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Esquisse sur le travail apparemment environnemental de Réjane Lhôte. Galerie du Haut Pavé.

10/01/2018

Les dessins et globalement, le travail à la fois graphique, environnemental et symboliquement architectural de Réjane Lhôtes témoignent d’un goût prononcé pour les emboitements architecturaux et les silhouettes qu’elles soient remplies, évidées, réduites à des structures linéaires ou plus prosaïquement exprimées par des surfaces unies. Elle affecte en passant les changements de techniques de l’esquisse d’un travail purement graphique à des suggestions de production picturale, voir des essais d’approches aquarellées et de lavis sur papier. Qu’elles soient sur papier ou qu’elles « installées » dans un  lieu, les compositions dont la rigueur du dessin peut parfois poser question évoquent des mises en scènes constructivistes. Par le biais de silhouettes succinctement placés dans l’espace ou signifiées largement on peut aussi penser à des photogrammes réinterprétés, des perspectives dépravées et esthétisées… On croit voir des dessins restés imaginaires de Paul Virilio, parfois de possibles visions de De Chirico, accidentellement, des vues d’artistes réalisées/vites traduites par de supposés étudiants en volumes…

Plus surprenant, deux « épures » dessinées sur feuilles sont « voilées » par des taches apparemment imprévues mais conservées. Leurs premiers plans, et à leur suite, la presque totalité des autres plans des images, jusqu’au placement imaginé de celui de la feuille blanche initiale flottent dans l’épanchement visuel d’un nappage incomptéhenssible. On a l’impression d’une conugaision d’incidents techniques ou formels, on songe ce dont Nicolas Bourriaud veut repenser des déchets plus ou moins récupérables dans « L’exforme »1. Mais chaque fois, c’est à une sorte de sortie de route dans l’exécution du dessin qu’on est confronté, de ces impromptus esthétiques à partir desquels les intentions esthétiques vacillent et, dans le cas présent, tombent pour d’autres thèses et d’autres fondations. Chaque composition se trouve en un instant expulsée de ses préjugés d’équilibres. Les plans s’allègent des combinaisons « logiques », chaque dispositif architectural voit son inspiration « vacuiter » vers des stuctures flottantes. Les œuvres propulsées dans une représentation ouverte vers le temps d’observation révèlent dans le même mouvement un dessin et une sensibilité du geste créatif moins contraints ou plus simplement vivant. Et quand il y a un emboitement, l’agencement est plus poétique en étant formellement plus arbitraire.

 

1- L’exforme, Nicolas Bourriaud, PUF

Supports/Surfaces : les origines 1966-1970 au Carré d’Art à Nîmes

05/01/2018

Exposer à la fois Supports/Surfaces comme groupe d’artistes et comme corpus d’œuvres singulières sera définitivement un pari tant l’affaire est complexe et largement paradoxale. Titrée Supports/Surfaces : les origines 1966-1970 et ordonnée au Carré d’Art à Nîmes, l’exposition porte sur l’expérience des pratiques créatives et les limites processuelles du groupe. Les œuvres sont présentées comme autant de démarches collectives théoriques et de productions pragmatiques que de créations individuelles.

Les premiers pas d’artistes singuliers, leurs prétentions, conceptions, techniques et productions par la suite collectives, les processus dépersonnalisés de leurs pratiques collaboratives, à la fois ventées pour leur relatif anonymat militant et leur esthétique purement matérialiste, les valeurs propagandistes du rôle social de l’artiste revendiquant paradoxalement une radicale abstraction, tout est illustré avec une relative efficacité. L’exposition reconduit clairement l’ambiance pédagogiste et les intentions politiques/ philosophiques partagées dont chacun, à titre personnel, entendait ne pas faire mystère et quitte à l’ériger en morale. Il y a des œuvres jamais présentées, plusieurs sont cocasses  tant des traces sensibles individuelles ressortent, comme l’affinité avec des pratiques initiées en même temps avec le Pop Art ou les « Nouveaux Réalistes » qu’ils condamnaient alors avec une virulence oubliée sinon curieusement minorée… (S’il est possible de les rapprocher dans le temps, qu’est ce que le commissaire du projet veut en même temps justifier en les associant dans la même exposition ? Suggérer une sorte de fil ou de fusion esthétique ? Il semble que le fond idéologique les a vite éloignés irrévocablement.)  Et depuis, que de retraits ou de retour de quelques uns des protagonistes du groupe vers des productions pépères, à l’esthétique caduque, voire qui témoignent d’insuffisances théoriques et techniques inattendues…

L’exposition est dans l’ensemble sobre, claire, souvent très belle et aussi émouvante rétrospectivement. La beauté et l’efficacité d’assemblages comme des petites installations ou des mini natures mortes sculptées de Bernard Pagès rarement montrées sont captivantes, des toiles de Viallat jubilatoires montrent l’étendue de sa culture visuelle. Inversement, des œuvres ne dépassent pas leur méthode de fabrication, le simplisme de certaines mises en formes plastiques et la minceur de certaines perspectives d’expressions ou leurs sources d’inspirations réduites font parfois radicalement tomber certaines propositions dans l’indigence conceptuelle d’une idée exprimée sans travail.

J’insiste, l’exposition est dans l’ensemble remarquable, nombres d’œuvres « nouvelles » valent le déplacement. Je l’ai aussi perçue par rapport à un public devant être spécifiquement accompagné. En ce sens, deux salles supposées d’une part, rappeler l’engagement ultra marqué des artistes en 1968, et l’espace sensé faire dans le même temps échos à certains débats contemporains, d’autre part, m’ont étonnées par leur minceur indicative. Apposer deux ou trois affiches revendicatives de 1968 sans aucun commentaire ni pédagogie, vaguement aligner dans une vitrine quelques magasines d’époque et deux/trois correspondances dactylographiées, rassembler quelques archives et disposer quelques revues de circonstance ou projeter une ou deux photographies des habitudes du groupe d’artistes est sans impact par rapport à l’encens de ce qui s’intitulaient « Art comme pratique matérialiste/ critique/théorique au service du peuple.» Nul doute que ces insuffisances ont pu, me semble t’il, laisser le public dans une relative incompréhension des enjeux artistiques privilégiés des artistes de Supports-Surfaces, tout affairés qu’ils étaient de « vouloir repenser à leur façon tout l’art et d’en faire école. » Nul doute encore que certains de leurs propos individuels ou collectifs resteront inaudibles pour ce même public, tant ces salles m’ont parues muettes par rapport à ces « créatifs » et leurs soutiens qui prétendaient expliquer la modernité ou révolutionner l’art en commençant par des questions et des réponses créatives inventées avant eux par d’autres et qui en conséquence manquaient depuis longtemps de fraicheur…

Les Cézanne de Claude Monet collectionneur

25/12/2017

Vertiges de découvrir Claude Monet en collectionneur presque compulsif. Mais surtout amateur d’œuvres de ses contemporains dont bien sûr, Cézanne. Il en possédait trois d’après l’exposition actuelle au Musée Marmottan. Notamment cette invraisemblablement intelligente « nature morte, pot à lait et fruits » datée de 1900 conservée à la Nationale Galerie de Washington. Il faut voir avec quelle finesse d’expression visuelle il a fabriqué une vision purement picturale de son sujet, jouant du visible et de l’étonnement, jusqu’à l’indicible, en passant par l’épiphanie d’un regard se posant en même temps partout et différemment sur le motif. Il y a aussi cette vue de Fontainebleau en hiver, avec sa composition architecturée. Le peintre vise à la fois l’étagement subtil des verticales des arbres combinées avec les arabesques formées par leurs branchages et sur les pentes bosselées du sol. Tout est bouleversant de courage et d’ardeur devant la recherche en peinture. En repassant par la collection permanente des Monet du musée, on comprend ce que les deux compères partagent du fait de travailler sa peinture.

Galerie de la Voute, Paris. Expo : Turnup2. Commissariat de l’artiste Matthieu Crismermois

24/12/2017

Dix artistes plasticiens, sculpteurs, peintres, photographes, performers ou installateurs de le scène dite émergente. L’expo s’intitule « Turnup2 », nombre des artistes étaient déjà présents lors de la première édition « Turnup1 ». Dix œuvres, et une seule œuvre par artiste. La présentation se limite à des textes pour l’essentiel produits par les artistes eux-mêmes, textes généraux ou textes spécifiques à l’œuvre retenue. Tout laisse penser que certains travaillent exclusivement dans le champ caractéristique de l’œuvre exposée quand d’autres s’impliquent dans la communication par l’art (vers le rôle du spectateur, sur la communication politique et sociale, selon l’actualité…) Les œuvres couvrent un large éventail de propositions : surréalistes, formalistes, histoire(s) (de l’art), purement esthétiques (peinture seule, sculpture, assemblage, installation etc.) Au moment du vernissage une performance sonore sous la forme d’une musique électro a lieu. D’autres performances sont annoncées lors du finissage.

Les productions sont évidement d’inégal intérêt, compte tenu de leur unicité notamment, et de ce qu’une information plus exhaustive sur les artistes permet de relativiser. Certaines sont passionnantes quand elles incitent manifestement le spectateur à déplacer/déranger son regard (ainsi Lucie le Bouder problématisant le châssis du tableau comme installation d’une surface dans un espace pictural, quand Cécile Hadj-Hassan concilie dans la sculpture d'un goute à goute poétique les deux temps à priori étrangers d’un sablier et d’une filiation, quand Xavier Cormier disperse arbitrairement une matière et une couleur chair sur une structure géométrique inspirée de la sculpture abstraite…) D’autres rappellent des choses « un-peu-trop-déjà-vues » (Magritte, Beuys ou Marcel Duchamp) ou se marginalisent en ne faisant que reproduire et alimenter le spectacle illusoire de l’art contemporain.1 La question de fond de l’autonomie surgit ainsi pour toutes, rendant chaque création réelle et intéressante ou indifférente.

L’exposition me semble en fait davantage renvoyer à son commissaire qu’aux œuvres elles-mêmes. En dispersant amicalement son appétit de nouveauté par une ouverture d’esprit aussi large que curieuse, Matthieu Crismermois montre qu’il ne sait que créer. A l’évidence incapable de se borner à produire ou se contenter d’illustrer, il veut du mouvement et de la vie. L’exposition à la galerie de la Voute (dans le 12e) dit qu’il agit en artiste dans son époque, avec sa profusion d’artistes émergents. Sa passion aidant et son désintéressement en la circonstance égal, s’agit-il cependant pour lui de faire aussi amicalement œuvre ?

Le projet de Matthieu Crismermois de vouloir faire vivre l’idée d’art par ses diversités de chemins est plus qu’appréciable et il est bon que ses intuitions aient trouvé un lieu de vie. Peut-être convient-il en revanche de peut-être mieux pointer l’idée générale ou la nature du projet collectif qui le guide en précisant ce que code le titre « Turnup »

1 : Nathalie Heinich, Le paradigme de l’art contemporain, Gallimard.

Galerie Nathalie Obadia, Expo Valérie Belin.

22/12/2017

Six très grands portraits photographiques de femmes réalisés en noir et blanc sont exposés. Il est mentionné que la série s’intitule « Painted Ladies » et qu’elle totalise en fait huit œuvres. Des équivalences entre l’instantané photographique, le geste pictural et l’idée d’une composition semblent traverser les œuvres à première vue improvisées. Argument subjectif complémentaire, l’ensemble fait penser à des photos de presse saisies au débotté dans un studio de cinéma ou dans les coulisses d’un défilé de mode.

Regards perdus et flottants, yeux surmaquillés et bouches couvertes de rouges divers, pommettes et joues transformées en tableaux informels, interprétations des fonds ambiancés comme des mondes intérieurs à l’aide d’outils numériques font hésiter sur la catégorie des œuvres : photographie, peinture, mode… ? La gamme des teintes entre noir et blanc et des accidents visuels : floutages, effacements et brouillages apparemment fortuits des contours complètent l’ensemble qui appelle formellement un temps de contemplation propre aux productions purement visuelles. L’intitulé des œuvres évoque encore la combinaison d’un réalisme factuel et des entendements spécifiques d’artiste peintre : Lady­­­­_Shadow, Lady_Blur, Lady_Brush, Lady_Round, Lady_Strips, Lady_Pastel, Lady_Stroke, Lady_Inpainting…

Au départ mannequin d’agence le visage de chaque modèle a été retravaillé dans un esprit expressionniste. Les poses théâtralisées des modèles et la fabrication d’une émotion intérieure apparemment naturelle sur leurs visages croisent l’orientation psychologique du portrait psychologique au 18es. Les œuvres peuvent en même temps être dans leur ensemble comparées à des variations visuelles que Claude Monet a rendu sensibles, des expérimentations plastiques sur lesquelles Odilon Redon a rêvé ou des sentiments personnels scénarisés par Hitchcock. Subjectivement toujours, je crois retrouver quelque procédé de composition que Victor Hugo pu mobiliser pour l’onirisme de ses lavis en faisant balancer ses compositions entre inconsistance passagère et surgissements imprévus de sujets innommés. Le geste pictural régulièrement rapproché de l’aura1 de l’instantané photographique jusqu’à s’y confondre et des citations artistiques avérées ou suggérées justifie d’autres perspectives, celles là purement esthétiques, avec le genre de la peinture cultivée.

Valérie Belin travaille l’image du portrait réel, irréel ou virtuel en filant et en déroulant à sa façon sur le sujet toutes les pelotes esthétiques : historiques, conventionnelles ou purement narratives et imaginaires… On la sait sur ces territoires, vivement intéressée par ce qui signe une apparence, ce qui la masque ou la transgresse, ses joyaux comme ses nippes et ses oripeaux, ce qui à ses propos susurre et ce qui glose. Elle s’attentionne pour les gestes, qu’ils soient spontanés ou suggérés, amples ou discrets, pauvres ou bavards, calculés et signifiants, elle les retouche, les fait dériver, elle les transgresse, les honore humainement. Elle arrange tant qu’elle peut sa pratique photographique avec son érudition artistique, en fait l’une comme l’autre aussi poétique et personnelle, et par ailleurs instantanée vive.

Ses manières de programmer ses œuvres, ses gestes pressants de photographe devant les faits surgissant et ceux de son improvisation créatrice éclairent l’empirisme teinté de métaphysique de son travail. Et tout devient photographiquement aussi passionnant et beau à voir qu’un Grand Tableau.

Beaudoin Colignon à la Galerie Le salon H.

11/12/2017

Beaudoin Colignon à la Galerie Le salon H. L’impression première est celle de photographies de graffitis montrant des personnages grossièrement silhouettés à la craie sur des rochers. Tous sont dans des attitudes où ils semblent virevolter. Mais vite, la référence à l’aura photographique tombe, ou plutôt cesse d’apparaître comme la plus pertinente, car d’autres indices attestent de performances ou de happenings artistiques. Les silhouettes dansent, parfois donnent l’impression de chuter. Sous d’autres aspects plus théâtraux, elles rappellent le repos de corps assoupis. Il n’est pas non plus improbable ou impossible que les surfaces et les reliefs irréguliers du paysage aidant, ces personnages fassent aussi des pirouettes… Seraient-ils alors des lutins davantage que des humains ? Nous serions alors dans un cirque, devant un écran ou au chapitre « n » et à la page « x » d’un livre d’aventures.

Aussi sûrement que pour les graffitis, un nouveau lien « imaginaire-mais-pas-que » permet de suivre le fil d’une autre pelote artistique : l’artiste s’active subjectivement dans le champ d’une pratique personnalisée de Land Art. Sauf que dans ce genre de la sculpture agissant dans ou par l’environnement et avec le paysage, le seul personnage visible est généralement celui de l’artiste filmé à sa demande durant la réalisation de son œuvre. Or, il n’est pas ici question de l’artiste, les silhouettes sont rendues anonymes par leur forme même. Faisons tout de même comme si l’artiste opérant d’abord poétiquement, chacun des personnages pouvait allusivement se comporter comme son message subjectif.

Mais voici que des dessins réalisés à la plume, paysages, justement, ou personnages dans diverses positions – re-justement – comme des acrobates en apesanteur ou des plongeurs ballotés par des courants, inspirent par rémanence d’autres retours sur les pratiques plastiques de Beaudoin Colignon. Ce sont des études rigoureusement documentaires de sites côtiers grecs autant que des perspectives d’atelier pour une œuvre en cours. Chaque recherche, minutieuse, qui pour autant ne se cache par d’être poïétique, marque les évolutions de son plan créatif et les transformations plastiques expérimentales, de sorte que ses pas à pas d’artiste déclinent métaphoriquement l’architecture de son château intérieur par ses paliers et ses fenêtres. Parois rocheuses sur lesquelles l’artiste a marqué ses silhouettes à la craie blanche, puis photographies où elles ont symboliquement été éternisées avant leur effacement par les vagues, chaque fois, l’artiste ne masque pas des entremêlements intimes et oniriques avec les frises décorant les vases grecs et plus abruptement les témoignages de Lascaux ou de la grotte Chauvet. De sorte que s’il nous invite à l’accompagner le long des côtes égéennes, il nous guide et on s’embarque aussi sur des poteries crétoises, il nous « croisièrise » en suivant des côtes de légendes et de contes fabuleux, il nous « voyage » et on déplie avec lui quelque volet de nos histoires sues ou inconsciemment partagées.

Retour sur les photographies et leurs graffitis dont les codes se mettent alors à flotter comme des silhouettes badigeonnées par des artistes de Street Art. Epopées, légendes, poèmes, contes, après les passages de Beaudoin Colignon, toutes les images auparavant documentaires des lieux deviennent mémoires de craie, d’eau et d’air.

 

* Galerie Le salon H, 6, rue de Savoie, 75006

Salon Galeristes vs Galerie Catherine Putman

09/12/2017

Salon Galeristes vs Galerie Catherine Putman, superbe accrochage de petits, voir très petits formats de Geneviève Asse. Assurance que la peinture ne peut vivre que d’une recherche ouverte, que rien du résultat ne compte avant que l’aventure se soit entièrement passée. Somptueux aperçus d’une expérience constamment réinventée. Formidable esprit chuchotant avec fermeté que rien de l’aventure picturale ne doit être cédé à l’exécution.

Mais pour Geneviève Asse, rien à craindre, ses tableaux s’évaluent dans leur bruissement. 

« "Sunny Winter & plaisir" » à la Galerie Alain Dutharc

07/12/2017

Galerie Alain Dutharc. « "Sunny Winter & plaisir" » Juste une expo sur l’idée du cadre. Et sur ce sujet, très inspirant pour les artistes et leurs démarches, sur ses perspectives d’entendements, ses paradigmes et ses images, que de questions d’intelligences posées de façon créative ! L’exposition de taille modeste, parvient « en quelques artistes actuels » à diversifier les choix de réponses avec autant de rigueur et d’exemplarité conceptuelle et que d’humour.

Détaillons…

Sur un socle, qui est en fait une table, une sculpture faite d‘un dédale de corniches doré kitchissime évoque un labyrinthe dessiné par Escher. Après examen, l’œuvre se mue ironiquement en proposition théâtrale, en allure d’installation, voire en « happening d’elle-même ». In fine, Mathias Kiss, son créateur, fait de l’encadrement l’autocélébration d’une œuvre aussi drôle par ses contortions que son éclatante absence.

A peine plus loin, un dessin d’Eric Dubien encadré selon les codes est associé à deux autres productions sans cadre et de plus petites tailles avec lesquelles il dispute des histoires énigmatiquement liées à son statut, son sujet et son sens. L’assemblage clairement narratif rapproche images, récit et scénographie et s’encadre d’expériences esthétiques d’autant plus allusives qu’elles reposent sur des références qu’on devine personnelles. A la fois visuellement présente ou éludée d’un dessin à l’autre, la référence au cadre semble cette fois mobilisée sur le mode compassionnel.

Toujours dans cette exposition décidément surprenante, None Futbol Club (il s’agit d’un duo d’artistes) a mis en scène un cheval de gala en train de s’extraire ­– ou de rentrer dans un bloc supposé de marbre blanc. Inspiré par quelque facétie historique Dada ou Fluxus, et sans y avoir particulièrement songé auparavant, j’imagine une œuvre sinon son créateur surgissant ou s’extirpant de son antre minéral, plastronant de façon ridicule face au risque de voir sa production tourner en rond si elle s’enclose.

Daniel Firman a imaginé sur un autre mur une superbe mise en scène « froide » du cadre comme incorporation. Son œuvre, un rouleau de moquette suspendu au mur déroule avec esprit une vision de l’œuvre dans un mouvement de découpe suggestif du périmètre et de la surface du sol de la galerie. L’installation ne se cache pas d’être conceptuelle d’une façon que je trouve personnellement assez réjouissante sur le cadre conçu comme un tracé aux échos topographiques. Sauf que la découpe donne ici l’impression de réinventer le cadre qui l’inspire…

A cheval sur deux murs en angle, le rectangle découpé en bandes verticales d’une glace immense est épandu comme une chronophotographie de Marey… Avec cette autre œuvre, Mathias Kiss réduit le travail artistique à un semblant de cadre qui vaut pour ce qu’il enserre et souligne. L’installation reprend aussi de manière toujours débridée et foncièrement ironique son idée que le cadre, comme objet et comme environnement, peut faire œuvre avec un décalage conceptuel teinté de causticité.

Il y a aussi dans l’exposition cette curieuse peinture « nocturne » simultanément truellée et par endroit boursouflée de Bernard Quesniaux. Faut-il y retrouver ce flottement du rêve à compter duquel la nuit prend ou ne prend pas son dormeur ? L’idée d’un cadre cotonneux fait ici place aux fluctuations de la surface livrée à l’arbitraire de ses marges.

Il y a enfin cette « peinture-panneau » de Guillaume Linard-Osorio disposée face à l’entrée de la galerie. Marquée de cinétisme, sa surface polychrome ondulée et translucide semble se désincarner dans les brillances colorées de propre image frisante. Le cadre est ici évoqué sous la forme inversée d’une étendue et d’un temps étirés sans fin.

Avec cette exposition, le thème de l’encadrement pour un créateur toujours difficile d’accès s’avère illustré, imaginé, vérifié avec autant de réactivité inventive que de finesse conceptuelle ou de facétie esthétique. Les artistes réunis ont chacun projeté et su produire des aventures plastiques qu’ils ont transformées en sculpture, en installations et en happening virtuels. Ils ont simultanément diversifié des objets de pensée libre ; ils ont su retourner avec décontraction des pratiques en casse-tête à la fois judicieux et déconcertants. Je repense à l’humour sérieusement réfléchi des Ready-mades fabriqués ou saisis d’un vol au moyen d’un calembour par Marcel Duchamp, aux fantaisies architecturales nées des rêves de Bob Wilson, aux rapprochements volontairement bizarres et tout aussi inquiétants ou incongrus que distrayants  de Max Ernst ou Magritte. La narrativité libérée de certaines œuvres me renvoie encore aux déambulations littéraires et plastiques de Marcel Broodthaers, de Jean-michel Albérola ou de Jean le Gac. L’exposition refait voyager en rendant plus instructif un thème en apparence « surlabouré. »

Puis je reviens au réel d’artistes et de productions créatives prenant chaque fois avec humour le risque de formes perceptuelles et imaginaires des moyens expressifs…

Chemins éperduement de Laurence Garnesson à l’œuvre.

29/11/2017

Je viens de recevoir un catalogue des œuvres récentes de Laurence Garnesson. Peintures, dessins et carnets y sont présentés avec justesse, les œuvres reproduites reflètent fidèlement son engagement d’artiste.

Tenté par un regard métaphoriquement rétrospectif ou comme s’il avait portait la mémoire d’un palimpseste, je consulte l’ouvrage à rebours, en commençant par les carnets montrés dans les dernières pages.

Les études figurent sur les pages impaires. Les gestes « s’éperdurent » en traces évanescentes, pour partie encore enfouies dans le blanc de l’épaisseur initiatrice du papier, s’en dégageant ici, y surgissant là ; gestes comme poussés par une force tellurique. Inutile de croire à une expression abstraite ; si on ne voit pas de forme encore connue, c’est que l’inspiration n’en est qu’à l’explosion. On reconnaît donc que des éclosions sont en cours, qu’un avènement pointe le nez, que l’inconnu va cependant encore demeurer mystérieux. Les yeux grands ouverts sur les moindres détails on attend l’instant qui vient, on guette. Page 39 du catalogue, l’ouverture sur deux volets pair et impair d’un carnet évoque ce miroir si particulier au fond duquel le chemin n’est pas un tracé qui se perd page après page mais la carte aventureuse de gestes qui inspirent recto-verso une histoire en temps réel.

Puis au fil des pages du catalogue, les dessins : pierre noire, craie, mine de graphite, polychromie complice entre les noirs et blancs des feuilles et des moyens d’expression, pressés de livrer leurs secrets de fabrication, fulgurances de leur usage sensible. Les élans du dessin mutent en compositions de lignes traversantes ou explorantes, fulminantes ou disséquantes, surprenantes et ardentes, incarnées et provocantes, toujours ouvertes sur l’imaginaire.

Les dessins sont aussi nets que parcourus d’effacements plastiques. Il y a aussi de recouvrements, des réserves subtiles, des retraits et des débords malins. Les dessins sont aussi pleins que composés en souplesse, J’aime cet art d’occuper toute une surface en délocalisant l’attention sur quelque chose risquant de faire centre afin de suggérer des forces expressives venant de partout.

Les dessins sont sans titre. Les dessins n’ont pour intitulé que la fascinante apparition contemplative et remarquable dans la forme d’esprit de leur auteure. Les dessins sont illimités dans un espace extensif.

Retour sur les peintures en début de recueil. La polyphonie des graphismes se précise en s’étendant aux suggestions terrestres et atmosphériques de lumières intérieures. Le blanc du papier se fait caisse luminescente, les tracés des gestes évoquent des réverbères, des teintes sortent de terre, d’autres tombent des cieux, les compositions deviennent pièces et album d'un château magique. Avec chaque tableau, l’artiste, au fait de ses responsabilités, creuse un peu plus les éveils de son travail.

Le catalogue se fait itinéraire. En remontant son cours, je file avec certitude un œuvre futur que seule l’émotion sensible rendra intelligible. Et par ces brèches et ces crevasses imaginaires, à travers la plasticité polyphonique et colorée de ces ouvertures lumineuses et virtuelles dans le blanc du papier peu de temps auparavant supposé inerte, Laurence Garnesson nous montre éperdument le lyrisme de sa vie en train de se vouloir artistique.

 

Alain Bouaziz, nov.2017