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D’autres expositions diverses…

23/04/2022

Haim Steinbach chez Laurent Godin    

      « Who’s there ? » L’exposition se compose pour l’essentiel de citations et d’inscriptions en anglo-américain inscrites en noir et blanc sur les murs. Les typographies sont chaque fois de taille et de styles différents, l’œil des lettres est net, sans aucun effet de matière, et parfaitement contrasté sur leur fond blanc. Détail d’importance, chaque texte est « « placé »  à une hauteur et à un endroit particulier sur son support.    

      Dans une autre partie de la galerie, des étagères exagérément détachées du mur contre lequel elles sont posées regroupent des objets divers reliés entre eux par des connivences d’origines, d’aspects visuels et stylistiques ou d’apparents calembours. Là encore, un détail attire l’attention : on remarque que chaque étagère semble drainer avec elle un passé significatif de sculpture peinte et de bas relief narratif.    

       Le travail de Steinbach est conceptuel sur la forme comme sur le fond. Fortement imprégné de cultures littéraire, populaire et plastique, il faut y accorder une attention à la fois pragmatique et abstraite pour être sensible à sa manière de jouer sur les perspectives du référent. C’est heureusement aussi un travail de scénarisation habile et d’installation teintée d’humour à compter desquels l’artiste redescendant sur terre en profite pour naviguer entre évidences et décalages, suggestions et « entendements narquois ». Ses façons d’articuler les vues générales et les détails saillants dans ses œuvres sont subtils.    

        Reste la forme d’opacité et d’adhésion à un art et un système tous deux plastiquement et dont l’origine Duchampienne marque le pas sur la recherche en composition du renouvellement scénaristique et esthétique. S’il permet quelques discernements en fournissant à la fois un mode d’appréciation de la démarche et de la « beauté » des œuvres de Steinbach, le texte qui accompagne l’exposition arrive difficilement à dépasser l’explication scolaire sur les richesses de base du matériel typographique. Partant, le travail ambitieusement poétique sur les citations égale laborieusement l’exercice d’art appliqué. 

 

Christian Babou chez Galerie T&L vs Galerie Patricia Dorfmann    

        Après une mini rétrospective consacrée à la peinture d’Yvan Messac, la galerie a choisi cette fois de rendre un hommage à l’œuvre de Christian Babou. Les angles principaux de recherches de l’artiste sont symboliquement représentés par des œuvres précises. Sans remettre en cause la finesse des vues de Gérald Gassiot-Talabot sur certains questionnements esthétiques majeurs du peintre, force est de constater que le style apparaît aujourd’hui davantage comme une méthode et un système plutôt qu’une mise en perspective du travail d’instauration de l’œuvre en train. A la faveur du recul historique, je note que Babou a constamment cherché à jouer avec un style « simplifié » de rendu pictural plutôt que travailler à une recherche synthétique d’expression. Sa façon d’engager à la fois une vue d’architecture partielle et son image rapprochée au moyen d’un détail exclusif a favorisé des apparences peintes à partir de focales devenues imaginaires.

 

Claire Trotignon, expo. éphémère 24 rue Beaubourg    

      Le paysage, son image générale et ses spectacles, mais aussi ses vues partielles ou sa revue émiettée par les mouvements du regard, ou plus encore, ses sites topologiques… Claire Trotignon prétexte l’idée du paysage pour inventer un dessin descriptif ou fictif : elle tente alors des installations suggestives à travers des reconstructions teintées d’histoire. Ses procédés illustratifs  stimulent des montages sculpturaux autant que purement visuels : sur un mur, des armatures couleur cuivre s’organisent en haut-relief autour des lignes d’un paysage supposé montagneux et servent de support à un papier bleu faisant office de ciel. Des bris de plâtre apparemment prélevés de « ruines » et partiellement teintés de bleu outremer supposent d’autres contrées sous un ciel de midi… Selon les projets, sa palette d’expressions traverse l’idée d’un dessin sobrement exécuté sur feuille. Claire Trotignon présume de multiples façons de passer du plan unique à la mise en espace. Ses œuvres naviguent entre les paraphrases visuelles et les périphrases plasticiennes dans des productions toujours efficaces esthétiquement.

 

Sophie Kitching chez Isabelle Gounod    

        L’expo présente une nouvelle série de peintures sur toiles sur le thème des feuillages et des plantes, intitulée « The English garden ». Les œuvres s’inspirent de la variété, la densité et la diversité formelle des végétaux. L’artiste puise aussi dans l’impression qu’en même temps tout s’ordonne et s’éparpille en massifs ou en tapis. La forme est celle de la pochade, du geste spontané autant inspiré de l’ébauche vivement colorée que du croquis peint expressif. Des propositions de sculptures sur le même thème sont également exposées.     

      L’hypothèse plastique éveillée par les supports en polycarbonate à la fois translucide, partiellement immatériel ou évanescent de la première exposition semble s’être délitée pour un retour acritique vers une conception conventionnelle de la toile opaque. De sorte que la proposition créée par l’immatérialité créative initiale et évanescente du subjectile s’est évaporée pour un retour au plan opaque du tableau conventionnel. En imaginant son « nouvel » espace de travail visuel comparable à celui d’un espace esthétiquement flottant et un champ aussi ouvert et sans limite, Sophie Kitching présume son geste aussi prodigue à produire des réalités imaginatives. Reste que peintes avec les mêmes gestes que ceux de la pochade, ses nouvelles œuvres ne sauraient s’apparenter ou équivaloir à la même suggestivité. Les efforts de conception instauratrice que proposent la frontalité du plan opaque et le plan translucide et « évanescent » ne se valent pas et, quand bien même tout doit rester interrogeable pour que la recherche esthétique ne soit jamais abandonnée, le manque de rebond de sa technique et ses œuvres exposées instillent une impression de perte créative.

 

Céline Cleron chez galerie Papillon    

          Sculptrice ou créatrice d’installations plastiques ou de pièces environnementales, les questions que Céline Cléron pose à l’œuvre en volume entremêlent avec talent des réponses aussi malignes qu’impactante et humoristiques. Ses rapports au plan quelle que soit son apparence murale, du sol ou de celle d’un socle, sa conception du vide et du plein qu’il soient réel ou transmis par de la transparence ou une masse opaque, en somme ses affinités avec l’objet et sa matérialité et sa place sont intéressants et efficaces. Reste pour l’ensemble une aura de déjà vu, et même une impression de déjà imaginé, et faits quelque peu troublants (dont le mérite pourrait revenir au Catalogue des objets introuvables (Jacques Carelman). Dans la galerie, les œuvres, toutes impeccablement réalisées, sont plus réjouissantes que surprenantes.

 

Aurélie Dubois, rue Française    

       L’art d’Aurélie Dubois est autobiographique. L’art d’Aurélie Dubois est multiforme dans son expression visuelle. L’art d’Aurélie Dubois n’a d’autre source d’inspiration que son existence personnelle. Elle pratique le dessin, la peinture, le collage et l’assemblage, l’installation et la vidéo, la performance, la sculpture et, bien entendu, l’écriture. Les sujets qui lui importent comme ses thèmes d’expression puisent dans l’auto-portrait, l’érotisme et le genre, la filiation et la mémoire, le spécisme et l’anti-spécisme… Son art « naturellement original » — illustratif et plus souvent littéral que plastique — chemine entre les images narratives et symboliques ou « tressées » de syncrétisme subjectif. Partant, l’artiste autoproclamée «…de Garde » et guidée par Son ressenti veille aux moindres détails à Son interprétation extérieure. De sorte que, sous couvert d’approfondir ou d’élargir l’instauration critique de son travail d’illustration, elle oblige à décrypter l’égotisme foncier de ses productions. 

 

Paul Armand Gette chez Yvon Lambert    

        L’exposition sert de prétexte à une nouvelle œuvre éditoriale illustrée dont le titre est « Danger ». Comme à son habitude, P. A. Gette  l’a conçue autour de courts récits photographiques aussi brefs que des haïkus. Comme toujours encore, P. A. Gette parle d’art et de culture (la sienne est remarquable), de liberté, d’intimité et de rencontres avec la féminité. Il faut évidemment lire le texte guère plus long qu’une note qui les accompagne en miroir dans le livre. Dans l’attente, chaque « micro-film » et chaque image exposée évoquent esthétiquement avec malice son contenu poétique sur les murs. Rien de moins !    

      Une autre œuvre vidéo intitulée « Paul Armand Gette au pays des merveilles » est proposée en exergue dans la galerie. On y peut voir et entendre P. A. Gette rembobiner le film de son art et parler de ses rencontres en « voyeur autorisé ».* Rien de plus !    

       Et quelle belle exposition ! Et quelle jolie publication !

 

* Bernard Marcadé, in Art Press n°99, janvier 1986.  ** Editions Yvon Lambert 2022

Diverses galeries, divers arts, diverses expositions, diverses expressions plastiques…

17/04/2022

Ivan Messac, Pop Politique galerie T@L vs Galerie Patricia Dorfmann

      Petite rétrospective de la production d’un artiste âgé de 20 ans, engagé à gauche en 68, bouillonnant de créativité et de vie. On revoit en partie les peintures de l’époque de Fromanger,  Rancillac, l’importance du courant de la Figuration Narrative : la reconnaissance et l’égalité des droits de chacun et de tous, les revendications internationalistes et libertaires, l’enthousiasme de la participation à l’histoire au présent… L’art et la société ont rarement fait aussi bon ménage pour évoquer le mode d’insertion politique des artistes dans la société. Comme bien d’autres dont la sincérité ne saurait être mise en cause, Ivan Messac ne manquait pas de générosité sur ses choix et son humanisme, quitte à risquer parfois aussi l’aveuglement historique. Cinquante ans de distance n’ont pas entamés la joie visible et dynamique de cette peinture.    

     Le style hyper graphique tout en silhouette et « pochoir » des personnages peints, la manière habile de jouer sur les rapports entre fond et forme, les couleurs vives passées en aplat, une littéralité des sujets à fleur de tableau fonctionnent à merveille avec une esthétique « poster » assumée. Bien que datés, le style et les œuvres parlent d’images modernes, d’engagement moderne et de générosité que Sheppard Fairay ne rejetterait pas. Un bonheur d’implication artistique encore jeune.

 

Yousef Nabil galerie Obadia Beaubourg    

    Des montages photographiques sur le thème de l’autoportrait, impressionnants d’absence d’originalité technique, de banalité plastique et d’esthétique laborieuse. D’abord attiré par une forme de pictorialisme photographique sous-jacente des images, on ressent vite un malaise devant la minceur artistique des « œuvres ».

 

Gloria Friedman chez Ceysson et Bénétière    

       L’exposition groupe des sculptures et des dessins sur le thème du vivant « avant l’après » (dixit l’artiste). Dans l’expo, « l’humain est présent sous des formes fantasmées… je pense que si nous acceptons d’être un animal comme les autres, on voit les choses autrement » (ibid l’artiste). Sauf à accorder aux formes et à l’expression une valeur de naïveté inédite, on peut aussi remarquer qu’esthétiquement, l’ensemble n’est pas seulement d’un inintérêt technique et plastique olympique, il est moche aussi.

 

Michael Ray-Charles chez Templon rue du Grenier Saint-Lazare    

    D’imposantes peintures figuratives réalisées comme une mosaïque de sources multiples, de palimpsestes de styles inspirés par le spectacle de music hall ou des compositions théâtralisées de personnages et d’objets dans une trajectoire qui évoque la production photographique de Man ray. Un autre intérêt des tableaux tient à leurs thèmes sur la question afro-américaine dans l’histoire de la culture populaire américaine. Habilement traversée par cette histoire tragique mais aussi formidablement réactive, chaque œuvre décline avec ironie et goguenardise les combats et discriminations de l’identité noire dans une esthétique de lumière et d’ombre de cabaret. Reste le travail parallèle de la peinture et l’inspiration des images interprétées en noir et blanc dans un esprit allusivement photographique. Autant l’engagement ironique et culturel des compositions retient l’attention, autant, pour l’expérience plastique, le manque de distance artistique et la faible épaisseur technique et imaginative de Michael Ray-Charles apparaissent insignifiants. La matière proprement visuelle des peintures, et sous cette réserve, le contenu des tableaux, est à ce point inintéressante qu’on se dit qu’une réflexion appropriée sur le photographique et un rendu techniquement à la hauteur auraient mieux démontré des perspectives de créations iconiques à la fois documentées artistiquement, disruptives sur la forme et critiques sur l’imagerie.

        L’exposition présente aussi des sculptures de l’artiste. A oublier !

 

Charlotte Salvaneix chez Mariska Hammoudi    

     La somptuosité des coloris, le travail ajusté du dessin et l’expression des matières frappent d’emblée le regard. Puis il y a le double thème : « Penelope Lying » (le mensonge de Pénélope) teinté d’épopée et de développement allégorique avec la traduction « Femmes à leur ouvrage ». Les clins d’œil à des œuvres et des artistes sont constants, depuis les maîtres flamands du XVe siècle jusqu'à quelque peintre symboliste du XIXe, faisant revivre des œuvres inoubliables ou des styles d’images et d’atmosphères.    

    Tout à son travail, Charlotte Salvaneix mobilise parallèlement dans ses compositions des techniques d’arts appliqués à la fabrication des fonds marbrés (en général dans le domaine de la reliure d’art). Ce travail à l’origine purement décoratif intervient dans les tableaux en sériant l’ordre de plans imaginaires ou en creusant le sens de transparences librement combinées et façonnées pour faire une surface sensible du premier plan du subjectile. Partant, les cadrages s’ouvrent ou se resserrent au contact de la figure peinte, le tableau se met à parler de vie intérieure. Chaque couturière ainsi installée dans un espace sans profondeur est présente dans sa première humanité. Sa silhouette en partie détachée de la surface de la toile survole l’image comme la peinture conservait son objet d’icône religieuse. Ainsi promue, chaque « Pénélope » redouble son référent en transparences avec la figure antique de la fidélité pénélopienne d’une part, et d’autre part à une image de modeste travailleuse attachée à son ouvrage d’autre part.    

       L‘art de Charlotte Salvaneix vaguement désuet et décalé avec son époque assume ses songes de splendeur artisanale. Affairée à honorer la somptuosité du médium pictural dans ses perspectives à la fois métaphysiques et évocatrices, l’artiste veut-elle restaurer le métier de peintre pour régénérer une vision nostalgique du tableau de genre ?

 

Charles Ray au Centre Pompidou    

       Il est dit en préambule que l’artiste « procède à l’origine de cette question : Qu’est ce qu’une sculpture ? ». On ne s’étendra pas sur la banalité de cette interrogation déjà labourée en profondeur par le gratin des sculpteurs innovants dès le milieu du XIXs (Rodin, Daumier, Degas…) « Qu’est ce que sculpter ? » est plus intéressant, plus fin et plus créatif. Dans cette perspective, Charles Ray reproduit ou initie laborieusement ou seulement en apparence des réponses connues dont notamment le Ready Made… Constamment poreuse avec l’art conceptuel, sa pratique à la fois faite d’allusion et d’escamotages esthétiques ou historiques achève parfois sa plasticité par un discours auto-justificatif aussi envahissant qu’inutile ou superflu (« ce que je partage avec vous, c’est une réalité physique qui intègre un processus mental… »).

      Dans cette exposition manifestement cornaquée et « sponsorisée » par Pinault-Collection, de rares mais vraies créations arrivent toutefois à marquer l’esprit par l’ironie interprétative, comme ses photographies/œuvres d’artiste performer en tant que sculpture vivante ou à travers « How a table Works » et « Yes » (1990).

 

Sylvain Roche à la galerie du Haut Pavé    

      Sylvain Roche peint des tableaux d’oiseaux (mésanges, chardonnerets, moineaux…) presque aussi grands qu’eux. Avec leur pâte colorée appliquée en épaisseur, sans mélange, et leur style plus modelé et sculpté que peint en nuances, ses œuvres donnent le sentiment que l’artiste a voulu concentrer son art de peindre plutôt que de réaliser des images. De sorte que le premier sujet de ses micros mondes n’est pas l’oiseau représenté mais une conception esthétique de la peinture qu’il veut personnelle, ou toutes choses égales, une manière subjective de la sublimer.    

      On songe à la peinture quasi pariétale d’Eugène Leroy, sa définition autonome de l’art : son bonheur d’en développer la substance jusqu’à une essence quasi métaphysique. Chacun des tableaux de Sylvain Roche triture, enfouit et fait surgir ce que peindre ordonne de faire et être en même temps. On pense aux manières à l’emporte pièce de Van Gogh mais aussi aux débordements oniriques de Bernard Réquichot. Les oiseaux ne sont pas là, ils sont dans la peinture : dans sa matière en relief, dans ses teintes et leurs mélanges accidentels ou provoqués, dans les touches et les gestes du peintre employé à travailler en même temps sa pensée et ses émotions. Sylvain Roche y parvient en exposant non seulement son désir d’attirer l’attention sur leurs symboles visuels, mais aussi, et probablement surtout, pointer son plaisir d’artiste à l’œuvre. Les oiseaux font signe, ils sont le premier indice d’un bonheur ineffable pour le peintre.    

       L’art de Sylvain Roche est en conséquence infiniment coloré, indescriptiblement vif, démesu-rément physique et d’une poésie follement stylisée. Je le redis : les oiseaux sont là, ils sont là où là peinture devient leur environnement, là où par ses gestes, le peintre les a fusionnés avec des effets de présences informels. La peinture est là, dans l’espérance d’une matière simultanément terrienne et pétrie d’épiphanie. Elle est là où, préférant croire et assumer avec force une beauté première, le peintre se montre indifférent aux conventions formelles.

         Ce dont ces tableaux parlent, ce par quoi cette pratique s’avère puissamment réfléchie, est ce qui en elle concentre et brille d’immanence sensorielle? : « Voyez ce que je figure, ce qui m’intéresse et me mobilise ! Voyez comment je (le) peins et comment je compte bien vous le montrer, voyez comment je songe à ma peinture. ». C’est peu dire que la somptuosité des tableaux de Sylvain Roche est inversement proportionnelle à leurs minuscules surfaces. 

 

Rafour Essafi galerie Fabrique Contemporaine    

     Qu’elles soient anciennes ou oubliées, Rafour Essafi collectionne les images photographiques anonymes et on devine qu’il en possède des albums et des boîtes. Il se préoccupe de leurs fonctions mémorielles en interrogeant ce que vaut le photographique à travers la banalité populaire de leur format 10x15, leur catégorie tantôt noir et blanc ou en couleur, qu’elles montrent un sujet unique ou multiple… Il apprécie interpeller leur composition voulue ou non, focaliser le regard sur sa forme ou inciter à remarquer une scénarisation, scruter des effets visuels accidentels ou captés. Son observation des silhouettes est imparable, il les isole ou repense leurs environnements, il les redessine ou les floute : rien de ce qui les concerne comme thème ou comme rôle ne lui échappe. Souvent discrète et d’apparence restreinte1 son action d’artiste joue l’intrusion visuelle, le retournement autant que le déplacement, ou simplement l’envie d’en découdre avec le mécanisme de leur aura2 sinon jouer avec la subjectivité de son enregistrement.    

     De ces décomptes et de cet écrémage3, Rafour Essafi tire prétexte à transgresser autant les évidences plastiques ou littérales que les exacerber ou les détourner. Parfois, pris dans un vertige créatif et désirant se jouer des perspectives illusionnistes du médium, il invente des manières de déborder et superposer les flux mémoriels avec des rêves de voyages pouvant évoquer l’onirisme esthétique d’Odilon Redon ou plus symboliquement des décrochements cinématiques de Duane Michals. In fine, restent autant les jeux que les enjeux documentaires de sources avec lesquelles l’artiste entend s’amuser, « délirer » ou se laisser fasciner esthétiquement pour inverser et se réapproprier fictivement leur origine avec une âme d’enfant. Dans la galerie magiquement transformée en bibliothèque visuelle, les œuvres, aussi nombreuses que variées soufflent des passés imprévisiblement et subtilement revivifiés.

1–Jean-François Chevrier, L’action restreinte, catalogue, Musée des Beaux arts de Nantes, 2005. 2–Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. 3–Roland Barthe, Rhétorique de l‘image, 1964

Une exposition un peu diffuse

26/03/2022

Jitkish Kallat chez Templon Beaubourg    

« Echo verse » est le titre de cette exposition conçue comme une installation in-situ et une sorte de parcours.    

      Sur les murs une suite de 365 dessins d’allures géométriques et ponctués d’annotations immerge le spectateur dans une année supposée s’écouler en décomptant les naissances et les décès chaque jour. Toutes les « études » sont de même taille et toutes sont esquissées schématiquement sur un papier quadrillé bleu sensé ajouter du sens à leur caractère et leurs apparences supposées scientifiques. Des sortes de stèles à la fois transparentes et translucides sont réparties dans le l’espace restant de la galerie. Elles sont sensée symboliser l’actualité grâce à des photographies traitant divers sujets. Rendues à la fois partiellement intemporelles et glacées dans leur épaisse couche de matière transparente aforme, et sensibilisée par de multiples aléas et reflets dus à l’éclairage, les assemblages semblent flotter comme des vestiges à l’origine intraçable. On se perd en conjecture sur ce qu’on peut mémoriser ou recouper à partir des éléments scénarisés et événementielles réunies.     

     L’installation allusivement conceptuelle et techniquement irréprochable impressionne par sa mise en scène. L’univers créé est effectivement plasticien et esthétique, foisonnant de compétences expressives. L’art de Jitkish Kallat mise en même temps beaucoup sur sa perfection matérielle et technique, un coté objet de luxe que son exécution parfaite valide par essence.    

        Problême, cette précellence brille sans réellement susciter l’étonnement ou convaincre d’une inventivité formelle. Tant côté dessin que de celui des stèles, on a l’impression de revoir à frais nouveaux des œuvres anciennes, justement réputées pour leur beauté savante et « bricolée » ou leur composition impromptue et imaginative (les assemblages/ collages rappellent notamment les Hoarfrost présentés par Rauschenberg*). On peine aussi à relier les dessins avec les stèles et l’intitulé Echo verse  qui sert de thème à l’ensemble devient inaudible. In fine, ce qui devait emporter le sentiment d’une création extérieurement belle et un rien audacieuse par son spectacle laisse l’impression d’être à la fois peu disruptif et fabriqué du point de vue artistique.

* Paris, Galerie Sonnabend, 1974

Quelques galeries et des alentours artistiques divers

12/03/2022

Les illusions d’un peintre à la galerie Fabrique Contemporaine    

       Eric Mérigot réalise sur toile des tableaux abstraits. Chaque composition repose sur un principe créatif en deux temps : l’échafaudage d’un fond monochrome et matiériste et l’ajout d’éléments géométriques simples évoquant tantôt des constructions décoratives, tantôt des apparences « suprématistes ». C’est très visuel, vaguement allusif à des paysages, plus souvent à des compositions ornementales d’essence non figurative.    

       Les fonds sont d’abord traités sous l’aspect d’un pavage de rectangles recouverts d’une couche monochrome de pastel sur papier. L’uniformité de leur surface est ensuite transgressée et saccagée au moyen d’arrachages anarchiques. On songe à une tentative de réincarnation d’un fond destiné à sublimer la surface jugée aforme du subjectile vierge.    

       Le second temps de réalisation consiste à ajouter/superposer/recouvrir partiellement le fond par éléments séparés ou combinés silhouettés dans des gabarits rectangulaires ou circulaires et la plupart du temps laissés blancs. Faut-il concevoir leur blancheur comme une résurgence sélective du fond initialement vierge de la toile ? Convient-il de surinterprêter leur forme et leur présence par rapport au fond spécifiquement coloré et texturé ? Le peintre semble étranger aux suggestions disruptives créées par la pratique.    

     L’artiste oppose le bénéfice de l’inspiration immatérielle par le sensible contre une possible réflexion conceptuelle et autrement sensible pendant le travail en train. Contradictoirement avec l’apparence curieuse de ses œuvres, son déni formel d’une pensée instauratrice de travail en mouvement crée un doute constant quant à une recherche de sens tout à la fois intelligente, créative et sensible du geste pictural.

 

Eric Baudart, galerie Christophe Gaillard    

       L’exposition intitulée « Corps simple, corps composé » égrène des apparences de détournements d’objets et de matériaux. Tantôt présentées comme des peintures ou des bas-reliefs ou tantôt discrètement inspirées par la sculpture minimaliste, les scénarisations d’aspect « Land Art » ou d’allure « Arte Povera », les œuvres, de grandes dimensions, n’excèdent pas l’exotisme spectaculaire des reprises esthétiques.

 

Damien Cabane chez Eric Dupont    

       De nouveaux tableaux de fleurs, encore peintes à même la toile non tendue, conçue comme lieu et surface libres de toute limite, de toute quantité d’espace. Les fleurs sont montrées comme des taches de couleur, des silhouettes évocatrices, des objets captés dans un mouvement d’attention fugace et parfois futile, au point de n’être plus que des gestes et des taches de peinture brute. On a beau songer que sa production a toutes les apparences d’un travail de pochade, d’esquisse ou d’ébauche ; on peut retenir que Cabane aime la peinture expressionniste d’un Soutine voire une abstraction lyrique proche de Joan Mitchell ; il est loisible de remarquer son travail comme une tentative d’interprétation critique de l’incarnation visuelle d’un motif, on ne peut aussi penser à autre chose que Damien Cabane cherche a essentialisé son art dans un geste d’artiste inspiré par le corpus d’une image uniquement peinte. Et qui fait voir la peinture comme une conception sensible.

Trois expos questionnantes…

06/03/2022

« Ianua », chez Jousse Entreprise    

       Une exposition collective sur le dessin, heureusement présentée comme une constellation élargie d’approches. Les œuvres où «  le dessin est sensé prendre pleinement vie au travers d’une vie de métamorphoses lui permettant d’héberger simultanément plusieurs formes »* sont pour l’essentiel figuratives et illustratives. On ne peut que constater que, justement, l’image semble prévaloir sur les questions visuelles quand le geste du dessin s’entremêle séparément ou de façon hasardeuse avec les idées d’ébauche, d’esquisse, d’étude, de trace ou de note. On s’interroge sur « Le plaisir au dessin »**quand chaque artiste semblant avoir voulu faire un dessin fini avant d’en soupeser les possibilités de mémoire rémanente ou la fonction instaurative du faire.

 

*Emanuele Coccia, Métamorphoses, 2020, éd.Rivages, Paris. ** Jean Luc Nancy, Musée des Beaux Arts de Lyon, 2007

 

          James Hyde, galerie Les filles du calvaire     Il s’agit autant de peinture « attachée à un sujet » que d’art abstrait mural. L’artiste, attaché à combiner les techniques, brouille dans chaque œuvre les sources visuelles d’origines photographiques et des surfaces/objets géométriques peints de couleurs monochromes qui, dit-il, l’inspirent. On ne sait donc qui des premières ou des secondes fonde la construction mozaïquée des compositions cependant traitées comme des peintures. L’ensemble brille par ses citations partielles de sculptures, par son usage de documents photographiques déstructurés, par ses allusions au street art, au cubisme, à l’architecture contemporaine, à l’épure graphique du Bauhaus… L’intérêt des œuvres où tout fusionne dans un désordre calculé met à mal les plans figuraux comme les surfaces géométriques pour la plupart réparties et peintes par-dessus d’une unique couleur. Toutefois mal décousue ou illusoirement spontanée, chaque proposition plastique ne fait que vaguement croire à une recherche de sens sur l’idée d’agencements plastiques hybrides entre sculpture, peinture et photographie etc. Perdu entre et l’imagination fantasque et les prouesses nomades d’un Rauschenberg, on peine rétrospectivement à concevoir la nouveauté captivante de ce travail où, à quelques exceptions près (« Up and Down sculpture », « Midtown sculpture »), les peintures apparaissent factuellement plates, chichement agencées et plutôt « pas bien mal peintes ». In fine, ça convainc peu sur l’objet ou les idées créatives de son promoteur.

 

Rirkrit Tiravanija chez Chantal Crousel    

     C’est intitulé «  Démonstration drawings ». Rirkrit Tiravanija travaille sur l’«Esthétique relationnelle »* dans des contextes d’interaction entre la société, l’art et les spectateurs/publics. Les dizaines de dessins exposés reproduisent fidèlement des photographies montrant des inscriptions imprimées sur leurs tee-shirts (slogans, textes publicitaires ou de marques etc.). Les dessins sont au même format « carte postale ». Ils sont dessinés à la mine de graphite dans un style scolaire et impersonnel (chaque étudiant n’a eu pour mission que de redessiner l’image qui lui a été confiée). Par ailleurs, tous sont posés au centre d’un fond orange uni symbolisant la paix et la sagesse dans la tradition thaïllandaise. L’ensemble a des allures d’album bibliothèque de photographies de presse. Sur les murs de la galerie, l’ensemble est en partie calqué sur le principe d’une œuvre in situ.    

       La galerie indique que « l’exercice méticuleux des reproductions dessinées désamorce la violence des situations conflictuelles représentées ». Clairement inspirée de l’art conceptuel engagé des années 1970/80, la conception et la présentation de « Démonstration drawings » visent une lecture prioritairement politique du travail. Extrêmement intéressantes dans leur principe, les œuvres s’entremêlent à la fois d’intentions purement descriptives et de fonctions scénaristiques. In fine plus intermédiaires, pédagogiques et intellectuelles que relevant d’une démarche uniquement sensible, elles apparaissent peu conciliables avec une appropriation des moyens plastiques autre que méthodologique. Ce faisant, l’exposition se présente comme une installation et un clin d’œil à un art purement sociologique.

* Esthétique relationnelle, Nicolas Bourriaud, Les Presses du réel, 2001

 

Roland Questsch, galerie Ceysson et Benetière    

          Retour sans aura sur les expériences plastiques et esthétiques de Supports-Surfaces (tous les protagonistes de l’époque), du groupe Textruction ou du Groupe 70, de Rauschenberg ou Morris Louis…en moins intéressant et en moins bien esthétiquement.

Michel Dector galerie Laurent Godin

14/02/2022

       Des draps de lit « king size » symbolisant des œuvres libérées de la forme dominante du tableau sont accrochés aux murs. Un gigantesque chiffre 1 ou des formes abstraites et sans référent direct sont peintes à la bombe. Sur la plupart d’entre elles, le motif est un gigantesque chiffre 1 reproduit en réserve à l’aide de ruban adhésif blanc auréolé d’un nuage noir vaporisé dans un esprit street art. Trois autres œuvres abstraites également peintes à la bombe figurent des formes colorées autonomes. Le peintre a méthodiquement centré ses motifs sur les supports.    

       Les 1 sont parfois uniques ou réunis en duo. Quand ils sont figurés seuls, leur motif est droit et anonyme ; s’ils sont en duo, l’un penche ou ondule théâtralement vers l’autre dans des postures anthropomorphiques équivoques : certaines mises en scène sont clairement allusives…     

      L’artiste explique ses choix en s’appuyant sur l’expression visuelle du signe graphique 1 : sa forme est minimale, l’épaisseur de son trait lui vaut d’apparaître selon les cas comme un geste, une direction ou une surface « anamorphosée ». D’un point de vue connotatif et métaphorique : « Le 1 a un corps et une tête, son dressement vertical suggère un homme debout…, seul, il rappelle Giacometti » ; sous certaines conditions, sa multiplication peut connoter avec un groupe de personnages, des arbres, des gratte-ciel… L’esthétique très épurée dont s’inspire Michel Dector vise l’articulation conceptuelle et symbolique de signes avec des représentations où l’image semble être une émanation. Formellement réduite à un travail de silhouette et de trace complétée par une plasticité qui se veut évocatrice, chaque œuvre compose et bute sur une proposition plastique d’apparence littérale et par analogie un univers d’illustrateur. Chaque œuvre proposée comme un portrait semble in fine reproduire des plasticités imaginées et développées par d’autres.    

      Les œuvres qui scénarisent des formes abstraites colorées autonomes fonctionnent sur une expression visuelle similaire aux 1. Réduites au squelette d’une forme géométrique oblongue peinte dans un ton vaguement monochrome ou à une transposition descriptive des trois teintes fondamentales et de leurs complémentaires, chaque motif, bien que décalé dans un style street art, fait songer à un slide seulement démonstratif.

        Même en supposant que les draps puissent faire allusion au suaire christique, que les 1 figurent un/des personnage(s) fictif(s), voire que le style visuel des œuvres présume vs réfère à une idée du beau davantage philosophique que tactique de l’art (dans le fil de Support-Surface, de l’art conceptuel proche de Joseph Kossuth ou de pratiques d’installations éphémères), on peine à entrevoir une pratique plus ouverte et réservée que formaliste ou bien des inspirations plus critiques que littérales. 

Diverses expositions dispersées

08/02/2022

Les lumières intérieures d’atelier d’Emmanuelle Pérat à la galerie Univers    

       Emmanuelle Pérat a titré son exposition « Espaces composés ».  Selon les images, il s’agit en fait de vues d’atelier sous l’aspect d’un grenier, d’un appentis, d’une remise ou d’un cabanon, voire de coulisses, parfois d’un espace d’allure troglodyte. La lumière s‘immisce dans chaque lieu supposé comme un secret qui sourd d’une lueur aussi spectaculaire que subreptice et parfois oubliée. Les dessins qu’Emmanuelle Pérat réalise au pastel dans un esprit plus introspectif que descriptif laissent planer un long travail d’imprégnation sensible des environnements.     

       L’artiste complexifie formellement son travail en pistant le regard sur les lieux par des images introspectives. Chaque vue apparentée à des (en)jeux de clairs obscurs fait de la moindre forme une apparition progressive. La lenteur y prend des pauses quand, simultanément dans l’œuvre et dans la pièce de travail, une vue et une expérience plastique se mélangent doucement. On repère des tableaux entreposés et, à l’écart, on imagine l’artiste immobile retenant une vue particulière, saisissant l’occasion d’une distance évocatrice. On la perçoit cherchant à traduire simultanément ce qu’elle voit et ce qui lui semble sensible, tentant des suggestions, se laissant bercer par Rembrandt ou plus en sourdine par Vuillard et peut-être Sam Szafran. Ce qu’elle propose et produit devient un rendu architecturé en même temps qu’une vue de sentiment et d’atmosphère où la lumière glisse, affleure sur et à la périphérie des volumes, enrobe et « charnellise » les espaces. Emmanuelle Pérat voit l’humanité de l’atelier comme un corpus d’images intérieures à la fois banales et énigmatiques.      

        La lumière est un objet qu’il faut capter. Il faut la surprendre, ambiançant patiemment l’espace, s’y installant paisiblement, évoquant des bruits divers ou servant de pauses et mesure des repos. Emmanuelle Pérat retient les images qui la présentent primant sur les faits matériels et qui permettent de méditer sur le travail paradoxal de restitution et de suggestion visuelle. En même temps, les espaces se répondent ou se combinent dans chaque composition. Ce sont des emplacements ou des lieux, des zones plus ou moins restreintes ou des recoins, des parties ou des secteurs, des « ça et là » répertoriés en s’installant. Pour l’artiste, ce sont partout des sas d’expression visuelle et personnelle. Avec chaque dessin, par la grâce du pastel parfaitement maîtrisé par l’artiste, la lumière glisse ou s’épand sensiblement par éclats et lueurs. 

 

Didier Mencoboni chez Galerie Eric Dupont    

     Les dimensions intimistes des tableaux donnent le « La » d’un programme de création et d’expérimentation artistiques consistant techniquement à déposer des feuilles d’or et simulta-nément, à inventer des tableaux en profitant des difficultés de leur application. « Lux ! Episode XIII » est donc le titre de cette exposition par ailleurs définie par son auteur comme suit : « une (ou des) surface(s) qui vibre(nt) à la lumière ».    

       Didier Mencoboni aussi préoccupé que captivé par la fragilité de son matériau naturellement brillant entend « sublimer » les aléas de sa maîtrise dans l’application des feuilles d’or pour initier des compositions picturales originales. Incidemment, les accidents causés par la fragilité des feuilles par endroits mal jointoyées mettent en tension certaines parties des supports qui ressurgissent à cause de décollements imprévus… Le hasard, la spontanéité et l’imperfection trouvent à l’occasion une nouvelle illustration d’intérêts plastiques « innocents » ou de  pratiques aventureuses en ravivant les discussions anciennes et surtout contemporaines (le formalisme critique de Support-Surface notamment) autour des contenus à la fois visuels et esthétiques du fond (vs le contenu) et de la forme (vs le style) dans la peinture. Après un voyage en Chine, l’enthousiasme et la curiosité de Mencoboni pour la technique de la laque trouvent, dit-il, un prolongement sensible et artistique dans cette production dorée aux accents somptueux et à l’éclat lumineux assuré, mais dont l’objet créatif et esthétique paraît un peu daté (on se souvient à minima d’Yves Klein). In fine plus  intéressants rétrospectivement que surprenants aujourd’hui, les tableaux apparaissent être « matiériellement » plus séduisants que des enseignements.*

* voir Emile Bernard, Conversation avec Cézanne, ed. Macula

 

Michel Journiac chez Christophe Gaillard    

     Journiac aimait les corps, les rituels au cours desquels il pouvait physiquement ou par l’intermédiaire des images s’ériger en œuvre d’art ou en étude critique de certains de ses paradigmes esthétiques. La focalisation de l‘exposition sur le thème des mains engage une belle réflexion pointue sur son intérêt plastique et conceptuel pour les signes spécifiques inspirés par l’incarnation quasi religieuse de l’artiste dans son corps métaphysique.

 

Jean Messagier à la galerie Ceysson et Benetière    

         Avec son geste plastique distinctif, l’abstraction lyrique promue par Messagier a ouvert la voie à un style original et expressif d’évocation et de description. Les ressources créatives associées aux idées de format, de surface, de plan ou de mouvement ont été régulièrement activées avec un sens plastique de l’espace et du lieu à la fois techniquement habile et subtilement ironique quant au thème de la beauté esthétique. Cette « rétrospective » intitulée Paradiana et sous titrée  Vieillir et jouir suppose la capacité de l’artiste à jouer de manière décomplexée avec sa notoriété… Il est aussi précisé que les œuvres exposées illustrent sa dernière « période ». Sauf qu’à défaut d’être des productions d’une signature capable d’élargir et sublimer encore son style par un détachement ironique, l’ensemble, d’une pauvreté formelle généralisée a des allures d’effondrement créatif. On s’intéressera donc davantage aux périodes antérieures du peintre si on court après quelque chose de plus qu’un placement financier…

 

Pierre Gaudibert au Musée d’art Moderne de la ville de Paris

         L’exposition rend bien compte des bonheurs et de l’imagination créative offerts à qui fréquen-tait l’ARC (Animation Recherche Confrontation), structure que Gaudibert avait initiée au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris entre 1967 et 1972. Je me souviens d’expositions mémorables avec les débuts de Supports Surfaces ou de la Figuration Narrative, de la Jeune Peinture, de l’exposition de Piotr Kowalski… Je me souviens de concerts de free jazz le soir, je me souviens de la musique de Kraanerg dirigée par Xenakis lui-même et de Perséphasa, du même auteur, interprétée par le groupe des Percussions de Strasbourg dispersé dans les espaces du musée… La culture et l’ouverture d’esprit, l’expérimentation et la créativité sous toutes leurs formes y ont été défendues et promues sans relâche. Par sa radicalité politique et humaniste et par ses contributions critiques ou éditoriales d’historien de l’art et d’émulateur, Pierre Gaudibert incarnait à sa façon la vie artistique même. Une histoire follement instructive sur la liberté et la responsabilité de l’engagement.

 

Eva Jospin au Musée de la chasse et de la nature    

       Eva Jospin réalise des sculptures en carton. Son champ d’inspiration largement onirique et historique puise ses sources d’expression dans le romantisme ou l’illustration. Pour ce qui est de la forme, les images de ruines antiques ou de vestiges envahis par la végétation constituent des thèmes de prédilection qu’elle s’efforce de reconstituer ou de réinventer en partie presque à l’identique, voire les imaginer dans des installations spectaculaires.     

       Après avoir accumulé et fixé la matière, elle la travaille comme n’importe quel autre produit sculptural, soit en enlevant du produit soit en modifiant son apparence, jusqu’à son effacement et l’analogie avec une vue en trompe l’œil du motif traité. In fine, on peine à savoir si on se trouve dans un musée de monuments ou dans un espace précis, comme on bute sur l’idée de réplique en relief de ruines d’Hubert Robert…    

        Sa conception de l’œuvre ou d’une pratique plastique de l’in situ est plus difficile à comprendre. Dans les salles du musée, comme déjà au Palais de Tokyo en 2019, le travail d’Eva Jospin semble glisser sur les suggestions du site hôte, et ses sculptures s’insèrent à l’aveugle sans créer de nouvelles perspectives d’imagination pour le spectateur. Une fois remarquée leur exécution parfaite et curieuse, on se souvient surtout d’une pratique d’exécutante habile et opiniâtre.

 

Alain Clément, Galerie Catherine Putman    

      L’exposition présente des lithographies et des sculptures peintes. Si le questionnement entre sculpture et peinture, œuvre en deux ou trois dimensions demeure, si un questionnement historique semble perdurer entre figure (humaine ou nu en particulier) et forme  ou papiers matissiens, on ne peut que remarquer que ces nouvelles propositions ouvrent sur des apparences déçues. Que l’artiste risque des assemblages de crayonnés d’esquisse et de surfaces colorées monochromes semblant découpées, qu’il use d’effets de répétition de motifs ou de mélanges, ses thèmes de travail et d’expression ne dépassent guère les compositions par empilements, accumulations, superpositions et amas hasardeux ou remplissages, voire l’entassement et l’amoncellement d’éléments visuels. De sorte que s’il y a des dépassements, des décalages ou parfois des ambiguïtés de placement créatives entre chaque plan ou chaque objet visuel, rien ne dépasse le constat de formes abstraites arbitrairement posées ou amassées les unes sur les autres.

 

Pat Andrea galerie Les arts Dessinés rue Chapon    

         Les dessins et peintures de Pat Andrea sont fortement teintés d’illustration et de sous entendus narratifs et d’atmosphère érotique. Rien ne semble devoir troubler l’artiste accaparé à ses improvisations et ses réunions de divers personnages des deux sexes, aux physiques bizarres, mis enfantins et vaguement adultes, avec un visage figé ou sans expression. Il y a aussi des animaux, des chiens la plupart du temps, même si parfois des chevaux, des oiseaux ou un chat parviennent à se faufiler dans son imagination fantasque. Le peintre recourt encore à des architectures sommaires mi religieuses mi théâtrales comme dans La Flagellation du Christ de Piero della Fransesca. Souvent encore, les personnages flottent dans l’espace, ou dérivent énigmatiquement les pieds en l’air. Partout aussi, des éléments de paysages.    

        Chaque composition résonne de détails graphiques, de rapports et de correspondances au mieux insolites ou hallucinantes, en fait souvent inquiétantes voire passablement cauchemardesques tant les rapports sont ambigus ou troubles entre les personnages entre eux ou dans leur environnement. Chaque œuvre sourd en ce sens d’étranges correspondances  (autobiographiques ?) parfois inquiétantes. Jean Clair a jadis expliqué cet art comme un courant figuratif instaurateur d’une Nouvelle Subjectivité.*    

         Pat Andrea a pu reconnaître que son geste du dessin réaliste et plus largement ses principes de compositions profitent de l’imaginaire onirique et symbolique incarné par Francis Bacon ou Balthus. Pour ce qui concerne le figural et, dans cette perspective référentielle, l’expressivité et le réalisme conceptuels de Bacon, les œuvres exposées de Pat Andrea me semblent renvoyer à des univers formels plus proches du cinéma d’animation qu’à des préoccupations plastiques-critiques purement picturales.

* Jean Clair, La Nouvelle subjectivité, Paris 1977

 

Astrid Delacourcelle à la galerie Fabrique Contemporaine    

        Astrid Delacourcelle expose de nouvelles suggestions de distance plastique par rapport à un travail pictural réaliste muré dans des opérations de reproduction. Sa sensibilité aux vues d’ombres portées sert de point de départ pour des mises en vues curieuses et subjectives de l’objet pictural. Les modèles de départ sont des ombres projetées depuis l’extérieur dans l’environnement de son atelier. Envahissant l’espace et se « heurtant » à ce qui l’occupe, elles anamorphosent chaque objet sur son passage d’une image spectaculaire ; la lumière qui les porte permet de cerner des images complexes, parfois presque inconcevables ou incompréhensibles et dignes d’un décor de film fantastique.    

     D’abord enregistrée photographiquement, chaque vision sert de prétexte à diverses manipu-lations esthétiques de cadrages, de composition et d’interprétation. L’artiste, soucieuse de ne pas trahir ou dénaturer son mouvement créatif assortit les nouvelles vues de couleurs irréalistes et arbitraires. Astrid Delacourcelle a pour objectif de créer partout de l’insolite et du mystère, lequel est aussi prégnant que celui de transformer le réel en support d’étude pour de nouveaux contenus du travail artistique. Sa culture du dessin d’observation et sa volonté de produire dans la diversité vont dans ce sens, tout en la faisant abonder et référer encore des productions davantage analogiques que librement plastiques, conceptuelles et imaginaires.

Quelques expos…

15/01/2022

Anselm Kiefer au Grand Palais éphémère    

       Rien de neuf depuis sa première occupation du site (à l’époque au rond point des Champs Elysées) il y a une quinzaine d’années, ou depuis sa rétrospective à Beaubourg quelque temps plus tard. C’est encore et comme toujours aussi énorme sans être monumental, toujours aussi expressionniste  et « tripal » sans être récent plastiquement, toujours aussi esthétisant et descriptif sans disrupter le vocabulaire technique susceptible de faire coïncider le rapport entre fond et forme autrement que de façon analogique et descriptive. Dans la lumière lugubre de l’exposition, on est sidéré par les œuvres aux proportions quasi naturelles  des paysages qu’elles reproduisent sans être ébahi par les découvertes plastiques. Et on s’emmerde. 

 

Oda Jaune, chez Templon, rue du Grenier Saint–Lazare  

         Une exposition « virtuose » de peintures (ultra)réalistes sur le thème des métamorphoses et des collages/carambolages de thèmes divers, souvent plus anatomiques qu’érotiques. On songe qu’on a déjà vu des centaines d’œuvres de même esprit, plus ou moins étranges et scolairement exprimées. Techniquement, tout est léché et sans disruption technique, aucune critique du langage pictural descriptif. Ces peintures là sont plutôt grandes, l’une d’elles étale sur environ sept mètres une gigantesque fresque onirique et multifocale autour d’un arbre couché. Au sous sol, une installation reprenant cette toile est vaguement bricolée dans un esprit spectaculaire à la Dali : il s’agit de « coller » à un univers de grotte à la fois merveilleux et onirique… Quelques œuvres de tailles très petites réunies dans une seconde partie de la galerie sauvent en partie l’impression de vide esthétique qui se dégage en rappelant heureusement mais de loin les « désordres » mystérieux d’Odilon Redon… Malgré ce « hasard », on s’ennuie devant ce qui semble n’être qu’une laborieuse démonstration technique.

 

Anthony Caro, chez Templon rue Beaubourg    

        Changement d’esprit. Les sculptures proviennent de la succession de l’artiste et donnent à l’exposition un faux air de rétrospective. On remarque une force constamment aussi créative dans le ton qu’inventive sur la forme. C’est souvent même surprenant d’humour méthodologique et minimaliste dans le geste du volume et la mesure du spatial. En étant tantôt architecturale  et tantôt concentrée sur un mouvement, chaque œuvre draine aussi en plus une idée particulière sur des marquages historiques combinés du monumental et du sculptural, d’où cette impression que l’artiste a pu s’intéresser de très près à la corporéité des volumes. Quelles qu’elles soient, les réalisations sont un régal sur l’art de rendre la conceptualisation du travail d’imagination aussi vivace que ses conclusions.

 

The sape of water par Keith Broadwee, galerie Sémiose    

        L’artiste aime les grenouilles. Il les met en scène dans des situations aussi parodiques que transgressives, aussi inconvenantes que déjantées, jamais à cours de suggestions décalées. Le style, transparent et (ironiquement) très coloré, s’appuie sur un geste cultivé et ferme du dessin livré aux allusions des situations décrites. Qu’il soit descriptif ou allusif, l’artiste cherche à moquer le langage pictural…comme d’autres avant lui. On retient sans surprise la fantaisie illustrative des œuvres sans percuter de nouveaux mondes artistiques.

 

Christophe Robe, galerie Fournier    

       Christian Robe aime la peinture abstraite, et dans cette dernière, les jeux de formes flottant entre silhouettes et empreintes, aux contours incertains et aux contenus ou aux référents vagues et pour partie impalpables, comme des organismes cellulaires dans un monde dématérialisé. L’artiste semble procéder la plupart du temps par agencements, dépôts ou dispersions esthétiques de formes jugées assez esthétiques pour entrer dans un projet de composition purement visuelle. De sorte que chaque effet fait signe d’une esthétique du pochoir de la trace ou de l’empreinte, parfois d’une tache évanescente projetée à l’aide d’un pistolet à peinture. On se trouve in fine devant des sortes de paysage possiblement oniriques ou en train de contempler des fonds marins légèrement agités… Très colorée et indiscutablement plaisante à regarder, chaque œuvre peine à retenir l’attention au delà du dehors. L’artiste, sans jamais titrer ou sembler vouloir rassembler ses œuvres sous un thème d’inspiration, voire chercher l’approfondissement d’un concept plastique conçoit-il avant tout la peinture comme un exercice de production d’univers visuels agréables ou souhaite t-il interroger son travail en problématisant son objet et sa forme ?

Les protocoles fugitifs d’André Guenoun chez Atelier Vincent

19/12/2021

     André Guénoun réalise ses peintures selon un protocole précis. Plusieurs étapes de diverses temporalités sont requises. Tout d’abord, les supports sont des feuilles blanches de qualité, il y tient ! Ensuite, les moyens mis en œuvre : ils se limitent à de l’encre colorée, en l’occurrence les couleurs primaires et secondaires de base, soit six encres des six teintes fondamentales. Puis vient l’esquisse au crayon d’un schéma de travail qui sera « désastrer » (l’expression est de lui…) en déversant dessus ses encres primaires, lesquelles en se rencontrant, en se mélangeant et se mêlant ne pourront que s’amalgamer et se panacher en colorations et aperçus « accidentels ». Excepté quelques opérations de « guidage » qu’André Guénoun reconnaît « forcer » au pinceau, rien n’arrête à priori l‘écoulement des liquides…Des formes se créent en même temps qu’elles apparaissent, des teintes s’imaginent en même temps qu’elles fusionnent…L’analogie est partout et nulle part, on devine et on se convainc de motifs évanescents ou suggestifs, on survole des lieux et des cartes vues du ciel ou simplement des cieux, on arpente en rêve des mondes peut-être souterrains, on devine des aires terrestres et des étangs, on confond des macrocosmes avec des microcosmes : la moindre aventure visuelle « surgit dans une entrevision »*. Les œuvres ne sont pas titrées.    

       Un montage arbitraire vs la signature d’un nouveau dispositif créatif succède aux gestes imaginaires précédents. Sur les murs, les encres rassemblées et agencées côte à côte s’ordonnent en mosaïques, carrelages, damiers ou pavages multicolores. Les feuilles agencées prennent plus d’importance que les coulures d’encres dont elles sont couvertes. On comprend à rebours des premières œuvres que le premier protocole s’apparente à un leurre durant lequel André Guenoun a conçu son travail comme un réservoir d’expression personnelle. Le fait de faire jouer visuellement l’image des côtoiements lui importe parce qu’ils engagent un questionnement esthétique sur les contenus de chaque feuille. Il s’avère ainsi que la relative innocence créative à l’origine des premières encres a été préemptée par un ouvrage artistique conceptuel sur son architecture plastique formelle et expressive. En même temps, les nouvelles configurations instillent de la part de l’artiste un mouvement volontairement lacunaire sur leurs sources : certaines œuvres exposées suggèrent des marelles…    

      André Guenoun entremêle encore son protocole visuel avec un univers coloré polyphonique comme s’il pouvait s’agir de suites musicales ou comme on veut suggèrer des changements de rôle entre le support et l’image qui y est engagée. Nulle continuité forcée d’une feuille à l’autre, juste des rencontres ou des fusions fortuites.  Guenoun est un plasticien qui acte ses enjeux créatifs en pensant leur improvisation.    

       Les encres s’assemblent dans l’emmêlement de leurs motifs évanescents ou suggestifs. Ne parlons plus d’images mais d’aspect, d’atmosphère, peut-être d’une mystique de l’apparition et des lumières inspirantes. L’automatisme qui y fuse fait lui-même œuvre d’une inconsistance d’ironie confrontée à la créativité à priori sans limite des gestes premiers. Comme « avant », les bords des feuilles semblent provisoires, souvent ils apparaissent par immixtion en « limitant » les motifs naturellement inventés par les mouvements fluides des encres colorées en train de se rependre. Partout ça hésite ou ça se fond en s’immatérialisant, partout aussi ça pense en produisant et en figurant de l’inconnaissable « avant ». A d’autres occasions, après l’avoir envahi, un visuel aux formes débridées franchit la surface d’un format et entraine les regards vers le mur ou dans l’environnement conséquemment élevé au grade d’un support. Et c’est dans un même geste tout le lieu et l’occasion de faire de la peinture un temps d’onirisme, et pour l’artiste de rendre ses dispersions à l’état gazeux d’une expression capable de tout emporter avec son processus. On songe autant à quelque théorie du groupe Support-Surfaces sur la continuité ou l’unité du champ pictural qu’à la question aporétique du temps, de l’espace et des lumières de l’œuvre pour le sujet artiste.    

       Les dessins d’André Guenoun sont échafaudés dans les mêmes conditions imaginaires. L’abstraction domine dans un premier temps, elle est fluide sur l’inconstance des silhouettes comme sur celle des enjeux thématiques. Le geste, tantôt purement linéaire et tantôt juste interprété comme trace ponctuelle apparaît à la fois minimaliste et prospecteur, à la fois fugitif vis à vis des figures isolées et rassurant sur les puissances subjectives des images embrouillées. Que les traits soient répétitifs ou mêlés, qu’il y ait des zones ou qu’on entrevoit des silhouettes, que la surface du subjectile soit entièrement ou partiellement prise, André Guenoun laisse le figural advenir contradictoirement avec l’insaisissabilité de son dessin comme avec la fluidité de sa peinture, mais toujours dans le cadre d’un protocole… Comme une oxymore donc ?     

      Les aléas techniques et pratiques servent in fine de moteur, sa peinture avance en questionnent les limites virtuelles du moment de l’œuvre. Fortes des ouvertures créatives de leur protocole, les apparences infinies des motifs et des nuances chromatiques provoquées par André Guenoun surgissent, se déploient ou se dispersent sans volonté extérieure à celle de leur inventeur. L’intermédiarité de formations qui émergent, diverses façons d’échafauder ou de dissoudre des liens entre les divers éléments du travail, ses traversées d’images abstraites ou évocatrices forgent sa manière d’étendre à l’infini ses croyances à ses mondes référents. Chaque protocole dont il use active un travail métaphysique sur l’expression d’un temps continu simultané à celui d’instants indéfinissables.

 

* L’expression est du peintre André Masson.