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Preuves d'Amours…

09/02/2019

« Amours » au lieu d’exposition dit « la Plateforme ».

Ce titre était-il trop beau ou le lieu d’expo trop petit ? Réponse difficile sinon impossible devant le nombre et la diversité apparente des œuvres, ou pourquoi pas l’aporie sur le sujet qu’inévitablement une telle thématique crée. Reste une sélection et un ensemble généreux qui, tout en imaginant répondre aussi largement que souhaitable aux entendements possibles du terme, se heurte aussi à  l’intérêt plastique de propositions visuelles parfois datées et sans perspectives esthétiques. Faute d’être « des œuvres des meilleurs artistes actuels », nombre de « créations » exposées se révèlent être au mieux des reprises faciles ou/et laborieuses (et pour certaines d’une mièvrerie insigne) quand ce n’est pas des productions techniquement faibles et assurément pas des découvertes originales. 

Tour des galeries quartier Beaubourg mais pas que…

03/02/2019

La Galerie Nicolas Silin expose John Batho. On ne dira jamais assez que photographe autant de plasticien de qualité, Batho pratique avec art et fantaisie une créativité juvénile. L’expo intuitivement titrée « Déchirements » joue des images auxquelles le terme peut faire songer avec une sagacité toute en finesse. Les œuvres, faussement abstraites ou ironiquement suggestives de lieu ou de circonstances sont composées de papiers déchirés « en un certain ordre assemblés ». L’artiste joue facétieusement de l’ingénuité des compositions trouvées, voire de leurs apparences artistiques pour procéder à une prise de vue photographique des résultats en s’amusant des codes du système. Le direct et l’improvisé, le flou et le dessiné, le négatif et le positif, l’hors cadre et le contenu, rien n’est laissé vide de sens… A l’exemple de photogrammes ici « trafiqués » chaque œuvre parodie avec ironie des peintures non figuratives, des instantanés mis en scène… Des morceaux de feuilles colorées ou non forment allusivement des tas de papier et disparaissent dans des confusions de surfaces teintées. Provoquées arbitrairement et « en toute innocence », les créations de John Batho, activateur malin et imprévisible de regards modernes ouvrent une fois de plus le pictorialisme sur un questionnement de son aura.

Maryan et Germaine Richier chez Christophe Gaillard. La confrontation sur la simple base de l’expressionisme paraît forcée. L’humour dévastateur des œuvres de Maryan, ses visions toujours caricaturales et dérisoires de la figure humaine sous-tendues par les traces indélébiles d’un passé effroyable collent mal avec la quête ontologique jusqu’à l’épure de la sculpture de Germaine Richier. Qui plus est, une citation mise en exergue de Jean Genet sur l’art de Giacometti laisse difficilement entrevoir un lien esthétique approfondi entre les démarches des deux artistes. Reste le bonheur absolu de revoir quelques exemples de deux pratiques artistiques sans filet et pour cette raison avec quelques autres exemplaires (Dmitrienko, Bram van Velde, Asse, Tal Coat…).

"Dionysos et les autres" dans la seconde galerie Christophe Gaillard. Cette autre exposition au thème revigorant permet de voir des pratiques dont les auteurs ne se cachent pas d’en jouir. Je retiens pour ma part les céramiques et les peintures poétiques, définitivement drôles, fantasques et exubérantes de Marlène Moquet. J’ai songé à leur sujet à Bernard Palissy (en bien bien plus beau.) Ai-je tort ? Les autres œuvres exposées me semblent manquer de justesse formelle. Benjamin Bruneau m’intéresse cependant pour la cocasserie de ses montages imagiers.

 

Galerie PCP, 8 rue Saint-Claude. Tableau ou sculpture, ça part joyeusement sans cadre et dans tous les sens. Les bricolages techniques et esthétiquement burlesques de Laurence Owen laissent peu de place au doute que l’artiste s’amuse à créer sérieusement. Conçue à la fois comme un bas reliefs et une peinture sur toile, chaque œuvre imaginée comme un mélange d’extraits historiques et artistiques issus d’on ne sait où s’appuie sur une plasticité cocasse faite de bric et de broc. Accrochés ou surgissant du mur, les tableaux-sculptures surprenants de liberté formelle présentent des excroissances aux silhouettes préhistoriques, se creusent ou montrent des découpes ininterprétables, se décomposent en décalages et transparences architecturales, se tordent, ondulent ou se contorsionnent en donnant l’impression d’être des jardins rêvés ou des surprises souterraines. Sans être cependant radicalement nouveau, ce travail dynamique affiche sans complexe les libertés conceptuelles de son auteure.

 

Clémence Van Hutten chez Polaris. L’artiste expose des sculptures intitulées « Succulentes », du nom que portent des plantes grasses à suc. Les formes ne sont pas pour autant descriptives ou même apparemment analogiques, certaines paraissent d’ailleurs anthropomorphiques. Leur prestance esthétique de création fantasque donne une aura d’œuvre générale in process à ce travail savamment bricolé pour paraître aussi spontané qu’inachevé en étant fait d’assemblages de pièces de maçonnerie et de toutes sortes de produits bruts. A travers son installation proche de l’in situ, l’exposition en forme d’allée plantée élargie chaque œuvre d’un supplément d’expression lyrique.

 

Odonchimeg Davaadorj, galerie Backlash. Originaire de Mongolie, l’artiste s’inspire de ses racines et ses proximités rêvées avec son univers éloigné. Les œuvres, des évocations et des personnages délicatement dessinés et peints en lavis ou découpés avec un soin de miniaturiste traduisent un monde personnel et intimiste. Fortement illustratives et en même temps d’une plasticité toujours ouverte, l’exposition se déploie à travers des installations et des séries sur des thèmes de voyages intérieurs. Le plus frappant est le vocabulaire plastique employé. Le dessin, limité à des figurations graphiques ou picturales sur papier s’appuie sur des expressions naturelles mais symboliques, comme ces fils rouges sensés relier tout ou partie des éléments entrant dans les compositions ou destinés à initier des mappemondes individuelles… L’ensemble puissamment poétique qui peut donner parfois l’impression de se répéter, évolue sur des crêtes esthétiques.

 

Galerie Gounod, « Les parciels » d’Audrey Matt Aubert. Des peintures sur toiles de grandes dimensions présentent pour les unes les silhouettes en effigie de motifs architecturaux indiquant des palais ou des temples iconiques et pour d’autres, des ciels faits de taches informes pouvant renvoyer à quelque étude des Nymphéas par Claude Monet. Réduites à des évocations formelles peintes de façon quasi monochrome et presque rétiniennes, les peintures d’Audrey Matt Aubert semblent creuser l’identité visuelle de leurs sujets en retournant l’attention du spectateur vers le souvenir d’une chose partiellement vue ou disparaissant de la mémoire. Ses manières de soulignement de parties sélectives des bâtisses par des traits réalisés avec du ruban adhésif rappellent un travail d’esquisse crayonnée/ effacée/corrigée où le gommage fait date. En même temps, chaque motif bien circonscrit dans le rectangle du support met en abîme la monumentalité plastique naturelle des toiles. L’artiste, en massifiant son style et en s’appuyant sur une esthétique ensembliste du tableau, semble peindre en sculptant virtuellement. Quelque aporie des abstraits lyriques américains s’activant simultanément dans plusieurs directions artistiques apparemment étrangères mais concomitantes remonte. A suivre…

 

Galerie Templon. Jitish Kalat. L’exposition s’intitule « Phase transition ». Une autre proposition de thème est donnée en complément : « Dialogue avec le cosmos ». L’ensemble se ramène à un séduisant travail de composition cartographique et de collages documentaires, qui se réduit esthétiquement à des mélanges de très grandes tailles d’images d’expression documentaires ou scientifiques dessinées. C’est tout la fois précieux et habile, artistiquement décoratif, extrêmement bien réalisé, proprement présenté. Et sans intérêt.

Seconde exposition chez Templon, rue Beaubourg. Daniel Dezeuze « Sous un certain angle ». C’est une véritable rétrospective, des productions caractérisées de l’époque Support-Surface aux options actuelles, formellement moins radicales et militantes culturellement et surtout plus esthétisantes. La sécheresse sinon la pauvreté visuelle assumée et purement documentaire des démarches d’antan laisse aujourd’hui la place à une pratique artistique qui ne se dissimule pas d’avoir cherché à être une sorte de poïésie tactile. Si en conséquence certaines œuvres brillent d’un passé en rien dépassé, d’autres plus actuelles et d’un style plus agréable n'envoient que des reflets passablement dépolis.

 

Galerie Nathalie Obadia. « Là bas…Toi » par Carole Benzaken. Les œuvres combinées de plasticités photographiques et picturales évoquent des paysages perçus depuis un train lancé à pleine vitesse. Les tableaux semblent saisir cette impression rétinienne dans ses fractions de temps. L’apparence impressionniste et un rappel insistant de propositions visuelles décodées de Monet et de photographes pétris de pictorialisme, est partout : d’abord à travers l’évanescence qui enveloppe pêle-mêle et massifie le regard, le sujet et son expression picturale. Puis, filtrés et traduits en touches par l’artiste, il y a les scintillations des formes et le papillonnement des surfaces, le pétillement des sujets dispersé et décomposé, la désintégration optique et le rendu parfois pointilliste des sujets. Les supports calqués sur l’apparence d’une vitre et l’enregistrement allusivement mécanique des motifs peuvent aussi faire passer cette production pour des photogrammes. De sorte qu’au-delà d’un spectacle déjà naturellement plastique et sa transcription quasi analogique, on se demande où une recherche et une expression approfondies s’annoncent. C’est merveilleux que Claude Monet ou Alfred Stieglitz fascinent, mais pourquoi donc mimer à ce point le premier ?

 

Nicolas Guiet, Galerie Fournier. La présentation indique « le travail de l’artiste se joue dans les ambiguïtés des situations. » J’évoquerais plutôt l’ironie d’une présentation dont les objets artistiques tels qu’ils sont façonnés à travers des codes esthétiques d’objets décoratifs et de design semblent devoir fonctionner par retournement humoristique de leurs codes. Comment, en effet, qualifier des reliefs ni abstraits ni figuratifs ou que leur forme déroute, qui sont des sculptures ou des peintures, des bas reliefs ou des installations, des choses énigmatiques et qui paraissent des extraits perdus de produits devenus indéfinissables ? Incontestablement réels du fait qu’ils sont construits et perturbants parce qu’ils ne renvoient à aucune catégorie dans le champ artistique, les objets et les installations en volume lisses, colorés et d’esprit industriel ou vaguement design de Nicolas Guiet suscitent davantage une adhésion durable d’humour et de connivence qu’une reconnaissance spectaculaire d’intérêt. Sans doute est-ce d’ailleurs pour cela qu’il crypte avec facétie l’intitulé de ses créations par des suites hasardeuses de lettres au lieu de les nommer lisiblement. Il s’ensuit que chaque silhouette suggère un effort subjectif de réception plutôt réjouissant, pour ne pas dire « déjanté ». Je ne peux en ce sens qu’être réservé par la neutralité processuelle de nombre d’œuvres supposées ambitieuses mais banalement alignées sur les cimaises comme une suite de tableaux ordinaires. Cet accrochage conventionnel annule un mouvement créatif qu’à l’inverse, les scénarisations in situ d’autres œuvres valorisent avec énergie. 

Olivier Masmonteil perdu dans la nature à la Galerie Thomas Bernard

31/01/2019

Le propos de l’exposition est apparemment double : d’un côté le paysage, de l’autre, la peinture. Les tableaux de dimensions importantes épousent symboliquement le thème du paysage en intégrant la vastitude supposée des espaces naturels en usant de tous les codes conventionnels d’expression. On n’est pas surpris par la reprise d’un horizon toujours parfaitement linéaire équilibrant chaque composition souvent entre moitié et premier tiers de la hauteur du tableau. On n’est pas étonné du recours aux principes d’une perspective d’ambiance reposant sur des ombres et des lumières déclinant par degrés pour signifier les lointains. Il y a aussi des ciels opportunément comblés par des nuages dont la taille et l’emplacement diminuent progressivement eux aussi par rapport au plan du subjectile… A l’inverse, les couleurs, inhabituelles, divergent et auréolent la peinture d’une atmosphère paradoxalement irréaliste.

Quelques références et quelques simplifications à des manières d’artistes reconnus viennent troubler l’attention et faire croire à des tentatives de décrochements plastiques innovants, sinon pour certains audacieux. On songe aux échappées symboliques de peintres nordiques du XIXe repérables à l’altérité de leur style personnel. On reconnaît par analogie formelle des recherches plastiques autour du all over des créateurs américains contemporains comme Kenneth Noland, voire Newman (semble t-il, renversé à l’horizontale), réputés pour leurs saisies personnelles de la construction de l’espace en peinture ; on capte quelque allusion – par ailleurs revendiquée – aux gestes d’abstractions d’artistes comme Per Kirkeby, aux synthèses visuelles et cependant allusives d’un Claude Monet, des encres extrême-orientales… Le peintre attentif à bien peindre identifie aussi formellement des techniques d’exécution modernes. On note pour finir un attachement indéfectible pour la peinture de paysage et une approche académique du tableau. Olivier Masmonteil pratique en ce sens une peinture historique et quelquefois savante.

Avec ses peintures indiscutablement séduisantes et grâce à un savoir faire indiscutable, fait de références acquises et susceptibles de répondre positivement aux incertitudes de goût, le peintre cultive une somptuosité d’aspect. La justesse des rendus comme la contemporanéité des signes plastiques mobilisés trouble, et en ce sens, questionne pour tous les tableaux. Plus prosaïquement, le peintre, tout à ses évitements des pratiques disruptives, semble contraindre le « métier » au statut de mur esthétique infranchissable. Partant, ses peintures in fine plus décoratives que nécessaires ne rassurent, pas tant l’inattendu manque. Contredisant certains des modèles historiques dont il suggère par analogie qu’ils l’accompagnent, les ambitions artistiques du peintre s’amincissent d’œuvre en œuvre et réduisent la vivacité imaginative et l’innovation critique indispensables à la recherche en art. 

Vincent Olinet, emportements et rêvasseries d’un travail seulement créatif. Galerie Laurent Godin.

28/01/2019

Dans la galerie aux allures d’entrepôt désaffecté Vincent Olinet a installé son travail pour qu’il s’apparente au lieu lui-même et agisse en trompe l’œil d’un lieu autre, un théâtre peut-être, à la fois impensable et pleinement rêvé. La facture générale de l’exposition intitulée « Une image » projette les intentions de son créateur de présomptions en suppositions plus mystérieuses les unes que les autres.

« Une image »… Mais laquelle ? Ou, lesquelles, vu les diverses œuvres exposées, pour certaines éphémères et pour d’autres des films ? Pour quel monde donc ? S’agit-il d’une vision ou d’un spectacle factuel ? Présentés comme une réalité devenue évanescente, l’entrepôt ou la galerie et le travail de Vincent Olinet se révèlent être une fiction et un décor conjoints dans une perspective de storytelling artistique. Subsidiairement, son travail libère en sus des confrontations esthétiques par une poésie étrange.

 

Les murs sont entièrement tapissés d’un papier peint à motifs de moulures supposées, de compositions florales et d’autres sujets badigeonnés en pochade ; le temps semble s’être arrêté comme un salon d’hiver ou un vaste boudoir dans un manoir de bande dessinée diffuse des parfums nostalgiques. Egarées au hasard dans les divers espaces des reliquats sur des tables désordonnées présument une fête finie et des convives sur le départ. Les éléments d’une vaissellerie supposée de cristal mais en réalité constituée de glace fondent lentement ; d’improbables fruits gelés : citrons, oranges, artichauts authentiques sont échus comme des lustres symboliquement tombés. De façon aussi hasardeuse, d’autres fruits sculptés aux proportions gigantesques sont silhouettés à la tronçonneuse. Sommairement peints de leurs teintes naturelles, isolés ou vaguement groupés contre les murs ils semblent gésir pêle-mêle ça et là. Chaque ensemble s’apparente à une nature morte comme des taches de vin sur une nappe peuvent faire songer aux traces assourdies d’échanges improvisés. Les spectateurs paraissent silencieusement errer dans les lieux comme s’ils étaient les visiteurs d’une fin de partie, glanant quelque dernière image, une conversation aux échos éloignés d’une pièce de Tchekov1. Sur un mur marginal, deux films présentent une autre installation conçue dans un environnement précédant et un documentaire de l’artiste capté à son travail dans son atelier. 

En pointant des techniques d’expressions spécifiques, Vincent Olinet entend montrer que son travail ne se résume pas à l’imagination d’une ambiance. Comme il est dit, ce qui est peint a le statut d’une pochade prestement réalisée, ce qui est sculpté est juste dégrossis, ce qui est présenté semble être une autre sorte de « Tableau piège »2. Qu’une composition s’annonce, Vincent Olinet affiche crument un procédé : collage ou montage avec le papier peint, disposition hasardeuse voire appropriation avec les tables, la vaissellerie et les reliquats de repas inachevés. Le moindre effet de forme conserve un geste d’esquisse, la mobilisation d’un travail en train que l’artiste refuse de marginaliser. La plupart du temps, chaque couleur demeure de la même façon une teinte factuelle ou une valeur purement référentielle. Partout l’artiste concentre son attention sur les emportements et les rêvasseries d’un travail seulement créatif.

Vincent Olinet réussit avec succès un coup poïétique d’une stupéfiante beauté plastique. Apparentée à une commande d’œuvre in situ, l’exposition se révèle être un travail in process, voire pour les visiteurs pris pour des acteurs agissants, un happening préparés à leur insu. La mémoire d’un temps écoulé ou en train de remonter à l’esprit gouverne expressivement l’ensemble de l’exposition et donne à son entreprise une épaisseur esthétique indéniable. Les murs et l’espace de la galerie transformée en palimpseste onirique d’une demeure familiale et d’une vie bourgeoise à la fois doucereuse et désuète agissent à la manière d’une succession d’images rémanentes. Des souvenirs d’images jaunies fusent, par nuages des récits se reconstruisent par bribes ou sont induits par glissement, on peut aussi tenter de faire se dilater le présent et pourquoi pas réimaginer l’artiste en action. « L’image » vs l’exposition devient un opéra de pure fantaisie.

 

1/ « La Cerisaie », peut-être, dans la version inoubliable de Peter Brook au Théâtre des Bouffes du Nord. 2/ Les « Tableaux pièges » de Daniel Spoerri…

Katarzyna Kobro et Wladyslaw Strzeminski, enfin réellement visibles à Beaubourg.

03/01/2019

C’est une occasion rare que de voir et fréquenter les pratiques individuelles et conjointes de Katarzyna Kobro et Wladyslaw Strzeminski. L’exposition rétrospective qui se tient à Beaubourg comble un vide en présentant à la fois leurs deux parcours artistiques et l’essentiel des théories esthétiques qu’ils ont initiés et défendirent. Et force est de relever que les radicalités des artistes jeunes ont parfois du mal à vivre longtemps sur la crête des vagues. Restent de magnifiques sculptures abstraites de Kobro, dont les compositions épurées aussi bien d’hybrides clignent avec sensibilité vers la peinture, que l’esthétique absolutiste des peintures « unistes » de Strzeminski est une recherche sur le sens du pictural avant d’être un sujet. Les suites des deux entreprises plasticiennes confirment leur tentation pédagogique par  des essais d’extensions architecturales dans la lignée des projets du futur groupe Abstraction-Création. Elles ont aussi à voir avec l’ensemble des idéologies futures de divers projets esthétiques qui ont pu faire croire à la possibilité d’un art universellement acquis. En marge, comme souvent, les pratiques individuelles s’émoussent, « ça patouille », « ça volumise approximativement », le fond se disperse, s’officialise dans des formes conventionnelles. Et comme par contradiction ou paradoxe, la vague, parfois, remonte au plus haut, avec des productions subtilement engagées, de nouveau horizons graphiques ou visuels, des hurlements de véhémence humaniste. Les dernières salles consacrées aux montages plastiques dénonçant la barbarie concentrationnaire nazie ou les compositions marines de Strzeminski, les recherches sculptées figuratives non narratives de Kobro rappellent des flammes dont l’incandescente jeunesse n’a pas fléchie.

« L’invisible est le visible », Alexandre Hollan, magicien émouvant au Musée Fabre à Montpellier.

01/01/2019

Il aura suffi de quatre salles en enfilade et la sobriété extrême de sa présentation pour faire d’une donation d’Alexandre Hollan au musée Fabre le magicien discret d’une exposition émouvante.

Il se trouve qu’Alexandre Hollan, natif de Hongrie, travaille dans un coin de garrigue proche de Montpellier, au calme de cet arbre dont le motif l’inspire au point d’y sourcer la force d’un logotype personnel. Evoluant comme un thème largement autonome, l’arbre également transfiguré par une profondeur symbolique palpable expose sur les cimaises son plaisir de peindre devenu métaphysique.

L’exposition débute avec un entretien filmé de l’artiste qui sobrement livre par bribes ses cheminements créatifs. Convaincu de correspondances subtiles entre l’observation directe et l’extrapolation dans l’atelier, chaque propos clarifie quelques clés et chapitres d’un conte intime. « L’invisible est le visible », l’intitulé de l’exposition croise et file avec pudeur les confidences abstraites ou allusives du peintre sur ses possibilités d’images aussi bien que des problématiques que Maurice Merleau Ponty ne renierait pas. Dès la première salle et la première vitrine, l’ordre chronologique des œuvres réfère en ce sens aux aléas d’une démarche figurative hantée autant par l’acte de faire que par l’espoir de le sublimer.

Dans chaque salle, au fur et à mesure des œuvres, le peintre, tout à ses dessins (desseins) ou ses peintures (portraits d’arbres), autrement dit tout aux croquis ou aux pochades directes, tout à leurs études prolongées sur toiles, développées en leporello  ou synthétisées dans l’atelier comme des signatures, entretient l’idée d’un art livré aux mystères de ses multiples formes de visions imaginaires. Et c’est en ce sens qu’il faut attacher une importance poétique particulière à l’orientation régulièrement allongée des œuvres, l’arbre fait figure d’Homme devant l’étendue sans fin d’une perspective infinie. Tout aux suggestions d’un monde qu’il juge invisible mais qu’il voudrait parvenir à incarner dans son sujet, Alexandre Hollan floute ou bien gomme l’arrière fond et l’environnement autour des arbres pris pour modèle. Sur pied ou limité à leur branchage, chaque arbre juste silhouetté dans une tache informe ou rapporté à l’analogie d’un nuage vire à une possibilité d’être. De salles en salles, de dessins aux dimensions d’une note confidentielle aux toiles peintes jusque sur leurs tranches, les arbres sont des taches libres ou des graphismes passagers, les âmes confidentes, rêveuses ou joueuses d’un artiste qui les contemple en silence et s’entretient avec eux par le regard.

Corine Borgnet lache prise à la galerie Valérie Delaunay

25/12/2018

« Je ne me suis jamais sentie libre : l’art, c’est ma croix et c’est aussi ma cure…mais je ne suis pas libre de ne pas faire de l’art » assène Corine Borgnet en conclusion d’une interview servant d’introduction à son exposition personnelle galerie Valérie Delaunay. Compte tenu des pratiques créatives de l’artiste, ces propos valent-ils illustration de l’intimité assumée dont son travail formellement étonne ?

L’artiste, apparemment jamais à court d’ironie, conçoit en effet son travail comme un champ d’expériences sensorielles que les adeptes d’un art initiatique ne récuseraient pas. Corine Borgnet dessine et peint, comme la majorité des artistes, et comme nombre d’entre eux laboure les territoires de la parodie avec, pour ce qui la concerne spécifiquement, un attrait marqué pour l’illusion artisanale. En utilisant des matières ou des objets de récupération plus que des produits et faisant davantage qu’inventer ex nihilo des arts inconnus, elle fabrique comme un artiste de l’art brut détourne ou retourne à tout propos ses modèles et crée ses formules pour un monde repensé. Elle évolue ainsi au milieu de rêves autant que de fantasmes et assume avec la plus totale désinvolture leurs dérives par ses « échafaudages » de toutes natures : images imprimées et transformées en volumes, reproduction/transposition à l’identique d’objets mythologiques et religieux à partir d’os, recontextualisation de signes ou d’œuvres historiques et/ou fabrications allusives de reliquaires. Qu’on lui parle de vanité ou de portrait, d’illustrations surréalisantes et de productions inspirées par les ready-mades, cela semble la faire sourire et provoquer en regard autant de pas de côté.

Qu’elles soient dessinées ou conçues en volume, les productions minutieuses autant qu’habiles de Corine Borgnet défient comme on l’entend l’exactitude et la préciosité silencieuse de leur excellence artisanale par un décalage qu’on peut dire extravagant d’humour. A qui fera t-elle croire que ses sculptures de couronnes royales, ses assemblages mémoriels comme des décorations de pierres tombales, ses réinterprétations de la Couronne d’Epine, ses ex-libris d’apparat ou ce qui en donne lieu, ainsi que le reste en os de poulet sont des vanités ou des reliques sérieuses ? Pense t’elle qu’on se suffira de tenir sa dextérité d’exécution comme son art principal sans se laisser imprégner par le récit imaginaire de leur silhouettes simultanément transgressées et transfigurées ? A quoi faut-il songer quand, ironisant sur des portraits célèbres reconstitués à l’aide de cire fondue récupérée dans des églises, l’artiste, se présente fictivement riante/grimaçante ou hurlante ? Que penser de la lenteur de cette vidéo réinterprétant un film de Bill Viola et qui montre un cœur de mouton en apesanteur en train de tourner sur son axe vertical au centre d’une couronne d’épine ? L’art de Corine Borgnet retrouve dans la dérive le regard constamment oblique d’énergies expressives dont l’hallucination surréaliste avait formellement et avec autant d’ironie que de poésie spontanée esquissé la pose de quelques jalons.

Demeurent donc avec chaque œuvre les élans calmes de réalismes dont la plasticité jamais seulement descriptive est totalement assumée. La mise en espace de l’exposition de la galerie Delaunay brille d’une théâtralité délicatement muséale et ethnographique, voir l’atmosphère partout un peu magique d’un cabinet de curiosité. On se croirait dans une salle dédiée à une religion sans écrit uniquement focalisée sur ses rites ou des parures dont il ne subsisterait dans les vitrines et sur des socles que les squelettes d’âmes en effigies. L’inattendu mental des images et la perfection de leurs rendus instillent des perspectives d’extase et d’incompréhension, l’égale envie de partager et d’être dépassé par la subjectivité décontractée de l’artiste.

« Basquiat chez Vuitton »

21/12/2018

C’est dérangeant et heureux de mesurer le renouvellement en profondeur de la peinture introduit par la pratique de Basquiat.

C’est diversifiant de suivre sa mobilité plastique et créative.

C’est étrange de ressentir chez lui un désir d’user de toutes les nuances éthique et stylistique du support mural urbain.

Comme c’est troublant de constater ses référencements à une culture artistique aussi réelle et sensible que limitée à la superficialité de certains de ses signes.

Comme c’est difficile et peut-être indiciel de remarquer que vers la fin de sa vie d’une brièveté dramatique, Jean Michel Basquiat , adoubé par le marché et « accompagné » par Warhol dans leur collaboratif semble virer vers une peinture conventionnelle, ce que déjà les dernières salles de l’exposition de 2011 au musée d’art moderne de la ville de Paris mettait déjà en perspective.

Comme c’est terrible de se sentir détaché d’une pratique à l’origine prodigieuse et fulgurante, puis en peu de temps surprise en train de se formaliser pour se désincarner en s’extérioriser dans son spectacle.

« Chaos minimal » : oxymore troublé à Galerie Maubert.

15/12/2018

Dans un livre d’entretiens récent, Daniel Spoerri convient avec le critique Alexandre Devaux que parfois, l’artiste n’est pas forcément le mieux placé pour exposer ce que dit ou ce qu’on peut avancer de son travail. On ne peut que partager cet avis en écoutant le peintre Nicolas Delprat parler de ses œuvres ou plus prosaïquement évoquer sa démarche créative.

Intitulée « Chaos minimal » sa récente exposition ne peut en effet que troubler sur les intentions et le travail dont il se charge. Si on veut en effet bien entendre que les perspectives conjointes du minimalisme et du chaos induisent des concepts et que ceux ci renvoient à des esthétiques datées et des pratiques définies, autant sa technique personnelle que les apparences des œuvres évoquent en miroir une inspiration photographique. Et c’est dans une suite de malentendus sur des compositions qui sont plus simplifiées que minimales et par trop contrôlées, à l’inverse d’un chaos, que tombe à première vue, l’efficacité de l’exposition.

Le travail de Delprat n’est pas pour autant inexpressif : une porte, une suite de néons, la trame faussement transparente d’une surface grillagée apparaissent comme des impressions laissées après une insolation. Quelquefois, avec la volonté manifeste de rappeler son protocole, le peintre a laissé visibles les traces de bandes adhésives ayant pu servir à fixer les modèles supposés faire écran. La peinture par ailleurs vaporisée avec insistance pullule en particules comme des photons traduisent une partie d’énergie lumineuse qui confirme une inspiration photographique déjà induite par les apparences et des objets simultanément surexposés.

Toutes choses égales, le discours de l’artiste sur son travail et pour chaque œuvre fonctionne comme si le substrat des toiles se devait d’être une présence réelle en même temps qu’une évanescence. Il semble que les moyens du peintre comme les « suites picturales qu’il leur donne » peinent à trouver une voie audible. Involontaires entre sujets réels et évocations mémorielles ou apparences et aperçus, les peintures sans perspective de Nicolas Delprat donnent l’impression de ne s’apparenter qu’au protocole appliqué d’un photogramme.