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28/03/2018
Unwillinness – Réticence – ou l’histoire mystique de « Marie Madeleine ». Gabrielle Wambaugh a voulu imaginer des effigies de la Sainte par le volume peint ou/et symboliquement coloré ou dans la matière brute. Des sculptures faites d’assemblages repris par variation, l’installation scénarisée d’objets mis au sol ou disposés sur des présentoirs variés font figures d’expressions. L’artiste entend reprendre ce qui signe l’image hagiographique de la Sainte. C’est esthétique vs esthétisant, plastiquement assumé par rapport aux champs divers de l’objet peint en volume.
Tout fait cependant plus image que sculpture dans ces productions où n’existe l’espace qu’à cause de leur 3D, ces produits, plutôt, qui nulle part n’interrogent le plein et son contraire. Quand un assemblage tente d’activer une narration symbolique par une scénarisation et cherche un décollage « créatif », sa présentation marque le pas face aux contraintes du socle et oublie un sens que Marcel Duchamp lui-même a estimé inéluctable. Ainsi, que ce soit sur le sol ou sur un quelconque monticule, qu’il s’agisse d’une table ou qu’elle soit disposée au bord d’un mur, quelque chose manque qui place les œuvres et les inclut par jaillissement ou enfoncement dans leur monde plastique et les réduit à des objets seuls. En couleur ou dans leur seule matière d’origine, les œuvres réagissent par ailleurs faiblement à la dialectique allusive des trois dimensions d’une image dess(e)inée en perspective. En donnant in fine le sentiment d’hésiter constamment sur les forces paradoxales d’un socle effectif ou imaginaire ; chaque production manque son statut et se réduit in fine à un bricolage « précieux ».
24/03/2018
16/03/2018
« Il est question de sentiments autant que de corps — dans chacune de mes œuvres, il est question de mutation, de passage et de temps — l’apparition, comme reconstitution d’un tout, et ce tout devient visible… » Edi Dubien.
J’ai apprécié le travail d’autofiction à la fois réaliste et fortement symbolique d’Edi Dubien dans une exposition de groupe sur l’idée d’un travail plastique étendu sur le thème du Cadre. Une large palette de champs d’intervention lexicale, sémantique et plastique montrait une création qui sans être nouvelle n’en était pas moins finement débridée. Cette fois exclusive, l’exposition « Apparitions sentimentales » de l’artiste ne dément pas l’impression première et même la renforce. Il est question de narrations et d’évocations de soi à travers les réalités biographiques traitées par l’autofiction, autrement dit de faits autant que de suppositions et de perspectives, lesquelles dans tous les cas d’échanges avec le spectateur invite à reconnaître un engagement artistique qui ne cache pas son fond.
Scénographié en mêlant des dessins régulièrement illustratifs, des volumes hybrides et des peintures de facture classique, l’ensemble de l’exposition est d’un souffle rare, plastiquement précis et percutant dans ses allusions. Il peut s’agir d’un tableau unique, plus souvent c’est un assortiment d’images esthétiquement diverses d’origine photographique ou graphique, picturale ou littéraire. Les référents sont volontairement complexes, simultanément descriptifs au premier degré et visiblement à fonds multiples, comme des calques superposés créent du mystère et permettent de concilier les surfaces et les écrans, de faire intervenir des reflets théâtralement coupés de leurs sources. Le dessin d’un crâne tantôt mis en scène comme dans la légende de Guillaume Tell ou doublé en miroir à côté d’une figure d’enfant de même taille rappellent un vide d’enfance inoubliable ; l’emploi de l’effacement sous toutes les formes de la biffure, du retrait et du flou, du remplacement « idiot comme un assemblage surréaliste », l’illustration par le rejet métaphorique d’un vomissement reconstitue l’effroi rétrospectif d’un passé qui décidément ne passe pas. Et puis il y a les autres œuvres présentes, des sculptures et des semblants d’installations, en fait, plutôt des présentions in situ. Et ce sont encore des questionnements sur la nature, l’animalité et l’humanité qu’on suppose distincts mais que l’artiste voit « embourbés », interrogations qui par oxymores suintent d’indicibles peines. Sur les murs ou posées au sol, les œuvres renvoient à un discours identitaire entrouvert sur les aventures de ses périphéries. Il faut assumer les échos manifestement autobiographiques de ce travail sensible aux creux d’hypothèses clairement mémorielles. Il faut suivre les manières qu’a l’artiste de tisser autant ses vérités que ses songes, pour susciter rétrospectivement autant de questions que de proximités.
Avec le principe du cadre, ses formes et leurs histoires de fenêtres, d’aperçus ou de portages de l’œil, Edi Dubien se mêle d’organiser subjectivement et dans tous les sens le partage de tout. Bien que figuratifs et illustratifs, ses codes sont fondés sur des positions à la fois troubles et aventureuses de chaque travail production. Bien que transgressées, on note ainsi que les origines photographiques ou manufacturières subsistent, qu’en d’autres termes leurs présences restent agissantes. Que faire alors de la plasticité de la toile, la feuille ou de n’importe quel support ? Quel faire du trait, de la couleur et des effets visuels ? Où emmener le thème de l’autoportrait ou de l’autobiographie visuelle ? Quelles mises en œuvres peuvent convenir au milieu des toiles et des dessins sans perdre en controverse sur la nature du travail plastique ? Comment faut-il « réenvisager » la figure historique du portrait peint vs « l’autoportrait de l’artiste », sa valeur documentaire et le risque que sa transformation picturale deviennent un fardeau ?
Sur ce thème et à travers toute sa production Edi Dubien semble vouloir rétablir des rapprochements, dénouer des fils pour les reconnecter, « reinitialiser des data », son itinéraire d’artiste plaide allusivement pour une naissance récente. Impacté par un style à la fois narratif, illustratif et technique proche de celui de Françoise Petrovitch et Cloé Julien, son travail s’affirme cependant et pour des raisons assurément personnelles à contrario plus littéral, il rend dans chaque œuvre son message d’artiste plus raconté qu’imagé, esthétiquement moins innovant qu’efficace. Sa conception de la plasticité bute sur ce qu’elle dénote, un artiste qui connaît son affaire et qui la communique plastiquement avec une sensibilité humaine authentique. Les œuvres sont dès lors laissées aux flottements comme aux fléchissements simultanés du goût et la raison.
16/03/2018
On attend qu’un spectacle de Jean Luc Verna sera surprenant et provoquant. L’artiste est réputé dessinateur, peintre, musicien « imprécis » à la fois rocker, punk, techno, photographe, retoucheur d’images, performeur et danseur, artiste polymorphe et transdisciplinaire, en gros : pluriel, indifféremment metteur en scène transgressif, écrivain, icône transgenre, amateur de cabaret burlesque, de cinéma et de bandes dessinées, d’histoire de l’art, admirateur de la peinture maniériste et de sculpture anatomique etc. On peut légitimement s’attendre à des interventions artistiquement musclées, dérangeantes, déjantées, irrévérencieuses, « bouleversifiantes », résonnantes, excessives, foutraques, humoristiques, sauvages, dramatiques, poétiques, tragicomiques, symboliquement élégiaques, sensuelles et érotiques, imprévisibles, aventureuses, goguenardes, cocasses, ironiques, antiques, etc. La liste n’est pas exhaustive, l’ordre comme les reliefs des mots sont libres.
« Uccello, Uccellacci & the birds », présenté à Beaubourg ne pouvait donc que confirmer l’impression que m’a laissée son exposition réalisée au Mac Val en 2010.
Le spectacle dont la composition apparaît d’une banalité formelle et d’une pauvreté performative hallucinante est borné semble t-il, par les poncifs de la conception, uniquement narcissique de son créateur-concepteur. De sorte qu’à défaut d’être surpris par le désordre inventif et revendicatif attendu ou potentiel, ou à défaut de conserver la part d’atmosphère « cabaret érotique » du spectacle ou de retenir l’intérêt d’une scène de genre supposée ironiquement rappeler certaine peinture pompier ; de sorte qu’à défaut encore d’admirer le jeu des participants mimant plus qu’ils dansent (mal), voire qu’ils s’essaient d’incarner (par le mime) des corps sculptés antiques ou reproduire des scènes de bacchanales, on se fait chier.
07/03/2018
Située dans le 13e rue Jean Sébastien Bach, la galerie est animée par l’association bien nommée Openbach*. Le local étroit et tout en longueur semble peu propice à la présentation d’œuvres d’art actuel. Est ce pour démentir par principe cette difficulté que Cécile Hadj-Hassan et Félix Rodriguez-Sol ont ensemble fait le pari d’y présenter — avec talent — un échantillon de leurs recherches artistiques ? Le vernissage de la manifestation : Ce qu’on a sous les yeux se rend invisible, dont la durée n’est malheureusement que de quatre jours a eu lieu ce mercredi 8 mars. C’est peu dire qu’il faut y aller voir, car même si certaines œuvres sont « jeunes », le pari est dans son ensemble bien relevé.
Tous les deux travaillent sur le thème de la mémoire, espace d’errances même autant que d’impossibles voyages. Félix Rodriguez-Sol présente trois œuvres, une installation intitulée « Aux pieds d’argiles » et de grands dessins en noir et blanc intitulés « Les vies immobiles » et une œuvre « Dos » à oublier. L’installation « Aux pieds d’argiles » est constituée par la dispersion sur le sol de pieds nus (d’enfant ?) moulés dans du caoutchouc couleur chair. Légèrement usés et laissés creux dans leur peau fragile, ils sont chacun en partie remplis de chutes de papiers. Et de cette modeste expression semble resurgir un/des cheminements intimes. Difficile de réaliser une installation aussi suggestive et aussi impressionnante de poésie sur la mémoire humaine avec moyens aussi simples. C’est très beau et surprenant d’ouvertures fictionnelles.
Réalisés sur papier à partir de photographies décalquées à l’ammoniac, les dessins sourdent de mondes en apparence effacés. D’autres dessins de même format dessinés énergiquement livrent le même message de vie oubliée. Très esthétisante mais somptueusement utilisée dans les années 70 sur des voiles de nylon par Rauchenberg (Hoatfrost series), les possibilités expressives de la technique du report à l’aide de solvants ne sont pas amoindries par Félix Rodriguez-Sol qui en tire de son coté des dessins d’un graphisme de palimpseste. Maitrisant parfaitement le procédé, il parvient à donner dans ses dessins l’impression qu’ils sont des sortes de notes visuelles pour un décor de théâtre ou d’opéra imaginaire. Le grain et la finesse des images, notamment dans les manières de faire vibrer la surface des feuilles se métaphorisent presque naturellement en paraissant la peau et la chair d’une comédie humaine.
L’art de Cécile Hadj-Hassan chemine entre sculpture, installation et performance, photographie et vidéo. Pour questionner le thème de la mémoire, elle nourrit son travail de paysages et de formes réelles et imaginées, arpente librement l’histoire partielle ou marquée de souvenirs qu’on devine personnels. Alors pas de valeurs esthétiques plastiquement préétablies, quand une œuvre est présentée, c’est encore de recherche qu’il s’agit. Mais elle est artiste, et elle sait pouvoir faire dériver ses pratiques, voir les construire dans la dérive même… Alors les limites tombent : l’œuvre intitulée « Mémo » peut à la fois être une suite de montages photographiques où les sujets s’entremêlent et en même temps être sur les murs de la galerie une installation subtile, invitant à recomposer en rêve une demeure ou bâtir un mur de mémoire. Ce peut être ce film intitulé « Filer » dans lequel elle se met en scène parcourant et filant un bâton de laine blanc dans un paysage enneigé. Ce peut encore supposer une autre fiction tournée en vidéo où dans une forêt elle se filme courant dans une forêt pour tenter d’échapper à un traqueur imaginaire, et ça s’appelle « Traque »… Ce peut-être ce fil d’ariane qui, après une précédente exposition où Cécile Hadj-Hassan s’était faite remarquer par une sculpture-installation d’un intimisme magnifique et formellement paradoxal (intitulée : Grégaire). J’avais l’intuition que potentiellement, son attirance pour les fictions pouvait se clarifier dans la création cinématographique.
Je l’ai dit, toutes les œuvres présentées ne sont pas aussi abouties chez les deux artistes. Et c’est banal. Reste la créativité de deux sincérités indéniables qui boustent les pratiques dans le sens d’une autonomie de l’idée d’art et de ses suites. Reste à voir cette exposition d’abord pour ses réussites et, pour mémoire, justement, ses promesses.
* Openbach, 12 rue Jean Sébastien Bach, 75013. Métro Nationale.
06/03/2018
Pierre Mabille, peintre, dessinateur et poète compose depuis des années des tableaux répétant une silhouette simple faisant signe. Cette forme toujours initiale est composée de deux traits courbes de longueur égale, disposés en miroir pour se croiser et dessiner allusivement une silhouette d’œil en amande. A chaque nouvelle exposition, et contextuellement pour cette nouvelle présentation à la galerie Fournier, l’œil, mobile et plastique, découpe en miroir ses « paysages de la vue » en jouant avec leurs horizons colorés.
Lors d’une précédente présentation dans la même galerie, Pierre Mabille, malicieux, s’est, permis de proposer qu’on y décèle la figure historique d’une mandorle, le détail d’une plante et sa feuille, un regard de chat vs toute apparence fortuite qui par analogie ou parodie, se prête au jeu des rapprochements.
Cette fois, les tableaux toujours rectangulaires se déclinent seuls ou en réunions. Par rapprochements encore, ils induisent parfois les perspectives d’une étendue d’eau parcourue de reflets et captée sous un soleil esthétique, d’autres fois une frise décorative.
Les couleurs, teintes et nuances mobilisées, pullulent et incitent à cligner des yeux. L’artiste évoque des voyages, des rencontres artistiques amoureuses, mémorielles aussi. Il dialogue avec Claude Monet, Henri Matisse, Pierre Bonnard, les fait dialoguer dans des proximités réelles et cependant discutables entre touche directe et accords de couleurs, dialectiques entre impression fugace et construction méthodique, relevé ponctuel et architecture raisonnée, surprenante et calculée, multidirectionnelle, toujours ultra sensible à ce que la couleur peut dire. Le regard que son usage de l’œil symbolise se laisse le plus souvent guider par la lumière, laquelle est subtile par ses reflets en nuances, poétique par ses voiles rasants, lumière teintée dont on comprend avec Bonnard, justement, qu’elle peut aussi être joyeusement intérieure.
Parfois limité à un dessin ou traité comme une surface pouvant être vide ou pleine, l’œil, tantôt seul ou démultiplié à l’infini, fugace ou perplexe, assuré ou mémoriel, en même temps toujours frontal et allusivement ouvert, s’impose conceptuellement comme index. Comme un personnage fictif, l’artiste l’embarque dans des jeux de rôles, y voit un acteur peaufinant sans cesse son rôle de composition. Simultanément, conçu comme une esquisse ou une proposition de distance l’artiste le fait alors tantôt surgir à l’occasion d’une découpe surprise ou le fait agir comme une pure apparition émergée d’un changement chromatique imprévu.
Les tableaux et les dessins se suivent sans que le travail de l’artiste s’épuise, occupé qu’il est de questionner sans fausse simplicité mais opiniâtrement ce que peindre engage. Il s’efforce de présumer pour mieux concevoir, creuser pour plus approfondir, interpeller pour davantage faire dialoguer, déranger sa pratique et l’exposer à ses incertitudes. On le sent revenir sur des premiers pas, ouvrir l’œil (précisément) sur ses référents quand ils figent. Les toiles et les dessins s’accumulent, se revisitant constamment ; le peintre, on le sent, les dispute, cherche la décision qui indique que peindre reste un enjeu. Quand un succès est accidentel, reste l’œil.
Seuls ou à plusieurs, les tableaux exercent depuis les cimaises une fascination pour les jeux imprévus entre présence et absence. Fluide entre les formes vides et/ou ou pleines, le regard, réduit à sa matrice en amande, tantôt là, tantôt purement subliminal est une présence virtuelle, parfois fictive. Dessiné comme Matisse découpait dans la couleur, il est placé dans les compositions pour que ces dernières brillent d’une irrégularité ondulante. Avec chaque rectangle de toile, tout devient à la fois visible et invisible, seulement distinct par nuances. Les lignes mutent en vagues, divaguent de pleins en vides, les silhouettes flottent, cocasses et joueuses au milieu des couleurs.
« Il n’y a strictement rien » dit d’une réaction hostile un amateur d’art à Franz Kline lors du vernissage d’une exposition de Barnett Newman en 1990. En l’invitant à être sensible à la finesse des incidences de la coloration sur la perception des formes dans l’espace par Newman, la réponse pleine de lucidité et d’ironie de Kline fut cinglante. Il est dans cette perspective aussi vrai que la peinture de Pierre Mabille assume d’être en apparence facile. Rien n’empêche en effet chacune de ses compositions de paraître plate. Et pourtant, à bien des égards, l’œil indiciel et la métaphore d’un regard symbolique aidant, elles sont par ailleurs dans une relative troisième dimension. Voire une quatrième si le temps de cette perception peut (et devrait) pouvoir être reconnue au travail subtil du peintre.
Sur chaque toile seule ou dépendante, les motifs sont donc composés avec leur subjectile. Même si on s’attarde à vouloir les dissocier, faire que l’un exclut symboliquement l’autre, qu’un motif s’isole, le mélange reste et chaque solution forme une fusion originale. Aussi subtilement, avec l’usage répété au hasard des silhouettes de son module, Pierre Mabille raréfie au détour la fonction théorique de son travail. Il la rend rare du fait même de confronter les silhouettes en regard à l’inutilité légitime du décoratif. Il s’agit d’un point de vue assumé sur le pattern et l’ordre réputé guider des accords purement visuels. Me reste et résonne en moi sa fascination troublante pour certains courants fonctionnalistes du travail pictural des années 70, fascination qui, chez Pierre Mabille, dit un plaisir de peindre en profondeur avec une voix théorique à mon sens mieux critique parce justement partagée avec la spontanéité naturelle et heureuse de Pierre Bonnard.
Parlons in fine de musique, parlons jazz. L’humour et l’humanité actionnent, je le pense, cette peinture aussi très musicale. Comme dans le free jazz, ou, dans une autre mesure, avec la musique répétitive de Phillip Glass, l’accident, le hasard des déphasages créatifs, les interventions impromptues y tiennent source d’inspiration et justes accords à mesure des vagabondages ponctuels. Et tout fait forme. Et tout s’irise d’harmonies chromatiques. Et rien ne se fige. Pièce simplement musicale ou fugue, symphonie ou composition acoustique, chaque peinture raconte ses résonnances. L’œil, quelle que soit son ouverture, en amande ou de face, contemplative comme un regard méditatif, entend plus que des points de vue, il se balade en cheminant.
27/02/2018
« Wish you were here »
Des compositions fondées sur les surprises d’une matière colorée qui coule et se disperse toute seule dans un trop plein de diluant, ou dont le support de cire, en se mettant à fondre, entraine et disperse dans des courants et des torsions incontrôlables tout ce qui semblait faire forme. Les thèmes peuvent changer d’une toile à l’autre, séduire plus ici que là, éventuellement distraire ou enthousiasmer aux grés de reprises de tableaux anciens appropriés ou d’allusion à des artistes à l’onirisme polychrome, ça sent partout le « procédé à tout faire », le truc pour plaire à frais comptés. Que peut-on dire de plus d’une série de tableaux dont le fond est leur illusion ? Pourquoi pas, mais s’approprier un sujet pour un tableau ou plus sérieusement peindre peut-il se borner à ça ?
« Hors saison »
Des toiles « grands format », presque toutes carrées, de diverses harmonies de faux camaïeux répandus jusqu’aux limites des supports, comme des peintures all over ou comme des pattern. Il est dit qu’elles sont inspirées par l’impressionnisme, qu’elles en reprennent à la fois le fond et en grande partie la forme. D’autres peintures, plus petites, travaillées pareillement. Parfois, l’idée répétée d’une touche régulière de la taille d’une brosse, ou la dispersion gestuelle de traces colorées semble chercher d’autres profondeurs…
Très esthétisant, l’ensemble annone les poncifs d’un impressionnisme atmosphérique, cantonné aux effets sans concept d’une proximité avec l’œuvre et la technique de Claude Monet, limités à leurs poncifs. C’est plus joli que beau, agréable comme un tableau inintéressant.
25/02/2018
« Degas Danse Dessin » au musée d’Orsay. Exposition intéressante sur les liens entre Degas et Paul Valéry. Exceptées de très rares exceptions, les œuvres, peintures, dessins, pastels, sculptures, lettres de Degas proviennent tous des collections du musée lui-même ou d’une bibliothèque parisienne… Peu de surprise donc, sinon que Degas, d’inspiration plus que souvent très classique et très académique dessine paradoxalement de façon parfois assez approximative.
Paradoxalement, encore, parce que d’autres fois, notamment comme on le sait pour les sculptures et bien des pastels, il est d’une justesse créative inouïe.
Paradoxalement, in fine, parce que Degas photographe tout dévoué aux possibilités de nouvelles formes de point de vue, de cadrage et de composition qu’offre le médium agit toujours en contradiction avec « l’ordre académique » (quand c’est pas contre.) Et là, Degas créateur de formes est imparable.
Restent les lettres et carnets de Valéry, dont j’ignorais le gout prononcé pour l’exercice du dessin et du croquis. C’est très amateur d’esprit mais néanmoins toujours sensible et scrupuleux. On a même dans certains cas davantage le sentiment de voir dans les vitrines des carnets d’artistes émaillés de notes écrites au lieu du contraire, plus conforme avec la personnalité du philosophe.
Et cependant, malgré cette leçon théorique et sensible, je suis revenu avec une reproduction d’une œuvre de Paul Cézanne, une vue de la « Sainte Victoire » peinte vers 1890. Cette composition fondée sur l’emplacement d’un muret admoniteur, comme un bord de fenêtre, engage le regard à se jeter à corps perdu sur le visible au loin pour mesurer toutes les expressions visuelles du reste entier du tableau. Une pure merveille d’étude sur ce que peindre veut dire.
22/02/2018
Pas simple d’évoquer l’intelligence et la finesse créative qui traversent les œuvres d’une exposition. Il faudrait s’en tenir aux conseils d’aller voir, d’y voir ce que l’expression peut avoir d’imprévu quand des œuvres puisent davantage dans la recherche esthétique et l’expérimentation plastique que dans les surplus et les débordements de pâte picturale ou les codes surjoués de l’épanchement émotionnel.
Galerie Arondit, rue Quincampoix, le collectif Hic Sunt (ils sont ici), 4 artistes — Lucile Bertrand, Katrin Gattinger, Valentine Gouget et Anna Guillo — pour une exposition thématique remarquable de diversité et de curiosité plastique sur le thème des cartes et des territoires, des frontières et des arpentages, des lieux dits et non-dits, des espaces « chez moi et chez les autres », des régions et des iles perdues ou en archipels, des espaces là et la-bas… Puisant dans des pratiques qui ne se cachent pas d’être historiquement liées à l’art conceptuel, les œuvres se distinguent cependant plus volontiers comme divagations poétiques sur les liens entre mots et visions que sur les modalités idéologiques ou les codes culturels d’une culture artistique et esthétique.
Dans l’exposition qu’ils ont avec une belle dose d’humour intitulé « Anxiété cartographique », les quatre artistes ont tranquillement décidé de se jouer ainsi des évidences entre ce qui fait image mentale et image personnelle. Et déjà, les questions de d’identification et de reconnaissance expressives du lieu titillent l’attention. Les idées de surface, limites, formes et lieux sont pensées par chaque artiste en s’appropriant ici le sol, là une simple feuille A4, ailleurs un mur ou quelque part le squelette d’un objet pour décliner des perceptions et sublimer des formes quasi oniriques de la notion de géographie et de contexte plutôt qu’exposer des instantanés d’endroits. Résultent de ces voyages individuels, des compositions complexes d’assemblages subtils de matériaux faits pour ne se rencontrer que dans des voyages non préparés, des visions seulement imaginables en situation d’apesanteur, les pas légers ou l’esprit poétiquement flottant. Certaines œuvres sont carrément somptueuses, comme ce haïku sculptural, « groupes de 3 à 5 îles » dixit, juchées au bout de tiges frêles et sobrement intitulé « Archipels », comme ces 34 dessins et montages réunis sur un mur (ils forment aussi une édition limitée sous coffrage de bois), comme cette barrière couchée sur le sol (titre : « Coup de fouet ») dont le corps semblant se réveiller lentement s’engage et se mue en même temps dans un déhanchement de danseur hip hop… Il y a aussi « Les sirènes de Shangaï », une installation vidéo en quatre écrans successifs, à la fois élémentaire et spectaculaire par son contenu instable…
On l’aura compris, l’exposition est dans son ensemble à la fois d’une grande force expressive et un beau parcours sensible.