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Folklore sexuel de Jan Fabre, rue Grenier-Saint-Lazare ou l’art travesti de la singularité de J.F.

08/07/2018

Jan Fabre aime les œuvres d’arts bien faites, bien réalisées, supposées bien métaphoriques, rassembleuses, de camelote brutes ou « kitchissimes », excessives, expressives, bien spectaculaires. C’est joli ce qu’il fait, curieux et amusant ce qu’il montre, plaisant à souhait, c’est forain et curieux, ça assure côté goguenard, c’est cabaret et grosse machinerie théâtrale, c’est sucré, chatoyant, Foire du Trône et pâte de guimauve, bars et boites de pigallesques, blagueur et « pesctacle », calembours et jongleries, de loge chatoyant, de chaire doucereux, de rire train fantôme, ça badine sur des airs d’accordéon ou d’orgue de barbarie, de flonflon et de selfies, c’est agréablement teinté, complaisamment acidulé, constitué dans le superficiel, sans revendication, clinquant. On l’a dit : joli, et rien n’indique qu’il faille l’entendre autrement.

Jan Fabre aime Pina Bausch, la performance et le happening quand il faut graviter autour de la mise en scène théâtrale/chorégraphique, il affectionne le collage et toutes les formes de montage quand il convient de caresser l’art brut et Duchamp, il aime Glen Baxter, Hergé, la bande dessinée, Topor et Spoerri quand il s’agit de dessin et d’image, il s’inspire de, puise dans, s’abreuve à, se nourrit avec, emprunte chez, reprend à travers, se cultive de, parcimonieusement cite, discrètement copie, avec habileté plagie, avec conviction s’approprie, sans originalité produit…

Jan Fabre séduit sans convaincre car tout sent le fabriqué, et comme toujours le concernant, tout connement le déjà vu.

Ronan Barrot chez Claude Bernard

29/06/2018

Je me demande à partir de quels arguments créatifs ce peintre habile, amoureux de Van Gogh (version Nuenen), de Goya (version peinture sombre) etc. ; comment ce peintre amoureux d’effets de matière et d’effets de pratiques, d’effets d’image et d’effets de tableaux, d’expressionnisme exubérant ou dramatiques, de luminosités spectaculaires, de pénombres théâtralisées, de gestualité et de triturations, de subjectivité et d’égocentisme peut défendre un regard contemporain, du moins moderne ?

Dessins de Richard Deacon aux Beaux arts

28/06/2018

Richard Deacon aime dessiner, observer, traduire, laisser le dessin vivre sa vie, il semble s’amuser à le rendre imprévisible. Fortement conceptuel, son geste du dessin apparaît aussi ironique qu’intuitif. Les divers carnets exposés reflètent autant de voyages dans l’art d’intellectualiser le dessin que celui de le créer d‘aventure

C’est joli Mary Cassatt au musée Jaquemard André, sauf que…

28/06/2018

Première rétrospective consacrée à Mary Cassatt. L’image de l’artiste « spécialisée » dans les figures de « mère et enfant » n’a pas besoin d’être démentie. Pareil quant à l’artiste proche des impressionnistes, épousant leurs codes techniques et visuels. Cela donne des tableaux charmants, un dessin à la ligne habile, voluptueuse, des carnations sensuelles, des situations naturelles, parfois curieuses, familiales et attendrissantes toujours, souvent idéales pour plaire. Cela donne par ailleurs des gravures (peu nombreuses dans l’expo) habiles, gravées avec dextérité et goût, d’un style frais et enlevé, sensible, « artiste » comme disait Camille Pissarro.

Sauf que ce n’est souvent qu’à peu près composé, approximativement dessiné, sans recherches sur les effets visuels et limité à une apparence agréable (les « erreurs » de proportions involontaires et/ou inutiles sont fréquentes, les espaces sont confus, le tact impressionniste est plus illusionniste qu’esthétique, tout est réglé sur la facilité d’une manière. Bref, cette peinture souvent superficielle malgré sa surface contemporaine, plus complaisante qu’approfondie, attachante et insouciante campe un joli travail de peintre du dimanche. 

Coder le monde, au Centre Pompidou

25/06/2018

Rien à dire, l’exposition tient son rôle. Cette énième présentation générale des incidences plastiques réciproques du numérique sur la création accuse le coup en tentant au plus près les deux directions de coïncidences avec la réalité techno. La scénographie très factuelle et chronologique répond pédagogiquement et avec efficacité aux attentes d’un public toutefois déjà bien informé sur le sujet, du moins sur certains de ses aspects esthétiques. Pour la curiosité c’est donc un pétard plus qu’humide et une impression de banalité flotte. Restent des documents de diverses natures, pour certains mal connus vs ignorés et cependant historiques dans les domaines de la musique et de la danse et du son (ou la place du corps physique dans les aventures du virtuel, ou l’image du naturel retrouvé/reconçu à l’horizon d’un réencodage). Demeurent inévitablement en contrepoint les poncifs visuels d’une création parfois en difficulté de renouvellement. Pour ma part c’est le bonheur indicible de retrouver l’humour sagace de Merce Cunnigham, sa créativité constamment éveillée. C’est le plaisir de retrouver voire de découvrir, grâce à de courts  extraits, le sens du montage spectaculaire de William Forsythe, et au delà, les fécondités de la recherche actuelle en danse, recherches conversant avec l’actualité curieuse et instable et prospective de l’informatique. C’est l’émotion déjà persévérante des champs expérimentaux de Iannis Xénakis, des instrumentalisations électroniques de la matière sonore par Pierre Henry et Karlheinz Stockhausen.

Et en même temps, je répète, cette apparence mimétique des productions plastiques semblant embourbées dans des « briques Légo », ces effets 3D avec ou sans lunettes, qui peinent à s’alléger, se baroquiser, qui se bornent à des « ambiances sonics » donnent le sentiment d’être sans réel fond subjectif. Sur ces points, l’exposition, bien que prétendument réelle et conceptuelle sur la recherche en design des codes, brille autant par une absence récurrente de sujet affirmé que par des décalages risibles avec l’actualité « journalière » d’engagements, performances et initiatives dans tous les domaines des recherches en design, justement.

Peter Soriano, galerie Fournier, une affaire sans humour ni sens poétique.

16/06/2018

Je connaissais l’humour et la sagacité de Peter Soriano pour les dispositifs à la fois mémoriels et prospectifs, ses manières deplastiquement mettre en cause l’espace et le contexte de son travail, d’en jouer même en étant par ailleurs attentif aux regards des spectateurs, spéculer sur les images qu’ils peuvent dialectiquement s’en faire…

Cette dernière expo Galerie Fournier a pour objet les dessins préparatoires et des vues annoncées de deux interventions prochaines, l’une dans une chapelle du circuit « L’art dans les chapelles », l’autre dans un centre d’art en Suisse. Sur les murs de  la galerie, ça donne des études et des montages dessinés avec une certaine vigueur, les « aperçus » illustratifs de  « fresques murales », des dispositifs entre peinture et sculptures qu’on espère denses.

Un document explique que Peter Soriano fonde son travail sur les deux notions de mémoire et de paysage. Chaque dessin déroulant des codes graphiques et des effets « artistiques » convenus, il faut parallèlement un gros effort de poésie visuelle pour discerner qu’il s’agit plus d’esquisses que d’œuvres. Le fond du gouffre est presque touché avec deux interventions murales badigeonnées sur deux murs par référence aux deux sites d’interventions, tant l’affaire paraît dépourvue de sens. Leurs compositions avec le site de la galerie semblent  insignifiantes dans les perspectives des deux projets initiaux. On est en ce sens face à deux projets inaudibles sans effet de retour à partir des deux résultats. Conventionnelle quand elle retient l’attention, l’expo trouble par son approximation créative, l’esthétique vide des dessins et leur inutile spectacle seulement commercial.

Salo VI : Ile aux trésors, capharnaüm, fourre-tout, brocante, et parfois soldes

14/06/2018

On pouvait craindre un fourre-tout et ça l’est (avec et sans jeu de mot ou dans tous les sens, vu le titre du salon et certaines œuvres au symbolisme cru…) Et peu importe, l’essentiel est que la manifestation existe, qu’elle rappelle heureusement de fait et en image la part érotique et le sexe dans l’inspiration des artistes, toutes formes de pratiques et notoriétés confondues, mais pas indépendamment de tout intérêt esthétique, et c’est une autre affaire (sans jeu de mot ou en tous sens, vu l’ambition du salon et certaines œuvres, encore)… Répandu sur plusieurs sites, Salon VI tient ses promesses de diversité et de profusion sur un univers à l’évidence toujours bien inspirant.

Dans son capharnaüm d’images et de pratiques, l’ensemble est donc descriptif ou illustratif, ésotérique et onirique, tendre et charnel ou lascif et pornographique. Il se veut aussi  simplement que problématiquement suggestif, provocateur et insensible à d’éventuelles réserves ou susceptibilités du spectateur (à tout prendre, braver les subjectivités personnelles semble résumer le viatique de son organisateur) ou au contraire, par quelque implicite sollicitation, cherche à atteindre par l’oxymore de l’abstrait le plus symbolique les tréfonds de ses pensées les plus secrètes. A travers sa brocante particulière, le salon permet in fine de « fréquenter/caresser/pénétrer » chaque fois le temps d’un regard, des œuvres où pour le plaisir, bien entendu personnel, rien n’est jamais littéralement masqué.

Comme on ne peut que s’y attendre, les productions esthétiques s’accordent avec toutes les références, toutes les natures et toutes les techniques artistiques. Elles sont surtout plastiquement d’un intérêt créatif variable, les styles gravitent parfois aussi autour d’engagements et dans un désordre complet (et c’est parfois tant mieux). Les œuvres sont symboliquement floue et nette1, ça batifole avec des consentements qu’on jugera objectivement parfois difficiles, des corps humains remuants, dansants, conquérants ou/et exhibitionnistes apparaissent affolés où laborieux, sont révélés opiniâtres, mesquins ou touristes, bestiaux et arriérés ou mus par des attentes orgiaques. Les minutes sont encore lucifériennes, se découvrent carnavalesques, pragmatiques et simplement mécaniques selon les transports… Disparates sur les sujets mais images toujours, les sujets révèlent des anatomies diversement genrées, squelettes de dieux ou de déesses, autant de démons que de salopards et de harpies supposés, des chaires s’actives ou s ‘expriment passivement, dodelinantes, calinesques, séductrices, pulpeuses et drôles, tendres avec les parodies du trait scénarisé dans des contextes sexys et au hasard clownesques, par extension et peut-être par définition plastiques (avec et sans jeu de mot, clin d’œil ou dans tous les sens…). Leurs auteur(e)s s’exercent parfois à des allusions salaces, des frayères obscènes, des compositions faussement approximatives…

Ce fourre-tout est enthousiasmant par principe, quand bien même ça et là, l’innovation et la recherche plastiques ne constituent pour certains artistes manifestement pas une priorité. En rappelant des gravures japonaises ou des dessins de Rodin, de Picasso ou de Tommy Ungerer, des montages de Molinier ou des détournements situationnistes, des théâtres d’André Masson ou de Gotlib, des contributions érotiques de Pascin ou Wolinski, des productions de fanzines, le dessin et tout ce que l’idée de produire des images permet, nombres d’artistes exposant donnent paradoxalement aussi l’impression et le sentiment d’être ignorants de réussites qui ont pu les précéder. Dès lors, des productions au premier abord séduisantes mais  en réalité franchement convenues soldent ou contredisent la demande du salon de se montrer créatif par des productions techniques singulières et innovantes, voire des regards simplement autres (dans tous les sens du terme…) Leurs auteurs, improbables artistes représentent laborieusement des bites, des chattes ou des culs comme des inconnus désœuvrés et sans humour s’épuisent aux arts plastiques en graphitant laborieusement des images de baises sur des feuilles sottes, des « arrangeurs laborieux » répètent à l’aveugle des associations de formes ou d’idées dans des contextes convenus.

A l’inverse, les dessins de Cornelia Eichhorn, l’érotisme tout en rémanences des coquillages et des os théâtralisés de Julie Dalmon, les sculptures conçues et imprimées en 3D de Matthieu Crismermois, les évocations contorsionnistes et drolatiques d’Aurélie Dubois, les écarts expérimentaux de Chloé Julien témoignent esthétiquement de recherches vives et cultivées, aussi singulières, énigmatiques et malines que plastiques et poétiques.

On comprend in fine que des œuvres ont pu séduire des collectionneurs éveillés.

 

1­– Voir l’essai de l’organisateur Laurent Quénehen publié l’édition spéciale de la revue Le dessin contemporain, consacré à Salo VI

Les privilèges irréversiblement créatifs de Chloé Julien, à la galerie La Voute

10/06/2018

« Chloé Julien expose ses collages, ou plutôt ses décollages — ses envolées plastiques serait plus juste — où le collage est juste le moyen plastique sur lequel, s’étant bien documenté, elle s’est appuyée pour produire des œuvres faites des regroupements furtifs de morceaux d’images, lesquelles sont faites de tout et de rien — au fond, plutôt des corps, images qu’elle découpe et dépare après les avoir recueillies, glanées, piochées, puisées, prélevées dans des magasines à photos et à publicités, qui “parlent de ça ou d’autres choses”, une iconographie hors limites, des vues plus vagues les unes que les autres, sur rien d’essentiel, voire rien du tout,  des images comme de juste simplement et petitement commerciales, inutilement utiles…Encore que ! Les morceaux montrent ici des chairs initiales, ailleurs des chairs corrompues ou érotiques, ils sont ça et là ironiques et goguenard dans leur silhouettes grossièrement détachées, erratiques taches colorées susceptibles de passer pour un pointillisme informel, extraits qui, une fois découpés-déchirés sont devenus sans monde, mais qui d’un coup d’imagination, opposés à la nuit se recomposent à discrétion. Ils ont supposé être des prélèvements dans des revues où ils n’importaient que du seul point de vue de vues de visages, torses, bras, jambes, portions et organes symboliques, accidentellement noir et blanc ou exhibés en « bleu-jaune-rouge-vert-etc. », de telles sortes qu’à les voir rejoués, réinvestis, enfin, ou bref si vous préférez, remis en selles et réunis sur des feuilles de diverses façons et d’aussi divers horizons irrationnellement décidés ou scénarisés au sein de micro installations, à travers divers contextes et opportunités matérielles et immatérielles dans divers tableaux petits ou grands, au sein de supposés reliquaires, bravant des thèmes inévitables comme souvent la mort et la naissance, la volupté et l’amour, collages cependant indociles dans leur suggestivité ou bavards que ni croyance ni préjugé n’arrêtent, sinon leur poésie formelle à la fois ramassée et aventureuse, expérimentale quand le support lui-même totalement transparent s’estompe ou s’élève hors sol au lieu d’être opaque, qu’il est allusif comme la vitre d’un cadre sans corniche, comme un théâtre dans une vitrine ouverte sur la rue, comme une fenêtre sans huisserie délie le réel du fictif, qu’occupés ou inoccupés toutes les possibilités d’ouvrages sont simultanément activées, que ce support, je dis bien support, converti en ciel hypothétique ou en miroir fait voir à l’improviste sous des parties collées, des instants discrets et diserts, de vie sous des envers, comme trois ou quatre vers de haïkus pointent un impromptu… »

Chloé Julien a pris soin de titrer ces œuvres qui semblent ne devoir aux images que ce que l’éveil conserve des rêves. Les compositions, tantôt concentrées tantôt évanescentes oscillent d’un même balancement entre création brute, méditation plastique et bricolage. Il y a effectivement quelque chose d’incongru dans ce travail buissonnier, impalpable et apparemment brouillon, pouvant même donner l’impression d’être involontaire. Chloé Julien livrée à l’immédiateté d’une pratique apparemment sans règle semble vivre son art comme un défi : partir de rien, être brusque devant l’existant, désassembler pour réassembler sans pudeur, être intime avec les gestes du dessin, agir de façon maline avec les ciseaux, faire danser les formes ou ce qui en découle, donner du sujet naissant. Les extractions pratiquées dans les images ont à l’évidence été soigneusement élaborées. L’improvisation vibre en même temps partout, comme si chaque morceau d’image avait été sauvé d’une corbeille bête, que l’utilisable remplaçant l’inutile et l’invention s’inspirant des faveurs du rêve, tout pouvait recouvrer de la dignité, devenir un nouveau regard. Les tableaux comme des lieux d’existence se révèlent des occasions d’arpenter en tous sens les disponibilités de leur surface physique et idéale, d’agir sans limite ou en prenant au sérieux toute focale surprenante. Comme un poète surréaliste provoque par association des idées fantasques, Chloé Julien débride dans le pictural la recherche de sens, appelle l’air et les lumières de soupiraux imaginaires. Chacun ses nuits, ses caves ou ses greniers, ses rêves et leurs raccords.

Dans chaque œuvre, le corps aussi réel que possible s’historicise, se thématise, fraye avec des perspectives bibliques ou oniriques, il guide ou flèche des lectures esthétiques et visionnaires, s’expose aux affres, transes et tourments de cheminements ou de carrefours. L’émotion par réaction batifole ou s’étoile, percute des allégories qui renvoient ou font se télescoper des idées avec des songes. D’évanescents et dispersés les amoncellements de détails deviennent condensés, mutent en points de vues, font signes. Les titres des œuvres filent des repères, qui heureusement ne suffisent pas aux compositions visuelles et leurs détachements formels.

Mais revenons aux supports et aux collages. J’ai évoqué des transparences, de l’immatériel, une irrécusable imagination et des codes visuels et artistiques transgressés, une imperturbable fantaisie technique et des thèmes poétiques, de l’insouciance et une inquiétude peut-être métaphysique, sûrement même, quant à la responsabilité de l’artiste aux prises avec le réel ou la matérialité du travail plastique. Il faut en même temps revenir au caractère premier de cette recherche qui, par de belles parentés avec des pratiques d’art brut, des techniques de montages et de collages qui peuvent paraître naïves et néophytes donne à Chloé Julien l’occasion de réinvestir régulièrement du sens dans ses compositions en mobilisant leur échelle interprétative, en reprenant allusivement pour partie les cosmos de ses aquarelles antérieures. Un exemple de ces liens est sobrement rappelé dans l’exposition. L’apparent désordre ou l’architecture volontairement brouillée de ces compositions, les fusions intuitives de leurs parties me font penser à des histoires à la Lewis Caroll, des théâtres de Tetsumi Kudo ou de Bernard Réquichot dont Roland Barthe suggérait qu’à l’aune de « beaucoup de peintres ont reproduit le corps humain, Réquichot n’a jamais peint que ce corps était toujours celui d’un autre »1 Il faut repérer dan le travail de Chloé Julien ses manières de recomposer et retrouver les corps, de les citer, squelettes et chaires enchevêtrées, emmêlés dans des tableaux mystérieusement essentiels par leurs touches juxtaposées ou énigmatiquement descriptifs à cause de leurs assemblages déroutants. Ses compositions s’abreuvant aux mêmes « forces compactes ou cenrtifuges »2, amas et dégoulinades, semblablement emportées dans des crues ou éthérées comme une scène  tachiste recourent aux mêmes artifices plastiques que celles de Géricault ou Delacroix risquant les séparations de corps entassés, les mêmes avalanches qu’une « Chute des damnés », qu’un déferlement d’apocalypse, d’agitation et de naufrage ; par intuition aussi, émerveillement pour les « terriblità michelangesques (re) contaminées par le bizarre »3, des scènes fantastiques d’Odilon Redon ou de Victor Hugo, les divagations visuelles d’Henri Michaux.

Reste dit que « Par le flou, l’informe, le spectral, la peinture s’ouvre à l’interprétation du spectateur »4. L’aléa formel des collages de Chloé Julien reprend tacitement les aléas d’un art voyageur où son travail puisait ses mystères. Cette nouvelle exposition, et le travail qu’à l’évidence d’imagination qu’elle souhaite approfondir par des contrepieds créatifs est plus qu’une persistance dans l’insatisfaction de recherche. La « tâche précède la figure »5, les compositions fragmentées présument un travail allégorique de l’essence élégiaque d’un tableau potentiel. Il faut voir dans l’exigence affutée, sinon les chemins du travail plastique apparemment élémentaire de Chloé Julien les privilèges de revendications créatives sans doute irréversibles.

    

  Alain Bouaziz, juin 2018

 

1/ Réquichot, par Roland Barthes, in catalogue raisonné, 1973

2,3,4,5/ Jean Clay, in Le romantisme, Hachette Réalité, 1980

Galerie Templon, Motherwell version « Open séries », façon questionnements en séries sur la peinture

01/06/2018

Des années qu’on n’avait eu l’occasion de voir des œuvres de Robert Motherwell, excepté dans des livres sous l’aspect de reproductions incertaines entre approximation et suggestion, excepté ça ou là un collage, plus à vendre qu’à montrer, surtout à vendre quand c’est à la Fiac, comme un chèque dont on aurait ravalé repeint fardé la tronche pour tenter mais rater une beauté artistique par nature, celle du peintre évidemment.

Et tout d’un coup, vingt toiles de la série emblématique des « Opens », vingt œuvres de dimensions diverses : murales pour certaines, de la taille d’une étude intime pour d’autres. Vingt épopées autour du thème de la fenêtre, vingt élégies renouvelées au peuple des artistes. Vingt poésies sur l’ouverture, son cadre, sa présence impliquante, sa vue allusive, sa silhouette juste contournée par un trait de pinceau, par une évocation asymétrique de son signe rectangulaire, par l’enjeu d’un mur qu’elle troue potentiellement et opportunément, par l’aplat géométrique d’un dessein et d’un fond suspendus l’un à l’autre. Vingt mondes silencieux ne demandant que du regard, de loin comme de près, du regard pausé et contemplatif, un rien supposé, un rien sidéré, en vrai totalement mobilisé par le souffle de l’artiste, entrecoupé de pensées, et calme à la fois.

Matisse : d’un clin d’œil, un moine cistercien ou zen : d’un sourire invisible, Masson ou Pollock, Picasso et un calligraphe traditionnel japonais : à travers des gestes et des couleurs d’émotion limpide… Motherwell s’active à ne rien faire qui contrarie son sujet, à ne jamais s’opposer à ce thème que par accident, il a découvert et retenu ce moment où, dans son atelier, en regardant des toiles de diverses surfaces retournées les unes contre les autres, la géométrie des châssis soustrayant aux toiles en partie masquées des tableaux inespérés, son attention pour le thème de l’ouverture et de la fenêtre a retrouvé par sérendipité le chemin d’un questionnement incessant sur le tableau.

Les couleurs et les formes se renvoient, se complètent ou s’opposent avec l’exercice du format. Les œuvres sont des murs qu’on peut voir éloignés autant que circonscrits, faisant face et occupant tout l’espace environnant ou mobilisant un microcosme. Le dessin des fenêtres se borne à leur esquisse, parfois les suggère d’un aplat teinté dont on ne sait que dire, comme une ombre ou un reflet sont des distractions furtives, comme une absence ou un feu follet anticipent la découpe d’une absence, chaque fenêtre retrouvée file une architecture pariétale ou une empreinte première, pour le spectateur : pas une œuvre n’est moins qu’une découverte, chaque tableau est plus qu’un monde inaperçu.

Enfin je vois en vrai des tableaux de cette série qui pour moi devenait mythique, où dès la première reproduction et quelle que fût sa qualité d’image imprimée, dans les mots par défaut du peintre lui-même, je voyais le pictural entretenu par sa recherche opiniâtre, de conséquence en conséquence insatisfaisant, totalement lié à son principe de libre « inabordabilité » par l’anecdote, le sujet illustré, la VLP*… Enfin, libres d’impudences, audacieuses dans leur témérité, je vois quelques-unes de ces hardiesses sensibles.

 

* VLP : « vive la peinture »…