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Les privilèges irréversiblement créatifs de Chloé Julien, à la galerie La Voute

10/06/2018

« Chloé Julien expose ses collages, ou plutôt ses décollages — ses envolées plastiques serait plus juste — où le collage est juste le moyen plastique sur lequel, s’étant bien documenté, elle s’est appuyée pour produire des œuvres faites des regroupements furtifs de morceaux d’images, lesquelles sont faites de tout et de rien — au fond, plutôt des corps, images qu’elle découpe et dépare après les avoir recueillies, glanées, piochées, puisées, prélevées dans des magasines à photos et à publicités, qui “parlent de ça ou d’autres choses”, une iconographie hors limites, des vues plus vagues les unes que les autres, sur rien d’essentiel, voire rien du tout,  des images comme de juste simplement et petitement commerciales, inutilement utiles…Encore que ! Les morceaux montrent ici des chairs initiales, ailleurs des chairs corrompues ou érotiques, ils sont ça et là ironiques et goguenard dans leur silhouettes grossièrement détachées, erratiques taches colorées susceptibles de passer pour un pointillisme informel, extraits qui, une fois découpés-déchirés sont devenus sans monde, mais qui d’un coup d’imagination, opposés à la nuit se recomposent à discrétion. Ils ont supposé être des prélèvements dans des revues où ils n’importaient que du seul point de vue de vues de visages, torses, bras, jambes, portions et organes symboliques, accidentellement noir et blanc ou exhibés en « bleu-jaune-rouge-vert-etc. », de telles sortes qu’à les voir rejoués, réinvestis, enfin, ou bref si vous préférez, remis en selles et réunis sur des feuilles de diverses façons et d’aussi divers horizons irrationnellement décidés ou scénarisés au sein de micro installations, à travers divers contextes et opportunités matérielles et immatérielles dans divers tableaux petits ou grands, au sein de supposés reliquaires, bravant des thèmes inévitables comme souvent la mort et la naissance, la volupté et l’amour, collages cependant indociles dans leur suggestivité ou bavards que ni croyance ni préjugé n’arrêtent, sinon leur poésie formelle à la fois ramassée et aventureuse, expérimentale quand le support lui-même totalement transparent s’estompe ou s’élève hors sol au lieu d’être opaque, qu’il est allusif comme la vitre d’un cadre sans corniche, comme un théâtre dans une vitrine ouverte sur la rue, comme une fenêtre sans huisserie délie le réel du fictif, qu’occupés ou inoccupés toutes les possibilités d’ouvrages sont simultanément activées, que ce support, je dis bien support, converti en ciel hypothétique ou en miroir fait voir à l’improviste sous des parties collées, des instants discrets et diserts, de vie sous des envers, comme trois ou quatre vers de haïkus pointent un impromptu… »

Chloé Julien a pris soin de titrer ces œuvres qui semblent ne devoir aux images que ce que l’éveil conserve des rêves. Les compositions, tantôt concentrées tantôt évanescentes oscillent d’un même balancement entre création brute, méditation plastique et bricolage. Il y a effectivement quelque chose d’incongru dans ce travail buissonnier, impalpable et apparemment brouillon, pouvant même donner l’impression d’être involontaire. Chloé Julien livrée à l’immédiateté d’une pratique apparemment sans règle semble vivre son art comme un défi : partir de rien, être brusque devant l’existant, désassembler pour réassembler sans pudeur, être intime avec les gestes du dessin, agir de façon maline avec les ciseaux, faire danser les formes ou ce qui en découle, donner du sujet naissant. Les extractions pratiquées dans les images ont à l’évidence été soigneusement élaborées. L’improvisation vibre en même temps partout, comme si chaque morceau d’image avait été sauvé d’une corbeille bête, que l’utilisable remplaçant l’inutile et l’invention s’inspirant des faveurs du rêve, tout pouvait recouvrer de la dignité, devenir un nouveau regard. Les tableaux comme des lieux d’existence se révèlent des occasions d’arpenter en tous sens les disponibilités de leur surface physique et idéale, d’agir sans limite ou en prenant au sérieux toute focale surprenante. Comme un poète surréaliste provoque par association des idées fantasques, Chloé Julien débride dans le pictural la recherche de sens, appelle l’air et les lumières de soupiraux imaginaires. Chacun ses nuits, ses caves ou ses greniers, ses rêves et leurs raccords.

Dans chaque œuvre, le corps aussi réel que possible s’historicise, se thématise, fraye avec des perspectives bibliques ou oniriques, il guide ou flèche des lectures esthétiques et visionnaires, s’expose aux affres, transes et tourments de cheminements ou de carrefours. L’émotion par réaction batifole ou s’étoile, percute des allégories qui renvoient ou font se télescoper des idées avec des songes. D’évanescents et dispersés les amoncellements de détails deviennent condensés, mutent en points de vues, font signes. Les titres des œuvres filent des repères, qui heureusement ne suffisent pas aux compositions visuelles et leurs détachements formels.

Mais revenons aux supports et aux collages. J’ai évoqué des transparences, de l’immatériel, une irrécusable imagination et des codes visuels et artistiques transgressés, une imperturbable fantaisie technique et des thèmes poétiques, de l’insouciance et une inquiétude peut-être métaphysique, sûrement même, quant à la responsabilité de l’artiste aux prises avec le réel ou la matérialité du travail plastique. Il faut en même temps revenir au caractère premier de cette recherche qui, par de belles parentés avec des pratiques d’art brut, des techniques de montages et de collages qui peuvent paraître naïves et néophytes donne à Chloé Julien l’occasion de réinvestir régulièrement du sens dans ses compositions en mobilisant leur échelle interprétative, en reprenant allusivement pour partie les cosmos de ses aquarelles antérieures. Un exemple de ces liens est sobrement rappelé dans l’exposition. L’apparent désordre ou l’architecture volontairement brouillée de ces compositions, les fusions intuitives de leurs parties me font penser à des histoires à la Lewis Caroll, des théâtres de Tetsumi Kudo ou de Bernard Réquichot dont Roland Barthe suggérait qu’à l’aune de « beaucoup de peintres ont reproduit le corps humain, Réquichot n’a jamais peint que ce corps était toujours celui d’un autre »1 Il faut repérer dan le travail de Chloé Julien ses manières de recomposer et retrouver les corps, de les citer, squelettes et chaires enchevêtrées, emmêlés dans des tableaux mystérieusement essentiels par leurs touches juxtaposées ou énigmatiquement descriptifs à cause de leurs assemblages déroutants. Ses compositions s’abreuvant aux mêmes « forces compactes ou cenrtifuges »2, amas et dégoulinades, semblablement emportées dans des crues ou éthérées comme une scène  tachiste recourent aux mêmes artifices plastiques que celles de Géricault ou Delacroix risquant les séparations de corps entassés, les mêmes avalanches qu’une « Chute des damnés », qu’un déferlement d’apocalypse, d’agitation et de naufrage ; par intuition aussi, émerveillement pour les « terriblità michelangesques (re) contaminées par le bizarre »3, des scènes fantastiques d’Odilon Redon ou de Victor Hugo, les divagations visuelles d’Henri Michaux.

Reste dit que « Par le flou, l’informe, le spectral, la peinture s’ouvre à l’interprétation du spectateur »4. L’aléa formel des collages de Chloé Julien reprend tacitement les aléas d’un art voyageur où son travail puisait ses mystères. Cette nouvelle exposition, et le travail qu’à l’évidence d’imagination qu’elle souhaite approfondir par des contrepieds créatifs est plus qu’une persistance dans l’insatisfaction de recherche. La « tâche précède la figure »5, les compositions fragmentées présument un travail allégorique de l’essence élégiaque d’un tableau potentiel. Il faut voir dans l’exigence affutée, sinon les chemins du travail plastique apparemment élémentaire de Chloé Julien les privilèges de revendications créatives sans doute irréversibles.

    

  Alain Bouaziz, juin 2018

 

1/ Réquichot, par Roland Barthes, in catalogue raisonné, 1973

2,3,4,5/ Jean Clay, in Le romantisme, Hachette Réalité, 1980

Galerie Templon, Motherwell version « Open séries », façon questionnements en séries sur la peinture

01/06/2018

Des années qu’on n’avait eu l’occasion de voir des œuvres de Robert Motherwell, excepté dans des livres sous l’aspect de reproductions incertaines entre approximation et suggestion, excepté ça ou là un collage, plus à vendre qu’à montrer, surtout à vendre quand c’est à la Fiac, comme un chèque dont on aurait ravalé repeint fardé la tronche pour tenter mais rater une beauté artistique par nature, celle du peintre évidemment.

Et tout d’un coup, vingt toiles de la série emblématique des « Opens », vingt œuvres de dimensions diverses : murales pour certaines, de la taille d’une étude intime pour d’autres. Vingt épopées autour du thème de la fenêtre, vingt élégies renouvelées au peuple des artistes. Vingt poésies sur l’ouverture, son cadre, sa présence impliquante, sa vue allusive, sa silhouette juste contournée par un trait de pinceau, par une évocation asymétrique de son signe rectangulaire, par l’enjeu d’un mur qu’elle troue potentiellement et opportunément, par l’aplat géométrique d’un dessein et d’un fond suspendus l’un à l’autre. Vingt mondes silencieux ne demandant que du regard, de loin comme de près, du regard pausé et contemplatif, un rien supposé, un rien sidéré, en vrai totalement mobilisé par le souffle de l’artiste, entrecoupé de pensées, et calme à la fois.

Matisse : d’un clin d’œil, un moine cistercien ou zen : d’un sourire invisible, Masson ou Pollock, Picasso et un calligraphe traditionnel japonais : à travers des gestes et des couleurs d’émotion limpide… Motherwell s’active à ne rien faire qui contrarie son sujet, à ne jamais s’opposer à ce thème que par accident, il a découvert et retenu ce moment où, dans son atelier, en regardant des toiles de diverses surfaces retournées les unes contre les autres, la géométrie des châssis soustrayant aux toiles en partie masquées des tableaux inespérés, son attention pour le thème de l’ouverture et de la fenêtre a retrouvé par sérendipité le chemin d’un questionnement incessant sur le tableau.

Les couleurs et les formes se renvoient, se complètent ou s’opposent avec l’exercice du format. Les œuvres sont des murs qu’on peut voir éloignés autant que circonscrits, faisant face et occupant tout l’espace environnant ou mobilisant un microcosme. Le dessin des fenêtres se borne à leur esquisse, parfois les suggère d’un aplat teinté dont on ne sait que dire, comme une ombre ou un reflet sont des distractions furtives, comme une absence ou un feu follet anticipent la découpe d’une absence, chaque fenêtre retrouvée file une architecture pariétale ou une empreinte première, pour le spectateur : pas une œuvre n’est moins qu’une découverte, chaque tableau est plus qu’un monde inaperçu.

Enfin je vois en vrai des tableaux de cette série qui pour moi devenait mythique, où dès la première reproduction et quelle que fût sa qualité d’image imprimée, dans les mots par défaut du peintre lui-même, je voyais le pictural entretenu par sa recherche opiniâtre, de conséquence en conséquence insatisfaisant, totalement lié à son principe de libre « inabordabilité » par l’anecdote, le sujet illustré, la VLP*… Enfin, libres d’impudences, audacieuses dans leur témérité, je vois quelques-unes de ces hardiesses sensibles.

 

* VLP : « vive la peinture »… 

Truphémus, « rétrospective » chez Claude Bernard, le temps d’Art Paris

12/04/2018

Les pans d’architectures d’un lieu, le mur de la toile et ses surfaces peintes, ou les écrans, loin de faire obstacle à la vue induisent son fond d'image picturale. Truphémus sans discontinuer semble questionner l’objet de son tableau, le lieu supposé de son travail, qui est sa pensée même. Parallèlement, le regard s’ouvre, se découvre ouvrant, hésite et imagine, indivise l’image. Paradoxalement.

Sandrine Elberg et les poussières d’étoiles, galerie du Crous

09/04/2018

Dès l’entrée de la galerie, une série de photographies représentant des galaxies indique le thème de l’exposition : « poussières d’étoiles ». Fonds noirs, impression sur plaques d’aluminium, formats proches d’un carnet de croquis, teintes blanches et métalliques des sujets sur le fond opaque, contours évanescents pour des dispersions de nuages étoilés ; chaque image suggère au spectateur un voyage intérieur et céleste à la fois. Partout ailleurs dans la galerie, la même promesse de décollage produit les mêmes effets de transports oniriques, les murs de la galerie devenue capsule spatiale font place à des hublots à travers lesquels les œuvres, comme des météorites, croisent des planètes imaginaires dans le noir de nuits métaphoriques.

Piquée de curiosité pour son thème de recherche, Sandrine Elberg rejoue l’image de l’information documentaire par une scénarisation qui emprunte ses décors au monde scientifique autant qu’à celui d’apprentis explorateurs. Chaque image, deux fois réinterprétée et son rendu élargi jusqu’à paraître dessiné, entraîne les visiteurs dans des dérives aussi paradoxales que poétiques. Ce ne sont alors plus des photographies qui sont exposées mais des compositions plastiques dont tous les éléments  réalistes ou recréés maillent ensemble. Le grain des étoiles et l’instant de la prise de vue étroitement associés font place au microcosme d’un champ de poussières et aux touches répétées d’une œuvre pointilliste ; les vues s’inversent en passant du négatif au positif, l’intercession visuelle de la teinte aluminium des fonds rend chaque image aussi naturelle que décalée. En même temps, un quadrilogue virtuel semble subtilement s’instaurer à propos du photographique ; Sandrine Elberg échangerait avec Walter Benjamin, Rosalind Krauss et Roland Barthes1 en partant de ce qui fait sémantiquement signe ou ce qui a esthétiquement valeur d’index… Voyages interstellaires, intergalactiques, cosmogoniques, spatiaux ou simplement extraterrestres, voire extrasensoriels, on ne sait alors à partir de quels échos l’artiste construit ses rêves d’échappées. Peut être tous ? Faut-il absolument le savoir ? A t-elle voulu que l’espace de la galerie devienne simultanément un observatoire et une demeure-livre de voyages en exposant à la fois des œuvres photographiques, des dessins extravagants de spationautes et des matériels d’astrophysique ?

Certaines œuvres semblent aussi être ironiquement encadrées comme des portraits tandis que d’autres sont apparentées à un inventaire scientifique. Situé au fond de la galerie, un gigantesque photogramme évoque une vaste fresque pariétale illustrant un ciel imaginaire où par multitudes des planètes et des étoiles de toutes dimensions émergent et flottent. Fonds noirs, reflets métalliques d’une lumière parfois crue, silhouettes allusives, les photographies plus inventées que reproduites de Sandrine Elberg font interférer le réel avec un théâtre démesurément intérieur. Chaque œuvre participe d’une vision parfois plus métaphysique que naturelle. En un instant, juste au moment du clic de la prise de vue, au rappel de « l’imparfait de l’objectif »2, les poussières d’étoiles s’agrègent et se dispersent pour redevenir la nuit étoilée de Van Gogh, un rêve de Munch, un décollage et une fantaisie de Man Ray, une transfiguration d’André Masson, un théâtre apocalyptique de Professeur Tournesol. En permanence, Sandrine Elberg entreprend avec humour et poésie de partager la découverte de ses paysages cosmogoniques.

 

1/ Walter Benjamin, L’aura photograhique in L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique ; Rolalind Krauss, Notes sur l’index ; Roland Barthes, La chambre claire. 2/ Robert Doisneau, L’imparfait de l’objectif. 

Tour des galeries rue Chapon et ailleurs

01/04/2018

Galerie Takonoma, un ensemble narratif et intimiste, artistiquement un peu désuet et plus maniéré que plastiquement réfléchi, mais agréable. Plutôt beau même quand les effets de compositions souvent faciles tombent et qu’avec seulement trois images d’une maison isolée plantée dans un paysage aux accents métaphysiques évoquent silencieusement Hopper ou Hammershoi. L’artiste peint alors avec force une somme uniquement picturale. Et ça décolle.

Juste plus loin, Galerie ALB, de la technique et surtout un système d’expression visuelle fermé malgré son sujet : bug sur des jeux électroniques. C’est sans imagination critique, sans créativité formelle et fade.

Quelques pas ensuite, en traversant, Galerie Virginie Louvet, « Spendor Solis » par Anne Gaiss. Des images pouvant faire songer à des tapis végétaux ou des amas d’ailes dans une manière d’artisanat d’excellence. C’est joli et pas surprenant de créa. Camille Pissarro détestait le joli, lui préférant confusément le beau. Quelque soient les échos esthétiques qu’il pouvait entendre du terme, il songeait dans tous les cas à de l’incarnation et de la profondeur. Et là, c’est très mince.

Galerie Papillon, « Elsa Sahal des origines à nos jours ». Une installation et un environnement polychrome composé de turgescences « cacturesques » en céramique. Les pousses joyeusement érotiques et aussi imaginaires que drôlement documentées décrivent une nature élégiaque dans un jardin d’éden. « En accord » avec l’artiste, le commissaire de l’expo a conçu leur installation au milieu d’une étendue noire pouvant évoquer une sorte de nuit liquide. Est-ce pour les accompagner  d’un songe sous-marin ? S’agit-il d’une libre inspiration à partir d’une peinture d’Odilon Redon ou d’un livre qu’aurait conçu sans l’écrire Lewis Caroll ? Bien qu’apparemment destinée à rassembler symboliquement les œuvres, la scénarisation à mon sens excessive n’empêche pas les œuvres d’être joyeusement un art bien débridé.

Galerie Antony Roth, un street artiste se prend pour un peintre sur toile et ne fait rien. Il y a moins superficiel, plus sérieux et autrement créatif avec un artiste lui aussi issu du « street », mais engagé et critique comme Guillaume Mathivet, par exemple. Je crois définitivement qu’on ne fait pas de la peinture, on fait de la recherche en peinture.

Galerie Gaillard, Daniel Pommereulle. Son travail rarement montré ; et soudain, une belle réunion de dessins libres et de dessins de projets, de collages et de montages, de sculptures et d’assemblages… En imbriquant à la fois toutes les pratiques suggestives du surréalisme de Breton, du minimalisme personnel de Giacometti ou de la dérive situ et des techniques que plus tard, certains artistes déclineront à travers l’Arte Povera, les pratiques du montage qu’apprécie Pommereulle vont, viennent ou fusionnent au point que la moindre production est poétiquement déjà une œuvre. L’expo rappelle la profondeur intérieure de survols artistiques où l’artiste ouvrant constamment son regard découvre autant d’architectures que de paysages à humaniser. C’est d’une densité aussi belle qu’impressionnante de sobriété.

Pierre Molinier, même endroit. Corporel, burlesque, provoquant parfois, suggestif : régulièrement, irrespectueux : toujours, surtout libre et aussi finement élaboré que détaché techniquement. On aime ou on est gêné. Sérieusement, c’est très beau.

Plus loin, rue du perche, « L’astrophile » par Laurent Millet à la Galerie particulière. C’est poétique/suggestif et en ce sens plutôt littéraire que visuel, très esthétisant mais plus fabriqué que créatif en somme. Pas surprenant non plus comme production. Peu dérangeant.

Galerie Richard,  « Densité » par Laurence Papouin. Peintures ? Sculptures ? Objets plastiques indéterminés ? Paysages ou suggestions d’architectures en écho avec les audaces de Frank Gerry ? L’artiste semble vouloir défier l’objet physique du tableau en le soumettant aux gestes ou aux mouvements qui l’engagent. On se rappelle certaines pratiques par ailleurs largement labourées d’artistes de Support-Surface, notamment quand les titres ne font qu’énoncer le travail effectué. La liberté créative, le détachement poétique et souvent humoristique de l’artiste au service de ses œuvres marquent le pas quand les titres affadissent les élans qui les ont inspirés. Toujours se souvenir des façons dont Magritte trouvait les titres de ses tableaux.

Galerie Planète Rouge, « Matière noire, partitions étendues » rue Duvivier à Paris 7e. Meryll Ampe, Magalie Sanheira, Matthieu Crimersmois, Anne Flore Cabanis, Frédéric Mattevet, Célio Paillard, 6 artistes sonores et plastiques au service d’œuvres et de créations prioritairement expérimentales exposent leurs productions simultanément dessinées et musicales ou vidéo. Oscillant entre partitions graphiques et partitions sonores improvisées, les démarches pointent des recherches chaque fois magmatiques. Inversement, quand des dessins ne sont pas directement associés à un écho sonore, ils éveillent visuellement des notes d’écoutes. De sorte qu’en accueillant un art d’aventures ou in process, la galerie se teinte en miroir d’une vivacité rapprochée des artistes exposés. Avec cette exposition et malgré son écart géographique du circuit parisien conventionnel des galeries d’art contemporain, la galerie créée et animée par un couple de jeunes graphistes risque avec succès une image d’innovation devenue rare.1

1/ La galerie La Voute (Paris 12e) compte parmi les lieux prenant des risques semblables.

Unwillinness – Réticence – par Gabrielle Wambaugh

28/03/2018

Unwillinness – Réticence – ou l’histoire mystique de « Marie Madeleine ». Gabrielle Wambaugh a voulu imaginer des effigies de la Sainte par le volume peint ou/et symboliquement coloré ou dans la matière brute. Des sculptures faites d’assemblages repris par variation, l’installation scénarisée d’objets mis au sol ou disposés sur des présentoirs variés font figures d’expressions. L’artiste entend reprendre ce qui signe l’image hagiographique de la Sainte. C’est esthétique vs esthétisant, plastiquement assumé par rapport aux champs divers de l’objet peint en volume.

Tout fait cependant plus image que sculpture dans ces productions où n’existe l’espace qu’à cause de leur 3D, ces produits, plutôt, qui nulle part n’interrogent le plein et son contraire. Quand un assemblage tente d’activer une narration symbolique par une scénarisation et cherche un décollage « créatif », sa présentation marque le pas face aux contraintes du socle et oublie un sens que Marcel Duchamp lui-même a estimé inéluctable. Ainsi, que ce soit sur le sol ou sur un quelconque monticule, qu’il s’agisse d’une table ou qu’elle soit disposée au bord d’un mur, quelque chose manque qui place les œuvres et les inclut par jaillissement ou enfoncement dans leur monde plastique et les réduit à des objets seuls. En couleur ou dans leur seule matière d’origine, les œuvres réagissent par ailleurs faiblement à la dialectique allusive des trois dimensions d’une image dess(e)inée en perspective. En donnant in fine le sentiment d’hésiter constamment sur les forces paradoxales d’un socle effectif ou imaginaire ; chaque production manque son statut et se réduit in fine à un bricolage « précieux ».

Drawing Now 2018… Maciej Haufa, galerie RCM. Tout de même !

24/03/2018

« Drawing Now 2018 » Impression générale que pour chaque galeriste, collectionner procède de l’édification d’un cabinet de curiosité personnel ; le dessin précieux comme un ouvrage décoratif et théâtral. Peu d’artistes de l’année précédente, du "sang" neuf, que neuf même, inconnu comme le « cheptel » nouveau au casting d’un radio crochet. Difficile de ne pas y voir une volonté de regarnir les linéaires d'un supermarché de quartier… Drawing Now ressemble à une épicerie aux apparences bio et dont l'emballage sert de garantie créative. L’audace et la recherche sont partout loin d’être au rendez vous, quand bien même une section « Galeries vs Process » a pour tache de le faire croire. Rien d’expérimental donc, ou si peu, surtout du déjà vu, mâché et pré-mâché, prématurément affadie par la banalité d'approches seulement "technicistes", parfois prématurément calcifiée.

Une surprise et une découverte de taille tout de même Galerie RCM. La série d’œuvres stupéfiantes de beauté d’un artiste méconnu Maciej Haufa. Fasciné par l’œuvre de Malevitch, l’artiste dérive à partir du concept du carré sur fond noir ou blanc pour le requestionner dans tous les sens théorique, formel et visuel, iconologique, décoratif et personnel.

Tout paraît simple, mais tout est subjuguant de sobriété et de complexité. L’artiste a découpé des sortes de passe-partout de forme carrée dans des supports de taille, d’épaisseur et d’aspect décoratif divers. Pn reconnait des intérieurs nabis, des collages pop, des effets de graffitis et de murs délabrés, aucun fond n'est indifférent. Chaque proposition de fenêtre découpée forme chaque fois le creux d'un sens à partir duquel l’artiste fait signe qu'il s'en préoccupe à la fois comme thème et comme symbole du regard, du travail plastique et naturellement de l’œuvre comme objet. Maciej Haufa mêle ou emmêle donc les codes visuels sur les fenêtres et le « mur », dégagent des principes de compositions allusives dans toutes les directions sensibles, formelles, décoratives, humoristiques, symboliques. Il y ajoute au passage avec humour des clins d’œil rétrospectifs à Matisse, Vuillard ou Bonnard, la peinture abstraite ou les collages dada…

Malévitch désidéologisé, artistiquement retourné vers son plaisir intérieur de peindre sans œillère des œuvres par ailleurs questionnantes… C’est malin et sagace, piquant d'ironie, déjanté et irrespectueux à souhait, d’une intimité directe, d’une culture personnelle et d’une créativité artistique admirables. C'est, en bref, d'une beauté renversante.

« Apparitions sentimentales » par Edi Dubien, Galerie Dutharc. Quelle histoire !?

16/03/2018

« Il est question de sentiments autant que de corps — dans chacune de mes œuvres, il est question de mutation, de passage et de temps — l’apparition, comme reconstitution d’un tout, et ce tout devient visible… » Edi Dubien.

J’ai apprécié le travail d’autofiction à la fois réaliste et fortement symbolique d’Edi Dubien dans une exposition de groupe sur l’idée d’un travail plastique étendu sur le thème du Cadre. Une large palette de champs d’intervention lexicale, sémantique et plastique montrait une création qui sans être nouvelle n’en était pas moins finement débridée. Cette fois exclusive, l’exposition « Apparitions sentimentales » de l’artiste ne dément pas l’impression première et même la renforce. Il est question de narrations et d’évocations de soi à travers les réalités biographiques traitées par l’autofiction, autrement dit de faits autant que de suppositions et de perspectives, lesquelles dans tous les cas d’échanges avec le spectateur invite à reconnaître un engagement artistique qui ne cache pas son fond.

Scénographié en mêlant des dessins régulièrement illustratifs,  des volumes hybrides et des peintures de facture classique, l’ensemble de l’exposition est d’un souffle rare, plastiquement précis et percutant dans ses allusions. Il peut s’agir d’un tableau unique, plus souvent c’est un assortiment d’images esthétiquement diverses d’origine photographique ou graphique, picturale ou littéraire. Les référents sont volontairement complexes, simultanément descriptifs au premier degré et visiblement à fonds multiples, comme des calques superposés créent du mystère et permettent de concilier les surfaces et les écrans, de faire intervenir des reflets théâtralement coupés de leurs sources. Le dessin d’un crâne tantôt mis en scène comme dans la légende de Guillaume Tell ou doublé en miroir à côté d’une figure d’enfant de même taille rappellent un vide d’enfance inoubliable ; l’emploi de l’effacement sous toutes les formes de la biffure, du retrait et du flou, du remplacement « idiot comme un assemblage surréaliste », l’illustration par le rejet métaphorique d’un vomissement reconstitue l’effroi rétrospectif d’un passé qui décidément ne passe pas. Et puis il y a les autres œuvres présentes, des sculptures et des semblants d’installations, en fait, plutôt des présentions in situ. Et ce sont encore des questionnements sur la nature, l’animalité et l’humanité qu’on suppose distincts mais que l’artiste voit « embourbés », interrogations qui par oxymores suintent d’indicibles peines. Sur les murs ou posées au sol, les œuvres renvoient à un discours identitaire entrouvert sur les aventures de ses périphéries. Il faut assumer les échos manifestement autobiographiques de ce travail sensible aux creux d’hypothèses clairement mémorielles. Il faut suivre les manières qu’a l’artiste de tisser autant ses vérités que ses songes, pour susciter rétrospectivement autant de questions que de proximités.

Avec le principe du cadre, ses formes et leurs histoires de fenêtres, d’aperçus ou de portages de l’œil, Edi Dubien se mêle d’organiser subjectivement et dans tous les sens le partage de tout. Bien que figuratifs et illustratifs, ses codes sont fondés sur des positions à la fois troubles et aventureuses de chaque travail production. Bien que transgressées, on note ainsi que les origines photographiques ou manufacturières subsistent, qu’en d’autres termes leurs présences restent agissantes. Que faire alors de la plasticité de la toile, la feuille ou de n’importe quel support ? Quel faire du trait, de la couleur et des effets visuels ? Où emmener le thème de l’autoportrait ou de l’autobiographie visuelle ? Quelles mises en œuvres peuvent convenir au milieu des toiles et des dessins sans perdre en controverse sur la nature du travail plastique ? Comment faut-il « réenvisager » la figure historique du portrait peint vs « l’autoportrait de l’artiste », sa valeur documentaire et le risque que sa transformation picturale deviennent un fardeau ?

Sur ce thème et à travers toute sa production Edi Dubien semble vouloir rétablir des rapprochements, dénouer des fils pour les reconnecter, « reinitialiser des data », son itinéraire d’artiste plaide allusivement pour une naissance récente. Impacté par un style à la fois narratif, illustratif et technique proche de celui de Françoise Petrovitch et Cloé Julien, son travail s’affirme cependant et pour des raisons assurément personnelles à contrario plus littéral, il rend dans chaque œuvre son message d’artiste plus raconté qu’imagé, esthétiquement moins innovant qu’efficace. Sa  conception de la plasticité bute sur ce qu’elle dénote, un artiste qui connaît son affaire et qui la communique plastiquement avec une sensibilité humaine authentique. Les œuvres sont dès lors laissées aux flottements comme aux fléchissements simultanés du goût et la raison.

« Uccello, Uccellacci & the birds » conçu, mis en scène et en partie interprété par Jean Luc Verna

16/03/2018

On attend qu’un spectacle de Jean Luc Verna sera surprenant et provoquant. L’artiste est réputé dessinateur, peintre, musicien « imprécis » à la fois rocker, punk, techno, photographe, retoucheur d’images, performeur et danseur, artiste polymorphe et transdisciplinaire, ­ en gros : pluriel, indifféremment metteur en scène transgressif, écrivain, icône transgenre, amateur de cabaret burlesque, de cinéma et de bandes dessinées, d’histoire de l’art, admirateur de la peinture maniériste et de sculpture anatomique etc. On peut légitimement s’attendre à des interventions artistiquement musclées, dérangeantes, déjantées, irrévérencieuses, « bouleversifiantes », résonnantes, excessives, foutraques, humoristiques, sauvages, dramatiques, poétiques, tragicomiques, symboliquement élégiaques, sensuelles et érotiques, imprévisibles, aventureuses, goguenardes, cocasses, ironiques, antiques, etc. La liste n’est pas exhaustive, l’ordre comme les reliefs des mots sont libres.

« Uccello, Uccellacci & the birds », présenté à Beaubourg ne pouvait donc que confirmer l’impression que m’a laissée son exposition réalisée au Mac Val en 2010.

Le spectacle dont la composition apparaît d’une banalité formelle et d’une pauvreté performative hallucinante est borné semble t-il, par les poncifs de la conception, uniquement narcissique de son créateur-concepteur. De sorte qu’à défaut d’être surpris par le désordre inventif et revendicatif attendu ou potentiel, ou à défaut de conserver la part d’atmosphère « cabaret érotique » du spectacle ou de retenir l’intérêt d’une scène de genre supposée ironiquement rappeler certaine peinture pompier ; de sorte qu’à défaut encore d’admirer le jeu des participants mimant plus qu’ils dansent (mal), voire qu’ils s’essaient d’incarner (par le mime) des corps sculptés antiques ou reproduire des scènes de bacchanales, on se fait chier.