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In fine ! Pour conclure ! En somme… etc.

22/11/2017

Je parle en début du texte précédent, d’une magnifique idée d’expo. Je m’exprime aussi et je m'interroge opportunément en toute liberté mais de façon, je le reconnais, rageuse sur la faiblesse expressive de certaines des œuvres, la relative inefficacité de la présentation générale. La présentation écrite de l’expo que son titre rend attirante est par ailleurs confuse et assez compliquée à suivre (monsieur le commissaire, relisez votre propre préface.)

Petite parenthèse : avez vous remarqué/relevé/noté (à vous la compétence du choix) que je n’ai rien écrit sur la précédente exposition (Idéo Morié) curatée par vous dans le même lieu ? Que je n’ai rien écrit sur les diverses expositions intitulées « Salo » que vous avez organisées, même si là aussi, naturellement, et bien que le thème soit plus libre, les (très nombreuses) œuvres me paraissaient d’inégale valeur ? Rien encore sur ce que vous avez cherché à promouvoir dans une expo intitulée Vaudou à la galerie La Voute…? Et pourtant, indépendamment de vos goûts personnels et des miens tout aussi particuliers, de vos choix argumentés et de mes privilèges de lecture, autrement documentés, je vous l’assure, cette exposition m’a laissé perplexe devant certaines œuvres. J’aurai déjà pu en faire état, je m’y suis abstenu. Le religieux, c’est trop perso.

Mais revenons à l’expo dont il est question et son thème que j’estime à priori toujours passionnant : Esthétique de la rage. Comment ne pas être dubitatif sur la qualité et le fond de certaines œuvres, voire certaines orientations de la dite exposition quand l’organisateur se révèle « lui-même » dans un curieux lapsus (je n’invente rien, je vous cite et je souligne) : «…le thème (des expositions que j’organise) n’est qu’un motif, un alibi publicitaire, je le répète depuis 2002. Je réunis des travaux qui m’intéressent sur un thème dont je suis le seul auteur et qui n’a pas de rapport avec les œuvres exposées »… Vu votre préface à cette expo particulière, et vos manières de tirer toute la couverture à vous en oubliant l’intelligence particulière des démarches artistiques, comment ne pas trouver des évidences et des loupés ? Pourquoi nier qu’on puisse en conséquence exprimer des réserves ? Qu’on reste insensible à ce qui semble esthétiquement incohérent ? Ou plastiquement trop inexpressif pour porter un message dans la ligne du thème ? Pourquoi vouloir empêcher de le regretter ? Faut-il que dans « Vos » expositions, on estime les œuvres qu’à l’aune de votre susceptibilité, que vous soyez à ce point superficiel ? J’assume mes doutes et cet amateurisme critique, ou mon attirance pour un art/des œuvres et des pratiques plastiques dotées d’un fond (Ah l'érotisme charnel de la peinture de Manet "caressant" son Olympia, titillant le regard du spectateur : un régal !). J'assume ma liberté de ton et de forme face à ce regard critique qu’apparemment vous préjugez inutile et qui vous rebute, ou pour vous citer dans une approximation des artistes qui n’appartient qu’à vous, vous osez écrire « qu’ils se foutent de s’appuyer sur un thème ! » Il est vrai que vous dites vous-même en miroir vous ficher de vos expositions "thématiques"…

Je vous le redis, j’assume ce que j’écris. Faites de même et assumez ceux que vous exposez en ne les méprisant pas dans l’ignorance de ce les fait vivre. Et merci de lire toutes mes publications sur mon blog, vous constaterez que mes réserves et mes enthousiasmes sont divers. Au passage, suggérer que je m’attaque par idéologie aux lieux non commerciaux est bête, aussi stupide qu’arguer d’une opposition « de gauche » rudimentaire (qui, hélas, ramène votre posture au populisme en vogue) pour dire que dans les lieux associatifs les expositions présentées sont de moindre intérêt, que je me réjouirais qu’aucune œuvre n’y soit vendue, que les artistes n’y laisseraient que des plumes… Dans les deux cas, ne vous en déplaise, un commerce a lieu, nombres d’artistes, et je m'en réjouis, ont réussi à vendre au moins une œuvre lors de la dernière exposition « Salo ». Accordons nous aussi qu’heureusement, les associations s’appuient sur des profits objectivement plus culturels que « boursiers", et précisément, ça complique leur tache. Pour votre information, je soutiens activement et bénévolement Aponia depuis plus de 20 ans, c’est à dire son origine. Informez vous un minimum !

Pour le reste, à l'inverse de ce vous pratiquez sournoisement, je ne me livre à aucune attaque ad hominem ou ad personam, et bien davantage qu'une lâcheté, c'est effectivement de votre part une bassesse soignée de faire croire le contraire en essayant de manipuler des personnes et des faits dans des amalgames irresponsables. Tout comme instrumentaliser un lieu comme Aponia pour en définitive ne chercher que la promotion obscène de votre petit égo érectile.

Fin de la discussion.

« Esthétique de la rage » au Centre d’arts contemporains Aponia

18/11/2017

Esthétique de la rage. Magnifique appel à reconsidérer la création artistique à l’aune de cette perspective où se mêlent à la fois des aspects humains et des oppositions sociales. Enorme espoir d’en découvrir aussi de nouvelles, de mesurer si une plasticité de la rage existe et sous quelle forme, au-delà des conventions expressives notamment. La rage est-elle un sujet ou un vecteur de création artistique ? Ou les deux ? Aucun ? Qu’est ce qui la remplace alors ?

Bien que de dimension restreinte, en ne s’en tenant qu’à une dimension revendicative et une opposition sociale, l’exposition qui se tient depuis peu au Centre d’arts contemporains Aponia sur une suggestion indépendante est décevante, non pas parce que le sujet serait inintelligent (il a en partie été « artistiquement » abordé par le passé, sous couvert d’expositions historiques). Sur ce coup là, c’est rageant rageant d’être déçu devant des d’œuvres plastiquement insuffisantes et inexpressives, au mieux, incongrues et illisibles dans le contexte et les perspectives d'un thème aussi passpionnant. Et pour parfaire l’incompréhension, l’accrochage soigné, d’une sagesse convenue semble hors cadre. De sorte qu’on peine à percevoir le moindre emportement et le moindre élan dont la rage porte naturellement et intuitivement les signes incontrôlés.

L’histoire atteste certes d’épisodes à juste raison rageurs. En soi, l’illustration « contestataire » de la Rage n’est pas en cause. Ce sont des mouvements d’expressions individuelles et collectives contre des faits et des injustices, contre la misère sociale et politique, c’est l’urgence du « Grand soir », la violence émaillée de débordements aussi humains qu’explicitement sauvages pour des objectifs de vie autre. On comprend qu’il y a là matière à relire ou refonder l’origine ambitieuse et émouvante de créations artistiques pas calmes. En 1968, un enragé1 a simplement écrit « Vite »1 sur un mur.

La rage est d’abord une maladie conventionnellement identifiée, un mal dont la figure allégorique est celle d’un chien menaçant, apeuré et agressif, la bestialité grimaçante d’un regard exorbité et les crocs baveux. C’est aussi encore et surtout un puits au fond duquel résonnent des échos de passion et de fièvre sans réserves, d’emportement et de frénésie, voire de furie ou de folie ingouvernable. L’excès porte partout son empreinte en même temps que son passage, partout où sous couvert de diverses manifestations absolues, une incontrôlable sortie émotionnelle le guide et le justifie. On devine alors une plasticité puissante, essentiellement gestuelle et à l’emporte pièce, des hurlements à la place d’un rêve dormant et aussi, comme un oxymore, l’écrasant silence qui suit un ravage cataclysmique. La violence préméditée cède devant la froideur glaciale, la radicalité d’un non indiscuté vaut contre toute nuance, rejette le moindre temps devenu ancien. La rage est le cri de la douleur même. Imaginez une création sans « Non ! »… « Vite » est un hurlement embrasé de vie.

On subodore qu’une exposition sur un tel sujet ne peut qu’engager des œuvres où tout subjugue, dont les sujets et les illustrations touchent au sublime tant la démesure y prend justement corps. On s’attend à en prendre plein la vue, on vient « pour ! » d’ailleurs ; l’objectif est de sortir ébahi, submergé, incrédule face à des engagements où l’expressif rugit, fulmine d’impatience et aboie d’autant, gueule, crache, cogne, renverse, explose, s’enthousiasme bruyamment. On vient assister à des tempêtes d’opéra, des déferlements silencieux et impressionnants de mots et d’idées intempérantes, à des déflagrations de désirs impératifs. On vient comprendre la vie luxueuse de houles voraces, on demande à traverser une fournaise orgiaque dans une débauche éclosante. On veut entendre aussi discrètement que de façon déclarative se déchaîner des passions amoureuses, des émotions d’apocalypse, penser bruyamment à mal, penser pareillement à bien, à « vite » faire passionnément violence de tout. Entendre son âme se muer en orage, incarner sa propre explosion sensorielle. Faire d’une tempête le plus beau des paysages. Exister et faire durer indéfiniment ce temps là.

Au lieu d’être subjugués, on est rabattu, assagi : l’exposition manque de fond et d’expérience, se tient dans l’approche superficielle. Sur les quatorze artistes retenus, seules les œuvres d’une petite moitié d’entre eux ouvrent le thème de la rage et fonctionnent sur une création plastique avérée dans un champ esthétique élargi et audible. Des images de chiens d’attaque gueule ouverte, avantageusement agrandis à taille humaine, des peintures sombres d’autres chiens fiévreusement brossées illustrent efficacement des points de vues directs et suggestifs, un pistolet rageusement « saucissonné » de fils électriques et de textiles noirs et blancs sublime avec hargne la patience du retard d’un passage à l’acte, une photographie habilement improvisée de Claude Lévèque nous replonge dans la rage « no future » punk. Un ensemble de poupées Barbie partiellement « incendiées » fustigent agressivement l’idée d’un modèle unique d’existence.

Sur le sol, la maquette d’un avion furtif reconstitué au moment de son décollage par Julie Dalmon tente un rapprochement entre rage et intention politique dans une mise en scène aux accents journalistiques. Le reste bat la confusion. Des réassorts duchampiens s’épuisent en montages stériles. Des productions « d’art brut » sont élevées au rang de créations réflexives sans analyse historique ou formelle, jusqu’au fourbi. On sombre presque avec l’hors propos des dessins intimistes de la dessinatrice Odonchimeg Davaadorj et une céramique somptueuse d’onirisme de Marlène Mocquet. Quelle rage illustrent t’ils ? De quelles intériorités et quelles fulminations sortent les profusions de formes ostensiblement débordantes de couleurs qui hybrident l’art de Marlène Mocquet ? Son œuvre ordonne avec sagacité bien trop de mystères charriés pour que les torrents d’images dont elle use puissent être perçus comme des remous incontrôlés.

Je le redis, l’idée d’un retour sur la Rage dans l’expression plastique est en soi intéressante. Une grande exposition sur l’esthétique de la rage et la rage des artistes peut la prolonger et être imaginée en ce sens. Avec plus de culture. Je l’entrevois à la hauteur d’une manifestation comparable à quelques grandes expositions du Centre Pompidou (« Paris New York, Paris Moscou, Son et lumière… »), voir « Mélancolie » au Grand Palais.

Ceci est un appel.

1- Les « Enragés » est le nom d'un groupe d'agitateurs créé en février 1968. Il participa à la contestation révolu-tionnaire à la faculté de Nanterre puis à Paris au cours de Mai 68. Influencés par l'Internationale situationniste dont ils contribuèrent à disséminer les idées au sein de l'Université et avec qui ils se fédérèrent le 14 mai 1968  pour créer le comité Enragés-Internationale situationniste. Le dessinateur Siné, épaulé par Jean-Jacques Pauvert, lance simultanément le journal satirique L’Enragé, avec un G en forme de faucille et de marteau. (Edition Wikipédia). Guy Debord a justement fait l'éloge de la rage de vivre de l'auteur intelligemment anonyme de ce "graffiti" dans une publication de l'Internationnale Situationniste.

Des aquarelles à la Galerie de la Voute.

03/11/2017

Patricia Maincent expose ses « dérives » à la Galerie de la Voute, soit dans l’ordre 30 œuvres peintes sur papier de formats divers, 800 instants photographiques glanés dans la presse quotidienne ou sur les réseaux sociaux, 2500 souvenirs photographiques supposés d’amateurs ou extraits d’archives familliales, 5000 vues prises par des anonymes qui les ont jugées intéressantes ou belles, 100 000 sujets plus ou moins bien décrits ou évoqués, 1 000 000 de petits faits loufoques ou strictement individuels immortalisés pour leurs cocasseries… soit, et encore je résume, 30 peintures réalisées, et imaginairement, autant de preuve qu’à l’occasion le quotidien peut potentiellement conduire à la création d’œuvres artistiques ou transformer le monde en visions vs « à chacun de faire son marché de ce qu’il a vu ». Sauf qu’en ne mobilisant que la technique de l’aquarelle, l’artiste évoque aussi une porosité imaginable entre le pictural éphémère de l’aquarelle et la photographie instantanée, voire une sorte de photojournalisme élargi. En s’appuyant sur les codes expressifs du médium à travers sa technique (dilution, liquidité et fluidité vs fusion aléatoire des formes entre elles, effets d’instabilité, de dilatation ou « nuagisme » dans les compositions, dispersion, tachisme et évanescence potentielle des formes suggérées encore, transparence et dilutions expressives réelles ou fabriquées des corps, mélanges ou échanges, effets d’irisations, capacité à susciter de la fraicheur, du rêve, du plaisir esthétique immédiat, etc). Le projet porte en l’occurrence l’idée que la peinture entraine mécaniquement l’imagination vers d’autres tâtonnements esthétiques et de multiples nouvelles aventures sur le temps ou la prise de vue, voire la mise en vue d’un sujet, que ce soit avant et après l’image finale.

On voit que l’usage appliqué de l’aquarelle permet à l’artiste d’essentialiser des champs d’interprétations dans leur autonomie. Sur un mur, des scènes de fête, d’apparents combats de rue ou les rappels d’images de manifestations réunissent des personnages en action sont silhouettés sur le fond blanc laissé vierge du papier. Ailleurs, sur d’autres murs, ce sont des groupes de personnages sur des fonds de paysages nocturnes. Certains sont costumés pour une probable fête, d’autres, seuls ou par trois ou quatre semblent surpris dans une lueur approximative, on remarque qu’ils portent des accessoires à des détails comportementaux. Tout semble spécialement composé et, par recoupement, on songe à des peintures dites cultivées (Françoise Pétrovitch, Martial Raysse, Gérard Garouste). Ailleurs, dans la galerie, des scènes d’intérieurs filent les codes plastiques et sémantiques comme des environnements évocateurs forcent en ce sens une interprétation symbolique aussi déjà faite. Je note des scènes de forte intimité et des références historiques, une figuration à nouveau narrative1 et des contextes mémoriels.

Hasards ou habiles coïncidences, les cadrages comme les perspectives photographiques ou les codes de la peinture réaliste globalement se rejoignent. En même temps, quelques dépits surgissent. Un doute s’immice quand les couleurs ne coïncident plus, qu’au noir & blanc supposé des sources photographiques, la peinture répond par des teintes ou des éclairages uniquement eshétiques… Pour l’architecture et les proportions des espaces visuels, Patricia Maincent s’appuie sur des codes de composition qu’elle juge comparables entre les deux univers. Pour les silhouettes, elle inverse parfois les deux unités de temps et de contexte de l’instantané dans un brouillage de formes en désordre ou s’emmêlant les unes dans les autres dans des fondus allusifs. Comme un photoreporter mitraille avec son appareil tout sujet pour fixer « tout » l’imprévu, vrai ou flou, complet ou séquencé, l’ensemble s’estompe dans chaque image et se dilue, se mêle ou se recompose sans que les deux mondes de la photographie et de la peinture réaliste semblent réellement confrontés. Les univers sont de fait peu enlacés ; ce que la photographie rapporte et ce que la transposition picturale change passent même pour être inconciliables, opposés et vrai dans les deux cas. Tandis qu’un instantané n’a donc qu’une valeur paradoxalement approximative, qu’il n’est qu’une image arbitraire, relative et accidentelle, l’expression picturale des œuvres de Patricia Maincent focalisent l’attention sur une aporie du détail et de la vérité iconique, qu’il s’agisse de faits racontés, décrits, relevés ou révélés. Chaque œuvre apparaît banalement comme une copie légèrement différente d’après un modèle photographique.

L’exposition, pour prometteuse qu’elle paraisse, lasse rapidement pour ces raisons. Davantage qu’un ensemble visuel réinvesti, l’artiste s’affaire dans une production d’images esthétiques mais peu ré-analysées et peu re-documentées. Patricia Maincent s’y intéresse t’elle d’ailleurs au delà de ce que tout le monde peut voir et qu’elle reconduit presque littéralement ? Des coïncidences raisonnables ou de paradoxes interprétables entre l’instantanéité photogra-phique et l’instabilité du temps de l’aquarelle ne sont sérieusement engagés ni conjointement ni contradictoirement. De sorte qu’un travail de recherches plastique ou diégétique reste effectivement à imaginer ou développer autant à partir des documents d’origine qu’à l’aune des productions dont ils sont les vecteurs. Ces œuvres décidément impersonnelles et sans démarche incarnée nous fond nous perdre dans une cartographie conventionnelle de nuages vaporeux et de « taches de Rorschach. »

 

1 – On songe aux artistes, pour la plupart peintres, regroupés sous cet étendard par le critique Gérald Gassiot-Talabot

Eugène Leroy au cœur de sa métaphysique de peintre

22/10/2017

Il suffit de quelques œuvres d’Eugène Leroy, même de dimensions modestes, comme par exemple celles que le Studiolo Galerie de France présente actuellement, pour s’émerveiller d’une culture hautement picturale. Il faut peu d’œuvres d’Eugène Leroy pour comprendre ce que le sublime peut être, en quoi le dépassement peut l’incarner jusqu’à l’immesurable. Il suffit de quelques œuvres d’Eugène Leroy pour concevoir par quel élargissement de soi, le sens de peindre peut autant s’éprouver comme l’aporie d’une sidération qu’un trouble peut faire sens d’un sentiment d’incompréhension créatif.

L’exposition entend d’abord montrer l’évidence inoubliable d’une pratique originale. Le travail du peintre est par ailleurs introduit au moyen d’une sorte de tautologie et comme un paradigme : « Allez au paysage…le contact avec la nature était assez, comment dirais-je ? matraquant »1. Tout semble tenir aussi en ce peu de mots simples ou d’idées sobres par quoi Leroy pouvait exprimer de façon exemplaire que peindre engage une recherche potentiellement inscrite par un effet d’annonce aussi conceptuel qu’aventureux. 

Dans l’exposition, comme une sorte de préface, comme un réel aparté, comme des notes éparses ou juste les traces d’un journal intime, quelques photographies du peintre. Leur choix, ou leurs convergences avec les œuvres exposées, recréent en marge des peintures une sorte de quiétude d’atelier naturel. Une de ces images montre le peintre entièrement nu dans la nature, sans apprêt ni façon, libre dans son jardin. Ce témoignage en rappelle un autre, différent par la forme mais proche sur le fond. Il s’agit de Claude Monet se faisant lui aussi photographier dans son jardin de Giverny comme s’il pouvait s’agir de son atelier, comme débarrassé de toute préoccupation extérieure à son projet pictural, juste rassemblé autour de lui-même, entièrement peintre, déjà dans cet océan sensible de matière picturale où l’essentiel de son œuvre aboutie s’est finalement imprégnée pour le marquer historiquement. On peine à l’en extraire visuellement, à discerner l’homme d’un univers qui semble presque l’avoir créé. Impossible de l’en décharner. Retour à l’exposition, je regarde les autres vues, également naturelles, presque idéalement confuses. Les toiles exposées, l’aura des photographies d’Eugène Leroy, et par rémanence celles de Monet, me font ressentir leurs deux recherches comme des mondes intérieurs exposés sans histoire ni analogie apparente ou directe. L’essentiel de l’expression est en ce sens purement pictural, et, suivant cette perspective, la peinture vs son art, consiste dans l’usage de puissances acquises du peintre à faire partager des forces d’imprégnation en tensions entre le peintre et le spectateur. L’impossibilité de contenir les tableaux et les singularités rapprochées des deux artistes m’expliquent ensemble leur volonté tout aussi convenue de ne leur assigner aucune limite excepté ce qui est matériel, de les traiter davantage comme des émanations que comme des documents. Un cadre aurait risqué leur désincarnation, versus leur désintégration.

L’extrême engagement d’Eugène Leroy complexifie en écho l’idée d’être artiste. Que cherche le peintre nu ? Qu’est ce c’est que ces tableaux qui donnent le sentiment d’être à la fois des détails et des extraits ? A quoi prétend le peintre lorsqu’il les livre à mis chemin entre des bas-reliefs et des peintures, avec une surface, du moins une étendue pensée aussi « légèrement » qu’improbablement balisée ? Que sont ces compositions foutoiresques, en apparence plus pétries qu’architecturées ? Qu’est ce que l’artiste croit avoir livré aux spectateurs ? Monet travaillait vite, fiévreusement ; Leroy reconnaissait revenir périodi-quement sur un tableau durant des années. Mais on ne distingue quasiment rien d’effectif, les tableaux se réduisent la  plupart du temps aux seules variations chromatiques d’un champ visuel où ne sont perceptibles que les gestes apparemment désordonnés de dépôt de peinture. A la fois brutes de décoffrage et d’une plasticité aussi également imaginaire que paresseusement académique, les peintures sourdent en conséquence de densités picturales toujours plus inqualifiables, toujours plus inouïes. Bien que titrées « paysages », leur composition purement picturale n’offre aucune alternative iconique qualifiée. Aucune concession pour les codes habituels dans le genre « peinture de paysage » (pas de toiles horizontales notamment), pas de point de vue précis ni de tracé perspectif, pas de nature descriptible, ni même échantillonnée, aucune anecdote ; si des présences sont signalées, ce ne sont que des zones, des silhouettes (très) vaguement allusives, vaguement contextuelles ; pour un peu, on jugerait à contrario possible d’évoquer une absence devant le sujet : « Tout ce que j’ai essayé de faire en peinture, c’est d’arriver à une espèce d’absence, pour que la peinture soit totalement elle-même »1. Ou l’inverse, dans quelques rapprochements opportuns et quelques éventuels rappels d’autres œuvres ou d’autres peintres retenus, voire quelque reconstitution approximative à travers une harmonie sectorielle ou dans l’apparence générale d’une lignée. Partout, la recherche du peintre n’est engagée qu’« à maxima » d’un oxymore qu’il construit autour du réalisme et de sa peinture effective, en les rendant tous les deux hypothétiques et dépendants, dans des aventures chaque fois totales avec l’imaginaire d’un univers. 

J’ignore en définitive ce qui me fascine dans ce travail, ce pourquoi je ne me l’explique que par un rêve personnel et une approche aveugle du peintre. Eugène Leroy reconnaît par ailleurs vouloir « toucher la peinture » 2, il réfute l’apport dialectique d’une peinture analytique « Parler de Dieu pour dire qu’il existe, comment il existe, ses attributs et tout ça : c’est tuer la religion »3 Mais tout son travail instille implicitement la nécessité d’un chemin. Le peintre ne s’est-il pas un jour lui-même exposé à une perception en priorité métaphysique de son travail?

Notes :

1, 2, 3 : Eugène Leroy, peinture, lentille du monde. In « De la matière et de sa clarté », Entetien avec Irmeline Lebeer, ed. Lebr Hossmann, Bruxelles 1973

Corine Borgnet sans foi ni particule à la galerie La Voute

27/09/2017

Belle exposition à la fois précieuse et précise, humoristique et caustique, un rien tournée vers la mémoire et les images toujours imaginaires des reliquaires…

Mais dans quelles histoires Corine de Borgnet veut-elle nous engager ? A quel monde font référence ses bricolages soignés qu’elle dit être avant tout des créations artistisques ?

Sur les murs, à travers ses objets-œuvres, l’artiste, spéculant sur une production aux thèmes manifestement féminins ou traversant en rêveuse pleine d’humeurs et d’humour des mondes aux échos mythologiques égrene des compositions flottant dans un halo mystérieux d’amalgames. On découvre des combinaisons aussi savantes qu’artisanales, plus que parfois teintées de fétichisme, auréolées de ces récits d’explorateurs qu’on suppose animer les cabinets de curiosités. Partout, l’attention se focalise sur des silhouettes ou un coin de la galerie où des montages et des collages faits de détournements d’objets recyclés semblent visuellement être ajustés aux normes d’un sommeil paradoxal. Ce sont des citations directes et/ou ou subreptices de courants artistiques, triées sur le volet, d’artistes réputés pour leurs expérimentations, voire reconnus pour les détails apportés à l’exécution de leur art. Ce sont ainsi des résonnances typographiques d’écrivains, d’ethnologues et de chamans, de cinéastes et de documentaristes, ce sont des résumés d’albums de voyageurs ou de collectionneurs d’images, de conservateurs de musées bizarres et d’encyclopédistes curieux, de souvenirs d’enfance et de prestidigitateurs ou de créateurs de soirées magiques…

La perfection esthétique des réalisations témoigne en sus d’une maîtrise d’artisan d’art qui ne ment pas. Soutenues pas cette admiration professionnelle au point de relativiser parfois l’étendue créative de leur auteur, les productions forcent la comparaison avec un défilé de haute couture, le dressage d’un plat dégustation dans un restaurant de renom, la reconstitution méticuleuse d’un corpus au Musée des Arts et Traditions Populaires. Devant les œuvres, le jugement oscille entre invention et irréel, pure poésie et affleurements métaphoriques. L’art de Corine de Borgnet prise par ses adhésions et emportements esthétiques, fourbi de questions aussi indéfinissables de goût que de rencontres fortuites signe sans fard la personnalité singulière de son initiatrice.

Colorées naturellement ou fardées par les effets des détournements, les œuvres, tantôt filmiques ou sculpturales, graphiques ou de l’ordre de l’installation in situ projettent autant qu’elles susurrent l’épisode imaginable d’un conte personnel. On croit tout voir et tout avoir sous les yeux, on se convainc que l’artiste livre assez d’indices ou l’essentiel de son programme, voire le principe de son expression. Cependant, tandis que subsiste un nuage diffus, et quelquefois comme par contradiction presque tactile, l’ensemble des œuvres problématise le champ des arts plastiques. Par leur répétition, certains détails intimes résonnent de confidences et de perspectives ritualiques. Ne reste alors d’un soulier haut perché que son squelette en os de poule ; ne subsiste de l’icône du suaire biblique que la vue d’un turban rapporté comme une pièce de tissu ordinaire, ne repose sur un mur qu’un ensemble hétéroclite de collages évoquant des jeux charnels, n’existe plus d’un papillon que son image parodique, avec ses ailes habillées d’un motif pied de poule… Restent des calembours et ces rires aux accents lucifériens autour de la féminité et de la poule, halos d’existence où la mort comme l’enfance présument dialectiquement que, dans chaque création, l’hétérogénéité des montages agit potentiellement comme une mine fabuleuse ou explosive. Reste à Corine de Borgnet l’effervescence régulière de techniques d’apparences simultanément intuitives et artisanales, l’usage d’univers aporétiques, moins imaginaires qu’inclassables. Supportée par un détail analogique ou intempestif, la précision esthétique des compositions y devient au passage messagère de traditions familiales évidemment persistantes ; elles sous-entendent des photographies enfouies, des choses rémanentes et des choses indicibles, des secrets et des rumeurs faites de « ceci ou de cela, de tout et rien, enfin presque rien,» sauf que, justement… des légendes surtout…! Son incontestable culture de l’histoire des arts, ses facultés de suggestion par les formes seules, l’espièglerie de leur aspect devenu ludique, son habileté à scénariser des sortes d’auto-fictions plastiques permettent à l’artiste d’instiller dans chaque production que chaque geste suscite à minima une vision simultanément personnelle, illustrative ou métaphysique.

Et donc, Corine de Borgnet pratique des rapprochements allusifs et poétiques, initie des ricochets entre couleurs et matières, entre échelles et dimensions réincarnées, initie des doutes sur l’origine de l’irréalité des images. Qu’elle floute certains aspects plastiques ou littéraires de ses compositions ou qu’elle emmêle ses fils personnels d’inspirations avec ceux supposés d’autres regards, qu’elle refonde « objectivement » ou qu’elle brouille des strates d’histoires anciennes ou universelles, rien ne l’arrête dans son art de déplacer les codes icôniques. Sa pratique : dire finement par quoi l’art peut devenir plus poétique par le paradoxe de sa précision même.

Dans ces œuvres bricolées de références que n’aurait pas reniées André Breton, cocasses comme des incartades duchampiennes, revisitées comme des peintures de Magritte ou réinventées comme des détournements de Marcel Broodthaers, l’imagination plastique de Corine de Borgnet passe comme l’eau remplit la main.

 

1- « Sans foi ni particule » est le titre que Corine de Borgnet  donne à son exposition. Le commissariat est assuré par Isabelle de Maison Rouge.

Lionel Sabatté à la galerie Chartier, Lyon

21/09/2017

Très belle exposition de visages subjectifs, tout à la fois réels et oubliés, tout en onirisme composé, aussi enchevêtrés que déliés de leurs nimbes.

Françoise Pétrovtich aux faits

09/09/2017

Traversée par toutes les versions du rêve, Françoise Pétrovitch fait divaguer entre elles toutes les formes mystérieuses de la figuration. L’artiste, que par ailleurs la science et l’imagination des moyens plastiques n’effraie pas, en profite pour réinterroger sans cesse le symbolisme de ses paysages intérieurs, de questionner picturalement l’autorité de fils d’inspiration de toutes natures qui la lient imaginairement à son art.

Avec les nouvelles créations rassemblées sous  le thème « « Sonatines » à la galerie Sémiose, l’inversion de toutes les fictions où elle s’est jusqu’ici illustrée montre à vif des libertés aussi formelles que visuelles plus surprenantes que jamais. En opposant cette fois sa version intime de la fin de l’histoire aux perspectives de représentations de la peinture figurative, elle initie non pas des images analogiques peintes mais fait sentir leur intérêt dans un cheminement pictural désormais détaché de certains préalables référentiels. D’où de nouveaux récits pour de nouvelles peintures encore figuratives mais tranquillisées. Mêlée à des sculptures, la série de peintures présentes rassemble des récits en une seule image, à la picturalité gestuelle résolument fraîche et abondante, curieuses dans la sobriété de leur composition cependant complexe et animée ; en fait libre et joyeusement inconséquente sur sa pure poésie plastique. En Fête !…devrais je dire.

Suivant l’évolution de son travail depuis longtemps, je songe rétrospectivement à ses trajectoires artistiques plus qu’aux œuvres isolément : un attachement de jeunesse pour l’œuvre à la fois autobiographique et poétique de Mac Chagall, puis des paysages urbains où les solitudes et le vide géométrique des immeubles et des rues forcent une sourde abstraction par rapport au réel. J’ai en mémoire les premiers êtres représentés à l’encre, des adolescents comme surgissant de leurs corps aquarellés et évanescents, ou se fondant dans leur support de papier, comme s’ils lui devaient d’exister, n’être que des œuvres plastiques ou transposer des souvenirs. Et, parcourant ces images diaphanes, les ombres et les reflets indistincts de silhouettes enfantines justes suggérées, évoluant seules ou jouant en groupes informels… Je revois ses interventions plastiques dans l’espace urbain, dans et sur des vitrines aimablement prêtées, vues incertaines à la fois dans et hors du paysage de la rue. Il y a aussi les livres d’artistes et tout leur travail éditorial, les dessins et les gravures, toujours nombreux et édifiants par leur intimité avec le lecteur, jamais tenu pour étranger, l’omniprésence du monde de l’enfance et ses histoires de rêves vrais ou inventés. Je songe à ses sculptures et ce qu’elle leur fait montrer, ce à quoi elle les rapporte : des histoires mythologiques ou icôniques, parfois le film en trois dimensions de résonnances là encore secrètes. Au fur et à mesure des productions, constamment débordées par leur plasticité aussi généreuse que « tirée au cordeau », la perfection imaginative des œuvres fascine…

Puis il y a les histoires enfantines peintes sur les murs, avec pour effet un stupéfiant retournement icônographique de l’histoire du tableau. D’éditoriales, les images virent dialectiquement au street art depuis l’opportunité de leurs contextes. Ces récits comme toujours un peu journaliers par leurs circonstances deviennent avec leurs dimensions architecturales d’immenses microcrocosmes intimes rendus publics. Il m’a techniquement toujours semblé qu’à travers ces visions à l’échelle du monde environnant, Françoise Pétrovtich cherchait aussi non seulement à plébisciter dans ses compositions l’insertion sémantique de l’échelle du spectateur, mais encore à nouer avec les principes techniques du all over. Par ce moyen supplémentaire, l’idée d’un pacte d’inspiration expressive augmenté avec le spectateur permet de se sortir de la toile pour la dépasser, le but étant de configurer aussi oniriquement que physiquement un paysage hors cadre. Ou en partie ailleurs…

Et il y a les calques, que depuis deux ans environ elle produit, de somptueux montages en forme de palimpsestes, tout en confidences susurrées : monuments de faits et de personnages où les figures confrontées à la superposition des écrans de papiers translucides partagent entre-eux par reflets. Partout sont mises en places des suggestions mémorielles et les libertés narratives d’une picturalité traitée par une fugacité d’apparat, en réalité aussi profondément cultivée que subtile dans les détails esthétiques. Puis Marseille, l’été 2016, et l’occasion d’une sorte de rétrospective. Je crois y avoir ressenti l’amorce de cette « sortie de l’histoire » que j’évoque et où l’exposition actuelle à la galerie Sémiose précisément culmine en grande partie. Françoise Pétrovtich, par une émotion irrésistible, présentait une série de peintures de grands formats d’une vivacité picturale et d’une autonomie technique tout à fait imprévues. Leur facture notamment, toujours directe et gestuelle, partout changeante et véhémente, charnelle et énergique, semblant portée par d’autres pratiques d’engagements du dessin, d’autres histoires de zones laissées vides ou de parties non peintes, de figures complètes ou approximativement restituées, d’autres rapports au temps du tableau, au corps de la toile, à la focale du sujet peint. Ce sont en même temps des visions de personnages, des silhouettes d’arbres et d’édifices bel et bien constitués, chargés de couleurs et de signes évocateurs. Le long de la cimaise, les toiles permettent de suivre l’artiste en action, sa pratique vigilante que chaque œuvre s’appuie des forces picturales quasi naturelles, d’un mot, mais c’est l’idée qui compte : inverser les priorités entre le titre et le coup de poing pictural du tableau.

Et donc ces nouvelles œuvres à la galerie Sémiose. Le mouvement est en effet lancé d’un tri entre les histoires, davantage qu’un laisser tomber général de tout ce que peut l’Histoire. Tous les récits comme toutes les séquences ne se valent pas. Toutes les abstractions et toutes les suspensions ou retraits (sinon les oublis) ne les remplacent pas, même de façon allusive. L’histoire que laisse Françoise Pétrovitch ne marque pas la fin de ses rêves et de ses émotions, avec l’intimisme au présent ou à l’imaginaire des émotions humaines ; mieux, elles les libèrent. Ainsi, tout en continuant d’être une authentique recherche, sa peinture n’en poursuit pas moins une narrativité onirique. C’est le ton qui change, l’évocation purement visuelle invite la description suggestive. Le particulier de simples scènes remplace le sous-entendu, inconsistant ou symbolique, et dont les limites sont discutables. Le plaisir de peindre, simplement étendu à l’essentiel d’un sujet également simple, est démêlé de ce qui l’entrave, débarrassé de ce qui l’encombre. Regardez les tableaux laisser un thème se faufiler au milieu de leurs compositions visiblement libérées de toute convention. Arrêtez vous un instant et concentrez vous sur l’éperdu passionné et émouvant des gestes de l’artiste captée par son propre rythme de travail. Remarquez comme les dissociations des compositions ne sont qu’apparentes, qu’en vérité l’artiste n’a fait son propre temps de travail que perspectives d’approches et de réalisations. Le rouge s’emporte dans des gestes et développements expressifs incontrôlables, l’orangé ou le rose suivent, accompagnent, nuancent, dialoguent entre les autres surfaces autrement peintes. Ils contrepointent autant qu’ils doivent par ailleurs. Des verts et d’autres teintes rapidement brossées se déclinent en textures visuelles à partir desquelles l’empreinte comme la trace des outils deviennent des échos tantôt proches, tantôt éloignés d’histoires parallèles ; uniquement parallèles. On voit la brosse ou le pinceau filer l’aventure d’une figure, la décrire d’un cheminement aux carrefours multiples, au spectateur de voir. Une surface colorée ou un geste de brosse mime un pan d’architecture… La simplicité naturelle de son toucher évolue sous couvert de ses maîtrises du dessin et d’un sens de la picturalité qu’on devine implacable, épais de tout ce qui lui a précédé : dessin et sculpture, peintures à l’encre et assemblages de papiers, discrètes interventions éditoriales et œuvres in-situ. Dans ces nouvelles recherches, tout se combine avec légèreté, s’imbrique et se dépasse aussi bien astucieusement que sensiblement. Et surtout tout vibre et vole ; redoutable plasticité qui s’invente en se pratiquant de sa pleine liberté.

Aucune toile exposée n’a pour elle-même un titre. L’exposition est toutefois chapeautée par ce titre « Sonatine en rouge et rose ». Il vient de l’extérieur, il émane du texte de sa présentation, mais convient à l’artiste qui trouve dans l’association du vocabulaire musical et des couleurs une légèreté évocatrice. Je songe en même temps à la définition d’une sonatine, une petite sonate, l’idée qu’il s’agit d’abord d’une « musique qui sonne ». Certaines sonata sont considérées comme des sommets de culture et de sensibilité purement musicale. La sonatine est d’un autre calibre, elle serait d’une allure à la fois subtile et anodine, portée par un programme délicatement pédagogique, de ces œuvres musicales dont la particularité est de sembler faciles, voire de troubler le jugement par cette commune apparence d’être graciles. On lui accorderait sans difficulté des résonnances enfantines. La sonata peut être d’église ou de chambre, autrement dit, réservée à des lieux d’intimité et de silence. Il est courant que la sonatine soit jouée par un seul interprète, au mieux une formation très sobre. Avec cette première exposition, les peintures réunies dans les ondes d’une douce musique, c’est toute la légèreté retrouvée de peindre comme on écoute une petite sonate que Françoise Pétrovtich semble vouloir expérimenter. Preuve, s’il en est, que l’artiste pense réellement sa pratique de la peinture comme une saisie heureusement prioritaire sur tout thème ou récit, avec l’incarnation d’un message désormais plus charnel que technique. Il se trouve qu’une toile presque à l’échelle humaine présente un colin-maillard onirique devant un décor aux apparences de dallage vide et plein poétique. Avec délicatesse, un filet de voix entonne que peindre ou dessiner peut effectivement réveiller en douceur une petite musique qui sonne.

La peinture de Françoise Pétrovitch vit au gré des toiles et des sculptures ses parts de naïvetés consenties. Les modèles utilisés sont naïfs, leurs images, un peu conventionnelles et impersonnelles conservent leurs traces d’emprunts à la photographie ou à l’illustration. On l’a dit, l’artiste compose ses tableaux. Pour chaque vue, chaque environnement où ils s’inscrivent  et où ils s’insèrent est donc peint comme le signe extérieur revivifié d’une aura métonymique. Au milieu de tout ça, de ce « purement pictural sans histoire » flottant ou volant, bien calé sur son moment de vie, Françoise Pétrovitch fait de l’imagination du tableau mieux qu’un récit : un compte de tout et rien, le je ne sais quoi fugace et malicieux d’un moment de peindre juste délicieux.

        Alain Bouaziz Septembre 2017

Au fond David Hockney fait peut-être semblant de jouir…

30/08/2017

David Hockney à Beaubourg. Au fil des salles, la dextérité apparente du peintre à mettre en scène une peinture toujours savante subjugue. Dès les premières œuvres, des paysages, la complexité de focales et de cadrages volontairement compliqués par le peintre font présumer que des sous entendus ont régulièrement été ménagés entre les sujets et leurs compositions, jusqu’à renvoyer la part créative de son travail à des traversées d’encyclopédiste. Au bout de l’exposition, avec la dernière salle consacrée aux dernières recherches du peintre sur « des perspectives inversées », la conviction qu’Hockney entend soutenir ses images colorées en s’appuyant sur des références s’impose toujours. Dans les autres salles, des séries d’inventions visuelles et les exemples de pratiques différenciées portraiturent un plasticien aux élans débonnaires et aussi objectivement technophile que passionné par les sciences de l’art, aussi féru d’histoire de l’art que sensible à toutes les amitiés artistiques enviables, qu’il s’agisse d’emprunter un style, de faire écho à l’échelle d’un format ou d’un détail réputé d’une œuvre refaisant opportunément surface.

Consacrée à des portraits d’amis (qu’on peut aussi voir comme des références culturelles), une salle entièrement consacrée au dessin réunit des études consacrées au travail graphique. Surprenant sur les points de vues illustratif et plastiques du genre, Hockney se révèle fulgurant dans la mobilité du geste, goguenard avec l’habileté, vif sur les signes expressifs, tendre pour le regard naturel des modèles régulièrement captés au moment où leurs yeux brillent. Pas un dessin où l’artiste ne joue tous les aspects disciplinaires du dessin en se gaussant d’effleurer les conséquences esthétiques d’un trait versé aux multiples versions de l’improvisation formelle, par une œuvre qui ne prouve des affinités avec une gaucherie technique aux accents humoristiques. Avec l’engagement d’outils conventionnels aussitôt déconventionnés, la maitrise du peintre déroute. Chaque fois, c’est à la suite d’un mouvement de « pourquoi pas ? » que paraît l’humus de son art. Chaque fois, qu’un mouvement décomplexé d’« Allons-y ! » coule en même temps dans ses veines d’artiste.

Restent ça et là des réponses plastiques à la culture bizarrement assumée, seulement allusives. David Hockney, qu’une insouciance plastiquement affichée entraine dans une picturalité toujours plus exubérante déroule à l’inverse de ses accommodements et ses « amusements » des questions certes vaguement imprécises et peut-être propres au visiteur, mais sont des questions quand même. Les œuvres peuvent dès l’instant susciter un doute légitime quand on sent le geste du peintre quelque peu vacillant (il assure pouvoir puiser dans tous les styles et à toutes les personnalités, mais la « maladresse » de leur citation plastique suscite la perplexité sur la culture qu’il en garde. L’artiste s’appuyant sur une pratique du geste pictural tout à la fois grossier dans son dessin et naïvement créatif quant au coloris vise t’il un art instruit mais pouvant passer pour vaguement savant et formellement détaché. Une inextricable inquiétude métaphysique quant à la possibilité de n’exister que par sa vie picturale semble agir comme un envers et fond audible pour un artiste constamment affairer aux conditions de sa pratique créative. Elle taraude in fine autant l’apparence goguenarde de ses moyens que ses sources picturales.

Août 2017

A différent way to move

28/08/2017

 

Voir, revoir et reprendre contact avec des productions d’art à dans l’action créative permanente et devenue paradoxalement historiques, on parlait alors de performances artistiques, art In-process, l’époque est celle des années 1970. Le Carré d’Art propose pour encore quelques jours une exposition parfaitement argumentée et documentée sur ces années caractéristiques durant lesquelles l’idée d’art s’est énergisée par l’expérience collective d’artistes pour l’essentiel venus des USA. D’entrée le ton est donné qui reprend la portée d’un propos de la danseuse et chorégraphe Yvonne Rainer : "Il était nécessaire de trouver une manière différente de bouger". Et c’est, dans la mémoire des fusions mises en chantiers durant les années « subversives » du Bauhaus, les années constructivistes et celles surréalistes, c’est tout un pan du travail de création artistique qui devint à nouveau un enjeu simultanément ouvert à la danse, au dessin, à l’environnement ou la sculpture, à la musique… d’un mot,  à tous les espaces possibles où et avec lesquels créer s’est défini par l’improvisation et l’expérimentation conceptuelle,  pour résumer, par des pratiques ne s’inventant et ne s’appréciant en terme de beauté(s) à la fois complices et partagée(s).

L’exposition, pour l’essentiel documentée à partir des collections du Centre Pompidou et d’apports de collectionneurs privés repose donc évidemment sur un défi : comment restituer une vie créative par nature non conventionnelle et totalement engagée contre les milieux conservateurs. On a ainsi le bonheur de revoir ou retrouver des artistes fermement contestataires, tous autant témoins que fondateurs de nouvelles écritures expressives et spéculatives. On a de nouveau l’occasion de se replonger dans les cultissimes tentatives d’œuvres in-process, incarnées dans l’immatérialité des gestes de danses ou d’actions par définition uniquement contextuelles et éphémères… On a l’occasion de retrouver les énergies de Trisha Brown,  de Simone Forti, Yvonne Rainer, Babette Mangolte, Lucinda Child, Buce Nauman, Richard Serra, Robert Rauschenberg, Sol Le Witt, Donald Judd, Carl Andre ou Phil Glass et Charlemagne Palestine, de personnalités que plus tard on verra, entre autres, autour de Merce Cunningham…

Les enregistrements filmiques de toute nature sont heureusement nombreux et utilement projetés sur les murs ou directement rappelés sous leur format vidéo d’origine, certains, comme sont, on l’a dit, biens connus, d’autres encore, bien moins diffusés et toujours nous reviennent toujours aussi surprenants et émouvants. Dans des vitrines faciles à lire, des supports dessinés, imprimés, fabriqués et comme toujours à l’esthétique expérimentale témoignent d’une vitalité imperturbable, autonome. Au sol, ou aux murs, des œuvres en relief permettent de repenser aux collaborations scénographiques d’artistes complices. Partout, cependant, avec autant d’effort pédagogique que quelques difficultés sensibles compréhensibles, chaque visiteur peut concevoir la vie qui anima l’époque et qui, faut-il le souligner, continue d’interpréter par le fond la forme de bien des recherches artistiques actuelles.

Les années 70 restent en ce sens incroyablement fécondes, En rappelant des pratiques artistiques exclusivement en action et pour les promouvoir à travers leurs enjeux collectifs et fusionnels d’alors, cette exposition bien titrée permet de revisiter opportunément des énergies dont nombre de créateurs actuels ne sont pas indemnes.

Août 2017