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« "Sunny Winter & plaisir" » à la Galerie Alain Dutharc

06/12/2017

Galerie Alain Dutharc. « "Sunny Winter & plaisir" » Juste une expo sur l’idée du cadre. Et sur ce sujet, très inspirant pour les artistes et leurs démarches, sur ses perspectives d’entendements, ses paradigmes et ses images, que de questions d’intelligences posées de façon créative ! L’exposition de taille modeste, parvient « en quelques artistes actuels » à diversifier les choix de réponses avec autant de rigueur et d’exemplarité conceptuelle et que d’humour.

Détaillons…

Sur un socle, qui est en fait une table, une sculpture faite d‘un dédale de corniches doré kitchissime évoque un labyrinthe dessiné par Escher. Après examen, l’œuvre se mue ironiquement en proposition théâtrale, en allure d’installation, voire en « happening d’elle-même ». In fine, Mathias Kiss, son créateur, fait de l’encadrement l’autocélébration d’une œuvre aussi drôle par ses contortions que son éclatante absence.

A peine plus loin, un dessin d’Eric Dubien encadré selon les codes est associé à deux autres productions sans cadre et de plus petites tailles avec lesquelles il dispute des histoires énigmatiquement liées à son statut, son sujet et son sens. L’assemblage clairement narratif rapproche images, récit et scénographie et s’encadre d’expériences esthétiques d’autant plus allusives qu’elles reposent sur des références qu’on devine personnelles. A la fois visuellement présente ou éludée d’un dessin à l’autre, la référence au cadre semble cette fois mobilisée sur le mode compassionnel.

Toujours dans cette exposition décidément surprenante, None Futbol Club (il s’agit d’un duo d’artistes) a mis en scène un cheval de gala en train de s’extraire ­– ou de rentrer dans un bloc supposé de marbre blanc. Inspiré par quelque facétie historique Dada ou Fluxus, et sans y avoir particulièrement songé auparavant, j’imagine une œuvre sinon son créateur surgissant ou s’extirpant de son antre minéral, plastronant de façon ridicule face au risque de voir sa production tourner en rond si elle s’enclose.

Daniel Firman a imaginé sur un autre mur une superbe mise en scène « froide » du cadre comme incorporation. Son œuvre, un rouleau de moquette suspendu au mur déroule avec esprit une vision de l’œuvre dans un mouvement de découpe suggestif du périmètre et de la surface du sol de la galerie. L’installation ne se cache pas d’être conceptuelle d’une façon que je trouve personnellement assez réjouissante sur le cadre conçu comme un tracé aux échos topographiques. Sauf que la découpe donne ici l’impression de réinventer le cadre qui l’inspire…

A cheval sur deux murs en angle, le rectangle découpé en bandes verticales d’une glace immense est épandu comme une chronophotographie de Marey… Avec cette autre œuvre, Mathias Kiss réduit le travail artistique à un semblant de cadre qui vaut pour ce qu’il enserre et souligne. L’installation reprend aussi de manière toujours débridée et foncièrement ironique son idée que le cadre, comme objet et comme environnement, peut faire œuvre avec un décalage conceptuel teinté de causticité.

Il y a aussi dans l’exposition cette curieuse peinture « nocturne » simultanément truellée et par endroit boursouflée de Bernard Quesniaux. Faut-il y retrouver ce flottement du rêve à compter duquel la nuit prend ou ne prend pas son dormeur ? L’idée d’un cadre cotonneux fait ici place aux fluctuations de la surface livrée à l’arbitraire de ses marges.

Il y a enfin cette « peinture-panneau » de Guillaume Linard-Osorio disposée face à l’entrée de la galerie. Marquée de cinétisme, sa surface polychrome ondulée et translucide semble se désincarner dans les brillances colorées de propre image frisante. Le cadre est ici évoqué sous la forme inversée d’une étendue et d’un temps étirés sans fin.

Avec cette exposition, le thème de l’encadrement pour un créateur toujours difficile d’accès s’avère illustré, imaginé, vérifié avec autant de réactivité inventive que de finesse conceptuelle ou de facétie esthétique. Les artistes réunis ont chacun projeté et su produire des aventures plastiques qu’ils ont transformées en sculpture, en installations et en happening virtuels. Ils ont simultanément diversifié des objets de pensée libre ; ils ont su retourner avec décontraction des pratiques en casse-tête à la fois judicieux et déconcertants. Je repense à l’humour sérieusement réfléchi des Ready-mades fabriqués ou saisis d’un vol au moyen d’un calembour par Marcel Duchamp, aux fantaisies architecturales nées des rêves de Bob Wilson, aux rapprochements volontairement bizarres et tout aussi inquiétants ou incongrus que distrayants  de Max Ernst ou Magritte. La narrativité libérée de certaines œuvres me renvoie encore aux déambulations littéraires et plastiques de Marcel Broodthaers, de Jean-michel Albérola ou de Jean le Gac. L’exposition refait voyager en rendant plus instructif un thème en apparence « surlabouré. »

Puis je reviens au réel d’artistes et de productions créatives prenant chaque fois avec humour le risque de formes perceptuelles et imaginaires des moyens expressifs…

Chemins éperduement de Laurence Garnesson à l’œuvre.

28/11/2017

Je viens de recevoir un catalogue des œuvres récentes de Laurence Garnesson. Peintures, dessins et carnets y sont présentés avec justesse, les œuvres reproduites reflètent fidèlement son engagement d’artiste.

Tenté par un regard métaphoriquement rétrospectif ou comme s’il avait portait la mémoire d’un palimpseste, je consulte l’ouvrage à rebours, en commençant par les carnets montrés dans les dernières pages.

Les études figurent sur les pages impaires. Les gestes « s’éperdurent » en traces évanescentes, pour partie encore enfouies dans le blanc de l’épaisseur initiatrice du papier, s’en dégageant ici, y surgissant là ; gestes comme poussés par une force tellurique. Inutile de croire à une expression abstraite ; si on ne voit pas de forme encore connue, c’est que l’inspiration n’en est qu’à l’explosion. On reconnaît donc que des éclosions sont en cours, qu’un avènement pointe le nez, que l’inconnu va cependant encore demeurer mystérieux. Les yeux grands ouverts sur les moindres détails on attend l’instant qui vient, on guette. Page 39 du catalogue, l’ouverture sur deux volets pair et impair d’un carnet évoque ce miroir si particulier au fond duquel le chemin n’est pas un tracé qui se perd page après page mais la carte aventureuse de gestes qui inspirent recto-verso une histoire en temps réel.

Puis au fil des pages du catalogue, les dessins : pierre noire, craie, mine de graphite, polychromie complice entre les noirs et blancs des feuilles et des moyens d’expression, pressés de livrer leurs secrets de fabrication, fulgurances de leur usage sensible. Les élans du dessin mutent en compositions de lignes traversantes ou explorantes, fulminantes ou disséquantes, surprenantes et ardentes, incarnées et provocantes, toujours ouvertes sur l’imaginaire.

Les dessins sont aussi nets que parcourus d’effacements plastiques. Il y a aussi de recouvrements, des réserves subtiles, des retraits et des débords malins. Les dessins sont aussi pleins que composés en souplesse, J’aime cet art d’occuper toute une surface en délocalisant l’attention sur quelque chose risquant de faire centre afin de suggérer des forces expressives venant de partout.

Les dessins sont sans titre. Les dessins n’ont pour intitulé que la fascinante apparition contemplative et remarquable dans la forme d’esprit de leur auteure. Les dessins sont illimités dans un espace extensif.

Retour sur les peintures en début de recueil. La polyphonie des graphismes se précise en s’étendant aux suggestions terrestres et atmosphériques de lumières intérieures. Le blanc du papier se fait caisse luminescente, les tracés des gestes évoquent des réverbères, des teintes sortent de terre, d’autres tombent des cieux, les compositions deviennent pièces et album d'un château magique. Avec chaque tableau, l’artiste, au fait de ses responsabilités, creuse un peu plus les éveils de son travail.

Le catalogue se fait itinéraire. En remontant son cours, je file avec certitude un œuvre futur que seule l’émotion sensible rendra intelligible. Et par ces brèches et ces crevasses imaginaires, à travers la plasticité polyphonique et colorée de ces ouvertures lumineuses et virtuelles dans le blanc du papier peu de temps auparavant supposé inerte, Laurence Garnesson nous montre éperdument le lyrisme de sa vie en train de se vouloir artistique.

 

Alain Bouaziz, nov.2017

Galerie Frank Elbaz, rue de Turenne ; exposition de Kaz Oshiro, sculpteur.

27/11/2017

Des compositions linéaires faites de poutres métalliques en I utilisées dans l’industrie du bâtiment accrochées/plaquées sur les murs de la galerie. A l'exception d'une seule repeinte en jaune vif, toutes sont conservés dans leur couleur acier naturelle. Les œuvres, plus surement de diverses longueurs que de diverses tailles sont composées en associant les poutres par tronçons. L’ensemble forme sur les murs tantôt des traits épais verticaux ou horizontaux, tantôt les silhouettes énigmatiques de châssis ou de sortes de passe-partout sans images, parfois des fragments d’architectures à l’apparence d’échantillons ou les détails d’écritures géométriques restant à découvrir. Des informations livrées par l’artiste nous apprennent — ou nous avertissent (voire mettent en garde ?) : ces poutres sont factices, ce sont des « peintures en relief. »

Si précisément ce relief est avéré, la partie peinture est en trompe l’œil. Les poutres s’imposent exclusivement comme des objets détournés de leur fonction que comme œuvre picturale. Le jugement hésite en conséquence entre des objets apparemment vrais et l’image dans tous les cas complètement fictive de reproduction en trompe l’œil. L’artiste ne dissimulant pas d’être en même temps et dans tous les sens intéressé par le minimalisme, chaque œuvre fait par ailleurs franchement penser à des sculptures de Tony Smith, Donald Judd ou Richard Serra. Plus à distance, on peut aussi évoquer Marc Di Suvero.

 

En contradiction avec certaines informations de l’artiste et du galeriste s’en faisant l’interprète, et bien qu’en divers endroits, des effets de traces blanches sont ajoutées à l’aide d’une bombe de peinture, rien de (majoritairement) pictural n’est sérieusement dénoté à propos de « peintures en relief.» Ça reste marginal. Reste alors la scénographie de l’exposition qui me frappe pas son efficacité et dont je retiens divers éclats comme cet alignement mural mimant une sorte d’architecture de cathédrale à l’horizon du mur blanc situé à l’opposé de l’entrée de la galerie, sa tenue générale me fait penser à un vestige à la Caspard David Friedrich. Il y a aussi ces géométries, mathématiques comme des musiques répétitives de Steve Reich ou Phil Glass. Ailleurs, cette combinaison formant un triangle de deux tronçons jaunes et gris et qui suggère par ellipse une création architecturale. Le regard suit les formes, réalise que ce sont des pièces en partie incomplètes ou donnant l’impression de l’être.

Toute la sculpture semblerait être là si le travail plastique d’hybridation visuelle entre peinture et sculpture, corps entiers et suggestions de présences provoquait effectivement l’imagination d’un réel plus vrai que nature. Car en réalité, répétons le, tout est faux, ces poutres n’en sont pas vraiment, ce sont des objets imités, les matières comme les couleurs sont factices, seuls les volumes sont conformes et si ce sont des peintures prétendument en 3D, tout repose sur la drôle de tromperie  et le leurre convenus, mais ici seulement technique, du trompe l’œil…

Faute d’être opérante et en n’assumant pas (voir en n’annulant pas ou en ne détournant pas) le process sculptural, l’imagination de l’artiste cependant manifestement sensible à l’étrange supercherie du trompe l’œil n’émerveille pas. Les poutrelles demeurent aussi authentiques que des vraies, à l’exception de leur usage intrigant dans une histoire minimaliste qui les dépasse. Une question que l’artiste semble alors vouloir poser à leur référent dans la communication spectaculaire de l’exposition flotte évasivement partout sans trouver d’appui intelligent.

Le hiératisme des sculptures cependant fascine en suggérant une transformation plastique de l’environnement. Les sculptures peintes, épuisées jusqu’à devenir sans intérêt par la perfection du trompe l’œil, font que ne subsiste dans la galerie qu’une présentation/installation monumentale qui les rassemble en apparentant avec un beau succès esthétique la galerie à un paysage métaphysique peuplé d’intentions visionnaires. 

In fine ! Pour conclure ! En somme… etc.

21/11/2017

Je parle en début du texte précédent, d’une magnifique idée d’expo. Je m’exprime aussi et je m'interroge opportunément en toute liberté mais de façon, je le reconnais, rageuse sur la faiblesse expressive de certaines des œuvres, la relative inefficacité de la présentation générale. La présentation écrite de l’expo que son titre rend attirante est par ailleurs confuse et assez compliquée à suivre (monsieur le commissaire, relisez votre propre préface.)

Petite parenthèse : avez vous remarqué/relevé/noté (à vous la compétence du choix) que je n’ai rien écrit sur la précédente exposition (Idéo Morié) curatée par vous dans le même lieu ? Que je n’ai rien écrit sur les diverses expositions intitulées « Salo » que vous avez organisées, même si là aussi, naturellement, et bien que le thème soit plus libre, les (très nombreuses) œuvres me paraissaient d’inégale valeur ? Rien encore sur ce que vous avez cherché à promouvoir dans une expo intitulée Vaudou à la galerie La Voute…? Et pourtant, indépendamment de vos goûts personnels et des miens tout aussi particuliers, de vos choix argumentés et de mes privilèges de lecture, autrement documentés, je vous l’assure, cette exposition m’a laissé perplexe devant certaines œuvres. J’aurai déjà pu en faire état, je m’y suis abstenu. Le religieux, c’est trop perso.

Mais revenons à l’expo dont il est question et son thème que j’estime à priori toujours passionnant : Esthétique de la rage. Comment ne pas être dubitatif sur la qualité et le fond de certaines œuvres, voire certaines orientations de la dite exposition quand l’organisateur se révèle « lui-même » dans un curieux lapsus (je n’invente rien, je vous cite et je souligne) : «…le thème (des expositions que j’organise) n’est qu’un motif, un alibi publicitaire, je le répète depuis 2002. Je réunis des travaux qui m’intéressent sur un thème dont je suis le seul auteur et qui n’a pas de rapport avec les œuvres exposées »… Vu votre préface à cette expo particulière, et vos manières de tirer toute la couverture à vous en oubliant l’intelligence particulière des démarches artistiques, comment ne pas trouver des évidences et des loupés ? Pourquoi nier qu’on puisse en conséquence exprimer des réserves ? Qu’on reste insensible à ce qui semble esthétiquement incohérent ? Ou plastiquement trop inexpressif pour porter un message dans la ligne du thème ? Pourquoi vouloir empêcher de le regretter ? Faut-il que dans « Vos » expositions, on estime les œuvres qu’à l’aune de votre susceptibilité, que vous soyez à ce point superficiel ? J’assume mes doutes et cet amateurisme critique, ou mon attirance pour un art/des œuvres et des pratiques plastiques dotées d’un fond (Ah l'érotisme charnel de la peinture de Manet "caressant" son Olympia, titillant le regard du spectateur : un régal !). J'assume ma liberté de ton et de forme face à ce regard critique qu’apparemment vous préjugez inutile et qui vous rebute, ou pour vous citer dans une approximation des artistes qui n’appartient qu’à vous, vous osez écrire « qu’ils se foutent de s’appuyer sur un thème ! » Il est vrai que vous dites vous-même en miroir vous ficher de vos expositions "thématiques"…

Je vous le redis, j’assume ce que j’écris. Faites de même et assumez ceux que vous exposez en ne les méprisant pas dans l’ignorance de ce les fait vivre. Et merci de lire toutes mes publications sur mon blog, vous constaterez que mes réserves et mes enthousiasmes sont divers. Au passage, suggérer que je m’attaque par idéologie aux lieux non commerciaux est bête, aussi stupide qu’arguer d’une opposition « de gauche » rudimentaire (qui, hélas, ramène votre posture au populisme en vogue) pour dire que dans les lieux associatifs les expositions présentées sont de moindre intérêt, que je me réjouirais qu’aucune œuvre n’y soit vendue, que les artistes n’y laisseraient que des plumes… Dans les deux cas, ne vous en déplaise, un commerce a lieu, nombres d’artistes, et je m'en réjouis, ont réussi à vendre au moins une œuvre lors de la dernière exposition « Salo ». Accordons nous aussi qu’heureusement, les associations s’appuient sur des profits objectivement plus culturels que « boursiers", et précisément, ça complique leur tache. Pour votre information, je soutiens activement et bénévolement Aponia depuis plus de 20 ans, c’est à dire son origine. Informez vous un minimum !

Pour le reste, à l'inverse de ce vous pratiquez sournoisement, je ne me livre à aucune attaque ad hominem ou ad personam, et bien davantage qu'une lâcheté, c'est effectivement de votre part une bassesse soignée de faire croire le contraire en essayant de manipuler des personnes et des faits dans des amalgames irresponsables. Tout comme instrumentaliser un lieu comme Aponia pour en définitive ne chercher que la promotion obscène de votre petit égo érectile.

Fin de la discussion.

« Esthétique de la rage » au Centre d’arts contemporains Aponia

17/11/2017

Esthétique de la rage. Magnifique appel à reconsidérer la création artistique à l’aune de cette perspective où se mêlent à la fois des aspects humains et des oppositions sociales. Enorme espoir d’en découvrir aussi de nouvelles, de mesurer si une plasticité de la rage existe et sous quelle forme, au-delà des conventions expressives notamment. La rage est-elle un sujet ou un vecteur de création artistique ? Ou les deux ? Aucun ? Qu’est ce qui la remplace alors ?

Bien que de dimension restreinte, en ne s’en tenant qu’à une dimension revendicative et une opposition sociale, l’exposition qui se tient depuis peu au Centre d’arts contemporains Aponia sur une suggestion indépendante est décevante, non pas parce que le sujet serait inintelligent (il a en partie été « artistiquement » abordé par le passé, sous couvert d’expositions historiques). Sur ce coup là, c’est rageant rageant d’être déçu devant des d’œuvres plastiquement insuffisantes et inexpressives, au mieux, incongrues et illisibles dans le contexte et les perspectives d'un thème aussi passpionnant. Et pour parfaire l’incompréhension, l’accrochage soigné, d’une sagesse convenue semble hors cadre. De sorte qu’on peine à percevoir le moindre emportement et le moindre élan dont la rage porte naturellement et intuitivement les signes incontrôlés.

L’histoire atteste certes d’épisodes à juste raison rageurs. En soi, l’illustration « contestataire » de la Rage n’est pas en cause. Ce sont des mouvements d’expressions individuelles et collectives contre des faits et des injustices, contre la misère sociale et politique, c’est l’urgence du « Grand soir », la violence émaillée de débordements aussi humains qu’explicitement sauvages pour des objectifs de vie autre. On comprend qu’il y a là matière à relire ou refonder l’origine ambitieuse et émouvante de créations artistiques pas calmes. En 1968, un enragé1 a simplement écrit « Vite »1 sur un mur.

La rage est d’abord une maladie conventionnellement identifiée, un mal dont la figure allégorique est celle d’un chien menaçant, apeuré et agressif, la bestialité grimaçante d’un regard exorbité et les crocs baveux. C’est aussi encore et surtout un puits au fond duquel résonnent des échos de passion et de fièvre sans réserves, d’emportement et de frénésie, voire de furie ou de folie ingouvernable. L’excès porte partout son empreinte en même temps que son passage, partout où sous couvert de diverses manifestations absolues, une incontrôlable sortie émotionnelle le guide et le justifie. On devine alors une plasticité puissante, essentiellement gestuelle et à l’emporte pièce, des hurlements à la place d’un rêve dormant et aussi, comme un oxymore, l’écrasant silence qui suit un ravage cataclysmique. La violence préméditée cède devant la froideur glaciale, la radicalité d’un non indiscuté vaut contre toute nuance, rejette le moindre temps devenu ancien. La rage est le cri de la douleur même. Imaginez une création sans « Non ! »… « Vite » est un hurlement embrasé de vie.

On subodore qu’une exposition sur un tel sujet ne peut qu’engager des œuvres où tout subjugue, dont les sujets et les illustrations touchent au sublime tant la démesure y prend justement corps. On s’attend à en prendre plein la vue, on vient « pour ! » d’ailleurs ; l’objectif est de sortir ébahi, submergé, incrédule face à des engagements où l’expressif rugit, fulmine d’impatience et aboie d’autant, gueule, crache, cogne, renverse, explose, s’enthousiasme bruyamment. On vient assister à des tempêtes d’opéra, des déferlements silencieux et impressionnants de mots et d’idées intempérantes, à des déflagrations de désirs impératifs. On vient comprendre la vie luxueuse de houles voraces, on demande à traverser une fournaise orgiaque dans une débauche éclosante. On veut entendre aussi discrètement que de façon déclarative se déchaîner des passions amoureuses, des émotions d’apocalypse, penser bruyamment à mal, penser pareillement à bien, à « vite » faire passionnément violence de tout. Entendre son âme se muer en orage, incarner sa propre explosion sensorielle. Faire d’une tempête le plus beau des paysages. Exister et faire durer indéfiniment ce temps là.

Au lieu d’être subjugués, on est rabattu, assagi : l’exposition manque de fond et d’expérience, se tient dans l’approche superficielle. Sur les quatorze artistes retenus, seules les œuvres d’une petite moitié d’entre eux ouvrent le thème de la rage et fonctionnent sur une création plastique avérée dans un champ esthétique élargi et audible. Des images de chiens d’attaque gueule ouverte, avantageusement agrandis à taille humaine, des peintures sombres d’autres chiens fiévreusement brossées illustrent efficacement des points de vues directs et suggestifs, un pistolet rageusement « saucissonné » de fils électriques et de textiles noirs et blancs sublime avec hargne la patience du retard d’un passage à l’acte, une photographie habilement improvisée de Claude Lévèque nous replonge dans la rage « no future » punk. Un ensemble de poupées Barbie partiellement « incendiées » fustigent agressivement l’idée d’un modèle unique d’existence.

Sur le sol, la maquette d’un avion furtif reconstitué au moment de son décollage par Julie Dalmon tente un rapprochement entre rage et intention politique dans une mise en scène aux accents journalistiques. Le reste bat la confusion. Des réassorts duchampiens s’épuisent en montages stériles. Des productions « d’art brut » sont élevées au rang de créations réflexives sans analyse historique ou formelle, jusqu’au fourbi. On sombre presque avec l’hors propos des dessins intimistes de la dessinatrice Odonchimeg Davaadorj et une céramique somptueuse d’onirisme de Marlène Mocquet. Quelle rage illustrent t’ils ? De quelles intériorités et quelles fulminations sortent les profusions de formes ostensiblement débordantes de couleurs qui hybrident l’art de Marlène Mocquet ? Son œuvre ordonne avec sagacité bien trop de mystères charriés pour que les torrents d’images dont elle use puissent être perçus comme des remous incontrôlés.

Je le redis, l’idée d’un retour sur la Rage dans l’expression plastique est en soi intéressante. Une grande exposition sur l’esthétique de la rage et la rage des artistes peut la prolonger et être imaginée en ce sens. Avec plus de culture. Je l’entrevois à la hauteur d’une manifestation comparable à quelques grandes expositions du Centre Pompidou (« Paris New York, Paris Moscou, Son et lumière… »), voir « Mélancolie » au Grand Palais.

Ceci est un appel.

1- Les « Enragés » est le nom d'un groupe d'agitateurs créé en février 1968. Il participa à la contestation révolu-tionnaire à la faculté de Nanterre puis à Paris au cours de Mai 68. Influencés par l'Internationale situationniste dont ils contribuèrent à disséminer les idées au sein de l'Université et avec qui ils se fédérèrent le 14 mai 1968  pour créer le comité Enragés-Internationale situationniste. Le dessinateur Siné, épaulé par Jean-Jacques Pauvert, lance simultanément le journal satirique L’Enragé, avec un G en forme de faucille et de marteau. (Edition Wikipédia). Guy Debord a justement fait l'éloge de la rage de vivre de l'auteur intelligemment anonyme de ce "graffiti" dans une publication de l'Internationnale Situationniste.

Des aquarelles à la Galerie de la Voute.

02/11/2017

Patricia Maincent expose ses « dérives » à la Galerie de la Voute, soit dans l’ordre 30 œuvres peintes sur papier de formats divers, 800 instants photographiques glanés dans la presse quotidienne ou sur les réseaux sociaux, 2500 souvenirs photographiques supposés d’amateurs ou extraits d’archives familliales, 5000 vues prises par des anonymes qui les ont jugées intéressantes ou belles, 100 000 sujets plus ou moins bien décrits ou évoqués, 1 000 000 de petits faits loufoques ou strictement individuels immortalisés pour leurs cocasseries… soit, et encore je résume, 30 peintures réalisées, et imaginairement, autant de preuve qu’à l’occasion le quotidien peut potentiellement conduire à la création d’œuvres artistiques ou transformer le monde en visions vs « à chacun de faire son marché de ce qu’il a vu ». Sauf qu’en ne mobilisant que la technique de l’aquarelle, l’artiste évoque aussi une porosité imaginable entre le pictural éphémère de l’aquarelle et la photographie instantanée, voire une sorte de photojournalisme élargi. En s’appuyant sur les codes expressifs du médium à travers sa technique (dilution, liquidité et fluidité vs fusion aléatoire des formes entre elles, effets d’instabilité, de dilatation ou « nuagisme » dans les compositions, dispersion, tachisme et évanescence potentielle des formes suggérées encore, transparence et dilutions expressives réelles ou fabriquées des corps, mélanges ou échanges, effets d’irisations, capacité à susciter de la fraicheur, du rêve, du plaisir esthétique immédiat, etc). Le projet porte en l’occurrence l’idée que la peinture entraine mécaniquement l’imagination vers d’autres tâtonnements esthétiques et de multiples nouvelles aventures sur le temps ou la prise de vue, voire la mise en vue d’un sujet, que ce soit avant et après l’image finale.

On voit que l’usage appliqué de l’aquarelle permet à l’artiste d’essentialiser des champs d’interprétations dans leur autonomie. Sur un mur, des scènes de fête, d’apparents combats de rue ou les rappels d’images de manifestations réunissent des personnages en action sont silhouettés sur le fond blanc laissé vierge du papier. Ailleurs, sur d’autres murs, ce sont des groupes de personnages sur des fonds de paysages nocturnes. Certains sont costumés pour une probable fête, d’autres, seuls ou par trois ou quatre semblent surpris dans une lueur approximative, on remarque qu’ils portent des accessoires à des détails comportementaux. Tout semble spécialement composé et, par recoupement, on songe à des peintures dites cultivées (Françoise Pétrovitch, Martial Raysse, Gérard Garouste). Ailleurs, dans la galerie, des scènes d’intérieurs filent les codes plastiques et sémantiques comme des environnements évocateurs forcent en ce sens une interprétation symbolique aussi déjà faite. Je note des scènes de forte intimité et des références historiques, une figuration à nouveau narrative1 et des contextes mémoriels.

Hasards ou habiles coïncidences, les cadrages comme les perspectives photographiques ou les codes de la peinture réaliste globalement se rejoignent. En même temps, quelques dépits surgissent. Un doute s’immice quand les couleurs ne coïncident plus, qu’au noir & blanc supposé des sources photographiques, la peinture répond par des teintes ou des éclairages uniquement eshétiques… Pour l’architecture et les proportions des espaces visuels, Patricia Maincent s’appuie sur des codes de composition qu’elle juge comparables entre les deux univers. Pour les silhouettes, elle inverse parfois les deux unités de temps et de contexte de l’instantané dans un brouillage de formes en désordre ou s’emmêlant les unes dans les autres dans des fondus allusifs. Comme un photoreporter mitraille avec son appareil tout sujet pour fixer « tout » l’imprévu, vrai ou flou, complet ou séquencé, l’ensemble s’estompe dans chaque image et se dilue, se mêle ou se recompose sans que les deux mondes de la photographie et de la peinture réaliste semblent réellement confrontés. Les univers sont de fait peu enlacés ; ce que la photographie rapporte et ce que la transposition picturale change passent même pour être inconciliables, opposés et vrai dans les deux cas. Tandis qu’un instantané n’a donc qu’une valeur paradoxalement approximative, qu’il n’est qu’une image arbitraire, relative et accidentelle, l’expression picturale des œuvres de Patricia Maincent focalisent l’attention sur une aporie du détail et de la vérité iconique, qu’il s’agisse de faits racontés, décrits, relevés ou révélés. Chaque œuvre apparaît banalement comme une copie légèrement différente d’après un modèle photographique.

L’exposition, pour prometteuse qu’elle paraisse, lasse rapidement pour ces raisons. Davantage qu’un ensemble visuel réinvesti, l’artiste s’affaire dans une production d’images esthétiques mais peu ré-analysées et peu re-documentées. Patricia Maincent s’y intéresse t’elle d’ailleurs au delà de ce que tout le monde peut voir et qu’elle reconduit presque littéralement ? Des coïncidences raisonnables ou de paradoxes interprétables entre l’instantanéité photogra-phique et l’instabilité du temps de l’aquarelle ne sont sérieusement engagés ni conjointement ni contradictoirement. De sorte qu’un travail de recherches plastique ou diégétique reste effectivement à imaginer ou développer autant à partir des documents d’origine qu’à l’aune des productions dont ils sont les vecteurs. Ces œuvres décidément impersonnelles et sans démarche incarnée nous fond nous perdre dans une cartographie conventionnelle de nuages vaporeux et de « taches de Rorschach. »

 

1 – On songe aux artistes, pour la plupart peintres, regroupés sous cet étendard par le critique Gérald Gassiot-Talabot

Eugène Leroy au cœur de sa métaphysique de peintre

21/10/2017

Il suffit de quelques œuvres d’Eugène Leroy, même de dimensions modestes, comme par exemple celles que le Studiolo Galerie de France présente actuellement, pour s’émerveiller d’une culture hautement picturale. Il faut peu d’œuvres d’Eugène Leroy pour comprendre ce que le sublime peut être, en quoi le dépassement peut l’incarner jusqu’à l’immesurable. Il suffit de quelques œuvres d’Eugène Leroy pour concevoir par quel élargissement de soi, le sens de peindre peut autant s’éprouver comme l’aporie d’une sidération qu’un trouble peut faire sens d’un sentiment d’incompréhension créatif.

L’exposition entend d’abord montrer l’évidence inoubliable d’une pratique originale. Le travail du peintre est par ailleurs introduit au moyen d’une sorte de tautologie et comme un paradigme : « Allez au paysage…le contact avec la nature était assez, comment dirais-je ? matraquant »1. Tout semble tenir aussi en ce peu de mots simples ou d’idées sobres par quoi Leroy pouvait exprimer de façon exemplaire que peindre engage une recherche potentiellement inscrite par un effet d’annonce aussi conceptuel qu’aventureux. 

Dans l’exposition, comme une sorte de préface, comme un réel aparté, comme des notes éparses ou juste les traces d’un journal intime, quelques photographies du peintre. Leur choix, ou leurs convergences avec les œuvres exposées, recréent en marge des peintures une sorte de quiétude d’atelier naturel. Une de ces images montre le peintre entièrement nu dans la nature, sans apprêt ni façon, libre dans son jardin. Ce témoignage en rappelle un autre, différent par la forme mais proche sur le fond. Il s’agit de Claude Monet se faisant lui aussi photographier dans son jardin de Giverny comme s’il pouvait s’agir de son atelier, comme débarrassé de toute préoccupation extérieure à son projet pictural, juste rassemblé autour de lui-même, entièrement peintre, déjà dans cet océan sensible de matière picturale où l’essentiel de son œuvre aboutie s’est finalement imprégnée pour le marquer historiquement. On peine à l’en extraire visuellement, à discerner l’homme d’un univers qui semble presque l’avoir créé. Impossible de l’en décharner. Retour à l’exposition, je regarde les autres vues, également naturelles, presque idéalement confuses. Les toiles exposées, l’aura des photographies d’Eugène Leroy, et par rémanence celles de Monet, me font ressentir leurs deux recherches comme des mondes intérieurs exposés sans histoire ni analogie apparente ou directe. L’essentiel de l’expression est en ce sens purement pictural, et, suivant cette perspective, la peinture vs son art, consiste dans l’usage de puissances acquises du peintre à faire partager des forces d’imprégnation en tensions entre le peintre et le spectateur. L’impossibilité de contenir les tableaux et les singularités rapprochées des deux artistes m’expliquent ensemble leur volonté tout aussi convenue de ne leur assigner aucune limite excepté ce qui est matériel, de les traiter davantage comme des émanations que comme des documents. Un cadre aurait risqué leur désincarnation, versus leur désintégration.

L’extrême engagement d’Eugène Leroy complexifie en écho l’idée d’être artiste. Que cherche le peintre nu ? Qu’est ce c’est que ces tableaux qui donnent le sentiment d’être à la fois des détails et des extraits ? A quoi prétend le peintre lorsqu’il les livre à mis chemin entre des bas-reliefs et des peintures, avec une surface, du moins une étendue pensée aussi « légèrement » qu’improbablement balisée ? Que sont ces compositions foutoiresques, en apparence plus pétries qu’architecturées ? Qu’est ce que l’artiste croit avoir livré aux spectateurs ? Monet travaillait vite, fiévreusement ; Leroy reconnaissait revenir périodi-quement sur un tableau durant des années. Mais on ne distingue quasiment rien d’effectif, les tableaux se réduisent la  plupart du temps aux seules variations chromatiques d’un champ visuel où ne sont perceptibles que les gestes apparemment désordonnés de dépôt de peinture. A la fois brutes de décoffrage et d’une plasticité aussi également imaginaire que paresseusement académique, les peintures sourdent en conséquence de densités picturales toujours plus inqualifiables, toujours plus inouïes. Bien que titrées « paysages », leur composition purement picturale n’offre aucune alternative iconique qualifiée. Aucune concession pour les codes habituels dans le genre « peinture de paysage » (pas de toiles horizontales notamment), pas de point de vue précis ni de tracé perspectif, pas de nature descriptible, ni même échantillonnée, aucune anecdote ; si des présences sont signalées, ce ne sont que des zones, des silhouettes (très) vaguement allusives, vaguement contextuelles ; pour un peu, on jugerait à contrario possible d’évoquer une absence devant le sujet : « Tout ce que j’ai essayé de faire en peinture, c’est d’arriver à une espèce d’absence, pour que la peinture soit totalement elle-même »1. Ou l’inverse, dans quelques rapprochements opportuns et quelques éventuels rappels d’autres œuvres ou d’autres peintres retenus, voire quelque reconstitution approximative à travers une harmonie sectorielle ou dans l’apparence générale d’une lignée. Partout, la recherche du peintre n’est engagée qu’« à maxima » d’un oxymore qu’il construit autour du réalisme et de sa peinture effective, en les rendant tous les deux hypothétiques et dépendants, dans des aventures chaque fois totales avec l’imaginaire d’un univers. 

J’ignore en définitive ce qui me fascine dans ce travail, ce pourquoi je ne me l’explique que par un rêve personnel et une approche aveugle du peintre. Eugène Leroy reconnaît par ailleurs vouloir « toucher la peinture » 2, il réfute l’apport dialectique d’une peinture analytique « Parler de Dieu pour dire qu’il existe, comment il existe, ses attributs et tout ça : c’est tuer la religion »3 Mais tout son travail instille implicitement la nécessité d’un chemin. Le peintre ne s’est-il pas un jour lui-même exposé à une perception en priorité métaphysique de son travail?

Notes :

1, 2, 3 : Eugène Leroy, peinture, lentille du monde. In « De la matière et de sa clarté », Entetien avec Irmeline Lebeer, ed. Lebr Hossmann, Bruxelles 1973

Corine Borgnet sans foi ni particule à la galerie La Voute

26/09/2017

Belle exposition à la fois précieuse et précise, humoristique et caustique, un rien tournée vers la mémoire et les images toujours imaginaires des reliquaires…

Mais dans quelles histoires Corine de Borgnet veut-elle nous engager ? A quel monde font référence ses bricolages soignés qu’elle dit être avant tout des créations artistisques ?

Sur les murs, à travers ses objets-œuvres, l’artiste, spéculant sur une production aux thèmes manifestement féminins ou traversant en rêveuse pleine d’humeurs et d’humour des mondes aux échos mythologiques égrene des compositions flottant dans un halo mystérieux d’amalgames. On découvre des combinaisons aussi savantes qu’artisanales, plus que parfois teintées de fétichisme, auréolées de ces récits d’explorateurs qu’on suppose animer les cabinets de curiosités. Partout, l’attention se focalise sur des silhouettes ou un coin de la galerie où des montages et des collages faits de détournements d’objets recyclés semblent visuellement être ajustés aux normes d’un sommeil paradoxal. Ce sont des citations directes et/ou ou subreptices de courants artistiques, triées sur le volet, d’artistes réputés pour leurs expérimentations, voire reconnus pour les détails apportés à l’exécution de leur art. Ce sont ainsi des résonnances typographiques d’écrivains, d’ethnologues et de chamans, de cinéastes et de documentaristes, ce sont des résumés d’albums de voyageurs ou de collectionneurs d’images, de conservateurs de musées bizarres et d’encyclopédistes curieux, de souvenirs d’enfance et de prestidigitateurs ou de créateurs de soirées magiques…

La perfection esthétique des réalisations témoigne en sus d’une maîtrise d’artisan d’art qui ne ment pas. Soutenues pas cette admiration professionnelle au point de relativiser parfois l’étendue créative de leur auteur, les productions forcent la comparaison avec un défilé de haute couture, le dressage d’un plat dégustation dans un restaurant de renom, la reconstitution méticuleuse d’un corpus au Musée des Arts et Traditions Populaires. Devant les œuvres, le jugement oscille entre invention et irréel, pure poésie et affleurements métaphoriques. L’art de Corine de Borgnet prise par ses adhésions et emportements esthétiques, fourbi de questions aussi indéfinissables de goût que de rencontres fortuites signe sans fard la personnalité singulière de son initiatrice.

Colorées naturellement ou fardées par les effets des détournements, les œuvres, tantôt filmiques ou sculpturales, graphiques ou de l’ordre de l’installation in situ projettent autant qu’elles susurrent l’épisode imaginable d’un conte personnel. On croit tout voir et tout avoir sous les yeux, on se convainc que l’artiste livre assez d’indices ou l’essentiel de son programme, voire le principe de son expression. Cependant, tandis que subsiste un nuage diffus, et quelquefois comme par contradiction presque tactile, l’ensemble des œuvres problématise le champ des arts plastiques. Par leur répétition, certains détails intimes résonnent de confidences et de perspectives ritualiques. Ne reste alors d’un soulier haut perché que son squelette en os de poule ; ne subsiste de l’icône du suaire biblique que la vue d’un turban rapporté comme une pièce de tissu ordinaire, ne repose sur un mur qu’un ensemble hétéroclite de collages évoquant des jeux charnels, n’existe plus d’un papillon que son image parodique, avec ses ailes habillées d’un motif pied de poule… Restent des calembours et ces rires aux accents lucifériens autour de la féminité et de la poule, halos d’existence où la mort comme l’enfance présument dialectiquement que, dans chaque création, l’hétérogénéité des montages agit potentiellement comme une mine fabuleuse ou explosive. Reste à Corine de Borgnet l’effervescence régulière de techniques d’apparences simultanément intuitives et artisanales, l’usage d’univers aporétiques, moins imaginaires qu’inclassables. Supportée par un détail analogique ou intempestif, la précision esthétique des compositions y devient au passage messagère de traditions familiales évidemment persistantes ; elles sous-entendent des photographies enfouies, des choses rémanentes et des choses indicibles, des secrets et des rumeurs faites de « ceci ou de cela, de tout et rien, enfin presque rien,» sauf que, justement… des légendes surtout…! Son incontestable culture de l’histoire des arts, ses facultés de suggestion par les formes seules, l’espièglerie de leur aspect devenu ludique, son habileté à scénariser des sortes d’auto-fictions plastiques permettent à l’artiste d’instiller dans chaque production que chaque geste suscite à minima une vision simultanément personnelle, illustrative ou métaphysique.

Et donc, Corine de Borgnet pratique des rapprochements allusifs et poétiques, initie des ricochets entre couleurs et matières, entre échelles et dimensions réincarnées, initie des doutes sur l’origine de l’irréalité des images. Qu’elle floute certains aspects plastiques ou littéraires de ses compositions ou qu’elle emmêle ses fils personnels d’inspirations avec ceux supposés d’autres regards, qu’elle refonde « objectivement » ou qu’elle brouille des strates d’histoires anciennes ou universelles, rien ne l’arrête dans son art de déplacer les codes icôniques. Sa pratique : dire finement par quoi l’art peut devenir plus poétique par le paradoxe de sa précision même.

Dans ces œuvres bricolées de références que n’aurait pas reniées André Breton, cocasses comme des incartades duchampiennes, revisitées comme des peintures de Magritte ou réinventées comme des détournements de Marcel Broodthaers, l’imagination plastique de Corine de Borgnet passe comme l’eau remplit la main.

 

1- « Sans foi ni particule » est le titre que Corine de Borgnet  donne à son exposition. Le commissariat est assuré par Isabelle de Maison Rouge.

Lionel Sabatté à la galerie Chartier, Lyon

20/09/2017

Très belle exposition de visages subjectifs, tout à la fois réels et oubliés, tout en onirisme composé, aussi enchevêtrés que déliés de leurs nimbes.