à l’emporte pièce de Van Gogh mais aussi aux débordements oniriques de Bernard Réquichot. Les oiseaux ne sont pas là, ils sont dans la peinture : dans sa matière en relief, dans ses teintes et leurs mélanges accidentels ou provoqués, dans les touches et les gestes du peintre employé à travailler en même temps sa pensée et ses émotions. Sylvain Roche y parvient en exposant non seulement son désir d’attirer l’attention sur leurs symboles visuels, mais aussi, et probablement surtout, pointer son plaisir d’artiste à l’œuvre. Les oiseaux font signe, ils sont le premier indice d’un bonheur ineffable pour le peintre.    

       L’art de Sylvain Roche est en conséquence infiniment coloré, indescriptiblement vif, démesu-rément physique et d’une poésie follement stylisée. Je le redis : les oiseaux sont là, ils sont là où là peinture devient leur environnement, là où par ses gestes, le peintre les a fusionnés avec des effets de présences informels. La peinture est là, dans l’espérance d’une matière simultanément terrienne et pétrie d’épiphanie. Elle est là où, préférant croire et assumer avec force une beauté première, le peintre se montre indifférent aux conventions formelles.

         Ce dont ces tableaux parlent, ce par quoi cette pratique s’avère puissamment réfléchie, est ce qui en elle concentre et brille d’immanence sensorielle? : « Voyez ce que je figure, ce qui m’intéresse et me mobilise ! Voyez comment je (le) peins et comment je compte bien vous le montrer, voyez comment je songe à ma peinture. ». C’est peu dire que la somptuosité des tableaux de Sylvain Roche est inversement proportionnelle à leurs minuscules surfaces. 

 

Rafour Essafi galerie Fabrique Contemporaine    

     Qu’elles soient anciennes ou oubliées, Rafour Essafi collectionne les images photographiques anonymes et on devine qu’il en possède des albums et des boîtes. Il se préoccupe de leurs fonctions mémorielles en interrogeant ce que vaut le photographique à travers la banalité populaire de leur format 10x15, leur catégorie tantôt noir et blanc ou en couleur, qu’elles montrent un sujet unique ou multiple… Il apprécie interpeller leur composition voulue ou non, focaliser le regard sur sa forme ou inciter à remarquer une scénarisation, scruter des effets visuels accidentels ou captés. Son observation des silhouettes est imparable, il les isole ou repense leurs environnements, il les redessine ou les floute : rien de ce qui les concerne comme thème ou comme rôle ne lui échappe. Souvent discrète et d’apparence restreinte1 son action d’artiste joue l’intrusion visuelle, le retournement autant que le déplacement, ou simplement l’envie d’en découdre avec le mécanisme de leur aura2 sinon jouer avec la subjectivité de son enregistrement.    

     De ces décomptes et de cet écrémage3, Rafour Essafi tire prétexte à transgresser autant les évidences plastiques ou littérales que les exacerber ou les détourner. Parfois, pris dans un vertige créatif et désirant se jouer des perspectives illusionnistes du médium, il invente des manières de déborder et superposer les flux mémoriels avec des rêves de voyages pouvant évoquer l’onirisme esthétique d’Odilon Redon ou plus symboliquement des décrochements cinématiques de Duane Michals. In fine, restent autant les jeux que les enjeux documentaires de sources avec lesquelles l’artiste entend s’amuser, « délirer » ou se laisser fasciner esthétiquement pour inverser et se réapproprier fictivement leur origine avec une âme d’enfant. Dans la galerie magiquement transformée en bibliothèque visuelle, les œuvres, aussi nombreuses que variées soufflent des passés imprévisiblement et subtilement revivifiés.

1–Jean-François Chevrier, L’action restreinte, catalogue, Musée des Beaux arts de Nantes, 2005. 2–Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. 3–Roland Barthe, Rhétorique de l‘image, 1964