ZeMonBlog

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22

Vincent Olinet, emportements et rêvasseries d’un travail seulement créatif. Galerie Laurent Godin.

29/01/2019

Dans la galerie aux allures d’entrepôt désaffecté Vincent Olinet a installé son travail pour qu’il s’apparente au lieu lui-même et agisse en trompe l’œil d’un lieu autre, un théâtre peut-être, à la fois impensable et pleinement rêvé. La facture générale de l’exposition intitulée « Une image » projette les intentions de son créateur de présomptions en suppositions plus mystérieuses les unes que les autres.

« Une image »… Mais laquelle ? Ou, lesquelles, vu les diverses œuvres exposées, pour certaines éphémères et pour d’autres des films ? Pour quel monde donc ? S’agit-il d’une vision ou d’un spectacle factuel ? Présentés comme une réalité devenue évanescente, l’entrepôt ou la galerie et le travail de Vincent Olinet se révèlent être une fiction et un décor conjoints dans une perspective de storytelling artistique. Subsidiairement, son travail libère en sus des confrontations esthétiques par une poésie étrange.

 

Les murs sont entièrement tapissés d’un papier peint à motifs de moulures supposées, de compositions florales et d’autres sujets badigeonnés en pochade ; le temps semble s’être arrêté comme un salon d’hiver ou un vaste boudoir dans un manoir de bande dessinée diffuse des parfums nostalgiques. Egarées au hasard dans les divers espaces des reliquats sur des tables désordonnées présument une fête finie et des convives sur le départ. Les éléments d’une vaissellerie supposée de cristal mais en réalité constituée de glace fondent lentement ; d’improbables fruits gelés : citrons, oranges, artichauts authentiques sont échus comme des lustres symboliquement tombés. De façon aussi hasardeuse, d’autres fruits sculptés aux proportions gigantesques sont silhouettés à la tronçonneuse. Sommairement peints de leurs teintes naturelles, isolés ou vaguement groupés contre les murs ils semblent gésir pêle-mêle ça et là. Chaque ensemble s’apparente à une nature morte comme des taches de vin sur une nappe peuvent faire songer aux traces assourdies d’échanges improvisés. Les spectateurs paraissent silencieusement errer dans les lieux comme s’ils étaient les visiteurs d’une fin de partie, glanant quelque dernière image, une conversation aux échos éloignés d’une pièce de Tchekov1. Sur un mur marginal, deux films présentent une autre installation conçue dans un environnement précédant et un documentaire de l’artiste capté à son travail dans son atelier. 

En pointant des techniques d’expressions spécifiques, Vincent Olinet entend montrer que son travail ne se résume pas à l’imagination d’une ambiance. Comme il est dit, ce qui est peint a le statut d’une pochade prestement réalisée, ce qui est sculpté est juste dégrossis, ce qui est présenté semble être une autre sorte de « Tableau piège »2. Qu’une composition s’annonce, Vincent Olinet affiche crument un procédé : collage ou montage avec le papier peint, disposition hasardeuse voire appropriation avec les tables, la vaissellerie et les reliquats de repas inachevés. Le moindre effet de forme conserve un geste d’esquisse, la mobilisation d’un travail en train que l’artiste refuse de marginaliser. La plupart du temps, chaque couleur demeure de la même façon une teinte factuelle ou une valeur purement référentielle. Partout l’artiste concentre son attention sur les emportements et les rêvasseries d’un travail seulement créatif.

Vincent Olinet réussit avec succès un coup poïétique d’une stupéfiante beauté plastique. Apparentée à une commande d’œuvre in situ, l’exposition se révèle être un travail in process, voire pour les visiteurs pris pour des acteurs agissants, un happening préparés à leur insu. La mémoire d’un temps écoulé ou en train de remonter à l’esprit gouverne expressivement l’ensemble de l’exposition et donne à son entreprise une épaisseur esthétique indéniable. Les murs et l’espace de la galerie transformée en palimpseste onirique d’une demeure familiale et d’une vie bourgeoise à la fois doucereuse et désuète agissent à la manière d’une succession d’images rémanentes. Des souvenirs d’images jaunies fusent, par nuages des récits se reconstruisent par bribes ou sont induits par glissement, on peut aussi tenter de faire se dilater le présent et pourquoi pas réimaginer l’artiste en action. « L’image » vs l’exposition devient un opéra de pure fantaisie.

 

1/ « La Cerisaie », peut-être, dans la version inoubliable de Peter Brook au Théâtre des Bouffes du Nord. 2/ Les « Tableaux pièges » de Daniel Spoerri…

Katarzyna Kobro et Wladyslaw Strzeminski, enfin réellement visibles à Beaubourg.

04/01/2019

C’est une occasion rare que de voir et fréquenter les pratiques individuelles et conjointes de Katarzyna Kobro et Wladyslaw Strzeminski. L’exposition rétrospective qui se tient à Beaubourg comble un vide en présentant à la fois leurs deux parcours artistiques et l’essentiel des théories esthétiques qu’ils ont initiés et défendirent. Et force est de relever que les radicalités des artistes jeunes ont parfois du mal à vivre longtemps sur la crête des vagues. Restent de magnifiques sculptures abstraites de Kobro, dont les compositions épurées aussi bien d’hybrides clignent avec sensibilité vers la peinture, que l’esthétique absolutiste des peintures « unistes » de Strzeminski est une recherche sur le sens du pictural avant d’être un sujet. Les suites des deux entreprises plasticiennes confirment leur tentation pédagogique par  des essais d’extensions architecturales dans la lignée des projets du futur groupe Abstraction-Création. Elles ont aussi à voir avec l’ensemble des idéologies futures de divers projets esthétiques qui ont pu faire croire à la possibilité d’un art universellement acquis. En marge, comme souvent, les pratiques individuelles s’émoussent, « ça patouille », « ça volumise approximativement », le fond se disperse, s’officialise dans des formes conventionnelles. Et comme par contradiction ou paradoxe, la vague, parfois, remonte au plus haut, avec des productions subtilement engagées, de nouveau horizons graphiques ou visuels, des hurlements de véhémence humaniste. Les dernières salles consacrées aux montages plastiques dénonçant la barbarie concentrationnaire nazie ou les compositions marines de Strzeminski, les recherches sculptées figuratives non narratives de Kobro rappellent des flammes dont l’incandescente jeunesse n’a pas fléchie.

« L’invisible est le visible », Alexandre Hollan, magicien émouvant au Musée Fabre à Montpellier.

02/01/2019

Il aura suffi de quatre salles en enfilade et la sobriété extrême de sa présentation pour faire d’une donation d’Alexandre Hollan au musée Fabre le magicien discret d’une exposition émouvante.

Il se trouve qu’Alexandre Hollan, natif de Hongrie, travaille dans un coin de garrigue proche de Montpellier, au calme de cet arbre dont le motif l’inspire au point d’y sourcer la force d’un logotype personnel. Evoluant comme un thème largement autonome, l’arbre également transfiguré par une profondeur symbolique palpable expose sur les cimaises son plaisir de peindre devenu métaphysique.

L’exposition débute avec un entretien filmé de l’artiste qui sobrement livre par bribes ses cheminements créatifs. Convaincu de correspondances subtiles entre l’observation directe et l’extrapolation dans l’atelier, chaque propos clarifie quelques clés et chapitres d’un conte intime. « L’invisible est le visible », l’intitulé de l’exposition croise et file avec pudeur les confidences abstraites ou allusives du peintre sur ses possibilités d’images aussi bien que des problématiques que Maurice Merleau Ponty ne renierait pas. Dès la première salle et la première vitrine, l’ordre chronologique des œuvres réfère en ce sens aux aléas d’une démarche figurative hantée autant par l’acte de faire que par l’espoir de le sublimer.

Dans chaque salle, au fur et à mesure des œuvres, le peintre, tout à ses dessins (desseins) ou ses peintures (portraits d’arbres), autrement dit tout aux croquis ou aux pochades directes, tout à leurs études prolongées sur toiles, développées en leporello  ou synthétisées dans l’atelier comme des signatures, entretient l’idée d’un art livré aux mystères de ses multiples formes de visions imaginaires. Et c’est en ce sens qu’il faut attacher une importance poétique particulière à l’orientation régulièrement allongée des œuvres, l’arbre fait figure d’Homme devant l’étendue sans fin d’une perspective infinie. Tout aux suggestions d’un monde qu’il juge invisible mais qu’il voudrait parvenir à incarner dans son sujet, Alexandre Hollan floute ou bien gomme l’arrière fond et l’environnement autour des arbres pris pour modèle. Sur pied ou limité à leur branchage, chaque arbre juste silhouetté dans une tache informe ou rapporté à l’analogie d’un nuage vire à une possibilité d’être. De salles en salles, de dessins aux dimensions d’une note confidentielle aux toiles peintes jusque sur leurs tranches, les arbres sont des taches libres ou des graphismes passagers, les âmes confidentes, rêveuses ou joueuses d’un artiste qui les contemple en silence et s’entretient avec eux par le regard.

Corine Borgnet lache prise à la galerie Valérie Delaunay

26/12/2018

« Je ne me suis jamais sentie libre : l’art, c’est ma croix et c’est aussi ma cure…mais je ne suis pas libre de ne pas faire de l’art » assène Corine Borgnet en conclusion d’une interview servant d’introduction à son exposition personnelle galerie Valérie Delaunay. Compte tenu des pratiques créatives de l’artiste, ces propos valent-ils illustration de l’intimité assumée dont son travail formellement étonne ?

L’artiste, apparemment jamais à court d’ironie, conçoit en effet son travail comme un champ d’expériences sensorielles que les adeptes d’un art initiatique ne récuseraient pas. Corine Borgnet dessine et peint, comme la majorité des artistes, et comme nombre d’entre eux laboure les territoires de la parodie avec, pour ce qui la concerne spécifiquement, un attrait marqué pour l’illusion artisanale. En utilisant des matières ou des objets de récupération plus que des produits et faisant davantage qu’inventer ex nihilo des arts inconnus, elle fabrique comme un artiste de l’art brut détourne ou retourne à tout propos ses modèles et crée ses formules pour un monde repensé. Elle évolue ainsi au milieu de rêves autant que de fantasmes et assume avec la plus totale désinvolture leurs dérives par ses « échafaudages » de toutes natures : images imprimées et transformées en volumes, reproduction/transposition à l’identique d’objets mythologiques et religieux à partir d’os, recontextualisation de signes ou d’œuvres historiques et/ou fabrications allusives de reliquaires. Qu’on lui parle de vanité ou de portrait, d’illustrations surréalisantes et de productions inspirées par les ready-mades, cela semble la faire sourire et provoquer en regard autant de pas de côté.

Qu’elles soient dessinées ou conçues en volume, les productions minutieuses autant qu’habiles de Corine Borgnet défient comme on l’entend l’exactitude et la préciosité silencieuse de leur excellence artisanale par un décalage qu’on peut dire extravagant d’humour. A qui fera t-elle croire que ses sculptures de couronnes royales, ses assemblages mémoriels comme des décorations de pierres tombales, ses réinterprétations de la Couronne d’Epine, ses ex-libris d’apparat ou ce qui en donne lieu, ainsi que le reste en os de poulet sont des vanités ou des reliques sérieuses ? Pense t’elle qu’on se suffira de tenir sa dextérité d’exécution comme son art principal sans se laisser imprégner par le récit imaginaire de leur silhouettes simultanément transgressées et transfigurées ? A quoi faut-il songer quand, ironisant sur des portraits célèbres reconstitués à l’aide de cire fondue récupérée dans des églises, l’artiste, se présente fictivement riante/grimaçante ou hurlante ? Que penser de la lenteur de cette vidéo réinterprétant un film de Bill Viola et qui montre un cœur de mouton en apesanteur en train de tourner sur son axe vertical au centre d’une couronne d’épine ? L’art de Corine Borgnet retrouve dans la dérive le regard constamment oblique d’énergies expressives dont l’hallucination surréaliste avait formellement et avec autant d’ironie que de poésie spontanée esquissé la pose de quelques jalons.

Demeurent donc avec chaque œuvre les élans calmes de réalismes dont la plasticité jamais seulement descriptive est totalement assumée. La mise en espace de l’exposition de la galerie Delaunay brille d’une théâtralité délicatement muséale et ethnographique, voir l’atmosphère partout un peu magique d’un cabinet de curiosité. On se croirait dans une salle dédiée à une religion sans écrit uniquement focalisée sur ses rites ou des parures dont il ne subsisterait dans les vitrines et sur des socles que les squelettes d’âmes en effigies. L’inattendu mental des images et la perfection de leurs rendus instillent des perspectives d’extase et d’incompréhension, l’égale envie de partager et d’être dépassé par la subjectivité décontractée de l’artiste.

« Basquiat chez Vuitton »

22/12/2018

C’est dérangeant et heureux de mesurer le renouvellement en profondeur de la peinture introduit par la pratique de Basquiat.

C’est diversifiant de suivre sa mobilité plastique et créative.

C’est étrange de ressentir chez lui un désir d’user de toutes les nuances éthique et stylistique du support mural urbain.

Comme c’est troublant de constater ses référencements à une culture artistique aussi réelle et sensible que limitée à la superficialité de certains de ses signes.

Comme c’est difficile et peut-être indiciel de remarquer que vers la fin de sa vie d’une brièveté dramatique, Jean Michel Basquiat , adoubé par le marché et « accompagné » par Warhol dans leur collaboratif semble virer vers une peinture conventionnelle, ce que déjà les dernières salles de l’exposition de 2011 au musée d’art moderne de la ville de Paris mettait déjà en perspective.

Comme c’est terrible de se sentir détaché d’une pratique à l’origine prodigieuse et fulgurante, puis en peu de temps surprise en train de se formaliser pour se désincarner en s’extérioriser dans son spectacle.

« Chaos minimal » : oxymore troublé à Galerie Maubert.

16/12/2018

Dans un livre d’entretiens récent, Daniel Spoerri convient avec le critique Alexandre Devaux que parfois, l’artiste n’est pas forcément le mieux placé pour exposer ce que dit ou ce qu’on peut avancer de son travail. On ne peut que partager cet avis en écoutant le peintre Nicolas Delprat parler de ses œuvres ou plus prosaïquement évoquer sa démarche créative.

Intitulée « Chaos minimal » sa récente exposition ne peut en effet que troubler sur les intentions et le travail dont il se charge. Si on veut en effet bien entendre que les perspectives conjointes du minimalisme et du chaos induisent des concepts et que ceux ci renvoient à des esthétiques datées et des pratiques définies, autant sa technique personnelle que les apparences des œuvres évoquent en miroir une inspiration photographique. Et c’est dans une suite de malentendus sur des compositions qui sont plus simplifiées que minimales et par trop contrôlées, à l’inverse d’un chaos, que tombe à première vue, l’efficacité de l’exposition.

Le travail de Delprat n’est pas pour autant inexpressif : une porte, une suite de néons, la trame faussement transparente d’une surface grillagée apparaissent comme des impressions laissées après une insolation. Quelquefois, avec la volonté manifeste de rappeler son protocole, le peintre a laissé visibles les traces de bandes adhésives ayant pu servir à fixer les modèles supposés faire écran. La peinture par ailleurs vaporisée avec insistance pullule en particules comme des photons traduisent une partie d’énergie lumineuse qui confirme une inspiration photographique déjà induite par les apparences et des objets simultanément surexposés.

Toutes choses égales, le discours de l’artiste sur son travail et pour chaque œuvre fonctionne comme si le substrat des toiles se devait d’être une présence réelle en même temps qu’une évanescence. Il semble que les moyens du peintre comme les « suites picturales qu’il leur donne » peinent à trouver une voie audible. Involontaires entre sujets réels et évocations mémorielles ou apparences et aperçus, les peintures sans perspective de Nicolas Delprat donnent l’impression de ne s’apparenter qu’au protocole appliqué d’un photogramme.

Tomas Saraceno "On air" au Palais de Tokyo

11/12/2018

Tomas Saraceno et son exposition intitulée « On air » au Palais de Tokyo. Le plus stupéfiant démarre avec l’admirable (et collaborative…!) scénarisation poétique de toiles mélées de multitudes d’araignées. Saraceno prolonge sa capture spectaculaire en l’ouvrant à une créativité aussi abondante et polymorphe que surprenante sur les plans ludiques et scientifiques. Et presque tout y passe : une réflexion écologique et une suite esthétique de relevés graphiques à partir des déplacement des araignées, une entrevison sur l‘anthropocène et des tentatives de saisies touchant à l’astrophysique… L’artiste, allégé par un humanisme foncier se figure sortant d’un égotisme conservateur potentiellement à l’affut pour émettre par des propositions vitales que des recherches en design durable ne sauraient rejeter. Et si parfois les références à Guy Debord et au situationnisme ne peuvent qu’être ridicules, ou si à d’autres égards, quelques propositions rappellent des travaux anciens entre art et écosystème, les diverses installations allusivement scientifiques avec leurs soubassements technologiques ou oniriques expriment une indéniable humanité d’enfant créateur.

Geneviève Asse chez Galerie Putman

03/12/2018

Geneviève Asse toute à son cœur de travail créatif. L’exposition actuelle chez Galerie Putman a des échos de cheminements et de production constamment in process de l’artiste. Sur les murs, des dessins simplement indiqués par quelques tracés voir quelques traces, des études peintes aux dimensions de formats discrets comme des carnets de croquis, des gravures en noir et blanc, parfois rehaussées de ce bleu exclusif qui intitule intimement son art. Tous les cadres de vues sont là, carrés comme des demeures ou allongés en paysages, debout comme des portes ou des fenêtres, plus rarement mais avec brio, en tondo comme des mondes écarquillés. Pourtant familier de son œuvre, j’ai découvert des supports dont certains bords volontairement déchirés les font dialoguer avec l’aléatoire. Et me souviens l’entendre dire « Quand je peins, ça vient d’un coup et en une fois. »

Rarement montrés, quelques dessins à peine visibles présument l’artiste dans le silence dans ses ateliers de la rue Ricault ou de l’Ile aux Moines, travaillant sans repentir son motif « Elle peint ce qui la fait peindre » avait intelligemment entrevu d’elle l’éditeur de tissus Jean Bauret. Le grain du papier Ingres, le bleue au fil de sa teinte répandue en sourdine dans la trame des lignes des feuilles et comme saisies comme un terrain de chair, le sujet de chaque œuvre soulignant subtilement dans une lumière un moment imprévu et comme soudain éligible à l’essence d’Art.

Rétrospective Cubisme à Beaubourg : où est passé André Masson ?

02/12/2018

Rétrospective Cubisme à Beaubourg. L’essentiel est presque dit avec la somptueuse série de collages réunis et les sculptures exposées dans les salles contigües.  Un vrai festival d’imagination sur diverses façons ou manières d’artistiquement concevoir sa pensée créatrice. C’est tout ensemble d’une beauté maline et aventureuse, d’une drôlerie plus que parfois sans non. Picasso aussi bien que Braque fait virevolter les astuces du croquis et de l’esquisse, de suggérer la vivacité de l’invention productive par d’apparents dessins d’étude et leurs effacements ou leurs oublis volontaires, de laisser poindre des sous-entendus et autres découpes ou troncatures vs recoupements calculés, de laisser faire les compléments poétiques et humoristiques de l’imprimé… Alors les formes ne sont plus qu’évanescences subjectives et leurs contours exposés aux aléas d’espaces disloqués dispersés sur le subjectile pointent les virtualités de multiples ressorts plastiques sémantiques, les uns symboliquement tactiles ; d’autres, conceptuels et évocateurs d’espaces et de temps, allusivement optiques et de promouvables au rang d’abstraction ; d’autres enfin ne sont que présentiels au sujet du tableau.

Ces œuvres, dont la nonchalance pratique socle l’ensemble des compositions, induisent une fois encore après les cheminements intérieurs pré-surréalistes d’Odilon Redon, que peindre peut passer par des démonstrations d’imagination et de dérives définitivement ludiques. Apollinaire est fondé à déclarer avec les artistes, qu’en matière d’art tout peut (et doit pouvoir) effectivement servir, qu’il faut parvenir à créer avec le thème à l’œuvre une fusion à la fois totalement détachée et sans paradoxe user d’un vocabulaire constructif. J’ose songer à une sorte de pragmatique imaginaire de la conception et architecturale de l’œuvre.

L’exposition est en même temps marquée par une absence à mon sens difficile à justifier. Des œuvres de Zadkine, Léger, Lipchitz, Laurens, Modigliani, Les Delaunay (Sonia et Robert), Gris, Gleizes, Metzinger, Brancusi etc. sont avec quelques autres plus « folkloriques » logiquement présentes. Le cubisme s’y trouve illustré littéralement. Mondrian et Malévitch sont également cités, heureusement. Mais comment est-il possible qu’André Masson soit oublié ? Comment est ce possible à la seule présence dans son parcours d’œuvres explicitement sensibles au cubisme (son travail entre 1920 et 1925) ? Quel raisonnement a pu conduire les commissaires à l’écarter, représentant à la fois des plus admiratifs et les plus indépendants de Picasso et de Braque vs du cubisme en général ? Est ce parce que, considérant l’aventure initialement très formelle du Cubisme, Masson, par ailleurs aussi vivement intéressé par le surréalisme et la psychanalyse a cru devoir prendre une distance personnelle en réhabilitant le sujet dans le tableau et préféré suivre son aventure picturale personnelle ?