ZeMonBlog
20/06/2019
L’exposition consacrée à Bernard Frize au Centre Pompidou se présente comme une rétrospective de quarante ans de peinture. Largement mise en scène par l’artiste lui-même, elle consacre une méthode fondée sur des protocoles ou des contraintes formelles de création en partie comparables à celles de l’Oulipo. Toutes les démarches créatives revendiquées par Bernard Frize sont en cela logiques, jusqu’à l’absurde ou la bizarrerie de la méthode retenue. L’exposition, tout aussi technique que foncièrement ludique subodore explicitement ses ressources en même temps qu’une production aussi pléthorique que déconcertante par ses méandres, ses options et ses jeux d’images avérées ou présumées abstraites, ses détournements et ses aventures visuelles flirtant l’imprévu pictural parfois analogique…
Chemin faisant, Bernard Frize, après s’être inspiré de l’aventure des artistes du groupe Support Surface, s’est rapidement affranchi de ses dogmes par l’organisation volontairement brouillée de sa propre démarche. Son goût pour l’absurdité apparente de conceptions fait parfois songer aux Dadaïstes ou des pratiques spontanéistes, quand ce n’est pas allusivement une pratique d’art brut. Frize s’oppose en cela aux préjugés du groupe de plasticiens férus de théories, (bien) décidés à limiter idéologiquement des possibilités d’œuvres à faire pour préférer « vivre un monde dont on cherche la raison, d’avantage que décrire un monde sans raison »*
Bien qu’il semble ne pas vouloir s’en mêler et plus qu’on l’imagine, et souvent il faut le dire, par réaction, son art prend les traits d’une performance dont l’objet serait de produire du pictural à l’état vierge vsde la peinture animale vsun art « pur » voire brut, voire une créativité d’Eden). Débarrassé sinon allégé par principe d’un objet référentiel, en l’espèce, la place du peintre (sa technique, son regard, le spectateur) et celle de son œuvre (par sa culture, voir son présent), l’art de Frize s’apparente à un protocole et un système visuels retenus parmi d’autres sans hiérarchie particulière. Chacune de ses compositions semble une découverte ou comme le souvenir d’un effet esthétique intéressant ou simplement aimé, un effet détaché du moindre repentir artistique, et qu’il juge amusant d’en développer esthétiquement l’apparition.
Dans les salles, les œuvres se suivent, apparemment disparates ou sans lien. Le brouillage qu’on évoquait en préambule est dans cette partition où pour le spectateur la rétrospective vire au jeu d’instants. A leur passage, je remarque le goût prononcé du peintre pour les enchevêtrements plastiques, qu’ils soient ceux du dessin et de la peinture ou des colorations avec les effets de matières, un aperçu choisi ou purement accidentel. Toujours pratique et même démonstratif, son travail s’élabore autour de mode de compositions secrètement organisées en amont des œuvres en train, et, c’est au milieu d’entrelacs, d’apparences spatiales, de répartitions de couleurs arbitraires ou conventionnelles que des tableaux semblent répondre au souci d’une perspective artistique. En passant pour infondé et sans horizon référentiel voire même acculturé, cet art, vivement coloré et improvisé que finement ironique trouble le goût. Bernard Frize excelle d’ailleurs dans les fausses reprises quand il « singe » l’aventure monochrome, qu’il use en même temps de détournements et de protocoles bizarres. Confronté à la nécessité de transformer une contrainte de travail en manière, par exemple : « laisser des couleurs se délayer entre elles sans intervenir », « peindre avec une brosse chargée de plusieurs teintes simultanément », ou « disposer au hasard sur une toile des pellicules de peinture séchée récupérées à la surface de pots laissés ouverts », on l’imagine bricoler des tableaux d’amateurs. Le repérage de quelque indice assurant l’existence d’une tactique « magiquement » laissée visible comme une composition architecturée ou des effets de transparence et de matière visuelle répétées achèvent de le croire autant dilettante qu’attelé à une recherche. Au fond Jamais trompeur, l’art de Bernard Frize reste cependant à évaluer ou discuter. Sa volonté de faire partager ses vues et ses goûts, sa pratique mélangée d’intimité et de fantaisie se trouve sans cesse mêlée d’inattentions provoquées. Quoi qu’il veuille, son image de la valeur esthétique sera non conventionnelle, quand ce n’est pas simplement l’idée qu’il se fait du travail d’art qui flotte pour, in fine, voyager sans fin.
Est ce alors un hasard ou un accident quand parfois, dans ses œuvres, après s’être soigneusement retenu d’effacer certaines traces d’un geste préparatoire ou d’esquisse, il tente d’inventer une peinture destinée à paraitre spontanée ?
*Propos du peintre, conversation avec Angela Lampe, catalogue de l’exposition
15/06/2019
Les œuvres de Côme Mosta-Heirt sont hasardeuses, inattendues, facétieuses, aléatoires, gaguesques, opportunistes, brutes autant que disciplinées, cultivées, évènementielles, théâtrales, esthétiques, sérieuses, d’un mot elles sont étonnantes, ou si l’on veut, d’un autre mot : pas étonnantes, quand on regarde à rebours son itinéraire et qu’on juge l’histoire de sa production aussi fortement structurée que formée aux clins d’œil, mais avec parcimonie.
Mosta-Heirt travaille à partir de pièces en volume qu’il conçoit lui-même et fabrique en quantité et au petit bonheur de l’art de créer : composées/fabriquées en bouturant entre eux de courts tasseaux de bois foncés. Mécaniquement, les pièces se présente comme des silhouettes d’arbres miniatures aux branches orientées dans les trois directions. Avec ses variations seulement esthétiques, à chaque pièce sont également ajoutés des éclats de diverses teintes ; l’artiste semble répéter par l’illustration un objet ou son squelette végétal chaque fois purement imaginaire. On remarque qu’artistiquement parlant, toutes les pièces filent l’image chaque fois cohérente de mini œuvres abstraites engagées dans une histoire de l’art aux échos presque purement théoriques.
Côme Mosta-Heirt aime donc répéter ou approfondir ses gestes de création ou vérifier leur validité en produisant et en variant à l’infini la même forme sinon son module plastique. Comme il aime déjouer l’idée d’une reprise et peut-être éviter les jugements hâtifs, il s’en sert aussi pour inventer des installations de diverses natures et scénariser à partir des sculptures et des peintures en relief. Partant, l’exposition devient aussi bien une présentation classique d’œuvres « à plat » ou en volume qu’un théâtre fictif dont les éléments du décor sont mis en perspective et en jeu. L’auteur des pièces agit par procuration comme acteur, producteur, spectateur et critique ou commissaire de l’exposition devenue un spectacle. Emporté par sa culture dialectique du travail artistique, et plus encore ici par son humour sensible, Côme Mosta-Heirt recherche l’étonnement du spectateur et pour cela imagine des déstabilisateurs esthétiques. On devine alors qu’au sol ce sont de vraies sculptures nées de l’agencement des modules qui sont installés, et on oublie les modules. On voit sur les murs des compositions bizarrement abstraites et vraiment métaphoriques, des assemblages méthodiquement construits et cependant ludiques, des dispositifs d’espaces soi disant mobiles et des apparences d’anamorphoses, partout des sommes d’écritures et de signes imaginaires, des paysages en rêves, des images brumeuses aussi authentiques que si elles étaient purement inventées.
Côme Mosta-Heirt, artiste conceptuel, se révèle doux rêveur d’art total. Et on le suit en toute complicité.
08/06/2019
« Paris peinture Plus » est une exposition collective qui réunit des plasticiens, dans l’ensemble artistes peintres, tous issus des beaux Arts de Paris ou s’y étant rencontrés. Ils forment une sorte de confrérie d’artistes solidaires et amicaux mus par le désir de faire connaître leur travaux respectifs. L’exposition « Peinture Plus » qu’ils organisent ensemble est aussi l’occasion de chacun de défendre son style de travail ou, pour être factuel : pour aussi défendre sa technique…
L’exposition est fraiche, franche, clairement diversifiée par les pratiques et les œuvres exposées. Excepté une peinture figurative à la fois très plastique et mystérieusement irréaliste de Maud Maris, l’ensemble montre toutefois des œuvres d’artistes aux styles maniérés semblant d’avantage « encore » étudiants en art que des recherches de créateurs se risquant à concevoir une technique solide. Dans la plupart des œuvres, la pratique précédemment étudiée par d’autres se présente surtout ici sans bouleversement et plus séduisante ou vide que stupéfiante et problématisée par des engagements appuyés. Sans perdre une sincérité initiale, l’exposition est pour moi sans réelle surprise esthétique ou picturale.
04/06/2019
Geneviève Asse a peint durant des années le même bleu, utilisé à peu près toujours le même dispositif plastique, la même épuration synthétique des paysages marins de sa jeunesse, la même pratique « sans filet » et donc « artistiquement les mêmes risques de chaque fois rater son coup » pensait en substance Samuel Beckett de son travail. Sa production demeure pour ces raisons un travail de recherche opiniâtre et une énigme sur ce que peindre peut dire, ce qu’induit le mouvement toujours lent puis décidé d’une conviction et d’une expression picturales affirmées. La quarantaine d’œuvres, d’époques et de formats divers, que présente jusqu’en juillet la galerie Antoine Laurentin file ce chemin d’aventures et rappelle avec quelques travaux plus anciens que, dès ses premiers engagements d’artiste, Geneviève Asse visait une pratique et des œuvres à jamais questionnant et méditatifs.
L’exposition, composée d’œuvres venant de collections privées, permet en ce sens de découvrir la mobilité et la plénitude d’une créativité que j’admire parce qu’elle est toujours à la fois critique et ouverte. Les travaux exposés sont de diverses dimensions, jusqu’à des formats poche. Immédiatement, on sent l’artiste s’intéresser aux questions d’espace et de temps. Si la composition de certaines œuvres est nette, la plupart pourtant est floue et parait indécise, du moins assez retenue pour qu’on songe que Geneviève Asse travaille peut–être entre l’imperceptible et l’apparition. Sans doute est-ce à ce propos que certaines fois l’image semble juste esquissée, qu’il semble que l’artiste, œuvrant dans l’intuition de l’instant, a préféré travailler sans cadre et découper son œuvre comme on délimiterait une part d’océan. Sur toile ou sur papier, le moindre tableau porte avec assurance son souffle particulier et une réponse provisoire. Ainsi, ces peintures sur papier intitulées « Impression » où la superposition de traits horizontaux parallèles conçus à partir d’empreintes partiellement effacées crée sur un fond bleu aquarellé une thématique environnementale purement sensible. De même ces autres panoramas symboliques peints en hauteur ou étales confrontés à leurs débords. De même encore ces visions dont la monochromie océane provient davantage de l’égalité des valeurs des teintes que de leur spectre. De même toujours ces compositions inlassablement reprises pour être refondées dans leurs visons et leurs aperçus.
Les tableaux de Geneviève Asse parlent d’étendues, de temps dilué et de méditation esthétique. En focalisant mon regard sur leurs minuscules macrocosmes, ils m’évoquent des paysages intérieurs, sûrement métaphysiques. Il me faut chaque fois regarder leurs apparences plastiques comme des formules picturales* aussi délicatement ponctuelles qu’artistiquement prononcées.
* Cézanne, constamment à la recherche d’une réponse plastique à un problème pictural parlait de rechercher opportunément « une bonne formule ».
01/06/2019
Rue du Bac, chez Maeght, un peintre nommé Fiedler expose un ensemble de tableaux sur le thème : « matières ». Toutes les œuvres présentent une sorte de mur peint uniforme sur lequel l’artiste a esquissé d’une ligne approximative une vague silhouette généralement abstraite avec l’embout d’un tube de peinture. Parfois, plusieurs formes semblent se superposer ou se combiner. Les compositions paraissent centrées sans qu’on perçoive la raison intuitive ou travaillée de ce choix. Chaque œuvre interroge sur son esthétique sans combler les doutes, et les références plastiques apparaissent chaque fois superficielles sinon transparentes. In fine, l’ensemble de cette production dont l’esthétisme est le fil unique paraît ne viser qu’un programme gras bourgeois.
Un peu plus loin dans la même rue, galerie Fournier, une exposition intitulée « incontri » (rencontre, réunion… en Italien) s’attache à rendre hommage à Pierre Buraglio. Les œuvres réunies tracent l’aventure esthétique, intellectuelle et désormais historique du peintre sur un demi siècle depuis les années 1970. Toutes montrent des compostions à la fois ironiquement spontanées et d’aspect faussement brut, toujours conceptuellement subtiles et raffinées. Outre les œuvres marquantes de Buraglio lui-même, l’exposition inclut des raretés de James Bischop, Simon Hantaï, Claude Viallat voire Michel Parmentier. Il s’agit de compagnons artistiques du peintre. Il se trouve que ce sont aussi et toujours des créateurs essentiels de l’époque dont l’aura demeure. Aucune réserve au sujet d’Hantaï, Viallat ou Parmentier, leurs œuvres montrent chacune le talent, l’ironie et les compétences plastiques et techniques imaginées de leurs auteurs. Pour Parmentier, j’avoue avoir fait une découverte inattendue. Que dire du tableau de James Bischop (la possibilité de voir ses œuvres est tellement rare et exceptionnelle), sinon que c’est une œuvre aussi somptueuse et expressive que finement picturale ? Et qui à elle seule vaut le déplacement.
Dans la première galerie, de l’esbroufe commerciale. Dans la seconde, dignité et création.
Poursuivons ça ou là, en vadrouillant de l’autre côté de la Seine.
Rue de la Verrerie, chez Patricia Dorfmann, une sélection particulièrement riche et expressive de Maryan. Sur les murs, des peintures et des dessins réalisés « durant les années New-york ». Toujours des clowns dont, à l’instar de Malraux devisant sur les autoportraits grimaçant de Rembrandt, on ne sait si les tronches des clowns de Maryan hurlent ou rient, si elles jouent ou pleurent. D’autres dessins et peintures montrent encore des personnages grossièrement représentés en train de tirer la langue, déféquer ou pisser, souvent tout en même temps dans un délire visuel ironique et sarcastique. Partout, ce ne sont qu’images ou silhouettes burlesques, caricaturales, carnavalesques, insérées dans ce cerne gras et grossier qui est la marque du peintre et dont l’usage varie dans un style toujours tonitruant. En récusant tout autre qualificatif de sa peinture pour n’en parler qu’en termes de « peinture vérité », on sait que Maryan a arbitrairement clos tout jugement temporaire ou définitif sur son travail. On ne peut donc que dire si on aime ou pas. Perso, j’admire.
Galerie Nathalie Obadia, le peintre réaliste Guillaune Bresson… Passés les éléments de langages très commerciaux de la présentation, que reste t-il ? Des images illustratives et narratives, parfaitement lisses dans une esthétique hyperréaliste reconnue. Peu d’engagements nouveaux ou critiques par rapport à ce qu’on sait du genre, ses animateurs historiques, quelques détracteurs qui, à l’insu de leur insensibilité, l’ont en définitive conceptuellement valorisé. Ce travail d’une dextérité technique indéniable et sur le fond peu original n’a de moderne que son affaire commerciale.
Carmen Perrin à la Galerie Putman. Aucun intérêt ni formel ni conceptuel. Tout ce qui est présenté a déjà été inventé esthétiquement avec plus de finesse et de sagacité… (Cinétisme, Duchamp, Graphisme et expression visuelle, minimalisme formel etc). Tout a été aussi bien réalisé techniquement.
Djamel Tatah, galerie Poggi. J’avais peu d’attirance pour ce travail réaliste apparemment sommaire et que j’espérais faussement simple, cette peinture à la fois très cadrée, très stylée et aux références historiques et artistiques parfois marquées (particulièrement certains peintres du XXe s). Curieux d’en revoir des éléments pour vérifier et peut-être contredire mes premières réserves, et découvrant le peu de volonté de l’artiste à en faire évoluer sinon l’apparence (au sens d’une démarche poïétique), du moins l’actualité de son insertion historique, cette peinture, sujet et plasticité, selon moi devenue simplement répétitive, évolue comme un travail dont l’intérêt technique, plastique et esthétique reste pauvre.
Chez Templon, rue du Grenier Saint Lazare : Les peintures de Kehinde Wiley. Les œuvres sont des peintures de très grand format, réalisées dans un style photographique. Elles sont à la fois vivement colorées, exotiques et naïves, rappelant une collection d’images documentaires artisanalement peintes dans de vagues ressemblances avec Gauguin et le Douanier Rousseau. Les thèmes et les compositions sont inspirés par l’existence, la vie et le milieu des rae rae à Tahiti (Les rae rae sont des femmes transsexuelles de Tahiti). A travers leur réalisme léché et platement analogique, les peintures, plus habiles que soutenues par une recherche plastique critique avérée, se répètent selon les codes d’un formalisme propre à satisfaire des collectionneurs-touristes fortunés.
Rue Chapon, galeries Tokonoma, Isabelle Gounod, Papillon, Christophe Gaillard.
« Scapeland/dynamiques de paysages » l’exposition de la galerie Tokonoma propose deux conceptions de dessins de paysage. Hélène Muheim invente des contrées oniriques où à travers des sortes de nuages présentés verticalement ou de halos complexes de végétations confuse et de nature indéterminée. Les compositions jouent la confusion du ciel et de la terre, l’inversion de l’avers avec l’envers, l’assemblage avec le mélange… C’est très bien dessiné, spectaculaire même… mais trop proche d’un exercice scolaire soigné pour satisfaire une création emportée par l’arbitraire et la subjectivité personnelle. De son côté, Fabien Granet laisse dériver son imagination depuis une grille à partir de laquelle il compte dégager des motifs et des perspectives de paysages fantastiques. Réduits à des photographies virtuelles, les dessins déclinent la saisie de visions fantasmatiques captées comme des images critiques et fortuites, assemblées et montées comme les cutd’un storyboard imaginaire. Et chaque fois, ce ne sont qu’allusion à des silhouettes furtives ou sensationnelles, toutes révélant des réalités plastiques aux lisières incertaines. Un peu formelle, la précédente exposition de Fabien Granet peinait à subjuguer. Cette fois, c’est surprenant d’efficacité suggestive et de discrétion technique. C’est surtout esthétiquement très beau.
Galerie Isabelle Gounod, Sophie Kitching. Toujours inspirée par le spectacle des vitrines, Sophie Kitching poursuit ses recherches sur les reflets et l’émergence des formes prisonnières de leurs transparences parfois embuées. Le paysage est son thème, en filigrane, le reflet est son moteur créatif. Elle l’exploite picturalement par des visions floutées ou des taches informes et multicolores dispersées sur des plaques superposées en plastique ondulé translucide. Claude Monet ou les marques de sensations formelles de Louis Canes apparaissent comme les inspirateurs d’une manière qui se veut un style libéré. C’est parfois intense et plastiquement très beau. En même temps on s’inquiète de l’aspect quelque peu fabriqué des peintures. L’artiste, qui semble vouloir peindre comme on mène une recherche artistique et esthétique fondamentale semble aussi se contenter de recettes. Par quoi confirmer l’attente sans diminuer l’espoir en réserve?
Pierre Tal Coat dans les deux espaces de la galerie Christophe Gaillard. L’exposition intitulée « L’émerveillement abrupt » permet de voir des peintures rares, souvent de très petit format : des paysages peints sur des couvercles de boite de cigares, de minuscules pièces de bois semblant récupérées à l’improviste… Tal Coat est à mes yeux un plasticien et un peintre à la technique admirable, travaillant toujours « sans filet »*, puissant et libre, émouvant sans jamais paraître las de simplement s’exprimer comme sujet. J‘estime aussi impossible de l’oublier tout comme Bram Van Velde ou Geneviève Asse, Eugène Leroy ou Giacometti. L’exposition a des allures de rétrospective un peu trop scénarisée, le commerce s’impose lourdement… Dans la même veine, je m’interroge sur l’extrême mauvais goût et la stupidité de certains encadrements choisis pour quelques œuvres de très petite taille. On ne pouvait pas étouffer plus efficacement le souffle du peintre.
Jeff Elrod Galerie Max Hetzler, rue du Temple. De grandes peintures hybrides, réalisées conjointement sur écran et sur toile. Si le procédé esthétique et pictural n’est pas nouveau, il est rare de l’employer dans un esprit de recherche aussi expressif. Guidée par une abstraction gestuelle à la fois envahissante, nerveuse et sensible, chaque composition laisse planer une improvisation maîtrisée comme on manipule une esthétique visuelle saisie dans un instantané. Digitaux ou manuels, les gestes paraissent osciller entre irruption et retrait ou pause et emballement. Des actions d’effacement répondent à des entreprises de construction apparemment programmées, des espaces s’emplissent, d’autres s’estompent ou se dématérialisent sans réciprocité, incomplémentaires. Les formes, les lignes, les matières et les couleurs, les échelles et les contrastes, la droite et la gauche, le haut et le bas, le centre et la périphérie, enfin tout ce qui se voit et se présente paraît s’embrouiller pour se fondre dans un fouillis all over à la fois primaire et recherché. In fine, en suscitant autant de contemplation que d’écoute virtuelle, chaque œuvre opère comme un concert et une performance.
Alice Gautier à la galerie " H galerie". C’est étrange de voir comme chez certain(nes), l’art tout de suggestions plastiques de Françoise Pétrovitch ou narratif et esthétisant de Barthélémy Togo ne parviennent qu’à se transformer en plasticité gracieusement descriptive.
Même galerie, les dessins au fusain et au pastel de visages d’enfants exposés sont des portraits d’artistes aujourd’hui réputés. L’art, cette fois émouvant et toujours facétieux de Corine Borgnet est-il un essai de retours métaphoriques sur quelque origine historique de sa passion pour l’art ? A travers leur style proche de la figuration narrative, chaque dessin rappelle et fait signe de rencontres aussi réelles qu’imaginaires.
16/05/2019
Plasticien avant toute chose, Denis Malbos est aussi sculpteur, peintre, constructeur de décors pour le théâtre, auteur de spectacles et parfois marionnettiste, dessinateur parce qu’il est également concepteur d’esthétiques, fomenteur de happenings et aménageur d’environ-nements, architecte d’installations artistiques… Le plus étonnant de cette somme hétéroclite aux apparences de catalogue à la Prévert est qu’en définitive Denis Malbos est un créateur foisonnant dont les œuvres, ensemble et séparément, instillent autant d’unité que de sorties inventives.
Les œuvres de Denis Malbos fonctionnent d’abord comme des rimes poétiques échafaudées entre réalité et conception. Une série de photographies puis des sculptures autonomes montrent l’artiste en train de former dans sa main une empreinte en serrant fortement une boule d’argile afin d’enregistrer l’opération et le résultat qui en est issu comme une composition. Renouvelée de diverses manières, le geste consiste à induire et varier allusivement les modèles obtenus comme autant de sculptures indéfiniment possibles. L’œuvre finale, composée de moulages en creux et en relief, d’images fixes et d’enregis-trements vidéo de l’action brouille les référents et rétroactivement le moment de leur enregistrement vsleur aura selon la définition de Walter Benjamin. Avec cet ensemble de propositions d’œuvres in processen partie lié à l’art conceptuel et les dérives de certaines de ses scénarisations plastiques, Denis Malbos veut-il montrer qu’il peut faire évoluer son travail dans les deux directions d’un mouvement d’initiation simultanément imaginaire et visuel, ou intérieur et public ? D’abord intitulée « Malaxe », puis « Tenir et lâcher prise » et in fine « Appuyer », la série illustre et met presque pédagogiquement en perspective le principe circulaire et poïétique d’une découverte d’une plasticité purement esthétique, surprenante dans ses détails.
Quel engagement l’artiste travaille t-il, initie t’il ou permet t’il à ses mises en œuvre pour qu’il aboutisse aux signes d’une création d’aspect chaque fois brut ? La confusion manifestement recherchée de Malbos excelle en ambiguïté. L’imagination de ses thèmes créatifs couvre des modes de création et de réalisation circulaires entre eux qui rendent leurs traversées diamétrales et leur circonférence régulièrement insaisissables. Familier de l’ironie, l’artiste s’ingénie avec nonchalance à rendre floue chaque apparence de sa pratique afin que rien ne paraisse littéral. Adepte de la zprezzaturafamilière aux tacticiens et un rien malicieux, il affecte la subjectivité d’évanescences supposées expressives de son travail. Impossible de décrire d’un mot seul ses interventions en galerie ; il peut programmer un accrochage classique et d’un coup retenir l’idée questionnante d’une installation pour le spectateur. Sommes nous face à des tableaux, des dessins et des photographies, des assemblages et une sorte de performance ? L’artiste donne chaque fois le sentiment de jouer simultanément avec l’instant et l’écoulement du temps. Le goût de Denis Malbos pour les happeningdomine ou s’instille à mesure qu’on découvre au passage qu’avec leurs titres « calembourgeois »*, ses œuvres ou les avancements de son travail dénotent un art constamment engagé par ses changements. Enumérons-en quelques uns, ils suffisent presque comme explication générale et particulière : « Malaxe », « Tenir et lâchers prise », « appuyer », « Préfiguration des acrobates », « Vrac », « Les cent ciels plantés », « Centenaire (ou le poids de choses)» etc. A ces intitulés correspondent, on l’a dit, des empreintes calculées, et aussi des formes brutes, et encore des relevés apparemment objectifs, des groupes de formes oscillant entre statuaire et construction sémantique, des démonstrations photographiques où le réel apparaît comme reportage ou divague tranquillement…
D‘avantage que travailler, Denis Malbos vaque à diverses occupations créatives qui le mobilisent et qui, avec l’attachement et la distance humoristique nécessaires, mobilisent aussi les apparences réelles et subjectives des œuvres produites. Il n’est que de voir avec quelle assurance il dispose également de ses sujets et leurs possibilités d’être scénarisés selon les formes, les lieux et le temps de leurs expositions. Prenons les nombreuses et diverses pièces de la série « Appuyer (ou le poids des choses). Le principe est celui d’un objet, en l’occurrence une branche imaginairement tombée sur le sol et y laissant à la fois sa marque, son empreinte et son moulage vs l’entour déformé du territoire éprouvé par le poids du corps chu. Repris et répété, l’événement donne lieu à la production d’un ensemble aussi varié qu’inattendu d’assemblages plastiques pouvant rappeler l’élaboration d’un alphabet ou des moulages ethnologiques, voire les deux… ou les trois si on songe qu’il pourrait aussi s’agir d’une enquête morphologique sur la croissance et l’âge d’arbres dont on n’aurait devant soi que des témoins limités… ou quatre, des fois que s’invite l’hypothèse d’une succession de portraits d’oiseaux… Partant, les rêves courent, filent des crêtes ou cheminent, toujours allusifs. Cette malle onirique et subjective ou ce travail de collationnement apparemment scientifique sont liés par la même histoire. Ce qui fait trace vaut chemin, corpus et géographie d’aventures à la fois possibles, réelles et intellectuelles, toujours sensibles.
On peut somme toute s’interroger sur les œuvres de Denis Malbos, les trouver parfois évidentes, voire tenter d’ignorer qu’elles sont plastiquement conçues. Mais il y a une démarche toujours ouverte, calculée et ludique, multipliant les angles d’imagination, concentrée sur l’invention de regards, et à leur passage prompte à susciter des aperçus et s’y laisser piéger.
Alain Bouaziz, mai 2019
* Christian Zeimert, peintre calembourgeois,une monographie de Gérald Gassiot-Talabot sur Christian Zeimert.
06/05/2019
Alignés sur les murs comme les pages successives d’un livre virtuel, les dessins semblent à la fois décrire un chemin de mémoire et par étapes une réflexion en profondeur sur l’art du dessin, ses architectures et sa plasticité partagées. De fait, les enchevêtrements et les entrelacs dessinés intitulés « Marocco » de Brice Marden soulignent que l’artiste a une passion autant pour la forme spectaculaire du geste du dessin que la recherche qui le fonde.
Chaque dessin de la série – plus d’une soixantaine – se compose d’une feuille orientée verticalement dont la moitié supérieure est occupée par la silhouette vaguement carrée d’un entremêlement de lignes ou de points la plupart du temps réalisés à l’encre ou peints en noir et blanc. Les compositions de points, se présentent comme des taches posées successivement, à la façon d’une trame ou d’un semis. Pour les lignes, pas de géométrie autoritaire, le fil d’une ligne sinueuse court en tous sens et s’embrouille pour former selon les cas des réseaux diversement compliqués. L’esthétique graphique des œuvres toute en nuance est parfois accompagnée de traces de couleur, confirmant qu’à travers ses variations et son unité d’ensemble il s’agit pour Brice Marden d’un travail in process et en l’état non fini.
Les soixante œuvres exposées comme s’il pouvait aussi s’agir d’un dispositif dégagent une allure d’installation apparemment prévue. Par leur hiératisme, leur simplicité processuelle et le temps allongé par leur variation, l’expressivité des dessins se sublime d’une beauté évènementielle fascinante. Avec ses oscillations entre un principe iconographique et une méthodologie méditative proche de la contemplation, la série emporte l’adhésion. On se pose devant les méandres langoureux et multicolores dessinés par une tache d’huile sur une surface d’eau, les rythmes aléatoires d’une musique de Phillip Glass ou Terry Riley, voire quelque graphisme de Marian Zazeella en écho à une composition musicale de La Monte Young, peut-être encore une danse de Luncida Child. En assumant l’expérience artistique comme une inaction réflexive en concordance avec une esthétique Zen, Brice Marden donne à travers chaque œuvre le sentiment d’avoir eu à cœur d’illustrer autant une réflexion philosophique sur la sérénité qu’un jeu de hasard.
L’exposition demande donc du temps, requiert le silence, suscite une curiosité admirative et incite au retrait métaphysique. Tout en instillant par sa retenue une exigence d’art aussi éthique qu’esthétique.
05/05/2019
Claude Bellegarde expose peu et travaille beaucoup à ce qu’il semble, avec la série de toiles et de peintures sur papier exposées à la galerie Guillaume. Pour dire les choses autrement et s’approcher au plus juste de ce qui constitue le fond dans sa peinture, Bellegarde évolue et conçoit avec sérénité que peindre ne peut qu’être le paradoxe sans solution d’une pensée à distance exprimée par des gestes intuitifs ; être artiste c’est exister par des détachements spontanés, livré à la peinture seule comme Claude Bellegarde est artiste peintre. Sur les murs de la galerie, les peintures sur toile ou sur papier, comme toujours vivement colorées semblent des compositions muries et les chemins d’une activité gestuelle en partie incontrôlée. Partout, le format tombe au profit d’une véhémence sensible dans laquelle la couleur – comme première matière picturale – et les rythmes verticaux et ascendants cinglent et s’emportent dans les déploiements lyriques de gestes jazzy. Intitulée « Partition chromatique » l’exposition tient à ce propos son sujet.
Le peintre fait encore tomber les formats en ordonnant son travail pour lui faire embraser l’espace, comme une architecture s’autogénère en flammes intérieures. Concentrées, les forces chromatiques font exploser dans chaque tableau les géométries supposées servir de modèles, l’instinct et l’hors temps d’une esthétique de l’émotion immédiate transgressent toute norme et font diverger les sujets en donnant l’impression d’une inspiration générale au-delà du réel. Pour le spectateur, c’est la débandade, le peintre débarrassé des contraintes temporelles ou des manières codées se borne à peindre comme il ressent ; libre à quiconque d’en décomposer son œuvre et s’y perdre en confusions. Bellegarde s’échine à penser comme il peint dans l’instant où il « trouvaille » un chemin présumé. Apparemment simples, les formules des tableaux deviennent complexes, plus rien n’y semble centré, tout oscille entre les limites de chaque subjectile, pris dans les filets de puissances qu’on sent simultanément réelles et métaphysiques ; la richesse et l’éclat des couleurs éclairent la recherche expressive du peintre. Sur les tableaux décomposés, les surfaces débattent, s’invectivent, se complètent, s’interrompent, semblent se remplacer momentanément ; quelquefois, on surprend des ensembles de formes simplement complémentaires, il arrivent aussi qu’un unisson produise des effets d’accords. On l’a dit, les couleurs explosent d’éclats, tantôt elles hurlent et tantôt elles râlent. On entend les gestes de l’artiste respirer à pleins poumons, la plupart du temps expirant d‘un feu entièrement intérieur, le reste du même temps vibrant et pulsant comme une jam cession. En ne représentant rien mais en se référant aux puissances de la peinture seule, les œuvres font de chaque détail travaillé une part du sujet, et d’une seule caractéristique formelle un objet intensément pictural.
Cette peinture apparemment brute de décoffrage, abstraite par convention, hypercolorée par conviction est d’une sincérité sans façon ni réserve de la part d’un artiste libéré d’une culture que, sans contradiction on devine profonde. Les tableaux, peints à vif ne semblent précédés par aucun dessin d’ordre. Les gestes du pinceau disputent aux élans du corps et du sentiment comme des musiciens s’accordent en improvisant ensemble. Le regard du peintre, arbitraire et assumé, provocateur et méditatif, semble se résumer aux œuvres. Faut-il pour le comprendre s’engager sur la piste d’un artiste supposé incarner des visions ou ne donnant libre cours qu’à sa conception personnelle de l’art ? A travers la liberté de son style et son apparente révélation personnelle, la peinture entière de Bellegarde s’appuie sur des forces humaines telluriques. Dont la puissance et l’intensité fascinent !
28/04/2019
Le ton est justement donné dès l’entrée de l’exposition « …Formé à la rigueur du Bauhaus, Vasarely s’est vite limité à une manière »…
L’artiste auquel on ne peut reprocher d’avoir prodigieusement réussi à produire et infuser dans la société un art authentiquement populaire s’est donc borné à l’usage d’une manière conçue comme un procédé immuable, des modèles dont seule l’apparence pouvait compter. De sorte que, passés les exercices graphiques et les assemblages colorés des débuts, sa recherche s’est très vite suffi d’un formalisme et la production industrielle de compositions par principe décoratives et comme il se doit allégées du moindre fond réflexif. Pas étonnant donc que d’une salle à l’autre, d’une œuvre à l’autre même, la même recette semble se répéter sans que l’idée d’une variation intelligente et donc agissante soit glissée. Dans la quantité d’œuvres de toutes natures, formats, aspects visuels, tout n’est recherche d’une peinture à moindre frais, d’un art de surface. Quand la matière de certaines œuvres change, c’est la technique de production qui diffère…
L’art de Vasarely est en fait une machine à cash, sa pensée un rien factice mais parfaitement futile a pour socle des montages géométriques seulement optiques. C’est par démagogie une esthétique agréable et spectaculaire, tout est en réalité conçu sous les rets d’intérêts de boutiquiers. Au gré des salles, le public bluffé par l’habileté d’un artiste jouant au créateur s’extasie et parfois se pâme en comparant entre eux des assemblages dérisoirement simiesques. L’heure est au spectacle…