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Françoise Niay, Opéra

20/02/2016

Françoise Niay,

Opéra

 

Prologue

Chœur a capella

Françoise Niay, dont le centre d’art contemporain Aponia prévoit une exposition de son travail artistique récent, s’est un jour convaincue qu’avant ou au lieu d’être peintre, elle est dessinatrice. Sa vie artistique changeant en un éclair, sa pensée créatrice s’est muée en privilège d’une activité essentiellement graphique dont elle a de surcroît simultanément décidé que son objet sera questionnant. Davantage créative qu’exécutante, elle déroge donc aux principes de la restitution purement analogique ou purement émotionnelle — et conventionnelle — en cherchant des pratiques d’images dessinées autres.

L’art du dessin et l’art de dessiner de façon créative interrogent, selon elle, l’opportunité du travail, elle entreprend en ce sens d’y lier ses environnements, style compris. Et c’est encore un autre fait qu’en la matière, l’artiste s’active à surprendre autant les lieux où elle est sensée exposer son travail que les visiteurs susceptibles de s’y rendre.

 

Re-prologue

Orchestre seul

Le dessin a du regain depuis quelque temps : des salons lui sont exclusivement consacrés, des revues ne parlent que de lui, c’est le guide de biennales d’art contemporain, des artistes revendiquent sa pratique comme une identité visuelle personnelle, s’y forgent un abri, pour l’Histoire. En conséquence, on trouve de tout au chapitre des styles de dessins : du geste pur et de l’emportement quelquefois lyrique, du graffiti et de l’expérience académique, de la géométrie autant que du tramé ou de l’atmosphérique…des cadres intimes aussi bien que des formats monumentaux… des choses en couleurs et des approches en noir et blanc…des rendus à la mine de graphite, à l’encre ou numériquement…des supports papier ou toilés, voire des lieux et des substrats inattendus ou éphémères comme pour le « street art »… Toutes les références sont revendiquées, entremêlées, se succèdent ou se remplacent : de Léonard de Vinci à John Flaxman, des traces aux emprunts, des dessins automatiques aux œuvres neutres d’allures mathématiques…

 

Acte 1

Rideau : on découvre que la scène n’est pas séparée de la salle de concert,

Françoise entre en décrivant lentement des cercles fictifs. Sur un écran, un texte défile.

Son image est tantôt nette et lisible, tantôt anamorphosée…

Dans Le plaisir de peindre publié en 1950, André Masson, dont on sait le rôle souterrain de théoricien et d’expérimentateur, esquisse une place discrètement autonome du dessin par rapport à toute œuvre dont il servirait en certaines circonstances de geste préparatoire pour une autre production. Tenu pour être, en ce sens, une activité en soi, le dessin se voit gratifié de fonctions et d’une aura propres, libres et suffisantes, argumentées, déjà actuelles. Masson justifie, au terme de son approche, qu’il peut s’intituler lui-même Dessinateur sans se confondre avec le fait d’être par ailleurs peintre, sculpteur ou décorateur… On appréciera sa capacité à se fondre allusivement dans la diversité de ses propres moments et perspectives de création, comme Picasso et Matisse l’ont aussi diversement pratiqué à la même époque.

 

Scène 1

Un narrateur a capella côté cour rejoint le chœur côté jardin en décrivant lui aussi un cercle.

Les dessins de Françoise Niay sont installés, hors normes. Leurs sujets sont outrés par la taille monumentale des supports et des thèmes dont l’importance est devenue inhabituelle. L’architecture des lieux et l’espace semblent se recomposer d’un seul mouvement en se réduisant aux échos des œuvres avec l’environnement. Tout résonne en même temps comme des échanges entre vues et non vues. On se convaincra de fait que le/la dessinateur/trice ne doit qu’à lui-même (elle-même) de pouvoir développer sa ou ses propres théories du dessin, de se fier à ses propres outils et matériaux, à son expérience, à tout le moins l’horizon esthétique de son engagement…forger son art sous ses réserves et sa sensibilité, pour en dépendre librement.

Les dessins sont partout, Françoise Niay est partout, l’ensemble a tout d’un opéra visuel. Verdi ou Wagner sont par là… Reste cependant le contexte où les dessins semblent exister en se manifestant héroïquement depuis leur taille, et allusivement  par leur pensée chaque fois recherchée et revisitée. Comme des nénuphars, les images de Françoise Niay sont les fruits de son imagination autant que celle du spectateur saisi par leur immense intimité.

 

Scène 2

Le narrateur avec tout l’orchestre et le chœur

Conçu dans un cheminement et un mouvement du travail artistique, le travail du dessin progresse non pas vers une fin, mais plutôt comme si l’artiste, tout à son entreprise, cherchait à ouvrir des perspectives. Conforme à sa méthode d’atelier, Françoise provoque subjectivement sur les murs une mutation de son travail en installation et en happening. Chaque plan sélectionné du site, qu’il soit vertical, oblique ou horizontal, suggère une direction inédite vers des fonds subjectifs. Au moindre coin de l’architecture correspond un angle de vue ou d’approche particulier, l’intérêt d’un autre sens de son travail. Spectateur immergé, je divague, visiteur impromptu, je plane. Bien que figuratifs, les sujets, transformés par leur agrandissement, énormes et devenus excentriques dans le microcosme de leur feuille, renvoient à des univers irréels, des champs d’expression hors sols. Restent des créations littéralement déliées de toutes contraintes en se réduisant aussi à elles-mêmes ou en étant exposées au risque de leur scénarisation. Et leur auteure qui focalise l’attention sur ce qui se voit, qui re-présente ce sur quoi, Auteur, elle se focalise.

 

Scène 3

Le narrateur se retourne en regardant les choristes, avance à reculons et chante a capella

Sur les murs, les images sont surhumaines. Faut-il imaginer que leurs modèles étaient des colosses, des dieux réincarnés ? Leur réalisme se laisse paradoxalement imaginer comme une sorte de conception à contrario rapprochée du monde. De multiples détails anecdotiques attirent le regard qui, en même temps, se pose sur les gestes du dessin et cherche à percevoir leurs logiques cumulées et partagées. En donnant l’impression de reproduire fidèlement son modèle, Françoise Niay s’aventure dans des à priori du visuel, spécule sur l’esprit naturel des rendus, défie l’œil des visiteurs. On voit des effleurements du trait, des effacements suggestifs, tantôt noirs et tantôt blancs, des formes qui se mêlent quand d’autres se détachent, de purs moments d’ébauches laissés bruts. Sur les murs, chaque dessin se transforme en théâtre lyrique, en envolée de soprano, en gloire de ténor, chaque composition, chaque objet mis en image suggère un temps et ses rythmes… Les dessins deviennent des pics narratifs.

Le chœur seul a capella

Quelle histoire la guide ? Que cherche-elle ? Nous faire accepter ou nous convaincre de croire à quelque chose de plus que la réalité ? Faut-il évoquer des références métaphysiques ?

 

Acte 2

Scène 1

Orchestre et chœur. L’artiste est assise, immobile sur une chaise au milieu de la scène.

Le chef de cœur regarde le public et dit : « Elle dit Je veux rassembler les choses. »

Françoise cherche à rassembler : « Il faudrait que ce soit drôle, un peu… »

En même temps qu’il parle, elle se déplace de façon chaotique avec sa chaise pour allez s’asseoir en divers endroits.

Françoise Niay explique son parcours, entre enseignement et engagement d’artiste, une sorte de « Je me dois la vérité en dessin et je vous la dirai »… « Et je vous en toucherai deux mots. » : « Je ne me vois pas peindre. Il faut que je dessine. » C’est une intellectuelle, agrégée en Arts Plastiques, que le désir d’expression guide cependant en priorité.

Mais d’où viennent les sujets qui la font dessiner ? Elle confesse aborder l’art en termes d’images, pratiques et suscitations qui l’ont un temps conduite à « conférencer » pour l’Université Populaire de Caen animée par le philosophe Michel Onfray.  Mais le temps presse. Alors elle produit du concept dessiné, destiné à des intérieurs davantage qu’à des murs, des dessins de cinéma grand écran, elle redessine des vues pour occuper des espaces entiers, à combler de fenêtres graphiques et imaginaires des architectures qu’elle aborde comme si elles étaient sans âme. Pour réincarner des visions personnelles ? Pour être intérieures ?

 

Scène 2

Orchestre seul. Le texte défile en négatif sur un écran haut perché face au public.

D’incroyables lumières peuplent les dessins de Rembrandt d’impressions visionnaires. Quand il réalise son autoportrait, il se transforme en apparition, se fait grimaçant, pitre se bornant à son apparence. Parfois il rit ou pleure, nul ne sait vraiment, André Malraux a jadis fait remarquer que les deux états, souvent, se confondent.

Pas une des créatures que Françoise Niay expose ne sort indemne des pénombres ou des effets de jour que l’artiste a scénarisés à sa manière. Avec l’appui d’une distribution réfléchie et nuancée de zones blanches ou noires, Françoise Niay crée davantage d’expression visuelle que de forme plastique. Ses dessins présentent de fait des formes spécifiques d’éclairages, mais contrairement au maître hollandais, ses références ne sont pas naturelles, ni aucun soleil ni aucune impression atmosphérique ne les justifie. En d’autres termes, c’est plus l’argument de la source de lumière qui l’intéresse qu’un relevé esthétique. Partant, on voudra bien faire attention aux divers scénarios d’obscurcissement et de mise au jour qu’elle a organisés sous couvert de « colorer de sens » tout ou partie de l’image.

 

Scène 3

Le narrateur soutenu par des percussions. Françoise assise sur une chaise au centre de la scène. Elle se lève, se rassoit à plusieurs reprises jusqu’à la fin du texte.

L’exercice technique du dessin n’y suffisant pas et la restitution analogique ne convenant pas davantage, l’aspect d’installation et de happening qu’elle donne à sa démarche créative pour le dessin a pu induire des moments critiques pendant lesquels son avancement vers l’œuvre en cours a pu se trouver contrarié. On l’a dit, Françoise Niay s’emploie à créer des effets chorals pour atteindre plastiquement la sensibilité des spectateurs, modifier subjectivement chaque point de vue par rapport au réel. On voit par exemple que malgré la reprise de codes de description aussi bien classiques que spécifiques, chaque image fait aussi l’objet d’une définition de l’espace à la fois diverse et revisitée. C’est ainsi qu’en tant que gestes créatifs spécifiques, les débords suggérés des feuilles pour une expression en trois, voire quatre dimensions, peuvent contribuer à créer de nouvelles formes d’appréciations esthétiques des espaces plastiques de l’image.

 

Scène 4

Narrateur seul en scène. Violoncelle.

Lors de son cours inaugural au Collège de France Roland Barthes en 1977 s’est aventuré à expliquer l’apparition du sens des mots par leur saveur… Bien que son dessin ne soit pas l’esquisse d’une autre œuvre, Françoise Niay ne cache pas chercher à l’insérer dans des développements indépendants de ses techniques d’origine. Ce qui vaut à l’image de parler d’autant plus qu’on la considère d’abord dans sa mise en scène lors de sa présentation. Son travail attribue par réaction au dessin des devoirs d’expression poétique supplémentaires, une primarité artistique potentiellement immatérielle davantage que plurielle, avec des modes particuliers d’insertions d’Auteur dans le temps d’avancement du travail artistique. En tant que discipline autonome, dessiner consiste à discrètement dérouler pour partie le journal de la vie d’artiste en engageant sa subjectivité dans une direction métalinguistique.

 

Sur l’écran, dont le fond change de couleur régulièrement et oscille entre les teintes, des mots ici surlignés en gras s’écrivent en noir ou blanc. A chaque apparition, un geste improvisé de percussion.

Françoise dessine des géants, des colosses, le moindre contexte prend avec elle des allures de site antique revisité. Pour un peu, une forme d’archaïsme tant pratique qu’humain pourrait s’y trouver bien. Tout, des dessins et de leurs mises en forme sur la feuille, déborde du support initial ou de ce qui est scène dans l’architecture du lieu d’exposition. Considérons que chaque œuvre se mêle poétiquement au monde visuel comme s’il était un guide absolu ; les murs se changent en un univers qui semble se raconter par transparence ou transfiguration des créatures qu’ils portent. L’art de Françoise Niay commence par le (re)commencement, par sa manière de (re)filer le cours du temps, il entraîne chaque œuvre vers plus que ce qu’elle expose. Françoise Niay se verrait-elle en démiurge ?

Que sont ces parts d’un dessin qui ne parle pas, ne susurre pas, qui glisse discrètement une idée pour un mot, une formule pour une vision, des sentiments pour des questions, un dessin presque par nature allégorique… Il ne fait pas de doute que ce travail réellement en quatre dimensions relève d’une intellection tournée vers l’autre.

 

Final

Orchestre, narrateur et chœur ensemble. Françoise et sa chaise. Elle la renverse, s’assoit par terre, la chaise s’envole. Elle hurle sans qu’un son s’entende.

L’éclairage tremblant et oscillant, la lumière varie sur les murs en créant des ombres.

Sur un mur, sur une feuille à l’échelle du mur, sur le mur devenu feuille et avec lui tout l’espace impliqué de la pièce, comme un fond élevé au rang de support ponctuel et de palimpseste, elle a entrepris le dessin d’un cheval. La silhouette de l’animal prend forme progressivement, il se muscle en jeux et forces graphiques, une épopée commence son déroulé : « Je veux dessiner un cheval philosophique » suggère-t-elle. Le dessin prend des airs de représentation en vraie grandeur céleste. Je la regarde travailler, je songe à un cheval dessiné/peint par Paolo Ucello, apparemment petit, en réalité imposant comme un bas relief sur une façade. Engagement et précision des détails, implacable évidence de la monumentalité exprimée de l’image.

 

Après chaque question, 10 secondes de silence. La chaise redescend par saccades entre deux questions, seuls deux des pieds touchent le sol. La chaise paraît flotter. Des faisceaux de lumière éclairent diversement la scène.

Le chef de chœur : « Quelles sont ces saveurs que Françoise Niay pense sublimer et euphoriser avec ses manières d’emmêler ses dessins et leur lieu d’exposition ? »

Le chœur : « Qui sont réellement les acteurs de cet opéra graphique et architectural? »

Le chef de chœur : « Que faut-il entendre de son rôle d’artiste plasticienne ? « (Chanté trois fois)

Et elle-même, que souhaite t-elle retenir de son activité chorale ? (Repris par le chœur trois fois).

Eclairage lentement stabilisé : les dessins, immenses sur leurs murs intimes, font planer leurs lieux d’images avec et sans modèle, avec ou sans fin, portant à croire que tout est rêve.

L’orchestre  et le chœur s’arrêtent en décalé.

Françoise, silencieuse, marche lentement en long et en large.

Seul le narrateur placé sur le devant de la scène parle.

Des supports de papier d’origine, rien ne reste si ce n’est des échos ou des ombres d’êtres entrevus ici ou là, au détour d’un mur ou le temps d’une envolée.

Sur scène, la lumière s’éteint lentement en même temps

qu’un rideau multicolore fait de tulle transparent descend doucement.

 

Alain Bouaziz, mai/juin 2015

Myxomatoses vagabondes

20/02/2016

Imaginez un lapin affairé qui, pour se reposer fait fi de toute convenance et pose un lapin au langage diplomatique, un lapin qui décide d’opposer à tout discours et tout style convenus une avalanche de chutes créatives inédites et salutaires…

Vous ne pigez rien ? Vous vous demandez ce que sont ces galimatias ?

Pas grave ! Il n’y a rien à comprendre si ce n’est qu’il faut profiter de cette série de dessins scénarisés et sérigraphiés par Alain Barret comme des Ready Made graphiques, des appels à fanziner, un lâcher de croquis graffititesques, des vagues de visuels bizarres dans leurs images brutes de décoffrages…

Vous y êtes ? Il ne vous reste qu’à vous laisser porter par les débordements narratifs du dessin d’Alain Barret qui, d’invitations graphiques loquaces en déboitements sémantiques, diffuse avec humour et croquignoleries ses thèmes sensibles et leurs récréations plastiques.

Alain Bouaziz, avril 2015

E. R., une métaphysique de la sculpture

20/02/2016

Emmanuel Rivière, sculpteur, plasticien : «Je me demande si dans mon travail il n’y a pas des retours…Les sculptures au sol, et tout particulièrement les matrices sont pour la sculpture tout à la fois et paradoxalement ses restes chaotiques, négatifs et méconnaissables et sa possible régénération».

— Alors que je lui fais remarquer que des sculptures noires représentant des têtes qu’il a accrochées contre la surface blanche d’un mur de son atelier comme des bas reliefs semblent à la fois faire vivre « des créatures surgissant de derrière une paroi » et des évocations oniriques, il me répond : « le motif, on le perd… ». Me dira t-il donc un jour pourquoi ces figures que je lui dis m’apparaître comme des visions fonctionnent aussi en échos de ses propres mots comme autant de formes purement humaines ? Me dira t-il encore de quoi ses sculptures s’incarnent et si la question de leur socle et de leur identité visuelle est à ce point une question de concept ?

Dans l’atelier, au milieu des esquisses et des moulages en train de sécher, entre les projets en cours et des créations anciennes, Emmanuel Rivière vaque et devise en même temps sur son travail. Il parle de mettre en balance les diverses idées qui forgent ses productions. Il sait que je l’écoute, je comprends que je l’accompagne comme si je le découvrais, alors même que nous nous connaissons depuis longtemps.

— Je lui confirme chercher l’entendement de ses chemins. SES entendements particuliers.

Poursuivant son propos, il esquisse un programme de créations pour son exposition au Centre d’art contemporain Aponia, évoque diverses sortes de présentations (faut-il que je lui parle déjà de « re-présentations » ?) tout à la fois mêlées de sculptures posées et aussi accrochées, des compositions de volumes et de dessins, d’images photographiques aux allures d’échographies et en même temps comme saturées de suggestions volumétriques — à moins que ce ne soit des installations saturées de scénarisation, des visions en projets, davantage que des images sculptées…

On ne sait dans quel ordre il va procéder, à quelle sorte de pratique il s’activer, on le surprend tenter de devancer son travail créatif, chercher à anticiper l’interprétation de son profil de sculpteur. Va t-il s’occuper directement de sculptures ou de dessins ? Mobilisera t-il l’espace ou l’occupera t-il ? La photographie, qu’il pratique aussi, l’inspirera t-elle parallèlement ou indirectement ? Ses œuvres seront-elles imaginaires, anthropomorphiques ou complexes et nourries de références aussi bien anciennes que récentes ? On se demande régulièrement s’il s’inspirera de créatures vivantes ou de médaillons… On s’inquiète de savoir comment il compte susciter l’attention ou la sensibilité des spectateurs. A quel type d’ordre il pense les faire penser quant à leur saisie personnelle de son travail…

Dans chaque cas, en même temps que nous échangeons, il continue de parler projets, incarnations, images, points de vue, libres visions, voire spectateurs vs regardeurs, le tout au moins en troisième dimension, plus une quatrième, peut-être plus allusive que décrite. Il lui faut rendre intemporel et poétique l’imprécis volontaire d’un « travail de création en cours ».

Dans un livre récent, Georgio Agamben1, revenant sur la définition forgée par Michel Foucault de ce qu’est un dispositif, précise qu’il ne peut s’agir d’autre chose qu’un ensemble de rapports actifs entre des éléments de provenance et de statut divers en un certain ordre composés. Dans une autre publication consacrée au fait d’être ou de ne pas être « contemporain »2, Agamben rappelle que Roland Barthes pensait la contemporanéité par ses écarts avec l’actuel. « Etre contemporain, écrit-il, ce n’est jamais se limiter à l’actuel, c’est s’inscrire dans le présent autant par le passé que par le futur ». Questionné sur le sens de son travail artistique, Hervé Télémaque, connu pour être à la fois peintre et sculpteur d’objets plastiques fortement teintés de surréalisme suggère que la peinture n’est pas un « rendu , mais un composé parlant, un ensemble de rapports constituant autant de phrases que de discours »3.

Dans l’atelier, il est davantage question des gestes utiles pour une pratique de la sculpture qui se pense dans son process que d’une production narrative. Ce négatif qu’Emmanuel Rivière évoque d’emblée en parlant d’un « négatif méconnaissable de la sculpture » et son goût des dispositifs plastiques et esthétiques, cette exposition qui le conduit à penser son projet artistique par son instauration le contraint-elle par ailleurs à gérer le paradoxe des deux situations spécifiques que peuvent être ensemble une exposition de sculpteur et une exposition de sculptures ? S’agirait-il de mettre en balance des situations visionnaires et des situations pragmatiques, comme se dire sculpteur (et, sous réserve de suggérer à travers l’idée du socle un travail de statuaire), de mettre en scène des opportunités d’espaces susceptibles d’activer un volume au lieu de le limiter à un seul objet ? Cela l’autorise-t-il à s’afficher comme « créateur d’images » tout en dérogeant au principe d’un support en deux dimensions, qui les fonde en usant de visions d’abord mentales ou immatérielles, voire sans statut objectivement défini : mi images mi sculptures, installation peut-être, mises en scène et/ou scénarisation d’un travail in-situ, plus sûrement, dématérialisées métaphoriquement ?

Il se trouve que les deux axes de réflexions de Giorgio Agamben, tout en étant factuels du point de vue de la création artistique depuis le début du 20e siècle et de Marcel Duchamp en particulier suggèrent tout autant qu’Emmanuel Rivière conçoit son travail ou le pratique en même temps qu’il l’expose ou risque tous les paradoxes et tous les renversements de codes possibles quant aux statuts de la sculpture et du sculpteur. Tant par son élaboration que par sa matière, sa production pose en ce sens question.

Revenons sur une technique qu’il explore depuis quelques années et dont son œuvre est, semble t-il intérieurement et de toute façon marquée. L’artiste travaille sans intention de tailler un bloc ou dans l’idée de modeler progressivement un thème, sa conception du sculpteur est ailleurs. Sa méthode est la suivante : dans un premier temps, il dégage par moulage la forme intérieure d’un objet pour l’inscrire dans une forme en relief traditionnelle. Or il se trouve que l’apparence révélée par l’empreinte effectuée est d’une autre nature que la réplique ou l’apparence extérieure du modèle, lequel n’en est pour le coup plus vraiment un. Dans un second temps, corrélatif au premier, Emmanuel Rivière, tout en conservant la matière à la fois caoutchouteuse et noire ayant servi lors du moulage, apparente sa sculpture à une silhouette noire qu’il exposera sur un mur blanc. C’est cette composition qui comme dernier produit, fera Œuvre et fonctionnera aussi comme histoire d’une pratique personnelle.

Reviennent ces "têtes » auxquelles il était fait référence, dont le surgissement toute en ondes métaphysiques acte ce qui semble un épisode sublimé d’une autobiographie. Au lieu d’être des reliefs, ces sculptures se révèlent être en effet plutôt les empreintes d’un vide interrogateur aux formes vaguement humaines. Ce sont des sortes de volumes retournés, de creux en volume, des présences qui fonctionnent comme des formes saisies entre des objets placés côte à côte et qui  évoquent subjectivement « cet arbre merveilleux mais inversé » que Paul Eluard disait percevoir « entre deux arbres, et qui les vaut bien ». Ces sculptures, par leur coloration noire, sont encore des sortes de cavernes inversées, ouvertes à l’imagination matinale, des lieux inconnus mais en partie réhabités par le corps aussi réel qu’imaginé et pour partie insaisissable. Elles font penser à des réminiscences, à des ombres, des rêves, des voyages en humanité que la blancheur de leur support de présentation transforme en éclairement, et peut-être aussi en une manière d’autofiction…

Sur quoi le sculpteur engage t-il alors le sens de son travail puisque ses œuvres, en nécessitant d’être installées, ne lui suffisent pas, ne sauraient être satisfaisantes pour le spectateur, qu’il lui faut les relier à un dispositif dont la subjectivité ne fait pas mystère d’être créatrice d’ondes ? Déjà le travail d’empreinte et de moulage induisait un réemploi, une remise en perspective, un hors champ.

 

La présentation de son travail est pour Emmanuel Rivière aussi fondamentale que les thèmes et les formes qui l’animent : « il faut faire passer les choses d’un espace dans un autre espace » consent t-il à dire. Puis il ajoute : « La sculpture travaille aussi par sa fin. » Il se trouve que dans l’installation, c’est aussi la fin d’un cycle de création qui prend forme, c’est le début d’une aventure pour une sculpture autre que révèle l’envie de recréer l’empreinte d’un vivant différente d’une réplique, d’un tangible métaphysique plus fort que les rêves, pour imaginer jusqu’où emmène le fait d’être sculpteur. On devine des strates de sens emmêlées dans la pratique d’Emmanuel Rivière ; de pures inventions et des suppositions sont fusionnées pour interroger les évidences, dialoguer avec l’indicible. C’est en artiste qu’il embarque le spectateur dans son monde onirique. On est pour ces raisons formé à accepter que chacune de ses œuvres sort de sa discipline d’origine, qu’elle s’hybride au contact d’autres ou par capillarité avec d’autres inspirations, qu’elle les contamine à son tour…

Emmanuel Rivière est conscient que sa position ultime et duchampienne de regardeur l’inscrit simultanément dans des contemporaneïtés critiques de visionnaire autant que d’auteur et de producteur, qu’elle  active sa pratique de la sculpture par des reliefs simultanément émergés et immergés, par des surfaces, des volumes et des vides, des traductions frontales, des pentes et des biais.

Lesquels se charge de sens et in fine, réfèrent allusivement des éclairages autres que ces blancs et ces noirs caverneux qu’animent ses dispositifs esthétiques.

Alain Bouaziz, décembre 2014

 

1- Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ? éd. Payot & Rivage poche, 2007 — 2- Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ? éd. Payot & Rivage poche, 2008— 3- Hervé Télémaque, in Du coq à l’âne, éd. Musée de la poste & Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 2005.

« Gris », Myriam Gourfink et le plein chorégraphique, au Centre Pompidou

12/02/2016

Miriam Gourfink a organisé l’espace scénique en le séparant en deux aires distinctes : à gauche, ce sera la danse, à droite,  la musique. Dans son espace réservé, la danse devra évoluer sur une surface restreinte à un carré (un losange vu des gradins) silhouetté par les traits lumineux de projecteurs posés au sol. Quatre danseuses regroupées et seulement vêtues d’une sorte de combinaison couleur chair incarneront la danse, laquelle sera faite de très lents mouvements.

Dans l’autre secteur, deux tables, des ordinateurs, du matériel électronique, divers objets et des enregistreurs qui serviront d’instruments de musique…

Pas de décor, seules les deux aires modérément éclairées et mises en jeu dans une pénombre apparemment naturelle.

Sur son apparente épure projetée au sol, le spectacle s’annonce d’avantage comme une performance chorégraphique expérimentale que comme un ballet.

Etroitement liées les unes aux autres, les danseuses évoluent en groupe dans une lenteur de danse Buto. La danse est traduite en « brassages de corps à corps », l’idée de déplacement remplace celle de mouvement, la durée et le rythme sont convertis en suspension, plus rêveuse et ouverte à l’expérimentation formelle que la simple lenteur. La musique forgée aux univers à la fois bruitiste et électronique accompagne les danseuses en accentuant l’impression que la chorégraphe a cherché de nouvelles manières d’incarner la danse qui apparaît mue comme par sa propre exploration.

Les danseuses, comme un buisson d’algues marines en apesanteur s’emmêlent et se démêlent comme des objets cherchant à s’alléger les uns par rapport aux autres. Ensembles ou séparément leurs corps fusionnent en créant des ensembles apparemment sculptés. Quand des séparations se produisent ou que des binômes se forment, c’est en glissant partiellement comme des protozoaires se regroupent en se laissant évoluer ensemble dans des courants d’eaux à peine agitées par un imperceptible vent. A d’autres moments, le même spectacle s’apparente à des foules compactes évoluant en masse. Créée en direct, la musique donne un Là aussi imaginaire que réel. Les musiciens, en semblant ne pas choisir entre des bruits et des sons qu’ils aiment, ou qui « se produisent », intègrent simultanément la danse de façon virtuelle et volontairement décousue.

Le travail de laboratoire Myriam Gourfink s’annonce comme un appel à projet de danse. Les puissances expressives qu’elle entend réinterroger de façon pragmatique sont sans concession, comme la sensibilité non exclusive qui l’anime. Si les techniques dont elle s’inspire rappellent des questionnements historiques sur la puissance expressive du mouvement, on retiendra que sa manière de penser le spectacle chorégraphique comme un intervalle entre performance et expérimentation de laboratoire permet à la danse d’être poétiquement revisitée sur des bases oubliées de l’expression corporelle.

Brèves de comptoirs pour Picasso-mania

07/02/2016

C’est peu dire que l’exposition Picasso-mania qui se tient au Grand Palais était un pari risqué. Et c’est peu dire que ce pari est en grande partie perdu. Un hommage est forcément décevant par ses oublis, ses excès ou ses approximations.

Le principe d’exposer les attaches, influences, empreintes ou filiations qu’un créateur a pu laisser sur ses contemporains ou après sa disparition, jusqu’à engendrer des suiveurs, est donc un sujet par nature intéressant. Les fils logiques ou parfois étranges qui ont pu être tissés avec les uns ou teintés d’émotions diverses chez d’autres ont déjà été mis en perspective en faisant date dans des présentations antérieures. Elles ont chaque fois permis d’en apprendre autant sur l’effet « pédagogique » ou novateur initié par l’artiste-modèle que sur les ondes créatives que ses interventions ont pu susciter. L’effet de surprise d’une nouvelle démonstration sur le thème de l’hommage à partir de Picasso ne saurait donc jouer, sauf à recreuser différemment la question en ouvrant de nouvelles pistes de réflexion.

Malgré des qualités bien réelles, l’exposition déçoit justement sur cette promesse possible quand on note que les pistes référentielles sont, pour certaines, d’une banalité populiste confondante. Rappelons quelques-uns de ces « pôles » de réflexion : Salut l’artiste/Le cubisme : un espace multifocal/C’est du Picasso/Bad Painting etc. Quelles que soient les richesses de l’œuvre, ainsi que la notoriété et l’empreinte de Picasso, ce qui est estimable dans les rapprochements avec les autres artistes et certaines de leurs œuvres, selon les organisateurs, se limite à des thèmes de comptoirs, parfois à une insuffisance conceptuelle presque tactile.

 

Il est vrai que, s’agissant de cet artiste particulier, l’épreuve est par nature délicate, tant il a produit et divergé entre les sources, les formes, les supports et les techniques. Tout à sa prolixité inventive, Picasso s’est tant évertué à brouiller les pistes ou tentatives de résumer ce qui l’a fait peindre, qu’on peut créditer les organisateurs d’hésitations et de points de vue limités compréhensibles, et même légitimes. On peut donc admettre qu’aucun fil conceptuel ne sera assez fort ou assez efficace pour réduire tout ou partie de cette production à des concepts finis, et qu’en conséquence, les liens affichés s’accordent dans une subjectivité. Pour ces raisons, et sans préjuger leurs différences, la remarquable diversité des artistes invités est audible. Par contre, la présence d’œuvres en définitive peu réflexives ou insuffisamment suggestives par rapport à Picasso incitent à plus que des réserves et des interrogations. En confrontant les univers de Picasso ou des créateurs jugés proches de lui, on convient qu’en réalité ils s’opposent.

 

L’exposition est naturellement bien documentée sur Picasso lui-même, grâce à des œuvres prêtées par le musée éponyme. Placées pour inaugurer les thèmes d’influence retenus, ce sont des œuvres graphiques ou picturales souvent curieuses et inventives, en ce sens efficaces et de toute beauté. Faute de place, par mesure de précaution et aussi pour la démonstration, la sélection des artistes influencés met en parallèle et permet de confronter presque uniquement des peintres en majorité réputés et côtés. Le Picasso sculpteur et graveur est un peu présent, le dessinateur l’est de façon allusive, le céramiste pas du tout. Cet aspect de l’exposition est cependant et de loin le plus réussi quand bien même des œuvres sont parfois loin de confirmer un écho original de Picasso…

 

Si dans cet hommage les thèmes et les œuvres sont, on l’aura compris, d’un intérêt inégal, il faut y ajouter une forme de superficialité analytique parfois surprenante. De fait, c’est davantage un clin d’œil (plutôt rapide) à Picasso qu’une démonstration réellement expressive de son travail que semblent avoir recherché les organisateurs. C’est pourquoi des rapprochements avec Picasso paraissent brouillons, quand qu’autres sont proprement ineptes à force d’être vagues. C’est pourquoi, encore, des œuvres donnent le sentiment d’être là sans raison, sauf à se rappeler qu’invité à s’exprimer sur le peintre espagnol, leur auteur particulier a pu vaguement confirmer la place inépuisable du peintre espagnol dans l’histoire de l’art.

Ce pourquoi, par exemple, l’ensemble de dessins de Vincent Corpet inspiré par Sade est-il formellement plus évocateur d’œuvres graphiques de Max Ernst que de Picasso ? En quoi les copies presque pures et simples des « Demoiselles d’Avignon » réalisées par des artistes dont seul le nom diffère renseignent-elles sur un tableau et une démarche aussi créateurs que provocateurs? Ou encore, quel message est porté par des tableaux dont l’« intérêt » n’émane que d’un « travail-à-la-façon-de » et sans questionnement spécifique ? Quelle « leçon » historique, esthétique, pratique et plastique ou poétique peut-on extraire du travail hyperréaliste ultra spécifique de Jean Olivier Hucleux par rapport à Picasso en dehors d’une référence personnelle ? Quel apport de Picasso veut-on sérieusement prouver en ne se fondant que sur de très courts témoignages d’artistes reconnus qui, bien sûr, ne sont pas sans savoir que Picasso a pu avoir une importance indiscutable dans son siècle ? Des points de vues identiques sont pensables à partir de Léonard de Vinci, Nicolas Poussin, Cézanne, Matisse ou Malevitch à propos de qui de multiples autres expo-mania sont aussi imaginables. Lesquelles ont justement déjà été illustrées avec d’autres ambitions de partage ou d’instruction…

 

Répétons le, l’inventivité et la souplesse créative toujours mobiles de Picasso sont estimables dès l’apparence formelle et la prolixité de son travail. Elles justifient qu’on étonne en retour le visiteur grâce à des œuvres régulièrement critiques et engagées, qu’on appelle le visiteur à produire un effort de sensibilité et de reconnaissance culturelle en abordant les œuvres par des voies davantage approfondies qu’une apparence simiesque. La belle salle réservée à David Hockney est une illustration réussie de sa filiation avec Picasso (surtout le Cubisme, dont Picasso n’est pas le seul exemple). L’œuvre qu’il a réalisée pour la circonstance, et symboliquement, sa manière jubilatoire de revisiter le décor réalisé par Picasso pour Parade, est aussi de mon point de vue un des moments des plus heureusement démonstratif et créatif de l’exposition. Les ensembles de Warhol ou de Jasper Johns présentés confirment de leur côté et chacun à sa façon, des emprunts divergeant aussi conceptuels qu’amoureux et réactifs faits à l’art de Picasso. Le triptyque d’Antonio Saura ou les œuvres de Georg Baselitz valent mieux qu’être reliées au peintre espagnol par le biais du mouvement de la « Bad-painting, dont le rapprochement avec le thème titré « C’est du Picasso » s’avère vite aussi approximatif que peu rigoureux… La  production et l’argumentation de l’artiste Adbelessem par rapport à Guernica parait aussi spectaculaire qu’inconsistante et fabriquée ; on l‘a d’ailleurs vue en étant comparée sans plus de conviction au lyrisme de Pollock dans une récente rétrospective de l’artiste à Beaubourg…

 

Supposons une exposition d’œuvres contemporaines intitulée Manet-mania, Cézanne-mania, Monet-mania, Matisse-mania ou Malévitch-mania ? On ne peut qu’être à la fois perplexe et en attente d’être chaque fois surpris par les critères de choix d’œuvres et de leurs créateurs. Quelles idées seront risquées et engagées pour la curiosité des visiteurs ? On est curieux de constater que la volonté d’exposer un créateur aussi remarquable que difficile à marquer comme Picasso et dont la notoriété est contradictoirement profondément exigeante a pu faiblir face au devoir d’inciter à un effort de sensibilité et d’ouverture plus savant que des similitudes ou des propos parfois de comptoirs.

Des expositions ont déjà eu lieue sur la base d’une réelle information créatrice du public, tout en assumant avec davantage de rigueur illustrative et conceptuelle, voire humoristique, certaines des perceptions présumées par les thèmes dont on déplore la maigreur. Elles ont eu lieues au détour de manifestations différentes, plus ambitieuses, plus réactives et pertinente artistiquement et historiquement. Tous les liens qu’on a tenu à illustrer entre les artistes-modèles et leurs « suiveurs » n’ont été amoindri ni dans un sens ni dans l’autre, me semble t’il. Les hommages n’ont été que plus forts.

Picasso-mania serait-elle guidée par une apparence culturelle populiste ou un prétexte à faire des entrées à moindres risques ?

Anselm Kiefer, globalement peintre, plus sûrement scénographe.

24/01/2016

Depuis plusieurs mois et quelques années, (pas beaucoup en fait), Enselm Kiefer est partout. Il occupe le Grand Palais pour Monumenta, la galerie Thaddaeus Ropac de Pantin, aujourd’hui Beaubourg et la Bibliothèque Nationale… Il y est chaque fois question de sa production phénoménale, de sa créativité de style expressionniste, du gigantisme de la plupart de ses œuvres même quand elles engagent une sensibilité intimiste comme les livres, et aussi de son énorme atelier. Il est aussi toujours question de ses multiples sources d’inspiration historique et esthétique, politique, littéraire, philosophique, ésotérique, artistique et plastique (moins souvent). Et effectivement ces caractéristiques toujours manifestes subjuguent l’imagination, défient l’entendement, stupéfient par leur ampleur, sidèrent par leur présence, écrasent les réactions par leur dimension excessive, démesurée, surnaturelle… au point (à juste titre) de concevoir que l’artiste n’a pas besoin de décliner les thèmes qui le font peindre, exposer ou argumenter sur ses goûts et ses techniques d’expression. Ces dernières parlent déjà d’elles-mêmes, et en partie pour tout le reste…

Je reconnais donc dans son art sa capacité à réinvestir et recycler chaque champ d’illustration, tout comme je suis saisi par son habileté à réinventer des formes de compositions pourtant convenues ou à métaphoriser artistiquement son travail dans des espaces variés qui lui sont prêtés. L’artiste sait s’approprier avec hardiesse et talent toutes les occasions d’installer son œuvre dans des conditions toutes susceptibles de la sublimer. Les expositions sur lesquelles je m’appuie et dont j’ai rappelé les lieux m’ont emballé pour toutes ces raisons, parmi lesquelles l’investissement résolu de théâtralités fermes. 

Reste l’icône et l’auréole d’inventeur de formes et de style qu’on lui prête, au risque d’oublier que ces visions d’Anselm Kiefer brillent davantage, il me semble, par des productions aux dimensions physiquement « hors normes » que par l’originalité de leur conception et de leur forme plastique, et par des engagements tant historiques et implicitement théoriques cependant argumentés et authentifiés. « Sublime », entend t-on à propos de ce travail imprégné d’expressions du XIXe siècle. Encore faut-il qu’on revienne sur la définition, les contours et les applications reconnues du terme « sublime » qu’implique le Romantisme, allemand notamment.

Si Kiefer entretient l’affichage d’un style expressionniste qui ne se cache pas d’en être un, il n’est ni le seul ni le premier à cultiver ce commerce, quelles qu’en soient les formes identifiées. En ce sens, l’artiste ne fait que reprendre des gestes démiurgiques et des envolées expressives aux "accents stratosphériques”, expérimentées par les peintres expressionnistes allemands du premier quart du XXe s. Plus encore : si on prend le thème de l’âme germanique et de « ses » histoires, qu’elles aient été antérieures ou pas au nazisme, si on examine l’œuvre de Kiefer dans les perspectives métaphysiques des peintres romantiques allemands du XIXe siècle, la culpabilité ontologique et politique de Joseph Beuys – voire les inquiétudes existentielles de Georg Baselitz ou d’Arnulf Rainer – me paraît viser des expressions esthétiques plus contemporaines.

Mes réserves ne concernent pas qu’un affichage. La conception du travail artistique pour laquelle on estime Kiefer veut convaincre, et pourtant, il faut le redire, elle est moins actuelle et moderne qu’il n’y paraît. Sa perception de la plasticité ou ses entendements particuliers sur les questions d’espaces et de temps, ses références créatives de la mémoire et du mouvement, ses usages des supports et des matériaux sont d’un autre temps. Je perçois ainsi difficilement en quoi ses engagements articulent davantage le présent que le passé. Voire le dépassé. Il en va ainsi de ses « toiles » dont les dimensions architecturales et le matiérisme cru reprennent à la fois le principe d’un sujet conventionnellement placé au centre du format. Même approche pour leur traitement formellement quasi descriptif et analogique des référents, qui, de façon répétée, annule tout effet de distance. Le point de vue perspectif de l’image par une posture à la fois primaire, unique et frontale fait que les teintes, les gestes d’écritures plastiques et les textures picturales et leur évolution plastique-sémantique s’abolissent dans une compréhension littérale à la fois brute et sans engagement d’originalité.

De quelles beautés ces œuvres relèvent t-elles ? Le sublime dont s’inspire l’artiste est à l’évidence proche de celui dont Caspard David Friedrich s’est inspiré. Une appartenance résolue à une identité nationale et culturelle transposée en âme intérieure et des rémanences thématiques insistantes de périodes historiques spécifiques sont conventionnellement associées à la combinaison d’un macrocosme et d’un microcosme, à des scènes méditatives ; par ailleurs, la référence appuyée à une présence symbolique et divine se trouve chaque fois inscrite au centre de l’œuvre.

Tout en étant impressionné par les œuvres hors cadre de Kiefer, j’avoue avoir des difficultés à suivre la loghorrée littéraire interprétative et synchrétique qu’il utilise pour tracer sa créativité. Je suis dubitatif devant ses peintures et ses livres qui ne me semblent grands qu’à l’aune de leurs dimensions monumentales. Je trouve à l’inverse que les œuvres qu’il scénarise dans des vitrines sont plus évocatrices de sa sensibilité avec des paysages dont l’apparence est selon lui naturellement métaphysique, et des univers fortement marqués par le tragique d’histoires diverses, où l’Humanité, qu’elle ait été profane ou religieuse, a pu se jouer. Ces productions en grande partie organisées comme des cabinets de curiosité ontologiques et poétiques y semblent plus créatives. Toutes ses compétences à associer des idées contraires y sont en force : il s’agit pour lui de faire interagir les matériaux de l’artiste, poète ou musicien, de provoquer des correspondances plastiques parfois aussi vaguement réalistes et analogiques qu’abstraites et bizarres, voire purement processuelles. Avec les vitrines, Kiefer m’invite davantage à partager des livrets d’opéra en miniature et des microcosmes de films fantastiques que des peintures sur toile ou en livre. Chaque source d’inspiration y trouve des occasions de connivences avec les montages surréalistes, chaque œuvre y parle comme une sorte de reliquaire. Et ce ne sont partout que contextes métaphysiques aussi symboliquement réels que virtuellement illustratifs.

Alain Bouaziz, janvier 2016

Villa Flora

11/01/2016

Villa Flora

  Je suis toujours admiratif de Cézanne, Bonnard, Van Gogh, Matisse et Marquet, Redon et Vuillard. La collection des époux Hahnloser, exposée pour quelques jours encore au musée Marmottan ne permet pas seulement d’admirer de formidables œuvres par ailleurs rarement présentées de ces peintres. On peut aussi se réjouir d’y voir des œuvres de Giovanni Giacometti (le père rarement exposé d’Alberto), de Hodler, Valadon. Cette collection n'est sans doute pas intégralement présente, rien n'interdit cependant de l'estimer telle qu'elle apparaît. De ce point de vue, son apparente richesse suscite quelques réserves et quelques interrogations.

Tout ensemble n’échappe pas à une ou plusieurs caractéristiques, et une exposition ou une quelconque œuvre de l'esprit n’échappe évidemment pas non plus à l’arbitraire d'une analyse spécifique. Les doutes que m’inspire le mécénat des Hanhloser m'engage donc, et je revendique autant leur fragilité, évidemment revisable, que les étonnements que me suggèrent ma visite au Musée Marmottan.

  Au-delà des tableaux, souvent magnifiques, et de la curiosité mécénale indiscutable des Hahnloser, l’exposition, telle qu’elle est présentée, me stupéfait par l’apparente cohérence d’intérêts et de préoccupations du couple de collectionneurs et ce, au risque d’agir comme un lapsus de leur condition bourgeoise. Leur goût de l’ordre, fusse-t’il ironique de la part de certains artistes, des conservatismes opiniatres perseptibles dans l’entre deux des œuvres troublent. De sorte que l’éclectisme des œuvres et des sujets réunis n’est qu’apparent, il dement le risque d’ouverture culturelle et artistique auquel les Hahnloser tenaient plus que probablement ; parce que le paradigme de valeurs “éternelles” les a en définitive soufflé.

Les choix des époux Hahnloser portent en ce sens l’empreinte d’un attrait plus qu’insistant pour la composition des tableaux, telle qu’elle les préambule et les traverse jusqu'à parfois sembler les figer dans une certitude bien pensante de leurs deux collectionneurs. Entendons qu’il s’agit d’un ordre affirmé, une construction toujours visible même si elle n’est jamais tout à fait identique d’une œuvre à l’autre. Un péjugé pouvant donner le sentiment d’être plus qu’un apercu sans convention ni code exclusifs, bref une architecture décodable et descripible par avance, et qui garantit la diversité visuelle de la collection autant qu’elle la fausse et la trahit. Ce statut est à sa façon celui rappelé par Maurice Denis voulant que, pour être responsable…et aimable, "un tableau, avant d’être un cheval de bataille et/ou quoi que ce soit d’autre…", se devait d’être (pré)réglé et (pré)programmé. Avec les Hahnloser, ce socle préalable, de machine à la fois de fond et de base semble opèrer d’un tableau à l’autre comme une règle normative et statutaire. Leur préférence d'amateurs et d'esthètes, de collectionneur malgré tout avisés et d'exégètes en dépend au point qu’aucun des tableaux exposés n’échappe ou découle à ce qui ne peut selon moi se lire que sous l’autorité d’une reserve administrative. En d’autres termes, l'œuvre ne saurait se présenter, ou plus simplement présenter, un sujet qui n’ait pas d’abord été « institué/fondé » sur l’instauration des codes d’une architecture et d’un cadre idéologique où l’œuvre peut « être normale ». Par exemple cette série de natures mortes et d’intérieurs de Pierre Bonnard, dont chaque numéro montre que le peintre a davantage privilégié les effets d’angle de vue, de cadrage et de composition que leur facture (quand ce n’est pas les silhouettes), aussi spontanée que presque négligée, plus proche du croquis que de l’étude. Par exemple encore, ces deux ou trois œuvres de Van Gogh et de Cézanne, particulièrement marquées par des répartitions et des effets de dessins plus prégnants que les touches picturales. Et puis ces tableaux de Redon, dont les atmosphères oniriques ne dissimulent à dessein dagir comme détournements de cadrages académiques. Et encore ces toiles où Vuillard, concentré sur les avantages expressifs de compositions visuelles intimistes, produit des mises en vue qui absorbent ou débordent la découpe de la toile initiale. Dans chaque cas, la composition est d’avantage qu’une étape, un rôle ou un escalier pour le peintre et son œuvre ; avec elle, les Hanhloser se posent en juges de ce qu’est l’art à son commencement. Au fond, en semblant ne pas tolérer l’imprévu, les Hanhloser le diriger aussi vers sa fin.

L’exposition est, je le redis, magnifique. Les Hahnloser ont su réunir un ensemble varié d’œuvres créatives, magistrales et peu montrées. Sa curiosité tient cependant à ce paradoxe et cette contradiction d’être au final moins éclectique et moins ouverte qu’il n’y paraît.

D’où mon intuition que dans cette collection, une autre démarche structurante prévaut davantage face à une diversité esthétique qu’on souhaite cependant  à la fois limitée, intégrale et surprenante.

Et ce n’est pas qu’une question de contemporanéité historique des peintres, des Hannloser et des œuvres. 

Rue de Turenne

01/01/2016

Rue de Turenne, décembre 2015

 

Christophe Cuzin et Sylvie Ruault sont plasticiens. Réunis dans un appartement privé transformé en lieu d’exposition le temps d’un week end, chacun a « quartier libre » pour (y) exprimer sa créativité particulière.

Christophe Cuzin, qui se définit comme peintre…« en bâtiment » tente une sublimation du lieu par une création in situ. Son œuvre reproduit à l’identique les mesures de chaque mur  du site telles qu’elles ont préalablement été consignées sur le plan de l’appartement, approximations comprises. Des résonnances iconiques avec le travail plastique de Joseph Kossuth sur le concept du référent sont manifestes.

Sylvie Ruault suit pour sa part une autre ligne créative consistant dans la récupération et l’exploitation de rebuts, de déchets ou des chutes de matériaux glânés dans des usines. Son travail consiste dans leur réinvestissement dans des objets esthétiques en « plus ou moins » trois dimensions. Sans effet poétique particulier, chaque œuvre s’intitule selon un protocole descriptif reprenant des liens avec le site de production d’origine.

 

Ce que les deux artistes disent de leur travail, ce qu’ils y décrivent comme un engagement esthétique et personnel demande réflexion. Pour intéressant que soient les arguments parallèles aux œuvres, je perçois, pour ma part, des idées brutes d’avantage que des projets avancés, des intentions premières et des productions plastiques à la fois naïves et paradoxales, parfois contradictoires avec les dires de leurs auteurs respectifs. Jusqu’à même induire quelques liens avec des pratiques plus naïves et formelles que réellement projectives. Les deux propositions méthodologiques dont on peine à saisir à la fois les enjeux et la cohérence, les objectifs créatifs et les moyens mobilisés, vs les univers de conception respectifs semblent ainsi démentir ce dont chaque artiste entend se prévaloir, et peut-être, un peu rapidement rendre sensible.

Christophe Cuzin a donc choisi de travailler dans une stricte orthodoxie artistique conceptuelle, selon le fil éthique de Donald Judd pour lequel il a jadis travaillé comme assistant. Récusant pour partie mon rapprochement avec le travail spécifique de Joseph Kossuth, il me dit pratiquer une peinture plus allusive à ses codes traditionnels qu’à compter d’une césure théorique (à travers l’idée du référent, selon Kossuth. Pas de tableau en tant que tel donc, pas de substitution sémantique des matériaux du peintre, pas de geste auctorial ou de signature manifeste, la production ne consiste qu’en la reprise de tout ou partie du plan de l’appartement dont on a parlé. Ce qui se présente visuellement consiste en une mise en scène graphique du lieu à travers des flèches et des mesures des surfaces de ses murs, les volumes qu’ils dessinent, son squelette architectural et l’exposé de certaines de ses côtes, le tout renvoie à une mise en abîme des espaces intérieurs et des vides. Bien qu’il me dise ne plus produire d’objet artistique depuis 25 ans, il se défend d’agir ou de réagir en sculpteur ou en créateur d’objets plastiques. Je lui oppose cependant mes réserves sur son argumentation, l’œuvre présentée tient, me semble t’il, plus volontiers d’une pratique de scénographe ou d’artiste installateur et de sculpteur que d’une pure sensibilité de peintre, laquelle s’exerce plastiquement plutôt l’intermédiaire de champs colorés. J’ajoute que son autodéfinition comme « peintre en bâtiment »  confirme l’imprécision de son argumentation dès lors qu’à l’image du bâtiment est aussi attachée celle d’un objet en volume. Pour ces raisons, la pratique de Christophe Cuzin m’incite à penser qu’elle s’incère dans le champ de la sculpture peinte et des concepts invitant à réfléchir à ce que peut la couleur vs ce que la peinture peut apporter au sculpteur.

Les œuvres de Sylvie Ruault se présentent comme des assemblages de tailles variables d’éléments ou de matières diverses et colorées. Cela donne parfois une composition figurative et la présomption d’un théme, parfois un montage abstrait auquel son titre apporte une légitimité relative. Par exemple, cet ensemble de demi bouteilles vides préalablement coupées dans le sens de la hauteur et alignées en bas relief sur un semblant d’étagère dessinée le long d’un mur dont la couleur blanche a été artificiellement verdie. Christophe Cuzin m’invite à y voir un clin d’œil à Morandi. J’acquiesse ; Sylvie Ruaulx émet de son côté des réserves. Je l’invite à me guider quant à un possible jeu de mot sur le paradigme ou une assonance du vert dans un esprit Dada. Pour l’essentiel, il s’agit, à ses yeux, de « jouer » avec l’épaisseur de l’enveloppe des flacons… dont je fais remarquer qu’elle est physiquement et visuellement insensible… Dans une autre pièce, un reste de panneau en polystyrène usagé semble devoir rappeler une peinture « matièriste ? ». Je cherche un engagement plastique autre qu’un « détournement » ou l’effet d’un réinvestissement poétique. Je tente des rapprochements esthétiques et/ou culturels. En vain. L’élémentarité objective de l’assemblage résiste.

Comme je l’ai indiqué, l’actualité des œuvres de Sylvie Ruaulx m’intrigue d’avantage par sa superficialité historique et conceptuelle. Non que j’estime le thème du Superficiel hors de toute réflexion ou toute portée créative, plastique s’entend puisqu’il s’agit d’une exposition d’art plastique, je pense aux expérimentateurs proches de Fluxus. Tant par les origines de son inspiration que par ses outils de conceptions, les œuvres qu’elle présente me semblent manquer à la fois d’esprit et de marges. Au point de banalement tenir d’une pratique d’artiste amateur et de peintre du dimanche, chose qui n’est pas en soi condamnable, mais qui relève d’ambitions conceptuelles différentes de ce par quoi ses œuvres exposées sont argumentées.

Comme on l’entend, l’exposition laisse à la fois un sentiment de déjà vu et de déséquilibre. Le travail particulier de Christophe Cuzin séduit par son investissement qualitatif des principes de l’in situ. Cependant, en étant d’avantage habité par l’apparence auctoriale de son travail que soucieux d’éventuelles contradictions expressives, il ne convainc pas.

 

Décembre 2015

L'amour des commencements (pour faire suite à J.B. Pontalis)

26/12/2015

« …L’hésitation, l’indécision, le tâtonnement, les reprises, les recommencements, sont visibles à chaque coin de la toile » écrit et déplore Emile Verhaeren en juillet 1885 à propos de Camille Pissarro, propos qu’il reprend en 1927 dans Sensations d’art, p.180.

Qu’il est sot ce Verhaeren, qui, croyant analyser et critiquer explicitement, mais de façon désobligeante, la peinture de Pissarro (et des Impressionnistes), énonce en fait ce qui alimente et argumente à la fois le fond et le rythme des recherches du peintre exclusivement attaché à la création en acte.

Ces recherches sont pour ma part l’ouverture au sens de l’esquisse et de l’apparition, de l’ébauche et du repentir en peinture. Ce sont des moments, des pauses, des découvertes et des engagements constants et toujours critique du travail d’approche qui, toutes choses égales, renvoie à ce qui impressionnait en profondeur J.B. Pontalis quand il évoque un possible et naturel Amour des commencements sans cesse haletant. Comment dans ces conditions s’étonner de certaines imperfections de l’exécution, de ces détails évidemment abandonnés au sort de suggestions au départ informelles, de contours et de surfaces que quelques gestes légers ne semblent que survoler ? Et la toile ou la feuille, à peine saisies par la fugacité de l’attention qui sera oubliée au profit d’une image, « mais-de-quoi ? » parce qu’ouverte à ce qui advient. Et le regard, passant par cette imprécise image laissée telle une composition volontairement à distance de tout titre pensable, encore animée par ses improbables vraies et seules apparences…

Pissarro, humble fou des choses surgissantes et sensibles, son attention appliquée à un flou naissant, à un mouvement miraculeux du vent, à la configuration imprévue d’un paysage insolite… Pissarro humble matérialiste de « ce qui reste à faire », pour rendre honneur à l’immédiateté du seul temps présent…

Verharen, remarquable poète, souvent, mais parfois pédagogue inutile…