ZeMonBlog
31/01/2018
Voici le temps des assassins1 (stratégies picturales figuratives aujourd’hui)
L ‘exposition a lieu dans la galerie Journiac de l’Ecole des arts de la Sorbonne, rue de bergers. Rien ne la lie intellectuellement au site universitaire.
« Chaque œuvre témoigne de l’actualité d’un médium qui parvient à réinventer l’image, bousculer nos modes de perception. » Il s’agit de contredire quelques parutions récentes soutenant la fin de la peinture (Didier Ottinger).
« L’exposition propose une expérience sensible des diverses stratégies figuratives à l’heure de l’iconomie CQFD : la nouvelle économie des images et de l’information de la nouvelle révolution industrielle »
…Lesquelles instaurent « un dialogue entre l’expérience photographique commune constituée par le flux incessant des images impatientes de réseaux sociaux et celles conçues par l’élaboration patiente de l’image peinte. »
…dixit Alain Berland, commissaire.
Le commissariat d’Alain Berland re-cadre à propos les nouvelles formes et habitudes d’inspiration-consommation des images issues d’Instagram, de Facebook, Konbini et autre « magasin de l’iconomie. » On comprend vite et on est sensible à cette critique de l’insipidité initiale des sujets meublant le spectacle de vues indéfiniment communes et banalisées, où il croit déceler de nouvelles paradoxalement de nouveaux thèmes de recherches artistiques, notamment picturales figuratives.
Reste l’aporie des formes d’expressions de chacun des 20 artistes représentés. Exceptés la présence picturale truculente aussi décalée, humoristique et onirique que difficilement compréhensible des fantasmagories de Marlène Mocquet comme sous d’autres aspects, la curiosité pour la parodie des références de Damien Deroubaix, l’exposition ne serait que pratiques conventionnelles et parfois techniquement plus que discutables, régulièrement pauvres esthétiquement. La plupart des œuvres semblent ne répéter que leur modèle sans travail sur son apparence autre qu’un « silhouettage » plat, dépourvu d’expérimentation de la matière picturale et sans retour sur l’aura supposée des photographies tels que, autres références imaginables, Walter Benjamin, Roland Barthe, John Berger voire Gustave Caillebotte en son temps ou Francis Bacon, Andy Warhol ou Gerhard Richter, ont pu individuellement tenter et pour les deux derniers, réussi l’exprimer par l’écrit ou la peinture. Par quoi donc s’illustre cette « patiente élaboration de l’image peinte » que subtilement le texte de présentation présume en suggérant de prendre des écarts malins ?
Autant le texte de présentation de l’exposition séduit par sa relative perspicacité, autant la majorité des œuvres sont pâles. Mais peut-être que justement c’est le miroir du flux iconomique ?
1/ Ces mots choisi par la commissaire de l’exposition reprennent le sujet peint d’une œuvre éponyme de Bruno Perramant exposée pour ouvrir l’exposition.
28/01/2018
La difficulté avec les expositions fondées sur la performance (action, happening etc.), c’est la suite et ce sont les restes. C’est le trouble causé par la conservation quelle qu’elle soit de la moindre trace de ce qui, par principe, ne devait pas subsister. Que retenir de ce qui, une fois passé le temps de la performance fut en même temps l’œuvre et quelque chose de mieux que des vestiges ou de la cendre d’un art réputé en action ? Une solution fondée sur un retour mémoriel de l’atelier comme œuvre simultanément réelle ou imaginaire existe peut-être… sous condition expresse d’être plastiquement réinstauré pour se suffire à lui-même.
C’est ce qu’à l’évidence Armand Lestard et le centre d’art contemporain Aponia semblent avoir choisi ensemble en créant « La louve », une œuvre/exposition « organique, hétérogène et performative » sur « La place du Sauvage dans nos vies », composée d’installations, de performances, de danse, de sculptures et d’œuvres purement graphiques et picturales, de musique etc.
« La louve » a été inaugurée et s’est en théorie physiquement terminée le même jour du 13 janvier dernier.
Tout continue symboliquement jusqu’au 11 février…
Mise en place par Armand Lestard qui en assure également le commissariat, l’exposition se présente comme une œuvre/action collaborative partagée avec Hélène Singer, Sandra Ancelot, Rémi Voche, et Eric Ancenot, tous plasticiens et performeurs. Tous repose sur un environnement complexe de productions en deux, trois et quatre dimensions susceptibles d’être interactives : théâtre, au mime et danse, sculpture et architecture ou objets symboliques, musique, chant et sons divers, gastronomie même… L’atmosphère générale est à la fois nocturne et éclairée de façon théâtrale. L’écoulement du temps s’exprime selon les cas lentement ou précipitée par procuration à travers des recits de forêts peuplées de masques, de marionnettes et de créatures nocturnes. Il s’écoule avec le rappel allusif d’activités industrielles disparues, à travers l’image d’un artiste travaillant fiévreusement dans son atelier, au gré des divers performeurs s’exprimant par la musique, par la danse ou par à travers la préparation d’un repas supposé être en lien avec le sujet. C’est le plus souvent impressionnant et spectaculaire malgré un sentiment diffus de déjà vu, c’est parfois un peu rude à suivre, toujours débordant d‘expression personnelle.
J’ai un doute. Armand Lestard veut créer en iconoclaste, « déformater l’exposition en cassant les codes établis » (dixit), élever jusqu’au ciel la création débridée et le geste animal sur l’expérience froide… Une imprécision référentielle récurrente et sans diversité critique sémantique affirmée flotte en même temps sur l’ensemble du projet qui, par un symbolisme aux échos anti moderne, confine au syncrétisme d’un bricolage mystique.
C’est déjà vu et moins iconoclaste et reformatant que prévu parce que « La louve » est de toute évidence inspirée par les happenings et les expériences esthétiques collectives conçues par John Cage au Black Mountain Collège (USA) en 1952, les actions/performances de Joseph Beuys ou de Wolf Vostell en Allemagne dans les années 1980/90. L’esthétique générale punk qui ponctue par ailleurs les apparences formelles de certains objets et accessoires semble de simple reprise.
C’est un peu rude à suivre à partir des sens et correspondances accordées au mot sauvage, tantôt défini comme substantif et tantôt simple rapprochement analogique. Armand Lestard explique dans un texte introductif qu’il faut l’entendre comme un écho du sensible qui lui-même serait synonyme d’instinct naturel, incivilisé ou jardin secret individuel : enjeu d’une singularité perdue ou égarée mais qui peut être reformée en partant de sentiments premiers. La sincérité foncière des œuvres signées collectivement est préjugée contraire au « do it yourself ». Je ne veux pas dire que, et c’est bien sûr une aporie de caractère de l’artiste et de son projet, « La louve » ou ce qui en reste manque d’intérêt, qu’au fond, tout des éclats du vernissage a disparu. Durant cette soirée, le centre d’art est devenu un théâtre éphémère de pantomimes, un temps d’hallucinations esthétiques, un opéra en cours d’écriture, l’esquisse d’un cirque fantasmagorique dans une clairière imaginaire, une prière improvisée dans monde inspiré par Caspar David Friedrich, un opéra de David Lynch, un musée de la nature réinventé, un « foutoir onirique » où même le prévu peut survenir… Il y a surtout ce microcosme et ces souvenirs personnels dont Armand Lestard a su, malgré leur relative obscurité ontologique, faire un monde public à travers Aponia. Il se trouve surtout que par procuration et métaphore, ce microcosme s’ouvre aux autres.
Armand Lestard avait en 2006 déplacé/reconstitué la maison de sa mère dans le centre d’art. Le propos était alors « Urbanité ». Il s’inspire aujourd’hui à nouveau des paysages et des légendes de Longwy dont il est originaire. Armand Lestard a voulu qu’ils se croisent, qu’ils interfèrent, qu’ils s’embrouillent. L’obsurité couve et plane, la lumière dissèque et environne, l’air se manifeste par des souffles. Pas de partition musicale, des envolées sporadiques et des bruits spontanés, des flots de paroles à peines articulées pour paraître susurrées, des entités instables et suspendues, imprévisibles et provisoires davantage que des corps.
Le vernissage et le temps des performances révolu, tout est arrivé et tout s’est passé, fini, inerte. Ce qui reste n’a que partiellement été redisposé. Proche de la porte d’entrée, le titre d’une chanson emblématique de Lou Reed : « Walk on the wild side » porté par un néon continu ses aller-retour sur une voie ferroviaire fantasmatique traversant un mur au sens désormais évanescent. Des feuilles de grands formats matérialisant symboliquement l’intérieur et l’extérieur d’un atelier fictif à partir de murs opposés font figure de mue abandonnée. Les inscriptions et les dessins dont ils sont couverts perdurent, mais les feuilles sont devenues des palimpsestes. Dispersés sur le sol constitué de feutre épais, un renard empaillé, gueule ouverte et les yeux comme exorbités, continue de tirer un traineau chargé d’un globe terrestre en forme de pelote de ficelle. Ailleurs, des effigies monstrueuses, clownesques ou d’animas empaillés dressées sur des pics ou de mats incarnent des personnages de réalités inconscientes. Le noir et la pénombre continuent de tout teinter, de même temps que le geste et le mouvement restent encore partout détectables. Sans paraître factice, une « matièriologie » tantôt naturelle, tantôt sublimée ou réinventée habille les objets et les formes. En guise d’effets purement chromatiques, des zones éclairées de faisceaux d’ambiance. Comme obscurité, des pénombres de fin de jour, de coulisses ou de cavernes. Au lieu de proportions naturelles des objets, l’échelle qu’Armand Lestard leur a donné.
L'absence des performances occupent l'esprit. L’ensemble de ce qui n’est plus qu’une installation paraît inachevé et laisse sur sa faim. Les enregistrements tracent faiblement et en partie l’aura du vernissage.
ce qui s'est passé peut symboliquement retrouver la vivacité artistique perdue après un effort personnel d’acceptation et d’imagination de la part du visiteur.
Si l’envie lui prend.
26/01/2018
Inspirée par le détail d’un texte sur la poésie de Jean Christophe Bailly1, Marie Gayet, commissaire de l’exposition voit les mouvements de la création plastique se caractériser par des successions d’éclats et de ricochets. Il y serait question de « mots » et de rimes, de force et de vitalité de l’intuition, de légèreté et de surprise de l’expression, de transparence ou de débords, d’image et de composition subjectives, toujours de lumière intérieure.
Alors pas de choix autoritaire entre figuration et abstraction, pas d’œuvre exclusivement analogique ou arbitraire, le moins possible de règles. Privilège accordé au mouvement d’émergence et ses pentes expressives. Les dispersions solaires de Pauline Bazignan peuvent croiser les apparences minimalistes et un rien fantomatiques des peintures de Claire Colin Colin, les sculptures sérielles dans leurs deux sens d’un ductus et d’une mémoire de Laurence De Leersnyder peuvent côtoyer les fusains calligraphiques de Flora Vachez. Cléo Tabakian peut risquer la présentation d’une vidéo où on suit une danseuse évoluant fictivement au milieu d’images urbaines dans une ambiance d’ondes sonores et de son côté, Tiphaine Calmette peut présenter ses séries de photographies sur calques grandes comme des reproductions d’art mystérieusement annotées.
Les œuvres affichent clairement leurs tracés dans une histoire de l’art à la fois partagée et écartée. Chacune semble surtout se suffire aussi à elle-même, les artistes requestionnant, chacun à sa manière les suivis agissants de sa dynamique créative. Ce refus ou cette méfiance éclairée établissent partout avec curiosité et cohérence la priorité qui doit irréductiblement être accordée à la plasticité particulière de la recherche créative. Cette priorité sous-entend aussi des propositions d’auteurs qui indiquent que pour un art vivant, il ne faut, à l’aveugle ou en rêve, suivre que des aventures.
1-Jean-Christophe Bailly, L’élargissement du poème, Collection « Détroits » ed. Christian Bourgois.
22/01/2018
Gauguin l’alchimiste… autrement dit, Gauguin capable de transformer le plomb en or, le vil en exception, la réalité banale en une fiction poétique, Gauguin ésotérique et limite compréhensible ; par extension et par métaphore, personnage supposé avoir une culture raffinée. L’exposition, à défaut d’être explicite sur ces deux points et le titre plus racoleur que pédagogique ne convainc pas non plus par rapport à l’esthétique volontariste du peintre. Les rapports que Gauguin entretient avec la peinture et l’expression artistique/plastique confinent dès lors à l’aporie d’un lien entre empirisme et pragmatisme.
Il est dit que l’exposition est « forgée » sur l’idée que l’opération alchimique éclaire la méthode vs les processus créatifs du peintre. C’est en ce sens, que de salle en salle on s’applique à présenter l’art du maître à partir de ses techniques de réalisation, qu’on retrace sa méthode en s’appuyant sur la restauration de peintures abimées, qu’on rapproche ou qu’on mélange pèle mêle des peintures et des sculptures, des céramiques et des gravures. C’est sur ces préalables encore ou à partir de ces bases qu’est supposé le style de l’artiste, que sont visées les perspectives de quelques productions divergentes comme des objets décoratifs qu’il a pu réaliser et des extraits de carnets de croquis ayant servis de réserves de sujets. Les fils de l’explication alchimique sont encore ceux qui sont déroulés en partant des assemblages bizarres qui composent certaines natures mortes apparemment descriptives, avec des traductions personnelles qui restent énigmatiques. C’est à partir de citations « retenues » d’écrivains contemporains, des échos de quelques sélections de ses écrits qu’est construite l’idée d’un pouvoir transmutateur du peintre.
Le moins qu’on puisse dire est que, malgré la présence de chefs d’œuvres pour certains emblématiques de sa vision de l’art (la plupart du temps issus du musée d’Orsay), nombre d’autres œuvres sont loin d’être des réussites pertinentes. On y constate que, sous couvert d’un synthétisme habillé de théorie, le peintre s’est dans la réalité bien des fois contenté d’un geste du dessin plus approximatif qu’empirique en se contentant d’un dessin mécanique, que sous couvert de décors ou d’un savoir faire « primitif » (vs sauvage, naturel, originel, « décivilisé » etc.) nombre de ses œuvres relèvent davantage d’un sujet et d’un programme d’illustration quasi littérale.
Parler d’un Gauguin alchimiste me semble aussi inaudible qu’inapproprié en oubliant que loin d’avoir été un chercheur régulier et opiniâtre sur l’objet de la peinture comme Pissarro et Cézanne à la même époque (Matisse et Picasso plus tard), il s’est souvent limité à une mythologie personnelle configurée comme une imagerie non dépourvue d’hagiographie. Faites de compilations et de rapprochements personnels de sujets de provenances diverses dont il se convainc qu’ils possèdent par syncrétisme des significations universelles, de trop nombreuses œuvres se caractérisent par un mélange arbitraire de styles et d’époques sans rapport les uns avec les autres, par l’association de manières superficiellement récupérées de Cézanne ou Pissarro, avec le détail d’une gravure japonaise s’appuyant sur plusieurs plans de visions simultanées, sur une effigie d’origine péruvienne ou un décors des Iles Marquises… On peut concevoir le scepticisme de Camille Pissarro percevant dans les sculptures de Gauguin des productions de « bibelotages ; on peut entendre les doutes et réfutations Cézanne ou Monet sur ses conceptions de la recherche picturale, on peut estimer comme Signac la « sauvagerie » et la haine de son époque par le peintre quelque peut réactionnaire.
Mais Gauguin est contrariant, il sidère aussi en étant parfois excellent un observateur émouvant et un dessinateur exigeant, un coloriste subjectif et sensible. Si certaines de ses peintures ou si certaines de ses sculptures paraissent de bazar en étant par son mysticisme aussi lourdement « immatérielles » que naïvement « indigènes », sa conception du travail pictural persiste à être effectivement pragmatique par des excentricités expressives assumées. Son dessin d’aspect qui peut parfois être sottement plus réducteur que synthétique s’appuie aussi sur des constructions esthétiques poétiquement conçues à partir de rimes formelles et chromatiques subtiles. Alors que je le juge naïf quand il « dit » peindre « sauvage », stupide quand désireux de se faire messager d’une authenticité humaine « retrouvée », il néglige l’étude plastique approfondie, Gauguin me satisfait chaque fois qu’il assume la pragmatisme de ses scénarisations picturales.
Gauguin est alors un artiste paradoxal par ses approximations formelles, par ses bricolages syncrétiques, ses prétentions de théoricien. Au mieux de ses aspirations subjectives, il est un utilisateur, récupérateur et parfois créateurs de procédés d’expressions visuelles à son époque effectivement inhabituels, incongrus et dérangeants, voir irrationnels. Sa peinture en déconcerte quant il privilégie la sensualité et un style décoratif émerveillant contre le rendu prioritairement descriptif. Je juge intéressante sa façon de réviser et s’approprier un procédé comme le cloisonnage des teintes propre à la gravure japonaise. La hauteur théorique de son engagement et de son éthique d’artiste est limpide, quand au fil des pages d’« Oviri les écrits d’un sauvage » ou de « Noa Noa », quand entre certaines annotations dans ses carnets de croquis, quand à partir des échos de ses échanges avec d’autres peintres de son temps (Pissarro, Cézanne et Odilon Redon notamment), quand à l’instar de l’approche empirique de Cézanne auquel il voue une admiration sans frein, il imprègne ses recherches d’une autonomie qui me paraît être par son audace plus que de l’alchimie. Malgré l’appui justifié d’un propos du peintre assénant que « La peinture est une abstraction », l’exposition fait trop discrètement écho à cette autre proclamation à mes yeux considérable : « Il y a plus à chercher dans la suggestion que dans la description », trop succinctement écho à l’empirisme technique et symboliste du « Talisman » qu’il fit réaliser par Paul Sérusier pour son enseignement. L’exposition est insuffisamment pédagogique quand la recherche à la fois philosophique et esthétique du peintre est remplacée par de la technologie. Comment dans ces conditions restituer la subjectivité de Gauguin assénant à Sérusier : « Comment voyez-vous ces arbres ? Ils sont jaunes. Eh bien, mettez du jaune ; cette ombre, plutôt bleue, peignez-la avec de l'outremer pur ; ces feuilles rouges ? Mettez du vermillon…». Il est aussi trop peu fait état de sa volonté de diriger intellectuellement et non pas du seul point de vue esthétique la communauté mystique et symboliste de Pont-Aven.
Plus qu’alchimiste et magique, l’approche de la peinture par Gauguin m’apparaît avec celle d’Odilon Redon animée par un volontarisme empirique et une théorie appliquée. Chacun sous couvert de images mystérieuses s’évertue à forger son concept d’art en s’attardant comme Cézanne sur des procédés pragmatiques. Revient au spectateur le soin de collationner les « mots » et les règles d’un vocabulaire créatif assumant ses assemblages et ses arrangements à l’écart d’un art symbolique de la révélation (Maurice Denis, Emile Bernard, Paul Sérusier) Revient aussi au spectateur d’accepter les histoires spirites, les théâtres fantasmagoriques et les ambiances maitrisées de livres d’images primitivistes de Gauguin comme une travail parallèle. Il me semble que l’exposition, on n’a pas assez attirer l’attention sur l’emploi récurent dans ses tableaux de volutes et d’effets de fumées divaguant entre les objets, de lignes dansantes et de plages ondulantes et flottantes multicolores comme des effluves d’encens ou des vagues de vagues de toutes les teintes subjectives possibles. Bref, on a sous-estimé un corpus objectif de formes et de procédés susceptibles d’être des faits de peintures non pas alchimiques et hermétiques mais programmés et raisonnés pour en paraître.
09/01/2018
Les dessins et globalement, le travail à la fois graphique, environnemental et symboliquement architectural de Réjane Lhôtes témoignent d’un goût prononcé pour les emboitements architecturaux et les silhouettes qu’elles soient remplies, évidées, réduites à des structures linéaires ou plus prosaïquement exprimées par des surfaces unies. Elle affecte en passant les changements de techniques de l’esquisse d’un travail purement graphique à des suggestions de production picturale, voir des essais d’approches aquarellées et de lavis sur papier. Qu’elles soient sur papier ou qu’elles « installées » dans un lieu, les compositions dont la rigueur du dessin peut parfois poser question évoquent des mises en scènes constructivistes. Par le biais de silhouettes succinctement placés dans l’espace ou signifiées largement on peut aussi penser à des photogrammes réinterprétés, des perspectives dépravées et esthétisées… On croit voir des dessins restés imaginaires de Paul Virilio, parfois de possibles visions de De Chirico, accidentellement, des vues d’artistes réalisées/vites traduites par de supposés étudiants en volumes…
Plus surprenant, deux « épures » dessinées sur feuilles sont « voilées » par des taches apparemment imprévues mais conservées. Leurs premiers plans, et à leur suite, la presque totalité des autres plans des images, jusqu’au placement imaginé de celui de la feuille blanche initiale flottent dans l’épanchement visuel d’un nappage incomptéhenssible. On a l’impression d’une conugaision d’incidents techniques ou formels, on songe ce dont Nicolas Bourriaud veut repenser des déchets plus ou moins récupérables dans « L’exforme »1. Mais chaque fois, c’est à une sorte de sortie de route dans l’exécution du dessin qu’on est confronté, de ces impromptus esthétiques à partir desquels les intentions esthétiques vacillent et, dans le cas présent, tombent pour d’autres thèses et d’autres fondations. Chaque composition se trouve en un instant expulsée de ses préjugés d’équilibres. Les plans s’allègent des combinaisons « logiques », chaque dispositif architectural voit son inspiration « vacuiter » vers des stuctures flottantes. Les œuvres propulsées dans une représentation ouverte vers le temps d’observation révèlent dans le même mouvement un dessin et une sensibilité du geste créatif moins contraints ou plus simplement vivant. Et quand il y a un emboitement, l’agencement est plus poétique en étant formellement plus arbitraire.
1- L’exforme, Nicolas Bourriaud, PUF
04/01/2018
Exposer à la fois Supports/Surfaces comme groupe d’artistes et comme corpus d’œuvres singulières sera définitivement un pari tant l’affaire est complexe et largement paradoxale. Titrée Supports/Surfaces : les origines 1966-1970 et ordonnée au Carré d’Art à Nîmes, l’exposition porte sur l’expérience des pratiques créatives et les limites processuelles du groupe. Les œuvres sont présentées comme autant de démarches collectives théoriques et de productions pragmatiques que de créations individuelles.
Les premiers pas d’artistes singuliers, leurs prétentions, conceptions, techniques et productions par la suite collectives, les processus dépersonnalisés de leurs pratiques collaboratives, à la fois ventées pour leur relatif anonymat militant et leur esthétique purement matérialiste, les valeurs propagandistes du rôle social de l’artiste revendiquant paradoxalement une radicale abstraction, tout est illustré avec une relative efficacité. L’exposition reconduit clairement l’ambiance pédagogiste et les intentions politiques/ philosophiques partagées dont chacun, à titre personnel, entendait ne pas faire mystère et quitte à l’ériger en morale. Il y a des œuvres jamais présentées, plusieurs sont cocasses tant des traces sensibles individuelles ressortent, comme l’affinité avec des pratiques initiées en même temps avec le Pop Art ou les « Nouveaux Réalistes » qu’ils condamnaient alors avec une virulence oubliée sinon curieusement minorée… (S’il est possible de les rapprocher dans le temps, qu’est ce que le commissaire du projet veut en même temps justifier en les associant dans la même exposition ? Suggérer une sorte de fil ou de fusion esthétique ? Il semble que le fond idéologique les a vite éloignés irrévocablement.) Et depuis, que de retraits ou de retour de quelques uns des protagonistes du groupe vers des productions pépères, à l’esthétique caduque, voire qui témoignent d’insuffisances théoriques et techniques inattendues…
L’exposition est dans l’ensemble sobre, claire, souvent très belle et aussi émouvante rétrospectivement. La beauté et l’efficacité d’assemblages comme des petites installations ou des mini natures mortes sculptées de Bernard Pagès rarement montrées sont captivantes, des toiles de Viallat jubilatoires montrent l’étendue de sa culture visuelle. Inversement, des œuvres ne dépassent pas leur méthode de fabrication, le simplisme de certaines mises en formes plastiques et la minceur de certaines perspectives d’expressions ou leurs sources d’inspirations réduites font parfois radicalement tomber certaines propositions dans l’indigence conceptuelle d’une idée exprimée sans travail.
J’insiste, l’exposition est dans l’ensemble remarquable, nombres d’œuvres « nouvelles » valent le déplacement. Je l’ai aussi perçue par rapport à un public devant être spécifiquement accompagné. En ce sens, deux salles supposées d’une part, rappeler l’engagement ultra marqué des artistes en 1968, et l’espace sensé faire dans le même temps échos à certains débats contemporains, d’autre part, m’ont étonnées par leur minceur indicative. Apposer deux ou trois affiches revendicatives de 1968 sans aucun commentaire ni pédagogie, vaguement aligner dans une vitrine quelques magasines d’époque et deux/trois correspondances dactylographiées, rassembler quelques archives et disposer quelques revues de circonstance ou projeter une ou deux photographies des habitudes du groupe d’artistes est sans impact par rapport à l’encens de ce qui s’intitulaient « Art comme pratique matérialiste/ critique/théorique au service du peuple.» Nul doute que ces insuffisances ont pu, me semble t’il, laisser le public dans une relative incompréhension des enjeux artistiques privilégiés des artistes de Supports-Surfaces, tout affairés qu’ils étaient de « vouloir repenser à leur façon tout l’art et d’en faire école. » Nul doute encore que certains de leurs propos individuels ou collectifs resteront inaudibles pour ce même public, tant ces salles m’ont parues muettes par rapport à ces « créatifs » et leurs soutiens qui prétendaient expliquer la modernité ou révolutionner l’art en commençant par des questions et des réponses créatives inventées avant eux par d’autres et qui en conséquence manquaient depuis longtemps de fraicheur…
24/12/2017
Vertiges de découvrir Claude Monet en collectionneur presque compulsif. Mais surtout amateur d’œuvres de ses contemporains dont bien sûr, Cézanne. Il en possédait trois d’après l’exposition actuelle au Musée Marmottan. Notamment cette invraisemblablement intelligente « nature morte, pot à lait et fruits » datée de 1900 conservée à la Nationale Galerie de Washington. Il faut voir avec quelle finesse d’expression visuelle il a fabriqué une vision purement picturale de son sujet, jouant du visible et de l’étonnement, jusqu’à l’indicible, en passant par l’épiphanie d’un regard se posant en même temps partout et différemment sur le motif. Il y a aussi cette vue de Fontainebleau en hiver, avec sa composition architecturée. Le peintre vise à la fois l’étagement subtil des verticales des arbres combinées avec les arabesques formées par leurs branchages et sur les pentes bosselées du sol. Tout est bouleversant de courage et d’ardeur devant la recherche en peinture. En repassant par la collection permanente des Monet du musée, on comprend ce que les deux compères partagent du fait de travailler sa peinture.
23/12/2017
Dix artistes plasticiens, sculpteurs, peintres, photographes, performers ou installateurs de le scène dite émergente. L’expo s’intitule « Turnup2 », nombre des artistes étaient déjà présents lors de la première édition « Turnup1 ». Dix œuvres, et une seule œuvre par artiste. La présentation se limite à des textes pour l’essentiel produits par les artistes eux-mêmes, textes généraux ou textes spécifiques à l’œuvre retenue. Tout laisse penser que certains travaillent exclusivement dans le champ caractéristique de l’œuvre exposée quand d’autres s’impliquent dans la communication par l’art (vers le rôle du spectateur, sur la communication politique et sociale, selon l’actualité…) Les œuvres couvrent un large éventail de propositions : surréalistes, formalistes, histoire(s) (de l’art), purement esthétiques (peinture seule, sculpture, assemblage, installation etc.) Au moment du vernissage une performance sonore sous la forme d’une musique électro a lieu. D’autres performances sont annoncées lors du finissage.
Les productions sont évidement d’inégal intérêt, compte tenu de leur unicité notamment, et de ce qu’une information plus exhaustive sur les artistes permet de relativiser. Certaines sont passionnantes quand elles incitent manifestement le spectateur à déplacer/déranger son regard (ainsi Lucie le Bouder problématisant le châssis du tableau comme installation d’une surface dans un espace pictural, quand Cécile Hadj-Hassan concilie dans la sculpture d'un goute à goute poétique les deux temps à priori étrangers d’un sablier et d’une filiation, quand Xavier Cormier disperse arbitrairement une matière et une couleur chair sur une structure géométrique inspirée de la sculpture abstraite…) D’autres rappellent des choses « un-peu-trop-déjà-vues » (Magritte, Beuys ou Marcel Duchamp) ou se marginalisent en ne faisant que reproduire et alimenter le spectacle illusoire de l’art contemporain.1 La question de fond de l’autonomie surgit ainsi pour toutes, rendant chaque création réelle et intéressante ou indifférente.
L’exposition me semble en fait davantage renvoyer à son commissaire qu’aux œuvres elles-mêmes. En dispersant amicalement son appétit de nouveauté par une ouverture d’esprit aussi large que curieuse, Matthieu Crismermois montre qu’il ne sait que créer. A l’évidence incapable de se borner à produire ou se contenter d’illustrer, il veut du mouvement et de la vie. L’exposition à la galerie de la Voute (dans le 12e) dit qu’il agit en artiste dans son époque, avec sa profusion d’artistes émergents. Sa passion aidant et son désintéressement en la circonstance égal, s’agit-il cependant pour lui de faire aussi amicalement œuvre ?
Le projet de Matthieu Crismermois de vouloir faire vivre l’idée d’art par ses diversités de chemins est plus qu’appréciable et il est bon que ses intuitions aient trouvé un lieu de vie. Peut-être convient-il en revanche de peut-être mieux pointer l’idée générale ou la nature du projet collectif qui le guide en précisant ce que code le titre « Turnup »
1 : Nathalie Heinich, Le paradigme de l’art contemporain, Gallimard.
21/12/2017
Six très grands portraits photographiques de femmes réalisés en noir et blanc sont exposés. Il est mentionné que la série s’intitule « Painted Ladies » et qu’elle totalise en fait huit œuvres. Des équivalences entre l’instantané photographique, le geste pictural et l’idée d’une composition semblent traverser les œuvres à première vue improvisées. Argument subjectif complémentaire, l’ensemble fait penser à des photos de presse saisies au débotté dans un studio de cinéma ou dans les coulisses d’un défilé de mode.
Regards perdus et flottants, yeux surmaquillés et bouches couvertes de rouges divers, pommettes et joues transformées en tableaux informels, interprétations des fonds ambiancés comme des mondes intérieurs à l’aide d’outils numériques font hésiter sur la catégorie des œuvres : photographie, peinture, mode… ? La gamme des teintes entre noir et blanc et des accidents visuels : floutages, effacements et brouillages apparemment fortuits des contours complètent l’ensemble qui appelle formellement un temps de contemplation propre aux productions purement visuelles. L’intitulé des œuvres évoque encore la combinaison d’un réalisme factuel et des entendements spécifiques d’artiste peintre : Lady_Shadow, Lady_Blur, Lady_Brush, Lady_Round, Lady_Strips, Lady_Pastel, Lady_Stroke, Lady_Inpainting…
Au départ mannequin d’agence le visage de chaque modèle a été retravaillé dans un esprit expressionniste. Les poses théâtralisées des modèles et la fabrication d’une émotion intérieure apparemment naturelle sur leurs visages croisent l’orientation psychologique du portrait psychologique au 18es. Les œuvres peuvent en même temps être dans leur ensemble comparées à des variations visuelles que Claude Monet a rendu sensibles, des expérimentations plastiques sur lesquelles Odilon Redon a rêvé ou des sentiments personnels scénarisés par Hitchcock. Subjectivement toujours, je crois retrouver quelque procédé de composition que Victor Hugo pu mobiliser pour l’onirisme de ses lavis en faisant balancer ses compositions entre inconsistance passagère et surgissements imprévus de sujets innommés. Le geste pictural régulièrement rapproché de l’aura1 de l’instantané photographique jusqu’à s’y confondre et des citations artistiques avérées ou suggérées justifie d’autres perspectives, celles là purement esthétiques, avec le genre de la peinture cultivée.
Valérie Belin travaille l’image du portrait réel, irréel ou virtuel en filant et en déroulant à sa façon sur le sujet toutes les pelotes esthétiques : historiques, conventionnelles ou purement narratives et imaginaires… On la sait sur ces territoires, vivement intéressée par ce qui signe une apparence, ce qui la masque ou la transgresse, ses joyaux comme ses nippes et ses oripeaux, ce qui à ses propos susurre et ce qui glose. Elle s’attentionne pour les gestes, qu’ils soient spontanés ou suggérés, amples ou discrets, pauvres ou bavards, calculés et signifiants, elle les retouche, les fait dériver, elle les transgresse, les honore humainement. Elle arrange tant qu’elle peut sa pratique photographique avec son érudition artistique, en fait l’une comme l’autre aussi poétique et personnelle, et par ailleurs instantanée vive.
Ses manières de programmer ses œuvres, ses gestes pressants de photographe devant les faits surgissant et ceux de son improvisation créatrice éclairent l’empirisme teinté de métaphysique de son travail. Et tout devient photographiquement aussi passionnant et beau à voir qu’un Grand Tableau.